Chers Consoeurs, chers
Confrères,
Georges Dumézil était
né le 4 mars 1898. Associé à la Classe des
Lettres depuis le 5 mai 1958, il avait présenté
devant elle deux communications très savantes, l'une, le
3 juillet 1961 [1],
l'autre, le 11 janvier 1965
[2].
L'Académie avait également publié une de
ses études dans la collection in-8° des
Mémoires de la Classe des Lettres
[3].
Dans le bref éloge qu'il fit de
Georges Dumézil, le 3 novembre 1986, en annonçant
le décès du savant français, notre
confrère André Molitor, à l'époque
vice-directeur de la Classe, avait présenté le
disparu en ces termes : « Il était en France, et on peut le dire dans
le monde, une des sommités des sciences humaines d'aujourd'hui. [...] Ses
travaux l'avaient conduit à rechercher, puis à déchiffrer progressivement
ce que l'on peut appeler une "clé de compréhension" des sociétés
indo-européennes de jadis, qui s'exprime à la fois dans leurs structures
et dans leurs grands mythes fondamentaux »
[4].
Vous me permettrez de développer quelque peu ces phrases
très justes et très denses.
Si l'on fait abstraction de son
activité - si importante soit-elle - de linguiste
(dans le domaine notamment des langues caucasiennes et du
quechua), Georges Dumézil fut essentiellement un
spécialiste des études indo-européennes,
et on peut comparer mutatis mutandis son travail
à celui des pionniers de la grammaire comparée.
Ces grands savants du XIXe siècle, on s'en souvient,
avaient réussi non seulement à démontrer
l'indiscutable parenté de ce qu'on a appelé les
langues indo-européennes mais encore à retrouver
certaines caractéristiques de la langue-mère,
cette langue hypothétique dont toutes les autres
étaient issues par transformation et qu'on a
appelée l'indo-européen.
Si l'on veut schématiser
- avec
ce que toute schématisation a d'outrancier - on dira
que Georges Dumézil a prolongé, en
l'élargissant, le travail de la grammaire
comparée. Il est parti à la découverte,
non plus de la langue comme l'avaient fait les grands
linguistes du siècle dernier, mais de la pensée,
de l'univers mental des Indo-Européens. Pour ce faire,
il a étudié et comparé la culture des
différents peuples anciens issus des
Indo-Européens, et en particulier les manifestations
privilégiées de ces cultures, à savoir les
religions, les mythologies et les littératures. Cette
recherche concernait aussi bien les sociétés
nordiques que la Rome antique, aussi bien le monde indo-iranien
que le Caucase ; elle se faisait sur des textes aussi
différents (pour prendre quelques exemples) que les
hymnes védiques, le Mahabarata, l'Avesta iranien, les
eddas scandinaves, le cycle mythologique irlandais,
l'épopée narte des Ossètes, ou le
récit de Tite-Live sur la Rome royale. Et le savant -
cela mérite d'être souligné - travaillait
toujours de première main sur les textes qu'il
utilisait ; en d'autres termes, il connaissait
(c'est-à-dire lisait et déchiffrait) une bonne
trentaine de langues.
Sa méthode, c'était la
méthode comparative. Mais là où ses
devanciers malheureux (car il y avait déjà eu au
XIXe siècle des essais infructueux dans le domaine de la
mythologie comparée) comparaient des noms propres, des
détails isolés, des faits relativement minimes
que seul un examen superficiel permettait de croire semblables,
Georges Dumézil s'attaquait, pour les comparer, à
des faits homologues en profondeur, c'est-à-dire
différents peut-être de prime abord, mais entre
lesquels, une fois ces différences critiquées et
analysées, apparaissent des schémas
identiques.
