FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 3 - janvier-juin 2002
Autour de Georges Dumézil : Aspects de l'héritage indo-européen dans la religion romaine archaïque
par
Jacques Poucet*
Professeur émérite de l'Université de Louvain
et des Facultés universitaires Saint-Louis (Bruxelles)
Membre de l'Académie royale de Belgique
Article inédit qui reprend en partie le texte d'une lecture faite le 13 mai 2002 à Bruxelles lors d'une séance publique de la Classe des Lettres de l'Académie royale de Belgique. L'intégralité de l'exposé est paru dans le Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences Morales et Politiques de l'Académie Royale de Belgique, 2002, p. 163-187.
Les Folia Electronica Classica accueillent quatre autres articles consacrés à Georges Dumézil : l'un présente la vie et l'oeuvre de Georges Dumézil ; un autre trace un bilan rapide de l'accueil que les historiens de la Rome ancienne réservent aujourd'hui aux thèses de G. Dumézil ; un troisième, dans la foulée du précédent, analyse plus en détail les réserves de Alexandre Grandazzi ; quant au quatrième, il aborde la question de l'héritage indo-européen dans l'annalistique.
Louvain-la-Neuve, le 7 juin 2002.
L'exposé de cet après-midi va nous entraîner dans un passé très lointain, celui des Indo-Européens et celui des Romains, deux mondes qui, à des titres divers, ont contribué indirectement à la formation de notre Occident moderne.
Dans cette promenade, nous aurons comme guide un éminent savant français, Georges Dumézil, mort en 1986. Il avait été reçu à l'Académie française en 1979, mais en 1958 déjà, la Classe des Lettres de l'Académie royale de Belgique l'avait élu membre associé, anticipant de plus de vingt ans la décision française.
I. Les Indo-Européens, Georges Dumézil et l'idéologie trifonctionnelle Les Indo-Européens. Peut-être n'est-il pas inutile d'évoquer rapidement ces ancêtres très éloignés. Faisons ensemble un bond en arrière, de plusieurs millénaires, sans entrer toutefois dans le détail d'une question complexe dont plusieurs aspects sont toujours âprement discutés. Nous nous en tiendrons à l'essentiel, en restant fidèle au modèle centrifuge et diffusioniste, qui est encore le modèle dominant.
Ainsi donc, selon le schéma « classique », on désigne par Indo-Européens une population qui aurait vécu dans un passé très lointain que quelques savants feraient même remonter jusqu'au Ve millénaire avant Jésus-Christ, et qui trouverait son origine dans la vaste plaine russe. À une certaine époque (IIIe/IIe millénaire avant Jésus-Christ), pour des raisons et selon des modalités précises inconnues, les Indo-Européens se seraient répandus dans toute une série de directions, le processus exact d'expansion restant peu clair. Quoi qu'il en soit, au deuxième millénaire avant Jésus-Christ, ils se signalent en Anatolie (ce sont les Hittites), en Grèce (ce sont les Mycéniens), en Italie (ce sont les Latins et de nombreux autres peuples de la péninsule). Les futurs Indiens sont sur l'Indus dans le même temps, mais les Scandinaves par exemple - qui sont eux aussi des Indo-Européens - n'occuperont l'Islande qu'au dixième siècle de notre ère [1].
Latins, Grecs, Celtes, Germains, Slaves, Scandinaves, Scythes, Indiens, Iraniens, tous ces peuples anciens (et bien sûr les peuples actuels qui les prolongent) sont de lointains descendants de ces Indo-Européens. Mais - la précision est d'importance - c'est de langues qu'il est ici question. C'est sur le plan linguistique que nous sommes parents des Grecs, des Anglais, des Russes, des Iraniens ou des Indiens ; sur le plan linguistique toujours que nous ne sommes pas apparentés aux Basques, aux Hongrois, aux Turcs, ou aux Tunisiens, qui ne parlent pas des langues indo-européennes.
