FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 26 - juillet-décembre 2013
Une autre liste de merveilles virgiliennes intégrant le complexe aux statues magiques a été récemment découverte dans un manuscrit de la Biblioteca Nazionale Centrale de Florence. Ce manuscrit appartient au fonds Magliabechi (VIII. 1416), contient divers textes en langue vulgaire et est daté fin XIIIe-début XIVe. Paolo Divizia qui a découvert cette liste due à un rédacteur inconnu en a fait l’édition et le commentaire en 2006.
P. Divizia,
Un antica testimonianza in volgare della leggenda di Virgilio, dans
Mediterranea [Cluj-Napoca], t. 1, 2006, p. 155-169, accessible dans la Banca
Dati Nuovo Rinascimento.
1. Le
contexte
Le manuscrit, on vient de le dire, est daté de la fin du XIIIe-début
XIVe, mais cela ne fournit qu’un terminus ante quem pour la date de
rédaction du document isolé. Quoi qu’il en soit, celui-ci rapporte, l’un à la
suite de l’autre, cinq faits merveilleux attribués au Virgile médiéval. Deux
réalisations napolitaines (fondation de Naples et dallage d’une route entre
Naples et Rome) sont suivies de trois épisodes romains (les statues aux
clochettes, l’histoire de la « demoiselle de Virgile » et le motif du
feu perpétuel protégé par un archer).
Ici encore la notice sur les statues magiques se trouve donc intégrée
dans une liste de merveilles virgiliennes, une liste qui, pour l’organisation et
le contenu, diffère toutefois sensiblement de celles rencontrées plus haut
(Neckam, Vincent de Beauvais, Jean de Galles). Elle ne se rattache à aucune
d’elles. Il est manifeste
que plusieurs listes étaient en circulation.
2. La
notice : texte et traduction
On trouvera, à gauche, le texte italien dégagé des nombreux signes
diacriques de l’édition P. Divizia et, à droite, sa traduction
française.
P. Divizia, 2006, ch.
5, p. 6 |
Traduction
française |
(1) Allora sengnoregiava
lo ’nperio di Roma co’ romani tutto il mondo, e sengnoregiollo .xvij.
anni, e da tutto avea trebuto. |
(1) À cette époque
l’empire de Rome gouvernait, avec les Romains, le monde entier, il le
gouvernait depuis dix-sept ans, et recevait de tous le
tribut. |
(2) E Vergilio fece loro
in Roma uno palagio, e fecevi dentro tanti idoli quante province
segnoregiava Roma, e ciascuno idolo puose nome per la sua
provincia : |
(2) Virgile leur fit à
Rome un palais, et y mit à l’intérieur autant de statues que Rome
gouvernait de provinces, et chaque statue portait le nom de sa
province. |
(3) inmatanente ke·lla
provincia era rubellata e·ll’idolo si era volto il chulo inver quella
provincia, e di questo modo sì·llo sapevano i
romani ; |
(3) Aussitôt qu’une
province s’était rebellée, la statue tournait le dos à sa province, et de
cette manière les Romains savaient ce qui se
passait. |
(4) inatanente vi mandava
u·capitano con una milizia di chavalieri a guerregiare la provicia, e se
tornava ke no·ll’avesse sì lgli mozava il capo, o convenievi che vi
rimanesse morto. |
(4) Aussitôt ils y
envoyaient un capitaine avec une troupe de chevaliers pour faire la guerre
à la province, et les Romains ne revenaient que s’ils avaient coupé la
tête du chef rebelle ou s’ils étaient convaincus de sa
mort. |
3. L’analyse de la notice
Loc Deno Le motif des statues aux clochettes n’est ni localisé ni désigné par un nom particulier. Sa présentation est réduite à « un strict minimum ». On relève toutefois quelques différences par rapport aux versions courantes.
Ainsi, le § 1 comporte une précision que nous n’avions pas encore
rencontrée, celle d’une domination romaine de dix-sept années qui s’était
déroulée sans incident, les impôts étant régulièrement payés. Cette idée d’une
longue paix fait penser à une notice dont il sera question
plus loin et qui avait amené l’érection à Rome du « Temple de la
Paix ». Ce § 1 doit être vu comme une manière d’introduire le motif
des statues.
Cloc Les statues ne semblent disposer d’aucune clochette. Mais le
caractère schématique de la notice ne permet peut-être pas d’accorder une
importance particulière à cette absence. En tout cas elle engendre une variante
rarissime.
Stat Mouv En l’absence de clochettes, la seule manière pour les Romains
d’être informés d’un problème réside donc dans le mouvement des statues. Il
n’est pas question ici d’une statue centrale, à laquelle la statue de la
province rebelle pourrait tourner le dos. C’est un mouvement très différent qui
est signalé : la statue tourne le dos à la province rebelle, ce qui
implique, sur le plan de la disposition, que les statues sont censées
« surveiller » leurs provinces et qu’elles se détournent d’elles quand
elles y décèlent un problème. Dans ces conditions, on n’a pas besoin d’une
statue centrale, représentant Rome. On ne trouve aucune trace non plus du détail
du « cavalier-girouette » dont on a parlé dans le présent
chapitre, notamment à propos de Neckam.
Trans Surv La procédure de transmission de l’alarme est fort simplifiée. Le texte ne mentionne pas de prêtres surveillant sans cesse les statues et signalant l’apparition d’une menace aux autorités (souvent les sénateurs) qui se chargent alors de lancer la procédure d’intervention militaire. Les Romains sont censés savoir ce qui se passe par le simple mouvement de la statue rebelle (e di questo modo sì·llo sapevano i romani). Comme il n’y a pas de clochettes, seul le registre du visuel est pris en compte.
Exp Le mandat du corps expéditionnaire est
particulier. Il ne rentre à Rome qu’après avoir exécuté le chef rebelle
ou s’être assuré de sa mort. Cette précision ne se rencontre qu’ici.
Introduction - Partie thématique - Partie analytique (Plan) - Conclusions
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