FEC -  Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 25  - janvier-juin 2013

 


 

Jean d'Outremeuse, traducteur des Mirabilia et des Indulgentiae

 

A. Une traduction française des Mirabilia (Myreur, p. 58-73)

 

par


Jacques
Poucet

 

Professeur émérite de l'Université de Louvain

Membre de l'Académie royale de Belgique
<jacques.poucet@skynet.be>

 


 

 

     Nous savons (cfr notre article de 2012) que les Mirabilia anciens contiennent des informations sur les monuments de la Rome antique, visibles encore, en principe, à l’époque des rédacteurs. Comme ce sont des documents médiévaux, ils sont élaborés dans une optique chrétienne, d’où leur souci récurrent d’insérer les vestiges du passé dans la topographie chrétienne qui leur est familière.

     Nous savons aussi qu’au point de départ les informations des Mirabilia anciens sont de trois types. D’abord des listes, parfois très schématiques, énumérant les murs, les portes, les milliaires, les arcs, les collines, les thermes, les palais, les théâtres, etc. Ensuite de petits exposés dont le rôle est généralement d’introduire dans le monde chrétien des bâtiments et des personnages de la Rome antique. Enfin ce que les spécialistes appellent souvent la « périégèse », une sorte de promenade dans différents endroits de Rome. L’accent y est principalement mis sur les palais et les temples, les uns et les autres souvent très brièvement présentés d’ailleurs (par une simple mention ou une très courte description).

     Nos exemples seront choisis dans chacune de ces trois catégories et, pour faciliter les comparaisons, ils seront présentés en deux colonnes. Celle de droite contient le texte du Myreur et celle de gauche généralement la version latine des Mirabilia primitifs (Urtext), presque identique d’ailleurs à celle, latine aussi, de la Graphia. Les Mirabilia (Urtext) et la Graphia sont tous deux du milieu du XIIe siècle, tandis que Ly Myreur, lui, est du XIVe.

     Pour être parfaitement compréhensibles, les textes de ces comparaisons nécessiteraient des traductions et surtout de longs commentaires que nous ne ferons pas. Nous ne voulons donner ici au lecteur qu’un aperçu des rapports entre les versions.

 

D’abord la liste des portes de Rome

     Après avoir évoqué, comme c’est l’usage dans les Mirabilia anciens, les tours de Rome (au nombre de 361) et la longueur des murailles (42 milles au total), Jean d’Outremeuse entame (Myreur, p. 59) l’exposé consacré aux portes de la ville. Nous la comparerons au texte de la version la plus ancienne des Mirabilia, l’Urtext, que nous désignerons ici par l’abréviation Mirab. Le sigle V.Z., qui reviendra régulièrement dans la suite, fait référence au troisième tome de l’édition de R. Valentini - G. Zucchetti, Codice topografico della città di Roma. III. Scrittori : secoli XII-XIV, Rome, 1946.

 

Mirab., ch. 2, p. 17-18 (V.-Z.)

Myreur, p. 59-60

1. Heae sunt portae Romanae

1. Apres, sont les portes de la citeit de Romme teiles :

2. porta Capena, quae vocatur Sancti Pauli iuxta sepulchrum Remi ;

2. promirs (= d’abord), le porte Carpane, que ons nom maintenant le porte Saint-Poul, deleis (= près de) le sepulture Remus, le frere Romelus ;

3. porta Appia ;

3. item, le porte d'Apie, qui vat à Domine, quo vadis, ad cathecumbas ;

4. porta Latina ;

4. item, le porte de Latins, deleis laqueile sains Johans ewangelist fut cuys en oile (= cuit dans l’huile) ;

5. porta Mitrovi ;

 

6. porta Asinarica Lateranensis ;

6. item, le porte Asineuse de Latram ;

 

5. item, le porte Metrona, là li rive influit (= (la rivière entre dans) en la citeit ;

7. porta Lavicana, quae dicitur Maior ;

7. item, le porte c'on dist Lenicana, que ons dist que c'est la plus grant, et est maintenant dite la porte Sainte-Crois ;

8. porta Taurina, quae dicitur Sancti Laurentii, vel Tiburtina ;

8. item, la porte c'on dist Laurenche ou Tyburtine, que ons apelle le porte Saint-Loren ;

9. porta Numentana ;

9. item, le porte Minientane, qui vat à Sainte-Agnes ;

10. porta Salaria ;

10. item, le porte que ons dist Salaria, qui vat à Sainte-Sabine ;

11. porta Pinciana ;

11. item, la porte Ponciane, qui siet deleis l'engliese Sains-Felix en Pincine ;

12. porta Flamminea ;

12. item, le porte Flamyne, qui siet à Sainte-Marie de Peuple, et vat-ons par là à pont des Chevaliers ;

13. porta Collina ad castellum [H]adriani.