Bref, le monde indo-européen forme une communauté linguistique. C'est un des acquis et une des gloires de la grammaire comparée du XIXe siècle de l'avoir démontré, avec une rigueur et une précision qui ne laissent pas la moindre place au doute.
Mais cette parenté linguistique étant reconnue depuis le XIXe siècle, qu'est donc venu faire G. Dumézil dans le champ des études indo-européennes ?
Pour répondre à cette question d'une manière schématique, on dira que le savant français a tenté de prolonger le travail de la grammaire comparée, en passant du domaine de la linguistique à celui de la pensée, de la mentalité, de l'idéologie. En effet, c'est moins les langues, que l'univers mental, conceptuel, qui intéresse G. Dumézil.
Cet univers, il va tenter de l'atteindre en étudiant la culture des différents peuples issus des Indo-Européens, et tout particulièrement les manifestations essentielles de ces cultures, que sont les religions, les mythologies et les littératures. Le corpus qu'il prit en considération est extraordinairement vaste, puisqu'il couvre aussi bien les sociétés nordiques que la Rome et la Grèce antique, aussi bien l'Inde que le Caucase, sa recherche se faisant sur des textes aussi différents (pour donner quelques exemples) que les hymnes védiques, le Mahabharata, les eddas scandinaves, le cycle mythologique irlandais, l'épopée narte des Ossètes, ou le récit de Tite-Live sur la Rome royale.
Il ne m'est pas possible de m'étendre sur les résultats de recherches, qui ont duré près de soixante années et qui ont donné naissance à environ 17.000 pages (plusieurs centaines d'articles et quelque soixante livres). Pour aller à l'essentiel, je dirai simplement que G. Dumézil a cru pouvoir retrouver dans l'univers conceptuel des Indo-Européens deux choses, d'une part un cadre particulier d'analyse, c'est-à-dire une certaine vision générale du monde ; d'autre part des conceptions spécifiques.
Un cadre particulier d'analyse
Le cadre particulier d'analyse, d'abord. C'est ce qu'on appelle aussi la trifonctionnalité indo-européenne, ou encore l'idéologie tripartie des Indo-Européens.
De quoi s'agit-il ? Schématiquement, on dira que chez les Indo-Européens, les principaux rouages du monde et de la société (divine ou humaine) étaient compris, analysés, classés par référence à trois domaines, trois grands secteurs, que le savant français a appelés du terme, ambigu et peut-être peu heureux, de « fonctions ». Ces fonctions que G. Dumézil voyait distinctes, mais complémentaires et harmonieusement ajustées, sont, en ordre décroissant de dignité :
une fonction de souveraineté (la première), qui assure le gouvernement et qui entretient les rapports de la société avec les dieux. Elle est liée au pouvoir politique et à l'administration du sacré. Elle est par ailleurs susceptible de présenter deux faces : l'une, violente, terrible, inquiétante, magique ; l'autre, paisible, rassurante, juridique, conservatrice ;
une fonction (la deuxième) liée à la force physique, à la vaillance, à l'attaque, à la défense, à la science militaire, à la puissance guerrière : c'est la fonction guerrière ;
enfin (la troisième), une fonction de fécondité et de prospérité, beaucoup plus large que les deux autres, valable pour les humains, les animaux, les champs. Elle veille au maintien de la vie et à la production des biens qui lui sont nécessaires. Elle comporte toutes sortes de conditions et de conséquences, ainsi notamment la richesse, l'agriculture, l'élevage, l'alimentation, la reproduction, la paix, le plaisir, le bien-être de tous. Elle intègre aussi les notions qui s'y rattachent, par exemple la santé, la beauté, la jeunesse, la volupté.
Ces trois fonctions correspondent bien sûr à trois besoins fondamentaux, qu'on pourrait appeler universels, qui sont partout, pour tous les peuples, l'essentiel. Mais la plupart des groupes humains se bornent à les satisfaire, sans plus. Les Indo-Européens, eux, sont allés plus loin : cette tripartition fonctionnelle leur servait en effet de cadre conceptuel, de moyen d'analyser et de comprendre ; c'est en quelque sorte pour eux un système de référence, un schéma classificateur. On est - il importe de bien le préciser - dans le domaine de l'imaginaire [2].
