Bibliotheca Classica Selecta - Traductions françaises dans la BCS
Tacite : trad. J. L. Burnouf presque intégrale ("Agricola" compris) chez Philippe Remacle; en cours sur l'Hypertexte louvaniste
Agricola : Accueil - Traduction - Notes - Tableau - Hypertexte louvaniste
- 1. Contenu
- 2. Texte latin
- 3. Tableau chronologique
- 4. Conventions
- 5. Bibliographie sommaire
- 6. Remerciements
La Biographie d'Agricola fut publiée une première fois à la fin de l'année 97 dans les trois derniers mois du règne de Nerva, après l'adoption par celui-ci de Trajan (v. III). Une mention de Trajan en tant qu'empereur en XLIV 5, ajoutée vraisemblablement par la suite, permet de supposer une deuxième publication.
Brève et complexe, cette oeuvre, qui doit aussi beaucoup à l'art oratoire, associe divers genres, dont le panégyrique et l'histoire, même si Tacite ne fait souvent qu'effleurer d'importantes séquences de l'histoire romaine; l'érudition scientifique est présente aussi dans les chapitres consacrés à la géographie physique et humaine de la Bretagne antique (X-XII). On y découvre le goût de Tacite pour l'exotisme septentrional et barbare, qui se retrouve un peu plus tard dans La Germanie.
La crise des valeurs morales, la difficulté pour tout un chacun d'être jugé politiquement correct au sortir du règne de Domitien, particulièrement tyrannique dans ses dernières années, et, d'autre part, l'attachement profond de Tacite à Agricola, son beau-père, ont déterminé l'auteur à retracer la vie de cet homme qu'il décrit comme épris d'idéal moral et de gloire, courageux et tenace, exigeant pour lui-même et les autres, à la fois entreprenant et mesuré, ambitieux certes, mais loyal et sachant attendre son heure tout en s'acquittant impeccablement des responsabilités de la vie militaire et du cursus honorum.
Agricola, encore adolescent, échappe à un idéalisme exacerbé, où pouvait le mener sa passion pour la philosophie tout comme, un peu plus tard, à la débauche, dont la vie militaire fournit le prétexte à des jeunes de son rang social. Questeur, il ne cède pas à la corruption ambiante de l'Asie. Par la suite, il a le bon sens de se rallier directement à Vespasien. Il respecte, pour leur valeur intrinsèque, ses supérieurs ou, du moins, la hiérarchie quand cette valeur leur fait défaut et, d'une façon générale, repousse toute manoeuvre déloyale. En tant que gouverneur d'Aquitaine, il excelle dans l'exercice du droit civil sans céder au simplisme où aurait pu l'entraîner la vie militaire, qui le tente décidément beaucoup plus pour atteindre la gloire.
Proconsul de Bretagne dès 77, Agricola, pendant les sept ans de sa charge, étend et assoit solidement la conquête romaine. Il réussit une avancée qui lui fera presque atteindre les confins de l'île, même si on peut deviner une retraite après sa dernière victoire en Calédonie (XXXVIII 6), indiscutable certes, mais non décisive. Il fait effectuer aussi par la flotte romaine une reconnaissance des côtes qui confirmera l'insularité de la Bretagne (XXXVIII 6-8). Enfin, en exerçant un contrôle drastique sur ses subordonnés, pour éradiquer leurs abus fréquents et impopulaires, et aussi par une politique d'acculturation il veut offrir aux Bretons une image plus positive de la pax romana.
Le "rêve breton" d'Agricola se brise en 83 ou 84 quand Domitien le rappelle pour lui accorder les insignes et les honneurs d'un triomphe, couronnant une conquête inachevée. S'agit-il de jalousie ou de dépit de la part de Domitien de voir un autre réussir là où lui-même échoue ? Telle est la version de Tacite (XXXIX). Ou plutôt réalisme du prince qui aurait jugé cette conquête trop coûteuse, notamment en effectifs, et pas assez rentable ?