13. item, la porte Colin, qui siet vers le temple Adrian l'empereur et vers le pont Sains-Pire ;

14. Porta Transtiberim .iii. : porta Septimiana […] ; porta Aurelia vel Aurea ; porta Portuensis.

14. item, en la citeit trans Tyberim sont trois portes,

[absent]

et en la citeit Leonine trois oussi.

 

Chi sont les portes de Romme.

 

     Malgré des variantes orthographiques parfois importantes et que nous ne commenterons pas, les mêmes portes sont citées dans les deux listes (cfr les mots soulignés). De plus, à une seule exception près (§ 5), l’énumération suit le même ordre dans les deux listes. À eux seuls, ces éléments (mêmes portes et même ordre) suffiraient déjà à prouver l’identité d’inspiration.

     On relève toutefois des différences. La liste de Jean d’Outremeuse ne contient pas certaines données (comme la mention in fine des trois portes trans Tiberim), mais surtout elle apporte nombre de détails absents de la liste primitive, beaucoup plus sèche. Nous ne chercherons ici ni à les expliquer ni à en rechercher l’origine.

     Il est en tout cas clair que le chroniqueur liégeois s’inspire des Mirabilia les plus anciens (Urtext), mais sans offrir une traduction française exacte du texte du XIIe siècle. Sa version contient beaucoup trop d’éléments nouveaux. Ont-ils été ajoutés par Jean d’Outremeuse lui-même ou figuraient-ils déjà dans un intermédiaire que le chroniqueur liégeois aurait utilisé ? Il est difficile pour l’instant de répondre.

 

     Nous avons sélectionné la liste des portes, mais Ly Myreur contient beaucoup d’autres listes : les monts, les ponts, les palais, les arcs, les théâtres, les temples, certaines beaucoup plus longues que l’exemple choisi. Mais toutes renvoient aux Mirabilia anciens dont elles conservent toujours l’esprit, sinon la lettre, malgré des modifications (souvent des additions) qui pourraient déjà s’expliquer sans difficulté par la distance chronologique séparant Ly Myreur de son lointain modèle.

 

Des exposés plus détaillés : deux bâtiments importants

     Les Mirabilia anciens, on l’a dit, ne se limitent pas à des listes, plus ou moins sèches, de monuments. Nombre de paragraphes présentent d’une manière plus ou moins développée une zone ou un monument en particulier. Voici deux exemples, ici encore choisis parmi beaucoup d’autres.

 

a. le Panthéon

     Le premier concerne le Panthéon (Myreur, p. 70-71). Dans la tradition des Mirabilia au sens strict, ce bâtiment bénéficie la plupart du temps d’un développement en deux parties : d’une part le récit de sa fondation par Agrippa lors d’une opération délicate contre les Perses, et d’autre part sa transformation en église au IXe siècle par le pape Boniface IV (pape de 608-615). Comme le rédacteur des Mirabilia anciens, Jean d’Outremeuse donne les deux parties.

     Nous n’examinerons toutefois ici que la première, le récit de la fondation, en mettant, cette fois encore, le texte du chroniqueur liégeois en face de celui des Mirabilia primitifs. On observera la grande continuité entre les récits, malgré la distance qui les sépare. La même opération faite sur la deuxième partie aboutirait au même résultat.

*

     Une précision toutefois avant de commencer. Pour bien comprendre le passage qui va suivre, il faut savoir que le récit fait état d’un instrument de domination qui permettait à Rome de surveiller étroitement la fidélité des provinces et qui a déjà été évoqué dans un article précédent sur Les réalisations magiques de Virgile dans la trradition des « Mirabilia ». On le désigne communément par l’expression Salvatio Romae, laquelle expression toutefois n’apparaît pas ici. Il s’agit d’une légende, fort ancienne, et désignée dans la littérature moderne tantôt comme celle de la Salvatio Romae, tantôt comme celle des statues aux clochettes.