Outre cette grille d'analyse à trois entrées, le comparatiste français a également identifié nombre de conceptions spécifiques d'origine indo-européenne. Ces conceptions n'ont pas de référence nécessaire et obligée à la tripartition fonctionnelle, elles peuvent concerner toutes sortes de choses (je cite en vrac) : la fin du monde, les risques de la fonction guerrière, les fêtes et les rituels, la lumière nocturne et diurne, le mariage. Toutes nous introduisent dans la mentalité de nos lointains ancêtres.
Bref, une idéologie tripartie, centrale, à longue portée pourrait-on dire, et nombre de conceptions portant sur des aspects plus pratiques de la vie et de l'existence ; G. Dumézil nous a ainsi permis de mieux connaître l'univers conceptuel des Indo-Européens, leur manière de concevoir et d'imaginer le monde, leur idéologie en quelque sorte. Mais passons à la Rome ancienne.
La Rome ancienne n'est qu'un des multiples chantiers ouverts par G. Dumézil, mais c'est lui qui nous retiendra cet après-midi. La question se pose en effet de savoir ce que le savant français, explorateur éminent du vaste univers indo-européen, a apporté de précis et de précieux aux spécialistes de la Rome ancienne. En d'autres termes la Rome ancienne a-t-elle hérité des Indo-Européens autre chose que sa langue ? Y a-t-il à Rome un héritage indo-européen non linguistique ?
À ces questions, G. Dumézil a répondu « oui » : il a réussi à identifier un héritage indo-européen dans la religion et dans l'histoire, plus exactement dans la religion romaine archaïque d'une part et, d'autre part, dans les récits des historiens racontant les origines et les premiers siècles de la Ville.
Dans la suite de cet exposé, je traiterai surtout de religion, renvoyant à un autre article le développement qui concerne l'histoire.
II. Georges Dumézil et l'héritage indo-européen dans la religion romaine
L'apport de G. Dumézil à notre connaissance de la religion romaine [3] est considérable, mais ses travaux ne nous aident guère à comprendre en profondeur la religion romaine dans son évolution historique, c'est-à-dire sous la République et sous l'Empire : ils ne concernent que la période archaïque, c'est-à-dire celle des origines.
Dans ce secteur précis, le comparatiste français a pris nettement position, avec raison, contre la théorie du numen-mana : il a montré en effet que les divinités romaines étaient depuis le début des personnalités déjà bien constituées et non des entités vagues en formation. Faisant intervenir de nombreux parallèles indo-européens, il s'est également intéressé d'une manière heureuse aux déesses latines, aux parèdres des dieux majeurs, à la foule des petites divinités archaïques du type Flora, Furrina, Vacuna, Palès, Carna, et à bien d'autres réalités religieuses encore, qu'il s'agisse de fêtes, de rituels ou de conceptions de base.
Mais sans négliger l'intérêt de toutes ses découvertes, il faut bien reconnaître qu'en matière religieuse, l'héritage indo-européen, comme tel, ne se manifeste plus à Rome que sous l'aspect de fossiles [4]. Je me limiterai à trois exemples, tournant autour des rites et des dieux.
La triade précapitoline des flamines majeurs (Jupiter, Mars et Quirinus)
Tous les amateurs d'antiquités romaines connaissent le temple de Jupiter sur le Capitole où les Romains vénéraient non pas une, mais trois divinités : Jupiter, Junon et Minerve. En réalité, cette triade capitoline, qui s'était formée à Rome même, avait été précédée d'une autre triade, dite précapitoline, qui rassemblait Jupiter, Mars et Quirinus, et qui était, elle, d'origine indo-européenne. Cette très vieille structure n'est plus vivante à Rome, sinon dans l'existence même d'un groupe de prêtres, les trois flamines majeurs, et comme « pivot » autour duquel s'articulent en filigrane un certain nombre d'entités divines. Cet héritage indo-européen, fossilisé à l'époque historique, reflète la tripartition fonctionnelle de l'ensemble du panthéon indo-européen.
