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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


Historiographie gréco-romaine

 

SOZOMÈNE (1ère moitié du Ve s.)  

 

Textes rassemblés et présentés par Jean-Marie HANNICK

Professeur émérite de l'Université de Louvain

 


L'auteur

Voici de nouveau un personnage dont la vie est très mal connue. Toutes les informations qu'on peut donner à son sujet sont hypothétiques. S'il est appelé couramment Sozomène, notre auteur, selon Photius, portait un nom plus développé : Salamanès Hermeias Sozomène. Il serait né en Palestine, près de Gaza, vers 380. Toute sa famille se serait convertie à la suite de la guérison, par un moine, d'un possédé du démon (T 11). Sozomène aurait reçu sa première éducation (lecture, écriture, calcul) dans un couvent de la région puis aurait poursuivi des études classiques (grammaire, littérature) dans une école publique (à Gaza ?), études couronnées par un diplôme en droit, peut-être obtenu à Beyrouth. Sozomène devait avoir alors une vingtaine d'années. Ce qu'il devient dans les années 400 et suivantes, nul ne le sait. Plus tard, on le retrouve à Constantinople, occupé dans les tribunaux (T 7): il y exerce la fonction, mal connue, de scholasticos. On sait aussi qu'il a voyagé à Rome, à Alexandrie, en Bithynie. La date de sa mort est inconnue ; on la situe vers 450.

 

L'Histoire ecclésiastique

La dédicace de l'œuvre à Théodose II en précise le contenu (T 1) : l'Histoire commencera en 324 (c'est là que s'arrêtait celle d'Eusèbe) et s'achèvera, ou plutôt aurait dû s'achever en 439. En réalité, pour des raisons qu'on ignore, Sozomène n'est pas arrivé au bout de son travail ; le livre IX ne couvre que les premières années du règne de Théodose. Pourquoi Sozomène, un laïc, tout comme d'ailleurs son prédécesseur Socrate, s'est-il attelé à la rédaction d'une histoire de l'Église ? L'auteur ne le dit pas clairement mais laisse deviner sa motivation. Il se présente en effet comme un chrétien convaincu et pourrait bien, comme Polybe face à la prodigieuse expansion de la puissance romaine, avoir été impressionné par celle, tout aussi remarquable, du christianisme (T 2). Avec l'aide de Dieu, il deviendra donc historien (T 2), malgré son peu d'éloquence (T 10).

L'histoire de l'Église au IVe siècle est faite, pour une grande part, d'interminables conflits doctrinaux dans lesquels s'engagent, non sans violence, évêques, prêtres et diacres, peuple chrétien et autorité publique. Il s'agit surtout de définir les relations existant entre le Père, le Fils et l'Esprit. Sont-ils égaux et « consubstantiels » ou y a-t-il une hiérarchie au sein de la Trinité ? On se bat à ce propos, surtout en Orient : cela constitue le fond du récit de Sozomène. Lui-même est orthodoxe ou « nicéen » mais un historien, estime-t-il, n'a pas à se prononcer sur ces questions de théologie (T 9) ; il se dit d'ailleurs incompétent en ces matières (T 15). Il lui suffit de relater des débats qu'il regarde avec beaucoup de bon sens : il observe, par exemple, que ces querelles s'apaisent quand la religion est attaquée de l'extérieur (T 13) et note, non sans finesse, que l'attitude des belligérants a des racines qui ne sont pas toutes d'ordre théologique (T 8).

Mais Sozomène s'intéresse à d'autres personnages qu'à ces évêques orthodoxes ou hétérodoxes et à leurs innombrables conciles. Il a beaucoup de sympathie pour les moines, ces ascètes qui mènent une vie « philosophique » (T 3, 8, 10) ; il ne rechigne pas à raconter des miracles (T 12, 14, 17). C'est un autre aspect de l'histoire de l'Église.