Quoi qu'il en soit, Agricola se retire de la vie politique (XL 3) à peu près à l'âge où, quelque quinze ans plus tard, Tacite sera lui-même appelé à une brillante carrière politique et littéraire. Cependant, les comptes rendus de ses campagnes qu'Agricola confie à Tacite et certainement à d'autres proches, ses réflexions concernant la conquête de l'Irlande dans le cadre de la politique commerciale de l'empire (XXIV 5), ses contacts et ses apparitions publiques, où sa simplicité intrigue (XL 3), ne prouveraient-ils pas qu'une nouvelle fois, comme au temps de Néron (VI 4-5), il attend son heure pour renouer avec la gloire ? En Bretagne ? A moins que ce ne soit en Germanie pour y effacer les revers de Domitien car, qu'il le veuille ou non, la faveur du peuple romain lui reste acquise et le désigne comme seule alternative à l'incapacité militaire de l'empereur (XLI 3-4).
A ce moment-là, le récit de Tacite procède à un raccourci, pour le moins rapide, pour se focaliser sur deux faits distants de quelques années : Agricola est évincé en 89 (ou 90?) des proconsulats d'Afrique et d'Asie (Cfr XLII 1); malade (des suites d'un empoisonnement ?), il meurt en 93, dans la tristesse générale, sous l'attentive surveillance de Domitien (XLIII 3-4) et en l'absence de sa fille et de Tacite, éloignés par l'exercice d'une charge en province (XLV 6-9).(On notera que la disgrâce de son beau-père n'a pas causé préjudice au déroulement normal du cursus honorum de Tacite. Cfr Hist. I 1, 5). Les deux paragraphes (XLII 5-6) qui séparent le récit de l'éviction et celui du décès d'Agricola ne suggèrent-ils pas au moins un modus uiuendi entre Domitien et Agricola, qui exerce une influence lénifiante sur l'empereur ? Tacite loue dans ces quelques lignes la modération d'Agricola, qui s'accommode d'un mauvais prince, et l'oppose à l'héroïsme aussi inutile que voyant de certains stoïciens. Véhémente et plutôt laborieuse, cette considération trouverait mieux sa place dans l'éloge funèbre proprement dit (XLIV ss). La mention de industria ac uigor peut aussi étonner s'agissant de quelqu'un qui a renoncé aux affaires. Tacite, embarrassé, fait-il allusion au fait qu'Agricola aurait, dans les trois ou quatre dernières années de sa vie, composé avec Domitien, fort probablement dans le souci de préserver les siens ? Cette attitude sur laquelle, vu la méfiance généralisée (II 3-4), Agricola n'aurait jamais pu clairement s'expliquer, lui aurait valu, après la mort du despote, des critiques, que Tacite tente de dissiper en composant précisément cette biographie.
Le récit ne s'arrête pas avec le décès de son beau-père, car Tacite consacre plusieurs paragraphes de l'hommage posthume (XLIV 6 -XLV) à la tyrannie de Domitien (XLV), qui, précisément après la mort d'Agricola, se déchaîne sans frein dans l'impuissance générale, celle du sénat surtout. Si brève donc que soit la dernière partie de l'oeuvre (XXXIX-XLVI), résumant les neuf dernières années d'Agricola et incluant son éloge funèbre, elle esquisse un saisissant portrait d'un Domitien jaloux, fourbe et cruel, vil et poltron, aux colères pernicieuses et rentrées, et qui semble ignorer la honte.
