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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


Historiographie gréco-romaine

HAGIOGRAPHIE

Textes rassemblés et présentés par Jean-Marie HANNICK

Professeur émérite de l'Université de Louvain


    On pourrait se demander si un dossier consacré aux vies de saints, fût-il bref, a bien sa place dans une anthologie de textes historiques grecs et latins. L'hagiographie n'est-elle pas fondamentalement différente de l'historiographie, dans son but, l'édification du lecteur, comme dans ses méthodes ? Il y est permis d'inventer, concède Hucbald de St Amand, « quand la matière fait défaut » (cf. F. Dolbeau, Les hagiographes au travail, p.55) ; on s'autorise bien des libertés avec la chronologie (cf. H. Delehaye, Passions des martyrs, p.174-175) ; on se plaît à raconter les miracles les plus incroyables. Et l'on pourrait allonger la liste de ces reproches qui sont bien avérés. Pourtant, les vies de saints, qu'elles soient antiques ou médiévales, méritent d'être prises en considération. Leurs faiblesses, réelles, ne les condamnent pas à être simplement ignorées des historiens. Elles contiennent du merveilleux ? Sans doute, mais dans des proportions variables et la présence de merveilleux dans son histoire n'a pas empêché Hérodote d'être appelé le « père de l'histoire ». Ces vies veulent amener le lecteur à imiter les vertus des saints ? Ce but n'est guère différent de celui que poursuivaient bon nombre d'historiens profanes, grecs et latins. Il suffira de rappeler ce passage de la préface de Tite-Live : « Ce que l'histoire offre surtout de salutaire et de fécond, ce sont les exemples instructifs de toute espèce qu'on découvre à la lumière de l'ouvrage : on y trouve pour son bien et celui de son pays des modèles à suivre ; on y trouve des actions honteuses tant par leurs causes que par leurs conséquences, et qu'il fait éviter ». Quant à la chronologie, la négligence des hagiographes n'est pas non plus un phénomène isolé : les historiens « païens » ne sont pas tous exemplaires à cet égard. Mais il ne suffit pas de tenter d'excuser nos biographes en disant que d'autres auteurs ont commis les mêmes erreurs qu'eux ; il convient également de souligner l'importance des informations qu'ils sont susceptibles d'apporter sur les institutions civiles et ecclésiastiques, la topographie, certains événements importants... On a, par exemple, pu montrer tout l'intérêt des renseignements fournis pas la Passion de Pionios sur la cité et l'Église de Smyrne au IIIe siècle (cf. L. Pernot, Saint Pionios, martyr et orateur, dans G. Freyburger - L. Pernot (dir.), Du héros païen au saint chrétien, p.111). Autre exemple, pris au moyen-âge, la Vie de sainte Wivine, morte vers 1170. Le récit d'un miracle accompli par la sainte a fourni à G. Despy un argument supplémentaire portant à croire que des marchands se livrant au commerce maritime ont existé à Bruxelles plus tôt qu'on ne le pensait, dès la fin du XIIe siècle. « J'ai acquis, dit l'auteur, une certaine prédilection pour les récits miraculeux que contiennent les sources hagiographiques qui, souvent, nous révèlent des phénomènes qui nous échapperaient ou que nous ne connaîtrions qu'à peine avec les seules sources diplomatiques et narratives traditionnelles » (Vir quidam de Bruxella, Ghiselbertus nomine, dans Sacris Erudiri, 26, 1983, p.177).

    De cette immense littérature hagiographique, on a retenu ici trois titres, les vies de saint Antoine, de saint Martin et de sainte Mélanie : un moine du désert, un moine-évêque, une sainte femme ; deux textes grecs, un texte latin. Les auteurs en sont connus et sont contemporains de leurs héros ou héroïne.