Les sources et la méthode de Sozomène méritent enfin quelque attention. On a beaucoup discuté de la dette de notre auteur envers son prédécesseur, Socrate, dont l'Histoire ecclésiastique couvrait le même période que la sienne. Sozomène ne le cite nulle part. Il n'empêche qu'il l'a beaucoup utilisé, mais pas de manière servile. Sozomène remonte volontiers jusqu'aux documents originaux (T 18), qu'il lui arrive de reproduire (T 2. Cf., par ex. II, 22, 5 ; III, 2, 2-6 ; III, 22 ; IV, 14 etc). Les sources orales sont aussi bien présentes, souvent introduites par des formules vagues comme « on dit que », « j'ai appris que ». Parfois, l'auteur insiste sur la qualité des témoins qu'il a interrogés (T 6, 7, 16). Dans l'ensemble, il paraît avoir pris soin de bien s'informer. Son sens critique, en revanche, ne semble pas très aiguisé. Le récit de la découverte de la Sainte Croix ne le heurte pas (T 6), pas plus qu'une apparition de l'archange Saint Michel (T 7). Il hésite, il est vrai, quand il évoque une apparition du Christ à l'empereur Julien (T 12) ou la résurrection d'une femme enceinte dans une église de Constantinople (T 14), tandis que le miracle de la femme qui refusait de communier lui paraît au contraire démontré (T 17) : Sozomène ne semble pas avoir d'idée bien arrêtée sur ces phénomènes surnaturels.

Son Histoire connaîtra un destin assez particulier. Elle est d'abord réunie à celle de Socrate et à celle d'un autre contemporain, l'évêque Théodoret, pour devenir l'Histoire tripartite de Théodore le Lecteur (Anagnostes). Celle-ci sera traduite partiellement en latin par le moine Épiphane, à la demande de Cassiodore, lequel se base sur ce travail pour composer sa propre Historia ecclesiastica tripartita. Nous sommes là environ un siècle après la mort de Sozomène.

Voir aussi Introduction à l'historiographie chrétienne.

 

Bibliographie

Texte

- Histoire ecclésiastique, éd. J. Bidez - G.C. Hansen, trad. A.-J. Festugière - B. Grillet, 4 vol., Paris, 1983-2008 (Sources chrétiennes, 306, 418, 495, 516).

Études

- Leppin H., The Church Historians (I) : Socrates, Sozomenus and Theodoretus, dans G. Marasco (ed.), Greek and Roman Historiography in Late Antiquity, 2003, p.219-254.

- Urbainczyk Th., Observations on the Differences between the Church Histories of Socrates and Sozomen, dans Historia, 46, 1997, p.355-373.

- Van Nuffelen P., Un héritage de paix et de piété. Étude sur les histoires ecclésiastiques de Socrate et de Sozomène, Louvain, 2004 (Orientalia Lovaniensia Analecta, 142).

 

  Textes choisis

T 1 - Histoire ecclésiastique, trad. A.-J Festugière - Dédicace à l'empereur Théodose [II], § 19-21  Mon écrit progresse depuis le troisième consulat des Césars Crispus et Constantin [324] jusqu'à ton dix-septième consulat [439]. J'ai jugé bon de diviser tout l'ouvrage en neuf parties. Le premier et le second tomes contiendront les événements relatifs aux Églises sous Constantin [324-mai 337]. Le troisième et le quatrième les événements sous ses fils [337-361]. Le cinquième et le sixième les événements sous Julien, le cousin germain des fils du grand Constantin [361-363], sous Jovien [juin 363-fév.364], et encore sous Valentinien [364-375] et Valens [364-378]. Les tomes septième et huitième nous montrent les faits sous les frères Gratien [375-383] et Valentinien [II] jusqu'à la proclamation de l'admirable Théodose ton aïeul [janv.379], jusqu'à ce que, souverain prince, votre illustre père Arcadius, ayant reçu en héritage le pouvoir paternel [janv.395], eût obtenu de régir l'Empire romain en même temps que ton pieux oncle Honorius. J'ai consacré enfin le neuvième livre à votre très sainte Sublimité [depuis 408], que Dieu veuille conserver pour toujours dans un contentement sans trouble, l'emportant sur les ennemis et les tenant tous sous vos pieds, et transmettant votre pieux règne aux fils de vos fils, avec l'agrément du Christ. Par lequel et avec lequel gloire soit à Dieu le Père avec le Saint Esprit pour les siècles. Amen.