Car Georges Dumézil est un
structuraliste. Dans son oeuvre, les rapprochements porteront
toujours sur des ensembles structurés de même
sens, jamais sur des détails isolés. Il montrera
par exemple que c'est le même mythe, ou en tout cas le
même récit, indo-européen que l'on retrouve
à l'oeuvre dans quatre sociétés
différentes : à Rome (la guerre et
l'alliance entre les Romains et les Sabins, qui, aux origines,
fondent définitivement la société
romaine) ; en Scandinavie (la lutte et de la fusion entre les
dieux Ases et les dieux Vanes qui, dans la mythologie
scandinave, fondent la première société
divine) ; en Irlande (la guerre qui conduit à la fusion
des Túatha Dé Danann et des Fomore lors de la
seconde bataille de Mag Tured, et qui, dans le Cycle
mythologique irlandais, ouvre l'histoire de l'Irlande) ; en Inde
(le conflit, puis l'étroite association, des dieux
supérieurs et des Naasatya dans la mythologie
védique). Quatre récits, profondément
différents dans leur présentation
extérieure, et pourtant homologues en ce qu'ils ont le
même sens et qu'ils s'articulent autour des mêmes
notions fondamentales. Il faut y voir en réalité
des illustrations diversement actualisées d'un
même schéma original qui montrait comment nos
lointains ancêtres se représentaient (nous sommes
dans le domaine de la représentation imaginaire) la
constitution définitive d'une société
viable.
Ainsi, par le biais de la comparaison
d'ensembles structurés, significatifs en tant
qu'ensembles, et empruntés à des civilisations
toutes indo-européennes certes, mais parfois fort
éloignées dans le temps et dans l'espace, Georges
Dumézil va tenter de retrouver, de faire surgir,
certains aspects de la mentalité ou de l'imaginaire
indo-européens, aspects qui avaient - faut-il le dire?
- complètement échappé à ses
prédécesseurs.
Ainsi les Indo-Européens
n'avaient pas seulement transmis leur langue à leurs
descendants ; ils leur avaient également transmis des
idées : tantôt un cadre particulier
d'analyse, disons une certaine vision du monde (la fameuse
« idéologie des trois fonctions »), tantôt des
conceptions spécifiques (sur la lumière nocturne
et diurne, sur la conduite du guerrier, sur le mariage),
tantôt encore des schémas narratifs ou
épiques, des « fragments de littérature » en
quelque sorte. Tel est en effet l'apport fondamental de Georges
Dumézil : avoir montré que, dans les
sociétés indo-européennes de jadis,
l'héritage indo-européen ne se limitait pas
à la langue, qu'il comprenait aussi des idées,
des représentations, des schémas narratifs, et
qu'il était possible de les retrouver.
Il ne peut être question ici
d'entrer plus avant dans le dédale et le détail
de l'oeuvre de Georges Dumézil : fruit de plus de
soixante années de travail patient et fructueux, elle
compte plusieurs centaines d'articles et quelque soixante
ouvrages, depuis Le crime des Lemniennes et Le festin
d'immortalité, tous deux parus en 1924, jusqu'aux
Entretiens avec Didier Éribon, publiés en
1987, c'est-à-dire un an après sa
mort.
Une oeuvre immense qui s'est
déroulée en marge de l'Université
française proprement dite, comme celle de Claude
Lévi-Strauss d'ailleurs - une correspondance que Pierre
Bourdieu souligne dans son Homo academicus
[5].
C'est une caractéristique de Georges Dumézil que
cette carrière, disons marginale. Rappelons-en quelques
grandes étapes.
Démobilisé en 1918
- il
avait alors vingt ans -, il ne restera que six mois professeur
de lycée, vivra d'expédients divers avant
d'occuper une série de postes à
l'étranger, qui lui permettront d'apprendre des langues
et de s'initier à des cultures
différentes.
Lecteur de français d'abord
à l'Université de Varsovie. Il ne s'y est
guère plu, mais, notera Claude Lévi-Strauss, ce
fut pour lui une « bonne occasion d'apprendre le polonais et le russe »
[6].