     Disons en bref – car il existe beaucoup de variantes que nous étudierons à loisir dans un article ultérieur – que ce complexe aux statues magiques était un endroit, généralement au Capitole, qui rassemblait autant de statues que de provinces dans l’empire. Chacune d’elles était identifiée par un panneau avec son nom et portait au cou une clochette. Le bâtiment était surveillé en permanence par un service de garde. Une tentative de rébellion dans une province se traduisait immédiatement à Rome par des mouvements de la statue qui la représentait. La sonnerie ainsi déclenchée alertait le surveillant de garde qui, grâce à l’écriteau sur la statue, identifiait rapidement la menace et avertissait les sénateurs, lesquels pouvaient envoyer immédiatement sur les lieux des forces romaines d’intervention. Jean d’Outremeuse venait d’en parler un peu plus haut (p. 69-70), ce qui lui permettait d’être plus allusif sur le sujet que la version primitive des Mirabilia.

*

     Cela étant dit pour la facilité de compréhension, voici les deux textes :

 

Mirab. ch. 16, p. 34-35 (V.-Z.)

Myreur, p. 70-71

1. Temporibus consulum et senatorum,…

1. Pantheon est I temple qui, al temps des consules et senateurs, fut fais en teile maniere :

2. Agrippa praefectus subiugavit Romano senatui Suevios, Saxones, et alios occidentales populos, cum quatuor legionibus. In cuius reversione tintinnabulum statuae Persidae, quae erat in Capitolio, sonuit in templo Iovis et Monetae. Uniuscuiusque regni totius orbis erat statua in Capitolio, cum tintinnabulo ad collum ; statim ut sonabat tintinnabulum, cognoscebant illud regnum esse rebelle. Cuius tintinnabulum audiens sacerdos qui erat in speculo in [h]ebdomada sua, nuntiavit senatoribus.

2. Agrippa, le prefecte de Romme, les Suavres et le Saynes metit al desous, et II altres peuples awec IIII legions ; et, quant ilh revient, ly tenten del ymage de Perse alat sonneir mult fort, et li garde le nonchat aux senateurs, et les senateurs qui veirent l'ymage tournée le dos se liserent la lettre, se veirent que ch'estoit del region de Perse ;

3. Senatores autem hanc legationem praefecto Agrippae imposuerunt. Qui renuens non posse pati tantum negotium, tandem convictus, petiit consilium trium dierum ;

3. si vinrent à Agrippa, et li desent qu'ilh alast à grant gens encontre les Persiens. Et chis les condist, en disant qu'ilh n'y poroit aleir ; et toutvoie ilh fut si destrains et tant, qu'ilh demandat l'aterme de III jours.

4. in quo termino quadam nocte ex nimio cogitatu obdormivit. Apparuit ei quaedam femina, quae ait: « Agrippa, quid agis ? in magno cogitatu es ». Qui respondit ei : « Sum, domina ». Quae dixit : « Confortare et promitte michi te templum facturum quale tibi ostendo, et dico tibi si eris victurus ». Qui ait : « Faciam, domina ». Quae in illa visione ostendit ei templum in hunc modum.

4. Dedens ches trois jours, ly avient que ilh dormoit une nuit en son lit ; se li vient devant une femme qui li dest : « Agrippe, que pens-tu ? prens confort en toy et moy promesse à faire I temple teile que je toy monstray, et tu aras victoir contre les Persiens. »

5. Qui dixit : « Domina, quae es tu ? ». Quae ait : « Ego sum Cibeles, mater deorum. Fer libamina Neptuno, qui est magnus deus, ut te adiuvet. Hoc templum fac dedicari ad honorem meum et Neptuni, quia tecum erimus et vinces ».

5. Et Agrippa dest : « Qui es-tu, sires ? » Celle dest : « Je suy Sibiles, le mere des dieux ; or me fais sacrifiche, et Neptuno, le dieu de la mere. » Et chis respondit : « Je le feray volentirs, damme. »

6. Agrippa vero surgens, laetus hoc recitavit in senatu. Cum magno apparatu navium, cum quinque legionibus, ivit et vicit omnes Persas et posuit eos annualiter sub tributo Romani senatus.