 

T 2 - I, 1, 11-14  Puisqu'un si grand changement divin et extraordinaire s'est produit pour le monde, au point qu'on ne se soucie plus et de l'ancien culte et des coutumes traditionnelles, il serait certes absurde, quand le sanglier de Calydon, le taureau de Marathon et autres faits du même genre, par les campagnes ou dans les villes, réels ou inventés, ont joui d'une faveur telle qu'un grand nombre d'auteurs les plus réputés chez les Grecs ont travaillé sur ces sujets, avec tout leur talent pour écrire, il serait absurde que moi, en revanche, je ne forçasse pas mon talent pour rédiger une histoire de l'Église. Je suis persuadé en effet que, pour un sujet qui n'est pas l'œuvre des hommes, il n'est pas difficile à Dieu de me faire paraître, contrairement à l'attente, un historien. J'avais entrepris tout d'abord d'écrire cette histoire depuis les origines. Mais ayant réfléchi que d'autres s'y sont essayés jusqu'à leur époque - Clément et Hégésippe, hommes très sages, qui ont été témoins de la succession des Apôtres, et l'historien Julius Africanus, et Eusèbe dit "de Pamphile", homme tout à fait au courant des saintes Écritures et des poètes et historiens grecs -, après avoir résumé en deux livres tout ce qui, à notre connaissance, est arrivé aux Églises depuis l'ascension du Christ jusqu'au renversement de Licinius [sept. 324], à présent, avec l'aide de Dieu, je m'efforcerai de rapporter ce qui a suivi. Je mentionnerai les événements auxquels j'ai assisté ou que j'ai appris des gens au courant et témoins des choses, dans ma génération et celle qui l'a précédée. Quant aux événements plus reculés, j'en ai poursuivi l'enquête d'après les lois qui ont été édictées pour notre religion, d'après les conciles de temps en temps réunis, d'après les innovations apportées aux dogmes et les lettres des empereurs et des pontifes, dont les unes sont conservées jusqu'à ce jour dans les palais impériaux et les églises, et dont les autres se rencontrent çà et là chez les amis des lettres. J'ai souvent eu en pensée d'introduire le texte même de ces documents dans mon ouvrage, mais j'ai jugé meilleur, pour ne pas alourdir l'exposé, d'en rapporter brièvement le sens, à moins que nous n'y trouvions des points disputés, sur lesquels les opinions de la plupart divergent: en ces cas-là, si je mets la main sur quelque écrit, je le présenterai pour manifester la vérité.

 

T 3 - I, 1, 18-20  Alors que je délibérais s'il convenait de décrire seulement les événements connus de moi, touchant l'Église, dans l'Empire romain, il m'est apparu qu'il serait bon de rapporter aussi, autant que je pourrais y atteindre, les faits relatifs à notre religion chez les Perses et les Barbares, et qu'il ne serait pas déplacé, dans une histoire ecclésiastique, de raconter aussi dans cet ouvrage, quels ont été en quelque sorte les pères et les instigateurs de ceux que l'on appelle moines, et ceux qui après eux, successivement, ont joui d'un grand renom, dont nous avons connaissance de science humaine ou par ouï-dire. Ainsi en effet, nous ne paraîtrons ni ingrats à leur égard en livrant leur vertu à l'oubli, ni ignorants de l'information relative à ce point; en outre, nous laisserons aussi à ceux qui ont choisi ce genre de vie philosophique un modèle de conduite, par laquelle, s'ils en usent, ils participeront à la fin la plus pleine de félicité et de bonheur. Mais tout cela, le discours en son progrès veillera à le noter, autant qu'il est possible. Désormais je me tourne vers le récit des faits, ayant invoqué Dieu pour qu'il m'aide et me soit propice. A partir d'ici donc commence ma narration.

 

T 4 - I, 5, 1-2  Je n'ignore pas ce que racontent les païens. Après avoir tué certains de ses plus proches et contribué à la mort de son fils Crispus (326), Constantin se serait repenti et serait entré en communication, pour une purification, avec le philosophe Sopatros qui présidait alors à l'école de Plotin. Celui-ci lui aurait dit qu'il n'y avait aucune purification pour de tels crimes. L'âme inquiète de ce refus, l'empereur aurait rencontré alors par hasard des évêques, qui lui auraient promis de le purifier de toute faute par le repentir et le baptême : l'empereur, enchanté de ce qu'ils eussent parlé conformément à son but, aurait admiré leur doctrine, serait devenu chrétien et aurait amené ses sujets à ce culte. Il me semble à moi que tout cela a été inventé par ceux qui cherchent à diffamer le religion chrétienne.