    La Vie d'Antoine a été rédigée par Athanase, évêque d'Alexandrie, peu de temps après la mort du « père des moines » en 356 : elle est en effet déjà mentionnée dans le discours de Grégoire de Nazianze consacré à Athanase (21, §5), discours prononcé vers 380 (cf. J. Mossay, Grégoire de Nazianze, Discours 20-23, Paris, 1980, Sources chrétiennes 270, p.99-103). En plus du texte grec, on dispose d'une traduction latine par Évagre d'Antioche et de versions en syriaque, en copte et en vieux slave. Athanase écrit à la demande de moines désireux d'imiter la vie ascétique du bienheureux Antoine, ce dont il les félicite. Il aurait voulu s'informer davantage sur le sujet, n'en a pas eu le temps mais souligne qu'il a bien connu le personnage et qu'il a obtenu des renseignements d'un témoin direct ; en tout cas, il s'est soucié de dire la vérité (T 1).

    La Vie de Saint Martin est de la plume de Sulpice Sévère dont on a déjà parlé comme auteur d'une chronique universelle. Lui aussi se prétend bien informé. Il s'est rendu à Tours, long voyage, dit-il, qui lui a permis d'interroger le saint évêque, plus des témoins directs et indirects (T 17). C'est de la bouche même de Martin, par exemple, qu'il a appris cette histoire du diable disparaissant en laissant en guise de signature une puanteur qui envahit toute la cellule où il s'était présenté comme étant Jésus-Christ (T 16). Sulpice n'a cependant pas dit tout ce qu'il savait, par souci de concision, mais il prétend n'a voir écrit que la vérité (T 9), ce que certains modernes ont vigoureusement contesté, sans vraiment convaincre (voir surtout E.Ch. Babut, Saint Martin de Tours, Paris, 1912 et la réplique d'H. Delehaye, Saint Martin et Sulpice Sévère). L'œuvre, adressée à un certain Didier, personnage assez mal identifié que Sulpice qualifie de « très cher frère » (frater unanimis) a été rédigée et publiée du vivant de Martin, plus exactement peu de temps avant sa mort en 397. Elle a connu immédiatement un grand succès comme le montrent, par exemple, les adaptations en vers de Paulin de Périgueux, puis de Vénance Fortunat.

     La Vie de sainte Mélanie n'est pas signée. On l'attribue à un certain Gerontios, un prêtre de l'entourage de la sainte femme, son homme de confiance et son successeur à la tête des monastères qu'elle avait fondés en Palestine. Mélanie (dite La Jeune, pour la distinguer de sa grand-mère) est assez bien connue (cf. Mélanie 2, dans Ch. et L. Pietri, Prosopographie chrétienne du Bas-Empire. 2. Prosopographie de l'Italie chrétienne, t.2, Rome, 2000, p.1483-1490). Née vers 380 dans une grande famille romaine, elle est mariée très jeune au fils d'un préfet de la ville, Pinianus, plus âgé de quelques années. Les époux ont deux enfants, morts en bas âge, puis décident, à la demande de Mélanie, de vivre dans la chasteté. Ils vendent leurs biens, en distribuent le produit un peu partout (T 22) ; ils quittent Rome pour l'Afrique, puis pour la Palestine où Mélanie fonde des monastères. Pinianus y meurt en 432. Mélanie se rendra encore à Constantinople pour y convertir son oncle Volusien, ancien préfet de Rome. De retour en Palestine, elle meurt à Bethléem peu après la Noël de 439.  La Vie de Mélanie existe en deux versions, grecque et latine, sans qu'on puisse dire en toute certitude quelle est l'originale ; il se pourrait d'ailleurs que les deux textes remontent à un archétype commun. Quoi qu'il en soit, il convient de signaler que les extraits reproduits ci-dessous sont traduits du grec.