6. Atant est leveis lecheusement et dest aux senateurs qu'ilh yrat contre les Persiens ; et lendemain s'en alat et desconfist tous les Persiens, et les remetit tous desous le tregut des Romans.

7. Rediens Romam fecit hoc templum et dedicari fecit ad honorem Cibeles matris deorum, et Neptuni dei marini,

7. Et, revenus à Romme, ilh fist faire le temple qu'ilh apellat Pantheon, et le dedicassat à leur loy en l'honeur de Sibeles et Neptunii.

8. et omnium demoniorum, et posuit huic templo nomen Pantheon.

 

9. Ad honorem cuius Cibeles fecit statua deauratam, quam posuit in fastigio templi super foramen et cooperuit eam mirifico tegmine aereo deaurato.

 

 

     À quelques différences près, les deux textes sont très proches, davantage même que dans l’exemple des portes. C’est toutefois insuffisant pour conclure en toute certitude que Jean d’Outremeuse a directement traduit le chapitre 16 des Mirabilia, le récit pouvant s’être transmis avec une grande stabilité à travers plusieurs intermédiaires. Manquent en tout cas dans Ly Myreur l’allusion aux démons et les éléments concernant la statue de Cybèle placée au sommet de l’édifice (§ 8 et 9). Jean d’Outremeuse ne semble pas avoir fait état de ces deux derniers points précédemment dans son œuvre, ce qui était le cas pour la description du complexe aux statues magiques.

 

b. le mausolée d’Auguste

     Le second exemple porte sur un autre bâtiment important de la Ville, que notre chroniqueur présente comme ly temple de tout terre, un casteal que fit faire Octovien, et où ons ensevelissoit les empereurs. Nous l’appelons aujourd’hui le Mausolée d’Auguste, dont subsistent d’imposants vestiges. Ici encore, on trouvera les deux textes l’un à côté de l’autre :

 

Mirab., ch. 22, p. 47-48 (V.-Z.)

Myreur, p. 72

1. Ad portam Flammineam fecit Octavianus quoddam castellum quod vocatur Augustum, ubi sepelirentur imperatores,

1. Ly temple de tout terre est cheli al porte de Flavie, et y fist ly emperere Octovian I casteal que ons nommat Auguste, là ons ensevelissoit les empereurs ;

2. quod tabulatum fuit diversis lapidibus.

2. si fut edifiiet de taubles (= plaques) de marbres,

3. Intus in girum est concavum per occultas vias. In inferiori giro sunt sepulturae imperatorum.

 

4. In unaquaque sepultura sunt litterae ita dicentes : « Haec sunt ossa et cinis Nervae imperatoris et victoria quam fecit ».

4. et al deseur avait escript : « Chi sont les osseauls et cendres et verses (= inscriptions) des emperers, et les victoirs que cascon d'eaux at fait. »

5. Ante quos stabat statua dei sui, sicut in aliis omnibus sepulcris.

 

6. In medio sepulcrorum est absida ubi saepe sedebat Octavianus, ibique erant sacerdotes facientes suas caerimonias.

6. En le moyne (= au milieu) astoit li chayr (= le siège) là Octovian seioit (= s’asseyait) ; et là astoit ly prestrc de la loy (= prêtre de la loi) chantant et faisant leur sacrifiches.

7. De omnibus regnis totius orbis iussit venire unum cirothecam (= gant) plenam de terra, quam posuit super templum, ut esset in memoriam omnibus gentibus Romam venientibus.

7. De toutes les parties de monde mandat (= fit venir) Octovian de la terre plain I ban que ilh metit sor ledit temple, en signe que toutes les provinches de monde astoient à Romme tributaires.

 

     Ce Mausolée d’Auguste fut construit par l’empereur de son vivant, pour abriter sa propre dépouille et celle des membres de la famille julio-claudienne. Les Flaviens avaient leur tombe familiale ailleurs, mais Nerva fut lui aussi enterré dans le Mausolée d’Auguste. C’est probablement l’inscription tombale de cet empereur qu’a vue le rédacteur des Mirabilia du XIIe siècle (ou sa source bien sûr).