 

T 5 - I, 20, 1-3 [Concile de Nicée, 325]  Après cela les évêques mirent en branle la discussion sur le dogme. L'empereur écoutait placidement et avec grande patience les thèses opposées. Parlait-on comme il faut, il approuvait; si la discussion s'aigrissait, il mettait fin à la querelle, parlant à chacun avec douceur, en homme d'ailleurs capable de comprendre, puisqu'il n'ignorait pas non plus le grec. À la fin tous les évêques tombèrent d'accord et ils votèrent que le Fils est consubstantiel au Père. On dit qu'au début il n'y eut que dix-sept Pères pour louer la thèse d'Arius, mais que, sur le champ, la plupart de ces Pères aussi se rangèrent à l'opinion commune. L'empereur lui aussi joignit son vote à cette décision, ayant conjecturé que l'accord même du concile avait été approuvé d'en haut. Il ordonna que serait puni d'exil celui qui irait à l'encontre des décisions prises, comme altérant les décrets divins.

Pour que le symbole de la foi qui fut alors admise en commun soit à l'avenir fermement assuré et manifeste aux générations futures, j'avais jugé d'abord nécessaire, pour démontrer la vérité, d'en mettre sous les yeux le texte même. Mais sur le conseil d'amis pieux et compétents en ces matières, attendu que les seuls initiés et initiateurs ont le droit de dire et d'entendre ces choses, j'ai suivi leur avis -  il n'est pas invraisemblable en effet que ce livre soit lu aussi de certains des non-initiés -, et j'ai donc caché le plus possible ce qu'il faut taire des mystères secrets.

 

T 6 - II, 1, 11 Tout cela [découverte de la Sainte Croix par sainte Hélène], nous l'avons raconté, comme nous l'avons reçu en transmission, pour l'avoir appris, d'une part d'hommes tout à fait au courant, à qui il était advenu de le savoir par une tradition passée de père en fils, d'autre part de tous ceux qui ont écrit ces choses mêmes, le mieux qu'ils pouvaient, et l'ont laissé pour les générations à venir.

 

T 7 - II, 3, 9-10  Le lieu [l'église St Michel à Constantinople] a reçu sa dénomination actuelle du fait qu'on croit que le divin archange Michel y est apparu. Et de cela je m'accorde à certifier la vérité, car j'y ai été l'objet moi aussi de très grands bienfaits ; et ce qu'on éprouvé aussi beaucoup d'autres montre que c'est vrai ; car les uns qui étaient victimes de terribles malheurs soudains ou de dangers inévitables, et d'autres qui étaient tombés en des maladies et des maux inconnus, après avoir là prié Dieu, ont été débarrassés de leurs infortunes. Mais dire pour chaque cas ce qui est arrivé, et à qui, ce serait trop long. Cependant ce qui est advenu à Aquilinus, qui est encore en vie et mon collègue dans les tribunaux, il me faut le raconter : je l'ai entendu en partie de sa bouche, le reste, je l'ai vu.

 

T 8 - III, 13, 4-6  Quant à l'Orient, même s'il était en dissension après le synode d'Antioche [a.341] et même si désormais il différait ouvertement eu égard à la foi de Nicée, la vérité, à mon avis est que, selon le sentiment du plus grand nombre, il s'accordait sur l'interprétation et il convenait que le Fils est bien issu de l'ousia du Père; mais dans un esprit de dispute, certains menaient combat contre le terme de homoousios. Les uns, en effet, qui dès le début s'étaient opposés au mot, tenaient pour une honte, comme je le conjecture - c'est ce qui arrive dans la plupart des cas - de paraître avoir été vaincus. D'autres qui, par l'habitude de fréquentes discussions sur ces problèmes, avaient été conduits à tenir ces opinions théologiques, restaient désormais immuablement fixés dans leur sentiment. D'autres, sachant qu'ils se cherchaient une querelle inconvenante, inclinaient à ce qui plaisait à l'un ou l'autre camp, sous l'effet de l'influence, ou de la familiarité ou d'autres causes, par lesquelles les hommes sont poussés à favoriser ce qui ne convient pas ou à ne pas montrer franchise de langage en des matières où il faut réfuter. Beaucoup tenaient pour futilité de s'user en de telles querelles de mots, et ils restaient tranquillement attachés à l'avis des pères réunis à Nicée. Ceux qui parurent, plus que tous les Orientaux, tenir mordicus et ouvertement aux dogmes de Nicée furent Paul, l'évêque de Constantinople, Athanase, celui d'Alexandrie, et toute la gent monastique, le grand Antoine alors encore en vie, ses compagnons, et une foule d'autres en Égypte et ailleurs dans l'Empire. Et puisque j'ai fait mention de ces moines, je vais passer brièvement en revue ceux dont j'ai appris qu'ils furent illustres sous ce règne.

