Bibliotheca Classica Selecta - Traductions françaises : Sur la BCS - Ailleurs sur la Toile
Métamorphoses d'Ovide : Avant-Propos - Notices - Livre IX (Plan) - Hypertexte louvaniste - Iconographie ovidienne - Page précédente - Page suivante
OVIDE, MÉTAMORPHOSES, LIVRE IX
[Trad. et notes de A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2007]
Naissance et enfance d'Iphis - Intervention d' Isis (9, 666-713)
En Crète, la métamorphose d'Iphis fit oublier la triste histoire des amours de Byblis. Ligdus, un citoyen crétois honorable, mais pauvre, ordonna à sa femme Téléthusa de supprimer l'enfant qu'elle attendait si c'était une fille. Ce choix les chagrine tous les deux. (9, 666-681)
Insensible aux prières de sa femme, Ligdus, intraitable, justifie cette décision cruelle par leur pauvreté. Arrivée presqu'à terme, Téléthusa voit durant son sommeil lui apparaître Isis, qui la rassure et lui conseille de ne pas tenir compte de l'ordre de son mari. Quand elle eut donné naissance à une fille, Téléthusa s'arrangea pour la faire passer pour un garçon, que Ligdus nomma Iphis, un nom pouvant s'appliquer aux deux sexes. Et la supercherie dura des années. (9, 681-713)
|
Fama noui centum Cretaeas forsitan urbes |
Les cent villes de Crète auraient peut-être résonné du bruit |
9, 670 |
progenuit tellus ignotum nomine Ligdum |
naquit
un certain Ligdus, plébéien, de nom inconnu, |
9, 675 |
« Quae uoueam, duo sunt ; minimo ut releuere dolore |
que ta délivrance se fasse avec un minimum de souffrance, |
9, 680 |
Dixerat et lacrimis uultum lauere profusis |
Il finit de parler et tous deux, tant celui qui donnait cet ordre |
9, 685 |
uix erat illa grauem maturo pondere uentrem, |
arrivée à terme, portait avec peine son ventre alourdi, |
9, 690 |
et regale decus ; cum qua latrator Anubis |
et un insigne royal ; elle était accompagnée d'Anubis, l'aboyeur, |
9, 695 |
Tum uelut excussam somno et manifesta uidentem |
Alors, comme si elle la tirait de son sommeil et apparaissait vraiment, la déesse lui parla ainsi : « Téléthusa, qui fais partie de mes fidèles, oublie tes lourds soucis et désobéis à l'ordre de ton mari. Quand Lucina t'aura délivrée, n'hésite pas à accueillir ton enfant, quel que soit son sexe. Déesse secourable, j'apporte mon aide |
9, 700 |
exorata fero ; nec te coluisse quereris |
quand on m'a implorée ; et tu ne regretteras pas d'avoir honoré |
9, 705 |
expulit et nata est ignaro femina patre, |
s'expulsa au grand jour, et que naquit une fillette, à l'insu de son père, |
9, 710 |
quod commune foret, nec quemquam falleret illo. |
parce qu'il était commun aux deux sexes, et qu'ainsi elle ne trompait personne. |
Fiançailles d'Iphis (9, 714-763)
À l'âge de 13 ans, Iphis se vit fiancé à la plus jolie de ses compagnes d'enfance, Ianthé. Tous deux éprouvent immédiatement une véritable passion mutuelle. Ianthé attend dans la joie et la sérénité le moment de leur union, tandis qu'Iphis, ayant conscience de se trouver dans une impasse, vit dans le désespoir. (9, 714-725)
Dans un monologue intérieur, Iphis prend conscience du caractère contre-nature de sa passion et se désespère, se trouvant plus à plaindre encore que la crétoise Pasiphaé ; en effet, victime elle aussi d'une passion interdite, celle-ci put l'assouvir grâce à un stratagème imaginé par Dédale. N'attendant rien de personne, Iphis fait alors appel à sa raison, mais sans grande conviction, et son désespoir résigné grandit en même temps que son désir, à l'approche du jour des noces. (9, 726-763)
Tertius interea decimo successerat annus, |
Cependant, trois ans après ton dixième anniversaire, |
|
9, 715 |
cum pater, Iphi, tibi flauam despondet Ianthen, |
ton père, Iphis, te fiança à la blonde Ianthé, |
9, 720 |
Hinc amor ambarum tetigit rude pectus et aequum |
Dès ce moment, l'amour toucha leurs deux coeurs naïfs : |
9, 725 |
hoc ipsum flammas ardetque in uirgine uirgo. |
(ce qui avive encore sa flamme) étant fille, elle se consume pour une fille. |
9, 730 |
naturale malum saltem et de more dedissent. |
ils auraient pu au moins me réserver un mal naturel, courant. |
9, 735 |
Vellem nulla forem ! Ne non tamen omnia Crete |
Je voudrais ne pas exister ! Il fallait peut-être que la Crète porte |
9, 740 |
passa bouem est et erat, qui deciperetur, adulter. |
la firent s'unir au taureau, et celui qu'elle abusait était son amant. |
9, 745 |
Quin animum firmas teque ipsa recolligis, Iphi, |
Pourquoi ne pas retrouver ta fermeté d'âme et te reprendre, Iphis, |
9, 750 |
hanc tibi res adimit. Non te custodia caro |
les circonstances te l'interdisent. Ce qui t'écarte de l'étreinte désirée, |
9, 755 |