Dans cette structure, Jupiter, le dieu-roi (rex deorum) relève de la première fonction, celle de la souveraineté ; Mars, de la seconde (Mars est le dieu de la guerre) ; Quirinus, dont les liens avec le grain sont nets si l'on se réfère aux offices religieux dans lesquels intervient son flamine, relève de la troisième fonction (fécondité et prospérité).
Cette vieille triade romaine a son correspondant dans la triade ombrienne : Jupiter, Mars et Vofionus, connue par les Tables de Gubbio [5]. Elle répond aussi aux listes-types qu'on observe en Scandinavie : Odhinn-Tyr (les deux aspects de la première fonction), Thorr (deuxième fonction) et Freyr (troisième fonction), tout comme dans l'Inde védique et prévédique : Mitra-Varuna (les deux aspects de la première fonction), Indra (deuxième fonction), et les jumeaux Nasatya ou Ashvin (troisième fonction). Toutes ces listes divines, de type formulaire, synthétisent les trois fonctions, ordonnant en quelque sorte le panthéon divin. Mais redisons-le, à Rome, le groupe Jupiter, Mars, Quirinus n'est plus qu'un fossile. C'est la triade capitoline, Jupiter, Junon et Minerve, qui est importante.
On retrouve aussi l'héritage indo-européen dans des rites [6]. Voici l'exemple d'une fête religieuse romaine, les Matralia. Elle était célébrée en l'honneur de Mater Matuta, nom divinisé de l'Aurore, le 11 juin, au moment où l'on approche du solstice d'été et où les jours atteignent leur durée la plus longue.
Pendant très longtemps, cette fête et le rituel qui l'accompagnait n'ont semblé offrir aucune prise à une élucidation satisfaisante et faisaient l'objet de discussions contradictoires parmi les savants modernes. Quels étaient donc ces rites singuliers, difficilement compréhensibles ? Ils étaient au nombre de deux.
Dans le premier, les matrones romaines portaient dans leurs bras, pour les choyer, non pas leurs propres enfants, mais les enfants de leurs soeurs ; dans le second, elles faisaient entrer dans le temple de Mater Matuta une servante qu'elles battaient ensuite de verges avant de la jeter dehors.
Ces rites étranges, qui ne comportent aucune explication dans le contexte romain ou même gréco-romain, G. Dumézil les a éclairés par une confrontation avec la mythologie védique de l'Inde.
Le Rig-Veda en effet présente la déesse Aurore (Usas) allaitant et léchant l'enfant « de sa soeur la Nuit », enfant qui n'est rien d'autre, toujours dans la mythologie védique, que le Soleil.
Tout se passe comme si Rome avait conservé de son héritage indo-européen un théologème élémentaire, à savoir : « l'Aurore choyant l'enfant de sa soeur la Nuit ». Mais en l'occurrence à Rome le mythe - l'explication en quelque sorte - a disparu ; seul a survécu le rite, qui prescrit aux matrones le comportement de la divinité. Les mères romaines font donc avec les enfants de leurs soeurs ce que, pour la mythologie védique, l'Aurore, soeur de la Nuit, fait avec le Soleil, enfant de la Nuit.
Le second rite, celui de l'expulsion de la servante, s'explique également par le parallélisme védique. Dans les hymnes védiques, la déesse Aurore, en marchant, refoule par la lumière les ténèbres et l'ensemble des dangers, car les ténèbres sont assimilées à l'ennemi, au barbare, au démoniaque, au mal. C'est ce que miment dans les Matralia les matrones romaines sévissant « contre une esclave qui doit représenter, par opposition à elles-mêmes, l'élément mauvais et mal né ».