     Ici encore la correspondance entre les deux textes est évidente, avec toutefois des différences, relativement légères toutefois : ainsi, par exemple, la référence à Nerva dans la version primitive (§ 4) a disparu chez Jean d’Outremeuse ; l’absida du texte latin (§ 6), qui devait désigner la partie du bâtiment où se déroulaient les cérémonies funèbres, a été traduit en français comme s’il s’agissait du siège occupé par l’empereur lorsqu’il y assistait, et les sacerdotes (même § 6) qui les conduisaient sont devenus les « prêtres de la loi ».

     Le Mausolée avait la forme, courante en Étrurie, du tumulus, mais la précision finale (§ 7) selon laquelle Auguste aurait, pour le constituer, ordonné à chaque province de l’empire d’amener un peu de sa propre terre, en gage de soumission, ne repose sur aucune donnée antique, c’est une pure légende médiévale. Le rédacteur du XIIe siècle parle d’un gant (cirotheca) rempli de terre, terme que le traducteur français a rendu par ban, pour banse (= manne) note A. Borgnet dans son édition.

     Mais ne nous étendons pas sur ces passages. L’essentiel pour nous, rappelons-nous, est de montrer que Jean d’Outremeuse s’intègre bien dans la longue tradition, très complexe, des Mirabilia anciens, dans laquelle il aurait dû avoir sa place.

Un exemple tiré de la périégèse : le voisinage du palais de Virgile

     Un des nos articles précédents, intitulé sur La demeure de Virgile dans les « Mirabilia » anciens, a examiné un passage de la périégèse où, à un certain moment de l’évolution, s’était insérée une allusion à une demeure de Virgile à Rome, que les Mirabilia primitifs, avions-nous alors constaté, ne comportaient pas. C’est sur ce passage que nous allons confronter l’Urtext (Mirab.) et la version de Jean d’Outremeuse.

 

Mirab., ch. 22, p. 48-49 (V.-Z.)

Myreur, p. 68-69

1. Ante palatium Alexandri fuere duo templa, Florae et Phoebi.

1. Item, al temple Alixandre furent II temple, le I de Flore et li aultre de Solea, entour le palais Virgile,

2. Post palatium, ubi nunc est conc[h]a, fuit templum Bellonae ;

2. où la conche fut que ons apelle maintenant…

3. ibi fuit scriptum : Roma vetusta fui, sed nunc nova Roma vocabor / Eruta ruderibus, culmen ad alta fero.

3. Nova Roma.

4. Ad conc[h]am Parrionis fuit templum Gnei Pompeii mirae magnitudinis et pulchritudinis ;

4. Item, ad concham per Jovis fut li Cymée, de mervelheux grandeur et bealteit ;

5. monumentum vero illius quod dicitur Maiorentum, decenter ornatum, fuit oraculum Apollinis :

5. ly monument de cely fut li temple Apoloine.

6. alia fuere alia oracula.

 

7. Ecclesia Sancti Ursi fuit secretarium Neronis.

7. Item, li engliese Sains-Ursin fut li secretaire Neron.

8. In palatio Antonini templum divi Antonini iuxta Sanctum Salvatorem.

 

9. Ante Sanctam Mariam in Aquiro templum Aelii [H]adriani et arcus Pietatis.

 

10. In campo Martio templum Martis, ubi eligebantur consules in kalendis iulii[s] et morabantur usque in kalendas ianuarias ;

10. Item, li engliese Sainte-Sophie fut li temple Mars, où les consules des kalendes de jule jusques as kalendes de jenvier demoroient.

11. si purus erat a crimine ille qui electus erat consul, confirmabatur ei consulatus.

 

12. In hoc templo Romani victores ponebant rostra navium, ex quibus efficiebantur opera ad spectaculum omnium gentium.

 

etc.

 

 

     Dans cet exemple non plus, on ne peut pas nier l’influence des Mirabilia anciens sur Ly Myreur, mais il révèle plus que les précédents peut-être la distance entre le texte latin de la traduction française.

     Ce qui frappe d’abord, c’est le nombre de notices anciennes absentes dans Ly Myreur, surtout dans le bas du tableau (§ 7 et 8, 11 et 12). Le § 10, conservé, fait manifestement allusion à la procédure d’élection des consuls aux comices centuriates réunis au Champ de Mars et (avec le § 11) aux circonstances de leur entrée en fonction, mais dans la confusion.