Puis la Turquie, où en 1925, Georges Dumézil est
chargé d'un cours d'histoire des religions à
l'Université d'Istanbul. « Mustapha Kémal, observera le même
Lévi-Strauss, s'était laissé dire qu'en France, ce genre d'enseignement
avait servi la lutte contre le cléricalisme, et il voulait essayer le
remède sur ses compatriotes musulmans. Grâce à lui et à [Georges Dumézil],
la Faculté des Lettres d'Istanbul fut, pendant cinq ans, la seule au monde
où n'importe quelle licence comportait obligatoirement une interrogation
d'histoire des religions. »
[7]
C'est durant ce séjour que Georges Dumézil
découvre les Caucasiens de Turquie et d'URSS, notamment
ces Ossètes, les derniers descendants des Scythes dont,
peut-on dire, il sauvera la langue et la culture.
Il quittera la Turquie en 1931 pour la
Suède, comme lecteur de français à
l'Université d'Upsal. Pendant deux ans, il y reprendra
son « projet indo-européen à travers le suédois, le vieux scandinave et
les folklores du Nord de l'Europe »
[8].
Et c'est finalement le retour en
France, mais toujours en dehors de l'Université
« canonique » : d'abord l'École Pratique des Hautes
Études à partir de 1933, puis en 1948 le
Collège de France, où il enseignera pendant 20
ans jusqu'à sa retraite en 1968, comme titulaire de ce
qui portera finalement le nom de « chaire de civilisation
indo-européenne ».
Son oeuvre ne s'est imposée que
lentement, rencontrant, plus encore en France peut-être
qu'à l'étranger, l'opposition, l'hostilité
même, de certains personnages solidement
installés. Ce sont les savants scandinaves
(suédois, danois, norvégiens) qui ont
accepté les premiers ses travaux avec chaleur, peu
après 1945
[9].
La diffusion de son oeuvre restera longtemps limitée
à un cercle étroit de spécialistes, pas
toujours bienveillants, un peu dépassés parfois.
Georges Dumézil devra âprement lutter,
polémiquer même (nous en reparlerons), pour faire
passer ses idées. Mais progressivement son rayonnement
s'élargit. Dès 1968, Pierre Nora accueille
régulièrement ses livres dans la prestigieuse
« Bibliothèque des sciences humaines », mettant ainsi son
travail sous les yeux du grand public cultivé. « Ce que je peux
avoir d'audience, dira G. Dumézil, je le dois à Gallimard et à cette
collection »
[10].
Mais il n'y a pas que Gallimard ; Payot et Flammarion aussi
éditent maintenant ses travaux dans des collections
« grand public cultivé ».
Les honneurs officiels suivent :
l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, puis
l'Académie Française où il est reçu
en 1979 par cet autre outsider qui était
également son ami, Claude Lévi-Strauss. La
consécration internationale aussi lui était
venue, sous la forme d'invitations nombreuses pour des cours ou
des conférences. Citons simplement aux
États-Unis, l'université de Chicago où
l'appelle son ami Mircéa Éliade,
l'université de Californie à Los Angeles,
l'Institute of Advanced Study de Princeton ; en Belgique,
l'Université de Bruxelles et l'Université de
Liège.
Après la consécration
scientifique, la consécration suprême pour notre
temps, celle qui vient des média. Déjà en
1984, Pierre Dumayet avait rencontré G. Dumézil
pendant plus d'une heure pour l'émission « D'Homme
à Homme », qu'il présentait sur TF1. Mais ce
n'était là qu'un début. 1986 sera en
quelque sorte « l'année Dumézil ». Tout
hebdomadaire qui se respecte veut un entretien avec le savant
(Magazine littéraire, avril 1986 ; Le
Point, juin 1986, Le Vif-L'express, septembre 1986),
mais l'apothéose, c'est l'émission
spéciale d'« Apostrophes » que Bernard Pivot lui consacre
le 18 juillet 1986, quelques mois donc avant sa mort. G.
Dumézil n'était pas dupe de ce battage
médiatique : « Il y a un demi-siècle, qui aurait songé à
demander à Meillet, à Sylvain Lévi, un exposé public de leurs découvertes
sur la scène d'un music-hall? Avec la télévision, nous en sommes là, et
bien au-delà »
[11].