Les Matralia fournissent ainsi un exemple révélateur de la conservation du rite indépendamment du mythe. Les gestes romains ne prennent leur sens que par la comparaison avec la mythologie védique. Mais cette pratique étrange que G. Dumézil a rendue compréhensible par le recours aux sources védiques n'est plus dans la religion romaine qu'un fossile que les Romains eux-mêmes d'ailleurs ne comprenaient plus. Les explications qu'ils proposaient et qui faisaient intervenir la mythologie grecque, loin d'éclaircir les choses, les rendaient plus obscures encore.
Les « hôtes entêtés » de Jupiter
L'existence même de la triade précapitoline et le curieux rituel des Matralia sont deux exemples de cet héritage indo-européen. En voici un troisième, celui des « hôtes entêtés » de Jupiter [7]. Tout comme dans le cas des Matralia, la comparaison indo-européenne est seule susceptible d'apporter la solution adéquate.
Nous sommes sous le règne des Tarquins (l'Ancien ou le Superbe, selon les versions). Et le récit traditionnel [8] contient une bien curieuse notice, qui concerne les divinités Terminus (littéralement en latin « la borne, la limite ») et Juventas (littéralement « la jeunesse »). Lorsqu'il est question de construire le grand temple du Capitole, ces deux divinités « refusent » de céder à Jupiter l'emplacement qu'elles occupaient sur la colline et dont on aurait besoin pour la construction. Qu'à cela ne tienne, on ne les obligera pas à bouger, on leur réservera un autel à chacune, dans le temple même.
Le sens profond de cette étroite alliance n'apparaît qu'à la comparaison, une fois Terminus et Juventas reconnus comme les homologues romains des « souverains mineurs », Bhaga et Aryaman, lieutenants de Mitra. Bhaga, c'est la « part » personnifiée et divinisée, qui patronne la juste répartition des biens dans la société. Aryaman, c'est le patron des « arya » (« les hommes au sens noble du terme »), le patron donc des personnes qui constituent la société.
G. Dumézil a montré que Terminus et Juventas correspondaient avec précision à ces deux figures védiques, étroitement associées à Mitra. Juventas contrôle l'entrée des jeunes Romains dans la société des hommes, et les protège tant qu'ils sont dans l'âge le plus intéressant pour l'État. Terminus, pour sa part, marque et patronne la répartition des propriétés, non plus mobilières (principalement les troupeaux), comme dans le cas de Bhaga, mais foncières, comme il est normal dans une société sédentaire.
Ainsi une conception théologique indo-européenne, dont on retrouve d'ailleurs aussi la trace dans des transpositions zoroastriennes et dans l'Irlande paléochrétienne, a-t-elle été traduite en une anecdote pseudo-historique, intégrée dans la geste de Tarquin, et interprétée par les Romains comme un présage de stabilité (Terminus) et de jeunesse (Juventas) éternelles pour leur Ville.
Mais restons-en là pour la religion. Beaucoup plus importante et plus intéressante peut-être est la question de l'héritage indo-européen dans l'annalistique romaine. Nous en traiterons ailleurs.
