FEC -  Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 26  - juillet-décembre 2013


 

Des statues et un miroir. Chapitre 7 : Récits divers

F. Résumé du septième chapitre

Jacques Poucet

Professeur émérite de l'Université de Louvain
Membre de l'Académie royale de Belgique
<jacques.poucet@skynet.be>

 

Dans les chapitres précédents, il a été surtout été question de traditions ou de réseaux, mais la littérature propose aussi certaines actualisations du motif des statues difficiles à regrouper, parce qu’on ne leur trouve pas facilement un élément fédérateur. Ils semblent beaucoup moins liés que les autres à une tradition précise. Plus éclectiques, ils puisent vraisemblablement leurs informations à diverses traditions, que nous ne sommes d’ailleurs pas toujours en état de déterminer avec précision. On pourrait dire qu’ils sont « contaminés ». Comme leurs rédacteurs utilisent généralement le motif à des fins particulières, souvent moralisantes, ils se sentent relativement libres dans le choix des éléments qu’ils décident de retenir. Nous avons sélectionné quelques-uns de ces textes qui nous semblent apporter des éléments originaux ou intéressants.

Le premier d’entre eux est le chapitre 158 de la Legenda aurea de Jacques de Voragine (2e moitié du XIIIe). Entièrement consacré à la fête de la Toussaint, il commence par une introduction historique : l’histoire de la Toussaint y est mise en rapport d’abord, pour l’antiquité, avec le motif des statues aux clochettes et le Panthéon ; ensuite avec le sort de ce bâtiment au Moyen Âge, où il est question du pape Boniface, de l’empereur Phocas, de Sainte-Marie-la-Ronde et du pape Grégoire. Le complexe des statues magiques se voit ainsi intégré dans une vaste histoire,  au terme de laquelle le Panthéon « qui avait été édifié pour toutes les idoles, est maintenant dédié à tous les saints ».

Pour ce qui est de la description du complexe aux statues, la notice de Jacques de Voragine ne semble se rattacher à aucune des traditions analysées jusqu’ici. Son utilisation se révèle finalement plus intéressante que son contenu. En effet le dominicain a réussi, avec un certain brio, à l’introduire dans un développement sur le Panthéon antique et l’institution de la fête de la Toussaint. On pourrait d’ailleurs se demander si Jacques de Voragine n’aurait pas certains liens avec les documents Codagnellus et Ramponi, présentés dans le Chapitre V.

Le second texte provient des Joies Nostre Dame de Guillaume le Clerc de Normandie (XIIIe siècle). Travaillant apparemment en dehors de la tradition des Mirabilia, ce poète fait des statues magiques une des merveilles virgiliennes, mais le plus important est qu’il innove sur plusieurs points.

D’abord il installe les statues dans le Temple de la Concorde, une localisation très différente de celles rencontrées jusqu’ici (Capitole, Panthéon, Colisée). Ensuite il modifie en partie un des éléments fondamentaux du récit : le but du complexe. Avec lui, il s’agit moins d’écraser les rebelles que d’obtenir leur ralliement par la douceur. On y verra bien sûr une illustration du thème de la Concorde et une légende étiologique pour le temple du même nom. Enfin le volet « destruction » est largement développé. Les statues magiques, qui avaient fait l’objet d’une prédiction d’éternité, sont détruites, y compris la statue centrale représentant Rome lors de la naissance du Christ, en même temps que d’autres constructions emblématiques de Rome.

Le troisième texte est tiré du Mirour de l’Omme de Jean Gower, une oeuvre terminée en 1381. Remplie de figures allégoriques et traitant de religion et de morale, elle utilise le motif aux statues magiques à des fins moralisatrices, sans le présenter en détail. De la description, le poète ne retient manifestement que les éléments qu’il estime intéressants, soit pour réveiller les souvenirs de son lecteur, soit pour fonder sa propre moralisation, qui est pour lui l’essentiel. Pareille optique rend difficile la recherche précise de rapprochements qui permettraient de repérer des sources ou des influences précises. Certains éléments toutefois (notamment le détail du « cavalier-girouette ») peuvent renvoyer (directement ou indirectement)  à Neckam.

Le quatrième texte est un extrait du Ye Solace of Pilgrimes, un guide du pèlerin rédigé par John Capgrave vers le milieu du XVe siècle. Il fait intervenir les statues aux clochettes dans sa description des curiosités du Capitole. On sait que John Capgrave, dans son œuvre, utilise largement la tradition des Mirabilia Romae, mais, en l’occurrence, sa description du complexe magique – tardive – est manifestement « contaminée ».

Le cinquième et dernier texte du corpus est un sermon de Ladislaus Pelbertus (1430-1505), un moine franciscain hongrois. Prévu pour la Toussaint, il est intitulé comme il se doit De omnibus sanctis. Il fait songer à Jacques de Voragine, car, pour expliquer la fête, il remonte lui aussi des siècles en arrière, en racontant d’abord l’histoire du Panthéon romain, où il localise les statues magiques, ensuite ses diverses transformations médiévales. Les correspondances entre les deux auteurs sont plus nettes dans la partie antique que dans la partie médiévale, mais elles ne sont quand même pas suffisantes pour envisager une copie ou une étroite filiation. Ici encore la notice est trop éloignée du point de départ pour livrer ses secrets.

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Nous arrêterons ici nos présentations, en rappelant que les textes retenus et analysés dans les sept chapitres de cette partie analytique résultent d’un choix. Nous croyons toutefois cette sélection susceptible de donner une idée assez complète et assez précise du motif des statues magiques dans son évolution pluriséculaire.

Rappelons encore que notre travail comporte aussi une autre partie, thématique ou synthétique. Organisée d’une tout autre manière, constituant après constituant et non plus texte après texte, elle est conçue pour donner plus rapidement une vue d’ensemble de l’évolution du motif. Elle propose moins de détails et un appareil démonstratif moins lourd, et comme elle s’accompagne de multiples citations, elle peut être considérée comme une sorte d’abrégé de l’histoire du motif.

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Quant aux lecteurs qui estiment en savoir assez sur le sujet, ils peuvent passer au fichier suivant. Ils y trouveront un résumé du contenu de la présente série d'articles (FEC 26, juillet-décembre 2013), que nous avons tenté de replacer dans le cadre général de la rechcrche que nous menons depuis 2011.

     

 

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