     Dans l’antiquité, l’élection avait bien lieu au Champ de Mars mais non dans un « temple de Mars », inexistant à cet endroit : les consuls élus auraient donc eu beaucoup de mal à y « demeurer » jusqu’en janvier. Jean d’Outremeuse complique encore les choses en identifiant ce temple de Mars, inexistant, à une église Sainte-Sophie, qu’on a les plus grandes difficultés à identifier et qui pourrait bien elle aussi n’avoir jamais existé. On ne trouve de Sainte-Sophie ni dans le catalogue de Ch. Hülsen, ni dans celui de M. Armellini, ni dans celui de N.R. Miedema (cfr encadré), ce qui n’est pas de très bon augure. Mais concentrons-nous sur les données enregistrées dans le haut de notre tableau.

 

Ch. Hülsen, Le Chiese di Roma nel Medio Evo : Cataloghi ed Appunti, Florence, 1927, cxv-639 p. – M. Armelli, Le chiese di Roma dal secolo IV al XIX. Nuova ed. con aggiunte inedite dell'autore, 2 vol., Rome, 1942, XLVI-1503 p. – N.R. Miedema, Die römischen Kirchen im Spätmittelalter nach den 'Indulgentiae ecclesiarum urbis Romae', Tübingen, 2001, 896 p. (Bibliothek des Deutschen historischen Instituts in Rom, 97) .

 

     Elles apportent des éléments particulièrement intéressants, lorsqu’on les confronte aux résultats de l’enquête que nous avons menée dans le même article sur La demeure de Virgile dans les « Mirabilia » anciens. Cette enquête avait fait apparaître un texte latin intéressant. Il s’agissait du manuscrit latin L 186, datant du XIVe siècle, à l’origine de la version longue (Langfassung) de toutes les traductions allemandes et néerlandaises des Mirabilia. Voici les deux textes mis côte à côte :

 

L 186 (Miedema, Mirabilia, p. 347-348)

Myreur, p. 68-69

1. Ante Templum Adrianj fuerunt duo templa, scilicet Flore et Phebi, iuxta Templum Virgilij.

1. Item, al temple Alixandre furent II temple, le I de Flore et li aultre de Solea, entour le palais Virgile,

2. Fuit ibi concha, sed nunc dicitur

2. où la conche fut que ons apelle maintenant…

3. nova Roma.

3. Nova Roma.

4. Ad concham Jouis fuit Templum Enee, mire magnitudinis [et pulchritudinis].

4. Item, ad concham per Jovis fut li Cymée, de mervelheux grandeur et bealteit ;

5. Monumentum vero illius fuit Templum Appolinis.

5. ly monument de cely fut li temple Apoloine.

6. Jn ecclesia sancti Vrsi fuit Templum Neronis

6. Item, li engliese Sains-Ursin fut li secretaire Neron.

 

     Notre enquête d’alors a clairement montré que le texte latin de L 186 et la traduction française de Jean d’Outremeuse se correspondaient étroitement, jusque dans les erreurs et les insuffisances d’interprétation.

     Les différences sont pour ainsi dire anodines : templum Adriani d’un côté, temple Alixandre de l’autre, Templum Enee d’un côté, li Cymée de l’autre, Templum Neronis d’un côté, secretaire Neron de l’autre. Nous n'en reprendrons pas ici la discussion détaillée. Elles peuvent facilement s’expliquer une fois qu’on est familiarisé avec la tradition des Mirabilia.

 

     Il ne serait pas difficile de proposer d’autres exemples, mais il est inutile de prolonger la démonstration. La section des pages 58 à 73 du Myreur fait indiscutablement partie de la tradition des Mirabilia anciens. Toutefois cette section ne peut pas être considérée comme une traduction directe de l’Urtext, même si certains passages en sont relativement proches. Nous avons régulièrement signalé les écarts entre les textes que nous comparions et nous avions tout aussi régulièrement souligné la distance chronologique qui les séparait.

     Il faut manifestement supposer des intermédiaires. De leur présence, le dernier exemple, celui tiré de la périégèse nous a fourni une preuve indiscutable. Le chapitre suivant voudrait maintenant attirer l’attention sur une importante source possible de Jean d’Outremeuse.

 

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