Notes
[1] D'après G. Dumézil, Entretien avec Didier Éribon, Paris, 1987, p. 110-111 (Folio. Essais, 51). Ajoutons qu'il faudra attendre des siècles encore pour que l'espagnol et le portugais, eux aussi des langues indo-européennes, soient parlés en Amérique centrale et en Amérique latine. - Pour une bibliographie un peu plus détaillée sur les Indo-Européens, on se reportera à J. Poucet, Les Rois de Rome. Tradition et histoire, Bruxelles, 2000, p. 373-375 (Académie Royale de Belgique. Mémoires de la Classe des Lettres. Collection in-8°, 3e série, tome 22). [Retour au texte]
[2] Il faut insister sur ce point, une des erreurs initiales de G. Dumézil (il l'a reconnu lui-même) étant précisément d'avoir confondu « imaginaire » et « réalité sociale », d'avoir cru que ce qu'il repérait dans l'imaginaire s'incarnait concrètement dans la société. Ce problème crucial du rapport entre l'imaginaire et la réalité a été après bien d'autres posé par A. Schiavone, I saperi della città, dans A. Momigliano, A. Schiavone [Éd.], Storia di Roma. I. Roma in Italia, Turin, 1988, p. 561, n. 41 : « La grande question ouverte (et non résolue par G. Dumézil) est la compréhension et la description des rapports qui devaient s'instaurer entre ces représentations imaginaires (dont, jusqu'à preuve contraire, il faut postuler une cohérence seulement interne) et les niveaux de réalité (sociaux, productifs, de pouvoir) : selon une échelle de possibilité qui va du simple reflet idéal d'une forme matérielle déjà solidement constituée en elle-même (le Dumézil première manière), à l'intégration complexe entre structures de pensée et données sociales dans un système à plusieurs centres (c'est le modèle de Marx dans les Grundrisse), jusqu'à l'hypothèse d'une déconnexion et d'une absence de correspondance entre les différents plans : signes de blessures, de ruptures et de contradictions encore plus profondes et cachées ». - L'évolution de la recherche de G. Dumézil en général et sur ce point particulier de l'imaginaire est remarquablement étudiée par D. Dubuisson, Mythologies du XXe siècle (Dumézil, Lévi-Strauss, Éliade), Lille, 1993, p. 21-128 (Racines et Modèles). [Retour au texte]
[3] On trouvera les vues de Georges Dumézil essentiellement dans La religion romaine archaïque, 2e éd., Paris, 1974, 700 p. (Bibliothèque historique Payot) [1ère éd. 1966] et dans Fêtes romaines d'été et d'automne. Suivi de Dix Questions Romaines, Paris, 1975, 298 p. (Bibliothèque des Sciences humaines). - Pour un point de vue critique ouvert et récent, on pourra se reporter à l'analyse de E. Montanari, Georges Dumézil e la religione romana arcaica, dans J. Ries et N. Spineto [Éd.], Esploratori del pensiero umano. Georges Dumézil e Mircea Eliade, Milan, 2000, p. 51-102 (Di fronte e attraverso, 539). Dans le même ouvrage collectif, on verra également D. Briquel, Sul buon uso del comparativismo indoeuropeo in materia di religione romana, p. 25-50. - La deuxième édition de J. Scheid, Religion et piété à Rome, Paris, 2001, 192 p., contient aussi quelques pages intéressantes (p. 95-117 intitulées « Comment lire Dumézil »), reprises à l'édition de 1985 et qui ont conservé tout leur intérêt. [Retour au texte]
[4] A. Grandazzi, La fondation de Rome. Réflexions sur l'histoire, Paris, 1991, p. 66 (Histoire), évoque « des rituels comme celui du Cheval d'Octobre, de la déesse de l'Aurore, Mater Matuta, et surtout les indéniables analogies entre le flamen romain et le brahman indien ». Il y voit des « éléments dispersés et résiduels », qui cependant « attestent assez la réalité de cet héritage ». [Retour au texte]
[5] On désigne ainsi sept plaques de bronze, découvertes en 1444 à Gubbio (Italie), portant un texte en ombrien qui renseigne sur les rites et les cultes de cette petite ville ombrienne, avant que sa religion ne s'efface sous la pression romaine. Ombriens, Osques et Latins sont étroitement apparentés, leurs langues faisant partie de ce qu'on appelle les dialectes italiques. [Retour au texte]
[6] Cfr par exemple G. Dumézil, Mythe et épopée. III. Histoires romaines, Paris, 1973 (Bibliothèque des Sciences humaines), p. 305-330 (« Mater Matuta ») et, en résumé, La religion romaine archaïque, Paris, 1974, p. 63-75 (« La mythologie perdue : l'exemple des Matralia »). [Retour au texte]
[7] G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, 1974, p. 210-213 ; Les dieux souverains des Indo-Européens, Paris, 1977, p. 168-182 (Bibliothèque des Sciences humaines). [Retour au texte]
[8] Tite-Live, I, 55, 2-3 ; Denys d'Halicarnasse, III, 69, 5-6 ; Florus, I, 7, 9. [Retour au texte]
FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 3 - janvier-juin 2002