Quoi qu'il en soit, Bernard Pivot était allé
l'interviewer chez lui, au 82 de la rue Notre-Dame-des-Champs
à Paris, un appartement qui était, a-t-on dit,
une « cathédrale de livres ». La rencontre fut
mémorable, et notre confrère André Molitor
l'évoquera dans cette salle même, le 3 novembre
1986 : « Ceux d'entre nous qui ont vu récemment à la télévision cet
homme de 88 ans exposer avec simplicité son oeuvre ont été frappés et
conquis par sa forte personnalité »
[12].
Et c'est bien vrai : l'image que
donnait le savant était attachante ; sa
simplicité, sa réserve, son autorité, sa
conviction, la clarté de son exposé, l'art avec
lequel il était capable de faire passer une
matière particulièrement difficile, tout cela
était impressionnant et forçait l'admiration.
C'est que pratiquement jusqu'à sa mort, il avait
conservé une lucidité et une vigueur d'esprit
intactes.
Datent aussi des derniers mois de sa
vie (entre février et juillet 1986) ces précieux
entretiens avec Didier Éribon signalés plus haut.
Georges Dumézil, pour la toute première fois, se
découvre en public avec simplicité et
lucidité, évoquant moins peut-être son
oeuvre que sa vie et son cheminement personnel, parlant
très librement de ses maîtres, de ses amis, de ses
goûts littéraires et philosophiques, de ses
tentations politiques de jeunesse, de la vie, de la religion,
de la mort.
Il mourra, rappelons-le, quelques mois
plus tard le 11 octobre 1986, à 88 ans après
avoir laissé derrière lui une oeuvre immense,
novatrice, dérangeante, une oeuvre aussi qu'on
caractérisera facilement de mouvante, car elle ne
présente rien de figé, et c'est aussi ce qui a
parfois rendu son accès difficile. En fait,
créateur d'une discipline nouvelle dans le domaine des
études indo-européennes, Georges Dumézil a
dû mettre au point sa propre méthode, et quand on
innove, les tâtonnements sont inévitables. Sa
démarche et sa pensée se sont progressivement
précisées, corrigées d'une étude
à l'autre, et les critiques, s'époumonnant
à le suivre, ont souvent été en retard sur
cette évolution. Le fait d'ailleurs qu'il ait
renié lui-même, pour vice de méthode, ce
qu'il avait écrit jusqu'en 1938, en a
désarçonné certains qui ont
préféré « attendre et voir ».
Je ne dirai rien ici des
récupérations politiques que certains, en
particulier à la Nouvelle Droite française, ont
tenté de faire des théories de Georges
Dumézil, récupérations qui n'ont rien
à voir avec la recherche scientifique ; je ne dirai rien
non plus des positions, politiques aussi, qui ont
été prêtées - abusivement, je crois
- à G. Dumézil, et qui ont parfois
contribué au rejet, viscéral et passionné,
de ses thèses.
Quoi qu'il en soit, cette oeuvre
grandiose est celle d'un savant discret et modeste, même
si sa polémique était âpre, redoutable,
pleine d'un humour féroce. Il a dû constamment
lutter, presque jusqu'à la fin, pour faire
reconnaître ses idées : « J'ai passé mon temps,
disait-il, à polémiquer, mais seulement parce qu'on m'attaquait. On
pourrait compter sur les doigts d'une main les offensives que j'ai
engagées moi-même contre quelqu'un sans qu'il ait ouvert les hostilités »
[13].
Il estimait qu'il n'avait rien à imposer à
personne, qu'il n'en avait pas le droit. « Je ne suis pas,
disait-il, un maître à penser ». C'était
vrai dans le domaine scientifique, où il refusait
systématiquement d'avoir des disciples, de diriger des
travaux ; c'était vrai aussi en matière politique.
Il avoue en tout et pour tout
[14]
une brève « tentation politique » pour l'Action
française au sortir de la première guerre, mais
la figure de l'intellectuel engagé, si courant dans la
tradition française, lui était absolument
étrangère : j'éprouve même,
confiait-il à son interlocuteur, « une espèce de répulsion pour les
gens qui tiennent ce rôle »
[15].
