Bibliotheca Classica Selecta - Traductions françaises : sur la BCS - sur la Toile

Virgile : Énéide - Géorgiques

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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


 

VIRGILE - BUCOLIQUES - VII

(Trad. de la collection M. Nisard, Paris, 1850)

 


Mélibée, Corydon, Thyrsis

 

Mélibée

[1] Daphnis s'était assis par hasard sous le feuillage murmurant d'un chêne ; Corydon et Thyrsis avaient poussé vers lui leurs troupeaux rassemblés, Thyrsis ses brebis, Corydon ses chèvres aux mamelles traînantes : tous deux de l'Arcadie et dans la fleur des ans, [5] tous deux égaux dans l'art de chanter et de répondre aux chants.

Là, tandis que je défendais du froid mes tendres myrtes, le chef de mon troupeau, le bouc, s'égara. En même temps j'aperçois Daphnis, qui, me voyant aussi, me dit : "Viens ici, Mélibée, viens vite ; ton bouc et tes chevreaux sont en sûreté ; [10] et si tu as quelque loisir, repose-toi à l'ombre près de moi. Tes boeufs viendront d'eux-mêmes par le pré boire en ces eaux : ici le verdoyant Mincius est ceint de tendres roseaux, et les abeilles bourdonnent sous ce chêne sacré."

Que faire ? Je n'avais au logis ni Phyllis, ni Alcippe, [15] pour renfermer dans la bergerie mes agneaux nouvellement sevrés : mais un si grand combat ! Corydon contre Thyrsis ! Cependant je laissai pour leurs jeux mes affaires sérieuses. Ils commencèrent donc à chanter tour à tour ; les Muses voulaient que tour à tour ils disent leurs vers. [20] Corydon chantait le premier, et Thyrsis répondait dans un ordre pareil.

Corydon

Nymphes de Béotie, vous que j'aime, donnez-moi de chanter des vers tels que ceux que vous inspirâtes à mon cher Codrus ; ils approchent de ceux d'Apollon : ou, si je ne peux les égaler tous, que ma flûte rebelle demeure suspendue à ce pin sacré.

Thyrsis

[25] Bergers d'Arcadie, couronnez de lierre un poète grandissant, et que Codrus en crève de dépit ; ou s'il me loue à m'en dégoûter, ceignez ma tête de baccar, de peur que sa langue envieuse ne porte malheur au poète futur.

Corydon

Diane, le petit Micon vous offre cette tête velue d'un sanglier, [30] et la vivante ramure d'un cerf : si ma chasse est toujours aussi heureuse, votre image, du marbre le plus poli, s'élèvera par mes mains, chaussant le cothurne de pourpre.

Thyrsis

Priape, je t'offre tous les ans un vase plein de lait, et ces gâteaux ; c'est assez attendre de moi : tu es le gardien d'un si pauvre jardin ! [35] Jusqu'à présent je t'ai fait de marbre, c'est tout ce que j'ai pu : mais si mes brebis sont bien fécondes, tu seras d'or.

Corydon

Fille de Nérée, charmante Galatée, plus douce à mes sens que le thym de l'Hybla, plus blanche que les titanes, plus belle que le lierre blanc, dès que mes taureaux seront revenus du pâtis à l'étable, [40] si tu as quelque bonté pour ton Corydon, viens à lui.

Thyrsis

Et moi, je veux bien te paraître plus amer que les herbes de Sardaigne, plus hérissé que le houx, plus vil que l'algue rejetée par les mers, si ce jour loin de toi ne m'est pas déjà plus long qu'une année. Allez, mes taureaux, vous n'avez pas de honte ! c'est assez paître, allez à vos étables.

Corydon

[45] Fontaines moussues, herbe plus molle que le sommeil, verts arbrisseaux qui les couvrez d'une ombre rare, défendez mon troupeau des feux du solstice. Voici venir la saison brûlante, et déjà la vigne réjouie enfle ses bourgeons.

Thyrsis

Dans ma cabane brillent le foyer et la torche résineuse ; j'y ai toujours grand feu, [50] et la porte en est sans cesse noircie par la fumée. Là, nous nous soucions autant du souffle glaçant de Borée, que le loup du nombre des agneaux, un torrent de sa rive.

Corydon

J'ai ici le genièvre et la châtaigne hérissée ; les fruits tombés sous les arbres jonchent partout la terre ; [55] tout rit aujourd'hui : mais si le bel Alexis s'en allait de ces montagnes, on verrait les fleuves eux-mêmes se tarir.

Thyrsis

Nos champs sont arides ; l'air embrasé fait mourir nos herbes altérées ; Bacchus lui-même envie à nos coteaux les pampres qui les ombrageaient : mais que ma Phyllis revienne, et tout le bois reverdira, [60] et les cieux descendront en pluie féconde sur nos campagnes.

Corydon

Le peuplier est agréable à Hercule, la vigne à Bacchus, le myrte à la belle Vénus, le laurier à Apollon. Phyllis aime les coudriers : tant que Phyllis les aimera, le myrte ne l'emportera pas sur les coudriers, non plus que le laurier de Phébus.

Thyrsis

[65] Le frêne embellit nos forêts, le pin nos jardins, le peuplier les fleuves, le sapin les hautes montagnes : mais si tu viens, beau Lycidas, me voir plus souvent, le frêne dans nos forêts, le pin dans nos jardins le céderont à toi.

Mélibée

Je me souviens de ces vers, et que Thyrsis disputa vainement la victoire : [70] et, depuis ce temps-là, Corydon est toujours pour moi sans égal.

  


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[Dernière intervention : 10 décembre 2002]

 

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