    Quant au contenu, les trois Vitae sélectionnées ont des points communs. Antoine, Martin et Mélanie sont certes des personnages très différents, ne fût-ce que par leur origine : Antoine provient d'une famille modeste de la campagne égyptienne et ne connaît même pas le grec ; Martin est fils de militaire, né en Pannonie, et est obligé de servir lui-même dans l'armée pendant plusieurs années ; Mélanie, issue d'une richissime famille romaine, est élevée dans le luxe et parle grec et latin. Tous trois ressentent pourtant la même vocation, renoncer au monde et mener une vie ascétique, ce qui provoque l'hostilité et les attaques de Satan, particulièrement violentes à l'égard d'Antoine (T 2, 7, 15, 16). En revanche, leur sainteté leur donne des pouvoirs surnaturels. Antoine pratique la divination (T 6 ; voir aussi ch. 59), guérit des malades et des possédés (ch. 48, 61, 71), fait jaillir l'eau du désert (ch. 54). Martin résiste au poison (T 11), ressuscite des morts (T 12), commande au feu d'un incendie qu'il a provoqué (T 14), reçoit la visite des anges (T 15). La vie de Mélanie est moins riche en épisodes de ce genre : l'auteur dit qu'il s'est limité volontairement à quelques exemples et ne signale que l'un ou l'autre cas de guérison de possédées du démon (ch.60). On aurait tort d'accueillir simplement ces récits avec le sourire sceptique de l'homme raisonnable. S'il est permis de se montrer incrédule, il ne faudrait pas pour autant ignorer tout ce que ces mirabilia nous disent sur l'imaginaire des chrétiens des premiers siècles. Il est indéniable, d'autre part, que ces vies de saints contiennent bien des données positives sur l'histoire profane comme sur l'histoire de l'Église. Balacios et Nestorios (T 6) sont d'authentiques fonctionnaires égyptiens ; la campagne de Julien contre les Germains à partir de Worms (T 10) n'a, elle non plus,  rien de légendaire. Et l'on est frappé, à la lecture de la vie de Mélanie (T 22, 23), par l'énormité des fortunes que pouvaient accumuler les grandes familles romaines, intéressé aussi par le statut juridique de jeunes gens mariés, mais dépendant toujours de leurs parents pour la gestion de leurs biens (T 20). L'organisation ecclésiastique est également bien illustrée dans nos textes, avec sa hiérarchie, évêques, prêtres, simples moines (T 4). Le haut clergé se montre parfois bien peu exemplaire : on voit des évêques envieux de leurs confrères (T 18) et même hérétiques (T 11), alors que nos trois saints personnages, eux, sont farouchement opposés à ces déviations doctrinales (T 5, 11, 25). On soulignera encore l'importance du chapitre où Sulpice Sévère raconte l'intronisation de Martin comme évêque de Tours (T 13), « un des plus anciens [documents] sur les modalités pratiques des élections épiscopales en Occident » (J. Fontaine, Vie de saint Martin, t.II, p.641).

 

 

Bibliographie

Textes

- Athanase d'Alexandrie, Vie d'Antoine, éd., trad. G.J.M. Bartelink, Paris, 1994 (Sources chrétiennes, N° 400).

- Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, éd., trad., comm. J. Fontaine, 3 vol., Paris, 1967-1969 (Sources chrétiennes, N° 133, 134, 135) - Voir aussi Sulpice Sévère, Gallus. Dialogues sur les « vertus » de saint Martin, éd., trad. J. Fontaine - N. Dupré, Paris, 2006 (Sources chrétiennes, 510).

- Vie de sainte Mélanie, éd., trad. D. Gorce, Paris, 1962 (Sources chrétiennes, N° 90).

Études

- Delehaye H., Saint Martin et Sulpice Sévère, dans Analecta Bollandiana, 38, 1920, p.5-136.

- Id., Sanctus. Essai sur le culte des saints dans l'Antiquité, Bruxelles, 1927 (Subsidia Hagiographica, 17).

- Id., Cinq leçons sur la méthode hagiographique, Bruxelles, 1934 (Subsidia Hagiographica, 21).

- Id., Les légendes hagiographiques, 4e éd., Bruxelles, 1955.

- Id., Les passions des martyrs et les genres littéraires, 2e éd., Bruxelles, 1966 (Subsidia Hagiographica, 13 B).

- Dolbeau F., Les hagiographes au travail : collecte et traitement des documents écrits (IXe - XIIIe siècles), dans M. Heinzelmann (Ed.), Manuscrits hagiographiques et travail des hagiographes, Sigmaringen, 1992, p.49-76 (Beihefte der Francia 24).