Nunc quoque uotorum nulla est pars una meorum, |
Ici encore, une seule partie de mes voeux n'est pas accomplie, |
9, 760 |
luxque iugalis adest et iam mea fiet Ianthe, |
c'est le jour de notre union et bientôt Ianthé sera mienne ; |
Heureux dénouement : métamorphose d'Iphis en homme (9, 764-797)
Téléthusa, ne pouvant plus différer le jour fatidique des noces, et se souvenant de l'apparition d'Isis, se rend avec sa fille à son temple, implore la pitié et la protection de la déesse, à qui Iphis doit d'être en vie, contrairement à la volonté de son père. Suite à cette prière, Isis sembla manifester ce que Téléthusa prit comme un présage favorable. (9, 764-784)
Rassurée, elle quitta le temple, suivie de sa fille, qui peu à peu se sent métamorphosée en homme. La liesse et les offrandes à la déesse peuvent se donner libre cours et le lendemain, Iphis, devenu vraiment un homme, peut épouser Ianthé, sa bien-aimée. (9, 785-797)
Pressit ab his uocem ; nec lenius altera uirgo |
Après ces paroles, Iphis se tut. Ianthé, l'autre jeune fille, |
|
9, 765 |
aestuat utque celer uenias, Hymenaee, precatur. |
n'est pas moins impatiente et te prie, Hyménée, d'accélérer ta venue. |
9, 770 |
institerant unusque dies restabat ; at illa |
souvent reporté, était imminent et il ne restait plus qu'un jour.
Alors
|
9, 775 |
fer, precor, » inquit « opem, nostroque medere timori ! |
accorde-nous ton aide, et guéris-nous de notre crainte ! |
9, 780 |
consilium munusque tuum est. Miserere duarum, |
c'est
par ton conseil et ton bienfait. Prends-nous toutes deux en pitié, |
9, 785 |
Non secura quidem, fausto tamen omine laeta |
Non rassurée il est vrai, mais heureuse d'un présage favorable, |
9, 790 |
plusque uigoris adest, habuit quam femina. Nam quae |
sa force est plus grande que quand elle était femme. En effet, |
Postera lux radiis latum patefecerat orbem, |
Le jour suivant avait couvert de ses rayons l'étendue de l'univers, |
NOTES
nouveau prodige (9, 667). Le récit précédent s'achevait (9, 659-666) par la métamorphose en fontaine de la malheureuse Byblis.
Crète (9, 668). Les trois vers servent de transition. Le récit précédent (9, 443-665) se passait en Asie mineure mais était lié d'une certaine façon à la Crète, pays d'origine de Milétos, père de Byblis et de Caunus. Le lecteur se voit donc ramené un peu artificiellement en Crète, l'île aux cent villes ou aux cent peuples (7, 481).
Iphis (9, 668). La légende d'Iphis métamorphosée en garçon, que va rapporter Ovide en détail, rappelle, avec certaines différences, celle de Leucippos (Antoninus Liberalis, Métamorphoses, 17). « La scène se situe aussi à Phaistos, mais le héros porte le nom de Leucippe et doit sa métamorphose de fille en garçon à l'intervention de Léto, et non d'Isis. Nicandre [la source d'Antoninus Liberalis] rappelait à ce propos les noms de tous ceux à qui même faveur était échue, parmi lesquels le devin Tirésias et le Lapithe Caineus, desquels parle aussi Ovide aux livres 3, 324 et 12, 172 » (J. Chamonard).
Phaestos... Cnossos (9, 669). Deux villes de Crète, situées respectivement près de la côte Sud et de la côte Nord de l'île, et où ont été découverts d'importants vestiges de palais d'époque minoenne.
plébéien (9, 670). Anachronisme d'Ovide qui transporte en Crète les classifications sociales romaines.
mise à mort (9, 679). La coutume d'exposer des nouveau-nés, sous divers prétextes, surtout lorsqu'il s'agissait de filles, était très courante dans l'Antiquité. Elle nous paraît difficilement supportable, mais elle ne l'était pas aux yeux d'Ovide, puisque il nous dit que Ligdus passait pour avoir une conduite irréprochable et nous le décrit d'ailleurs comme très affecté par la chose.
fille d'Inachus (9, 687). C'est Io, la fille du fleuve Inachus, que Jupiter avait transformée en génisse pour la soustraire à Junon (1, 568-667). Jupiter lui ayant rendu sa forme première, elle parcourut l'Égypte, où elle fut assimilée à Isis, déesse égyptienne, honorée dans les temples (1, 724-749). Ovide la présente avec ses attributs caractéristiques, le disque lunaire entre deux cornes (ce qui explique en partie son assimilation avec Io), des épis, et l'insigne royal égyptien, « l'uraeus, c'est-à-dire le cobra lové, formant diadème, réservé aux divinités et aux rois » (J. Chamonard). Dans la mythologie égyptienne, Isis est l'épouse d'Osiris, et la mère de Horus, dieu du soleil. Sans appartenir vraiment aux mythologies grecque et romaine, Isis fut identifiée à Io ainsi qu'à Déméter, et à Sélénè. Son culte et ses mythes se répandirent largement dans le monde greco-romain dès le 3ème siècle a.C., et surtout à l'époque impériale.