Cette biographie ne comporte que quelques très brèves allusions à la vie privée d'Agricola : fils unique de parents admirables, mais que l'horreur des temps lui arrachent brutalement (IV 2-5, VII 2); un seul mariage, de raison sans doute, mais très abouti sur le plan affectif (VI 1); la perte à environ vingt ans de distance de deux fils d'un an à peine (VI 3, XXX 1), morts à l'âge même où Agricola perdit son père; son unique enfant en vie, une fille (VI 3), mariée très jeune à Tacite (IX 9), permet à Agricola d'espérer en l'avenir. Sur le plan familial, les hommes sont donc absents autour d'Agricola, à l'exception de Tacite, dont on devine l'attachement quasiment filial. Trois femmes à l'ancienne l'aiment et le marquent, sa mère, son épouse, sa fille.
L'ouvrage est aussi sous-tendu par une réflexion ambiguë de Tacite sur le sens de la conquête romaine et ses valeurs morales et culturelles trop souvent mises à mal par ceux qui la gèrent. Le long et véhément discours fictif du chef breton Calgacus illustre abondamment cette préoccupation(XXX-XXXII). Même le récit des louables initiatives d'acculturation prises par Agricola se termine par le constat amer que se civiliser c'est aussi perdre sa liberté en adoptant les vices du conquérant (XXI).
Les derniers livres des Histoires, qui ont disparu, ont certainement contenu des allusions à Agricola qui n'apparaît nulle part ailleurs en littérature antique, sauf dans l'Histoire Romaine de Dion Cassius. Largement postérieur aux faits, ce très bref témoignage (66, 20 2- 3) résume l'ensemble de l'action d'Agricola en Bretagne, à une seconde guerre faite d'incursions sur l'ensemble du territoire et met surtout l'accent sur les deux circumnavigations de la Bretagne (XXVIII; XXXVIII 5-7). D'autre part, Agricola, qui serait sorti de ses prérogatives, aurait , après avoir connu disgrâce et pauvreté, été égorgé sur l'ordre du monarque (v.note XL5). Mais cela, Suétone l'aurait bien mentionné. Cfr Suet.Dom. X.
La traduction s'appuie sur le texte latin établi pour l'édition Belles-Lettres par E. de Saint-Denis, qui en est aussi le traducteur. Des titres ont été ajoutés pour marquer les divisions de l'oeuvre.
Sur le plan de l'interprétation, je m'écarte de la traduction d'E. de Saint-Denis :
- en XXII 2 : je ne traduis pas pactione par "reddition" mais par "connivence avec l'ennemi", ce qui donne plus de sens à l'alternative et peut recouper les réflexions de Calgacus sur la cohésion de l'armée romaine (XXXII 1-2);
- en XLI 5 exstimulabant : plutôt que le sens d'aigrir, je donne à ce verbe de "conseiller vivement", qui exprime mieux les intentions des courtisans de Domitien;
- en XLIV 3 : medio in spatio integrae aetatis ereptus est à traduire par "arraché en pleine force de l'âge" et non par " enlevé à un âge qui n'est que la moitié de toute une vie", qui cadre mal avec le fait qu'Agricola soit décédé à l'âge de cinquante-trois ans ! Ainsi apparaît mieux aussi le caractère, sinon soudain, du moins inattendu de la mort d'Agricola, ce qui permet à Tacite de suggérer autrement la thèse de l'empoisonnement, qu'il se résigne à rapporter sans plus en XLIII 2.
3. Tableau chronologique et notes
Tacite opère dans son récit une rupture, se situant avant le départ en 77 d'Agricola en Bretagne comme gouverneur. Cette digression a pour objet des informations sur ce territoire et les étapes de la conquête romaine (X-XVII). Si l'auteur a recouru à ce procédé pour mettre en valeur les exploits d'Agricola, il n'a pas pu éviter des recoupements et des redites. Pour en pallier les difficultés, inévitables pour tout lecteur non familiarisé avec les faits, un tableau chronologique fait suite aux notes. Il met en parallèle, par année ou par groupe d'années, tous les faits repris dans l'opuscule de Tacite qui se rapportent soit à la conquête de la Bretagne ou à d'autres événements de l'histoire romaine qui lui sont contemporains, soit aux vies d'Agricola et de Tacite. Il comporte aussi des références à l'oeuvre.