- Freyburger G. - Pernot L. (Dir.), Du héros païen au saint chrétien, Paris, 1997 (Coll. des Études augustiniennes. Série Antiquité, 154)

- de Gaiffier B., Hagiographie et historiographie. Quelques aspects du problème, dans La storiografia altomedievale, vol. I, Spolète, 1970, p.139-166 (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull'alto Mediœvo, XVII).

- Guillot O. Saint Martin. Apôtre des pauvres (336-397), Paris, 2008.

- Laurence P., La Vie de sainte Mélanie. La part de l'histoire, dans B. Pouderon - Y.-M. Duval (Dir.), L'historiographie de l'Église des premiers siècles, Paris, 2001, p.159-179 (Théologie historique, 114).

- Philippart G., Introduction à G. Philippart (Dir.), Corpus Christianorum. Hagiographies, vol. I, Turnhout, 1994, p.9-24.

- Id., L'hagiographie comme littérature : concept récent et nouveaux programmes, dans Revue des sciences humaines, 251, 1998, p.11-39.

- Stancliffe C., St Martin and His Biographer. History and Miracle in Sulpicius Severus, Oxford, 1983 (Oxford Historical Monographs).

- Van Uytfanghe M., L'hagiographie : un « genre » chrétien ou antique ? dans Analecta Bollandiana, 111, 1993, p.135-188.

- Id., La Vie d'Apollonius de Tyane et le discours hagiographique, dans Demoen K. - Praet D. (Eds.), Theios Sophistes. Essays on Flavius Philostratus' Vita Apollonii, Leyde, 2008 (Mnemosyne. Suppl. 305).

 

 

Choix de textes

Vie d'Antoine (trad. G.J.M. Bartelink)

T 1 - Préface  C'est un bon combat que vous avez engagé avec les moines d'Égypte, en vous proposant de les égaler ou même de les dépasser par votre ascèse pour parvenir à la vertu. En effet, chez vous aussi, on trouve maintenant des ermitages et le nom de moine y a acquis le droit de cité. Ce dessein mérite sans doute à bon droit la louange et puisse Dieu, par vos prières, l'accomplir. Mais, puisque vous m'avez interrogé sur le genre de vie du bienheureux Antoine, avec le désir d'apprendre comment il commença l'ascèse, qui il était auparavant, quelle fut la fin de sa vie et si ce que l'on dit de lui est vrai, afin de pouvoir, vous aussi, imiter son zèle, j'ai reçu votre ordre avec un grand enthousiasme, car, pour moi aussi, le seul fait de me souvenir d'Antoine est d'un grand profit. Or je sais que vous aussi, après en avoir entendu parler, non seulement vous admirerez cet homme, mais vous voudrez également imiter son dessein. Pour des moines, en effet, la vie d'Antoine suffit comme modèle d'ascèse. Ce que vous avez entendu sur lui de ceux qui vous ont apporté des informations, ne refusez don pas de le croire, mais pensez plutôt en avoir trop peu appris de leur bouche...

Je voulais donc, au reçu de votre lettre, envoyer chercher quelques-uns des moines qui avaient l'habitude d'aller très fréquemment lui rendre visite. J'en aurais probablement appris davantage pour pouvoir vous en écrire plus complètement. Mais puisque la saison de naviguer allait finir, et que le porteur de la lettre était pressé, je me suis hâté d'écrire à Votre Piété ce que je sais moi-même - car je l'ai vu souvent - et ce que j'ai pu apprendre de celui qui fut longtemps son compagnon et qui versait l'eau sur ses mains. En tout cas, j'ai veillé à la vérité.