 

T 9 - III, 15, 10  Qu'on ne prenne pas à mal, d'autre part, que j'aie loué certains hommes qui furent ou fondateurs ou partisans des hérésies susdites. Pour leur facilité de parole et leur habileté dans le discours je m'accorde à dire qu'ils furent dignes d'admiration; quant à leurs dogmes, qu'en décident ceux qui ont le droit de le faire. Car ce n'est pas ce que je me suis proposé d'écrire et cela ne convient pas à l'histoire, dont la tâche est de raconter seulement les faits sans y introduire aucun élément personnel. Tous ceux donc qui, à notre connaissance, se rendirent à cette époque, en la langue grecque et latine, très renommés pour leur enseignement et leurs œuvres, les voilà classés dans la liste susdite.

 

T 10 - III, 16, 15-16  Telles sont mes indications sur la vertu d'Éphrem. Quant à m'exprimer dignement et à m'étendre sur tous les détails de sa manière de vivre et de sa conduite et celle des ascètes de ce temps-là, et à dire chez qui ils ont ainsi vécu, il faudrait pour cela un écrivain tel qu'il le fut lui-même. Pour moi, je crois que c'est chose impossible du fait et de mon peu d'éloquence et de l'ignorance où je suis de ces hommes eux-mêmes et de ce qu'ils ont accompli.

 

T 11 - V, 15, 13-16  D'où vient que, même sans persécution de sa part [de Julien], dans les villes et les bourgades, les chrétiens prenaient la fuite. A cette fuite ont participé beaucoup de mes ancêtres, et en particulier mon grand-père. Né d'un père païen, lui-même avec toute sa famille, ainsi que les membres de la lignée d'Alaphion, furent les premiers chrétiens à Béthéléa, bourgade de Gaza, qui est populeuse et qui a des temples vénérables aux yeux des habitants par leur antiquité et leur architecture… On dit que l'auteur du christianisme pour les familles de ces gens fut le moine Hilarion. Comme cet Alaphion était possédé du démon, alors que, pendant longtemps, des païens et des juifs n'avaient, avec leurs incantations et leurs opérations magiques, rien obtenu, Hilarion, par la seule invocation du nom du Christ, chassa le démon, et ils se convertirent à la religion chrétienne. Mon grand-père brilla dans l'explication et l'interprétation des Saintes Écritures, car il était bien doué, capable de connaître ce qu'il faut et quant à la culture générale passablement instruit, au point que la science des nombres ne lui était pas inconnue.

 

T 12 - V, 2 12 Que vraiment, sur le point de mourir, comme il arrive d'ordinaire quand l'âme désormais se sépare du corps et qu'elle est capable de voir des choses plus divines que l'homme ne le peut, il [Julien] ait vu le Christ, je ne puis le dire - peu nombreux, de fait, sont ceux qui le disent - ni je n'ose le repousser comme mensonge, puisqu'il n'est pas invraisemblable que des faits même plus extraordinaires que ceux-là se soient produits pour prouver que la religion dénommée d'après le Christ ne s'est pas constituée par un effort humain.

 

T 13 - VI, 4, 1-2  Questions et discussions sur le dogme étaient de nouveau [sous Jovien] soulevées par les chefs des églises. Sous le règne de Julien en effet, comme le christianisme était totalement en péril, les gens se tenaient tranquilles, tous en commun suppliaient Dieu de leur être propice. Ainsi en va-t-il des hommes: s'ils subissent des torts de l'extérieur, ils maintiennent la concorde avec les gens de leur groupe; mais sont-ils délivrés des maux du dehors, ils entrent en conflit entre eux.

 

T 14 - VII, 5, 3-4  On nomme cette église Anastasia, selon moi pour la raison que le dogme du concile de Nicée, tombé désormais et quasi mort à Constantinople par le pouvoir des hétérodoxes, ressuscita et reprit vie à cet endroit grâce aux sermons de Grégoire [de Nazianze]. Mais selon ce que j'ai entendu de la bouche de quelques personnes qui affirmaient dire la vérité, alors que les fidèles étaient assemblés, une femme enceinte tomba là de l'étage supérieur et mourut; tous firent pour elle une prière commune, elle reprit vie et fut sauvée avec l'enfant qu'elle portait. Dans la pensée que c'était produit là un miracle envoyé par Dieu, on donna à partir de là ce nom au lieu. Voilà à peu près ce qu'on raconte à ce sujet aujourd'hui encore.

