Bibliotheca Classica Selecta - Autres traductions françaises dans la BCS - Plan - vv. 214-270 - vv. 357- 409

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EURIPIDE

MÉDÉE

Traduction nouvelle commentée et annotée
Danielle De Clercq, Bruxelles, 2005

TEXTE


vv. 271-354 (
Scène VII)

(Créon, Médée, [coryphée])

CRÉON (271-276) (Criant)

Toi avec ta tête d'enterrement! Toi qui te déchaiînes contre ton mari! Médée! Je l'ai dit, va-t-en! Hors de ma terre! Pars en exil, prends tes gosses avec toi! Oui, tous les deux! Tout de suite! Moi, je suis ici pour faire exécuter cet ordre et je ne rentre pas chez moi avant de t'avoir jetée hors des limites de mon territoire.

MÉDÉE (277-281)

Aiaî

On me détruit, misérable que je suis, on me tue! Mes ennemis mobilisent tout contre moi! (279) Quel havre pour m'arracher à cette malédiction?...

(Se reprenant)

Je te demanderai quand même, tout affligée que je suis: pourquoi me chasses-tu de ta terre, Créon?

CRÉON (282-291)

J'ai peur de toi... Non, il ne faut pas donner de prétextes... J'ai peur que tu fasses à mon enfant du mal dont elle ne se remettrait pas. Bien des raisons se recoupent qui expliquent ma crainte: tu es habile de nature et tu t'entends à commettre bien des méfaits.Tu souffres aussi d'être exclue de la couche de ton mari.

J'entends dire que tu menaces - oui, on me le rapporte -, que tu menaces de t'en prendre à celui qui a accordé sa fille, et au mari, et à la mariée. Je me protégerai donc avant d'en souffrir. Mieux vaut pour moi me faire détester de toi, femme, que me laisser fléchir et me répandre plus tard en lamentations.

MÉDÉE (292-315)

Pheû, pheû

(Se reprenant et prenant peu à peu Créon à partie)

Ce n'est pas seulement maintenant, mais souvent Créon, que ma renommée m'a fait du tort et m'a causé de grands maux irréparables. Il ne faut jamais, quand on a du bon sens, faire inculquer à ses enfants un savoir extraordinaire. Hormis la réputation d'oisifs qu'on leur attribue, ces enfants attirent l'animosité et l'envie de leurs concitoyens. Car, si tu proposes à des ignares de nouveaux savoirs, tu passeras pour quelqu'un d'inutile, mais pas de savant. En revanche, si tu es jugé supérieur à ceux qui passent pour maîtriser un savoir compliqué, tu paraîtras difficile à supporter...

Or j'ai moi-même ce sort en partage. Car mon savoir me rend odieuse aux uns, et me fait passer, par contre, pour hostile aux autres. Or, est-il si grand le savoir que je maîtrise?

Donc toi, tu me redoutes, tu crains de subir quelque chose de contraire..

(307) Je ne suis pas disposée... - mais ne te mets pas à trembler devant moi, Créon - ... je suis pas disposée à me mettre en faute vis-à-vis d'hommes de pouvoir. Car, quel mal m'as tu fait?

Tu as donné ta fille à celui à qui ton coeur te menait...

Mais... c'est mon mari! C'est lui que je hais! Quant à toi, je pense, tu agissais de manière sensée et, en ce moment, je ne t'en veux pas d'être dans une situation favorable.

Fêtez ce mariage! Puisse-t-il vous réussir! Mais cette terre, permettez-moi de l'habiter. Certes, je suis victime de préjudices, mais je me tairai, car de plus forts ont raison de moi.

CRÉON (316-323)

Qu'elles sont douces à entendre tes paroles! Mais en mon for intérieur, la frayeur me prend que tu ne médites un forfait. J'en ai d'autant moins confiance en toi qu'auparavant. Car il est plus facile de se méfier d'une femme au comble de la colère - d'un homme aussi d'ailleurs - que d'une rouée qui se tait...

(Un silence, puis soudain Créon explose)

Mais partez donc tout de suite! Plus de discours! C'est décidé une fois pour toutes et aucun artifice ne réussira à te faire rester auprès de nous puisque tu m'es hostile.

MÉDÉE (324) (Saisissant les genoux de Créon) 

Non! Je t'en supplie par tes genoux! Au nom de la jeune mariée,... de ta fille...

CRÉON (325) (Repoussant Médée)

Tu parles pour rien! Jamais tu ne pourrais me convaincre!

MÉDÉE (326)

Mais me chasseras-tu sans égard pour mes prières?

CRÉON (327)

Oui, parce que je t'aime moins que ma famille!

MÉDÉE (328)

Ô ma patrie, comme je me souviens de toi en ce moment!

CRÉON (329)

Hormis des enfants, c'est pour moi ce qu'il y a vraiment de plus cher!

MÉDÉE (330)

Pheû, pheû!

Pour les gens quel grand mal que l'amour!

CRÉON (331)

Cela dépend, je crois, des circonstances.

MÉDÉE (332)

Zeus! Pourvu qu'il ne t'échappe pas le responsable de ces maux...

CRÉON (333)

File, espèce de folle et arrête de me faire endurer...

MÉDÉE (334)

Mais c'est moi qui endure et qui n'arrête pas de souffrir...

CRÉON (335)

Mon escorte va t'empoigner et te chasser de force!

(L'escorte s'avance vers Médée)

MÉDÉE (336)

Non! Pas cela! Créon! Je te demande...

CRÉON (337)

Tu veux nous faire des ennuis, n'est-ce pas, femme?

MÉDÉE (338)

Nous partirons en exil! Ce n'est pas pour y échapper que je t'ai supplié...

CRÉON (339) (décontenancé)

Alors pourquoi résistes-tu et ne quittes-tu pas le pays?

MÉDÉE (340-347)

Laisse-moi rester un seul jour, rien qu'aujourd'hui! Je dois réfléchir comment organiser mon exil et assurer la subsistance de mes enfants puisque leur père ne songe pas du tout à remédier au sort de ses petits... Prends-les en pitié, toi qui es aussi père de famille. C'est tout naturel que tu sois bien disposé à leur égard. Ce n'est pas du tout de mon sort que je me soucie, si nous partons en exil. Si je pleure, c'est sur eux qui sont confrontés au malheur.

CRÉON (348-354) (Avec résignation)

Mon pouvoir n'a rien d'une tyrannie et mes scrupules m'ont attiré beaucoup de déconvenues. Maintenant aussi, je vois, femme, que je me mets dans l'erreur... Pourtant, tu obtiendras ce que tu demandes...

(Avec rage) Mais je te préviens! Si le prochain lever du dieu Soleil te voit - et c'est vrai aussi pour tes enfants - en deçà des limites de mon territoire, tu mourras. Voilà qui est dit sans ambages!

(Créon et son escorte quittent la scène. Médée demeure prostrée. Le coryphée est en larmes)

Plan - Scène VII - vv. 214-270 - vv. 357- 409

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