C'est qu'au fond de lui-même, ce
passionné, auteur d'une oeuvre aussi passionnante
qu'impressionnante, ce polémiste qui s'est battu sans
cesse pour faire reconnaître l'importance de ses
découvertes, ce maître qui a indiscutablement
transformé le domaine des études
indo-européennes, était un sceptique. Quelqu'un
le comparait un jour à un rationaliste du temps des
Lumières : « Vous me flattez, répondait-il. [...] J'aurais
aimé être un homme du dix-huitième siècle, mais avec en plus le sentiment,
que ces grands esprits n'avaient pas, de l'éphémère, de l'inaccessible »
[16].
Devenu franc-maçon dans un atelier de la Grande Loge peu
après son retour de Suède (en 1933), il
déclarait plus de 50 ans plus tard : « Je le suis
toujours ; l'initiation est comme le baptême, irréversible. Mais je suis
en sommeil comme on dit »
[17].
Il était agnostique : « De ce moi, ce qui subsistera après ma
mort ne m'inquiète pas. Très probablement, il n'en restera rien »
[18].
Mais le plus bel exemple de son
« détachement » est peut-être son attitude face
à son oeuvre et au sort qu'elle serait amenée
à connaître après sa mort. Il nous donne
là en effet une extraordinaire leçon.
Déjà quand Jean Mistler
lui avait remis son épée d'académicien en
1979, Georges Dumézil avait prononcé une
allocution dans laquelle il soulignait le caractère
relatif et provisoire de son travail : « Je sais, parce que c'est une
loi sans exception, je sais que cette oeuvre, dans cinquante, peut-être
dans vingt, dans dix ans, n'aura plus qu'un intérêt historique, qu'elle
sera, en mettant les choses au pis, ruinée, en mettant les choses au mieux
- ce qui est mon espérance - élaguée, retaillée, transformée »
[19].
Il reprenait la même idée sept ans plus tard dans
ses Entretiens avec Didier Éribon : « Croyez-moi ; j'ai un
sentiment très vif du caractère incomplet, relatif de mes résultats. J'ai
l'air de faire le modeste, mais c'est vrai, je le pense profondément. Les
résultats de nos maîtres aussi étaient relatifs et provisoires : mais où
en serions-nous sans eux? »
[20].
Et ces mêmes Entretiens avec
Didier Éribon se terminent de la manière
suivante. Éribon : « Un jour, vous m'avez dit :
si j'ai tort, ma vie n'a pas de sens » - G.
Dumézil : « Ma vie scientifique, oui. Mais même cela n'est pas
vrai : même si j'ai tort, elle aura eu une fonction, elle m'aura amusé. De
toute façon, aujourd'hui, il est trop tard pour la refaire, je ne peux
plus lui échapper. À supposer que j'aie totalement tort, mes
Indo-Européens seront comme les géométries de Riemann et de Lobatchevsky :
des constructions hors du réel. Ce n'est déjà pas si mal. Il suffira de me
changer de rayon dans les bibliothèques : je passerai dans la rubrique
'romans' »
[21].
Il était sincère, dans
l'expression - pleine de cet humour dont il était
coutumier - du caractère provisoire et imparfait de son
travail. Et pourtant, son influence, dans tous les secteurs des
études indo-européennes, est aujourd'hui
considérable, et on peut dire, en paraphrasant
légèrement les mots d'André Molitor, que
son oeuvre, longtemps contestée, encore parfois
discutée, a désormais acquis droit de
cité.
Et je laisserai le soin de conclure
à Claude Lévi-Strauss accueillant Georges
Dumézil sous la coupole du Quai Conti : « En votre personne,
Monsieur, nous saluons un maître au savoir plus qu'encyclopédique, dont le
génie sut établir, entre des domaines en apparence très éloignés les uns
des autres, et restés jusqu'alors chasses jalousement gardées de
spécialistes, des rapprochements qui bouleversent tout ce qu'on croyait
savoir d'un passé lointain, et qui ouvrent aussi des perspectives
entièrement neuves sur ce que vous appelez 'la dynamique de l'esprit
humain' »
[22].
Jacques Poucet