Anubis (9, 690). Dans l'escorte d'Isis, Ovide a convoqué divers dieux égyptiens, nouvelle occasion pour lui de faire étalage d'érudition. Le premier cité est Anubis, un des dieux égyptiens de la mort, représenté avec une tête de chien ou de chacal. Virgile, Én., 8, 698, parle aussi de ses aboiements.
Bubastis (9, 691). Bubastis est une ville de Basse-Égypte, où était vénérée Bast, déesse à tête de chatte, appelée aussi Bubastis et qui représentait la chaleur fécondante du soleil.
Apis (9, 691). Apis était une autre divinité égyptienne représentée comme un taureau (cfr la description d'Hérodote, 3, 28, 3).
dieu qui réprime (9, 692). C'est Horus-Harpocrate, fils d'Isis et Osiris, représenté comme un enfant portant son index droit à la bouche, comme pour inviter au silence.
sistres (9, 693). Sortes de crécelles dont se servaient les Égyptiens dans les cérémonies du culte d'Isis.
Osiris (9, 693). Osiris, époux d'Isis et roi d'Égypte, avait été mis a mort par son frère Seth-Typhon, le dieu de l'ombre, qui l'avait dépecé et avait dispersé ses membres. Isis avait longtemps recherché la dépouille de son époux, avait recomposé ses membres dispersés et l'avait ressuscité. Cette quête d'Isis était commémorée dans des cérémonies annuelles en Égypte.
serpent étranger (9, 694). Isis, et d'autres dieux guérisseurs, tel Esculape, ont un serpent pour attribut. Le « serpent étranger » évoqué ici pourrait être l'aspic.
Lucina (9, 698). Déesse présidant aux accouchements, assimilée à Rome tantôt à Junon, tantôt à Diane ou Hécate (5, 304 ; 9, 294, et aussi Fast., 2, 449-452).
Ianthé (9, 715). Ce personnage de Ianthé ne semble pas cité par ailleurs.
Télestès du Dicté (9, 717). Père de Ianthé, qui, pas plus que sa fille, ne semble cité ailleurs. Dicté est le nom d'une montagne de Crète.
Vénus nouvelle (9, 727). Ici Vénus est synonyme de passion amoureuse. On peut s'étonner de l'épithète « nouvelle », un amour homosexuel n'étant tout de même une chose inconnue pour Ovide ! Mais il est vrai qu'il fait parler une enfant sans grande expérience.
fille du Soleil... (9, 736-740). Ce passage évoque la légende de Pasiphaé, la fille du Soleil, l'épouse de Minos, roi de Crète ; elle s'était éprise du taureau magnifique que Poséidon avait fait surgir des flots à la demande de Minos. Pasiphaé s'unit à ce taureau grâce à un stratagème imaginé par Dédale, qui avait fabriqué en bois un simulacre de génisse, dans lequel la reine avait pris place, abusant ainsi le taureau. C'est de cette union que naquit le Minotaure. Voir 8, 132-133 et aussi Virg., Én., 6, 14-30, et surtout la note à 6, 24-26 ; Ovide, Fast., 3, 499.
Dédale (9, 742). Le héros ingénieux par excellence (voir 8, 152-259) ne peut rien pour la pauvre Iphis.
Junon Pronuba... Hyménée (9, 762). Junon, qualifiée de Pronuba, passait à Rome pour la déesse présidant aux mariages. Et Hyménée, dieu du mariage chez les Grecs, était invoqué lors des cortèges nuptiaux. Voir 6, 428-429 ; 10, 2, ainsi que Fast., 2, 561.
bandelette (9, 771). L'usage était, dans les opérations magiques, de se dégager de tout lien (cfr Virg., Én., 4, 518). Le commentaire de Servius à ce passage de Virgile semble même élargir la règle à toutes les cérémonies religieuses (in sacris nihil solet esse religatum).
Parétonium ... Maréotide... Pharos (9, 773-774). Trois termes géographiques situés en (ou à proximité d') Égypte. Parétonium est un port de la Marmarique, à environ 300 km à l'ouest d'Alexandrie ; la Maréotide, région d'Égypte (aujourd'hui Mariut), se trouve au sud d'Alexandrie ; Pharos, l'île en face d'Alexandrie, est célèbre par son phare.
Nil (9, 774). Le Nil est généralement présenté comme ayant sept bras. Cfr 2, 255.
insignes (7, 776). Rappel de l'apparition d'Isis à Téléthusa (9, 686-694).
compagnons, etc... (9, 777). Le texte est lacunaire ; nous suivons celui de l'édition G. Lafaye.
Métamorphoses d'Ovide : Avant-Propos - Notices - Livre IX (Plan) - Hypertexte louvaniste - Iconographie ovidienne - Page précédente - Page suivante