Les notes servent essentiellement à situer l'oeuvre dans son contexte humain, historique et géographique et n'aborde pas de commentaires littéraires.
Les noms de personnes sont partout cités sous leur forme latine, sans autre adaptation, sauf lorsqu'ils sont entrés dans l'usage sous une forme francisée, par ex. : Tibère, Domitien, Trajan. Caius Caesar est rendu par Caligula.
Les peuples, pays et contrées sont mentionnés par une forme francisée de leur nom latin plutôt que, s'il existe, par leur nom actuel, par ex. :
Suèves < Suebi; Bretagne < Britannia et non Grande-Bretagne; Hibernie < Hibernia et non Irlande.
Toutefois divers sites de Grande-Bretagne reçoivent leur dénomination anglaise actuelle, par ex. Anglesey (Mona), Forth(Bodotria), Tyne(Tanaus). Par ailleurs, Trucculensis portus, dont l'identification est problématique, est cité comme tel, tandis que l'expression Oceani fretum a été traduite littéralement par "le détroit de l'Océan" plutôt que par "Pas-de-Calais", ressentie comme anachronique.
Les références à la Biographie d'Agricola se font par la seule mention du chapitre et, le cas échéant, du paragraphe (ex. III 2) tandis que celles à d'autres oeuvres de Tacite reprennent le titre abrégé de celles- ci, sans mention de l'auteur (ex. Hist.I 1,5).
Les ouvrages cités ci-dessous, qui s'appuient sur une vaste bibliographie, permettent de faire le point sur divers problèmes posés par l'oeuvre, notamment son sens et sa composition.
1. Texte (et traduction) :
• Tacite. Vie d'Agricola. Texte établi et traduit par E. de Saint-Denis. Ed. Belles-Lettres, Paris, 7e tirage 1985.• Tacite. Dialogue des Orateurs, Vie d'Agricola, La Germanie. Texte établi et, d'après Burnouf, traduit par André Cordier. Ed. Garnier. Paris 1949.
• Tacite. Vie d'Agricola. Texte établi et annoté par Marcel Renard. Collection Lebègue. Office de Publicité. Bruxelles 1945.
Editions scolaires du texte :
• Tacite. La vie d'Agricola par Henri Marel et Pierre Deraedt. Les Classiques latins Bordas. Ed. Bordas. Paris 1965.
• Tacite. Vie d'Agricola. Texte et préparation. P. Collin S.J. Ed. H. Dessain. Liège 1950.
2. Ouvrages généraux
• Alain Michel. Tacite et le destin de l'Empire. Ed. Arthaud. Paris 1966.• Pierre Grimal. Tacite. Ed. Fayard, 1990.
Realia
• L. Laurand. Manuel des études grecques et latines. 12e édition entièrement refondue par L. Lauras. Ed. A. et J. Picard et Cie. Paris 1955.
3. Divers
• Anne Bajard. Quelques aspects de l'imaginaire romain de l'Océan de César aux Flaviens, R. É. L. n° 76 - 1998, p. 177-191.• G. Webster, Boudica, the British Revolt against Rome AD 60, London-New-York, Routledge 1999.
Je tiens à associer à la réalisation de ce travail Monsieur Jacques Poucet et son épouse, Madame Anne Marie Boxus. Leur savoir-faire et les conseils qu'ils m'ont prodigués avec tant d'obligeance et de patience m'ont été très précieux pour la présentation et la mise en forme de cette traduction et de ses notes. Je les remercie bien sincèrement pour cette aide qu'ils m'ont si aimablement prodiguée.
Avril 2000
Agricola : Accueil - Traduction - Notes - Tableau - Hypertexte louvaniste
Tacite : trad. J. L. Burnouf presque intégrale ("Agricola" compris) chez Philippe Remacle; en cours sur l'Hypertexte louvaniste
[Dernière intervention : 12 janvier 2003]