 

T 15 - VII, 17, 8  Néanmoins le bruit courant les accuse, lui [Eutychios] et Théophronios, du différend relatif au divin baptême. Voilà ce que j'ai écrit, d'après ce que j'ai appris, pour qu'on sache en bref les causes des divisions entre le eunomiens [variété d'Ariens]. Parcourir en détail toutes les discussions soulevées pour ce motif serait tâche trop longue et pour moi difficile, car je n'ai aucune expérience de ces sortes de disputes.

 

T 16 - VII, 19, 10-11  D'autre part, un très grand nombre de moines font grand cas du livre qui circule aujourd'hui sous le nom d'Apocalypse de l'Apôtre Paul, qu'aucun des Anciens n'a connue. Certains affirment que ce livre a été découvert sous ce règne-ci. Ils disent en effet qu'à la suite d'une vision divine, à Tarse de Cilicie, dans la maison de Paul, on trouva sous le sol un coffre de marbre et que le livre était dedans. Comme je le questionnais à ce sujet, un Cilicien, prêtre de l'église de Tarse, me dit que c'était un mensonge. C'était un homme d'âge, des cheveux blancs le montraient. Il disait ne pas savoir qu'il fût arrivé chez eux rien de pareil et il se demandait si cela n'avait pas été fabriqué par des hérétiques. Mais en voilà assez là-dessus.

 

T 17 - VIII, 5, 3-6 C'est l'occasion d'insérer dans mon ouvrage le miracle qui eut lieu sous son épiscopat [Jean Chrysostome]. Un macédonien était uni à une épouse de la même secte. Il entendit Jean enseigner la croyance qu'il fallait avoir sur Dieu, approuva sa foi et invita sa femme à partager son sentiment. Mais celle-ci était retenue par ses habitudes antérieures et les entretiens de ses amies, et, bien que son mari l'adjurât souvent, il n'obtenait rien. "Si tu ne communies pas avec moi aux divins mystères, dit-il alors, tu ne seras plus ma compagne de vie désormais." Alors, la femme consentit de le faire, mais elle s'entendit avec une servante qu'elle croyait de confiance et elle en fait sa collaboratrice pour tromper son mari. Au moment des mystères - les initiés savent ce que je veux dire - elle garda ce qu'elle avait reçu [le pain consacré] et baissa la tête comme pour prier; sa servante, qui était près d'elle, lui remit en cachette ce qu'elle était venue apporter en ses mains [du pain ordinaire] ; or, la chose, entre ses dents, durcit comme une pierre. La femme effrayée, craignant qu'il ne lui arrivât malheur si elle cachait une affaire aussi divine qui s'était produite sur sa personne, courut à l'évêque et se dénonça; et elle lui montra la pierre qui portait la marque de sa morsure, et qui était d'une matière inconnue et montrait une couleur étrange. Elle demanda pardon avec des larmes et désormais elle partagea le sentiment de son mari. Si elle ne paraît pas croyable à certains, la pierre même le prouve qui, aujourd'hui encore, est conservée dans le trésor de l'église de Constantinople.

 

T 18 - IX, 1, 10-12 Comme elle [l'Augusta Pulchérie] révérait la divinité en grande crainte, il serait trop long de dire en quels lieux et combien elle bâtit de maisons de prières somptueuses, combien elle fonda d'hospices de mendiants et d'étrangers et de communautés monastiques, ayant fixé pour tout cela des ressources à perpétuité et des allocations de vivres pour ceux qui les habitaient. Si l'on veut avoir la preuve de la vérité d'après les faits mêmes et ne pas m'en croire sur parole, on verra que je n'écris pas cela mensongèrement ni par faveur si l'on parcourt le compte rendu de ces choses qu'ont écrit les intendants de sa maison et si l'on apprend de ces documents si les faits s'accordent avec mon ouvrage. Et si même tout cela ne suffit pas pour qu'on croie, que Dieu en personne garantisse mes dires, lui qui de toute façon la chérit pour sa conduite, au point qu'il exauce promptement sa prière et que souvent il lui apparaît pour lui dire ce qu'il faut faire.

 


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[ 21 avril 2009 ]


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