 

T 2 - 8, 1-4  S'enserrant donc lui-même dans ces étroites limites, Antoine gagna les tombeaux qui se trouvaient à distance du village. Ayant recommandé à l'un de ses amis de lui apporter du pain de loin en loin, il entra dans un de ces tombeaux ; l'autre ferma la porte sur lui et Antoine demeura seul à l'intérieur. L'Ennemi ne l'y souffrit pas, mais craignant que, sous peu, il ne fit du désert la cité de l'ascèse, une nuit, entrant avec une troupe de démons, il l'accabla de coups, au point qu'à cause des tourments, il resta étendu sans voix sur le sol. Il assurait que les douleurs avaient été si vives qu'il pouvait dire que les coups des hommes ne sauraient jamais causer un tel tourment. Par disposition de la providence divine - car le Seigneur n'abandonne jamais ceux qui espèrent en lui -, le lendemain son ami vint lui apporter des pains. Ouvrant la porte il vit Antoine couché à terre, comme mort. Il le souleva, le transporta à la maison du Seigneur au village et l'étendit à terre. De nombreuses personnes de sa parenté et les gens du village restaient assis autour d'Antoine comme auprès d'un mort. Vers minuit, Antoine revint à lui et s'éveilla. Voyant que tout le monde dormait et que seul son ami veillait, il lui fit signe de venir à lui, et le pria de le soulever à nouveau et de le transporter aux tombeaux sans éveiller personne.

 

T 3 - 46, 1-3  Quelque temps après survint contre l'Église la persécution du temps de Maximin [309-311]. Comme on emmenait les saints martyrs à Alexandrie, Antoine, quittant son ermitage, les y accompagna en disant : « Allons combattre, si l'on nous y appelle, ou contempler les combattants.» Il désirait subir le martyre, mais ne voulant pas se livrer lui-même, il se consacrait au service des confesseurs dans les mines et dans les prisons. Il manifestait un grand zèle devant le tribunal. Il encourageait pendant leur combat ceux qui étaient appelés, et, quand ils rendaient témoignage, il les accueillait et les accompagnait jusqu'au bout. Le juge donc, voyant le zèle intrépide qu'Antoine et ceux qui étaient avec lui mettaient à faire cela, interdit à tous les moines de paraître au tribunal, et même de demeurer dans la ville.

 

T 4 - 67, 1-3   Qu'il avait le caractère patient et l'âme humble ! Malgré toutes ses qualités, il révérait extrêmement la hiérarchie de l'Église et voulait que tout clerc eût préséance sur lui. Il ne craignit pas d'incliner la tête devant les évêques et les prêtres. Si un diacre venait le trouver dans un but d'édification, il lui disait ce qu'il fallait pour son édification, mais, en ce qui concerne la prière, il lui cédait le pas, sans rougir d'apprendre à son tour de lui. Souvent aussi il interrogeait et demandait à entendre ceux qui étaient présents. Il reconnaissait avoir tiré profit si quelqu'un disait des choses utiles.

 

T 5 - 68, 1-3  En ce qui concerne la foi il était tout à fait admirable et pieux. Il n'avait jamais eu aucune rapport avec les mélétiens schismatiques, ayant reconnu leur malice et leur apostasie originelles, et n'eut aucune relation amicale avec les manichéens ou d'autres hérétiques, sinon pour les exhorter à se convertir à la piété. Il estimait et déclarait que l'amitié et la fréquentation des hérétiques nuisent à l'âme et la mènent à la perdition. De même il abhorrait l'hérésie arienne et recommandait à tous de ne pas s'approcher d'eux et de ne pas suivre leur foi pervertie. Une fois, des sectateurs insensés d'Arius vinrent à lui. Il les interrogea, reconnut qu'ils étaient des impies et les chassa de la montagne en disant que leurs paroles étaient pires que des serpents.

 

T 6 - 86, 1-7  Un commandant du nom de Balacios nous persécutait brutalement, nous les chrétiens, par zèle pour ces ariens au nom odieux. Il était si cruel qu'il faisait même battre les vierges, dénuder et fouetter les moines. Antoine envoie donc quelqu'un avec une lettre dont voici la teneur : « Je vois venir sur toi la colère. Cesse de persécuter les chrétiens, si tu ne veux pas que la colère de Dieu te saisisse. Car elle est déjà sur le point d'arriver.» Balacios se mit à rire, jeta la lettre à terre, cracha sur elle, maltraita ceux qui l'avaient apportée et leur commanda de transmettre ceci à Antoine : « Puisque tu as souci des moines, c'est à toi maintenant que je m'en prendrai.» Il ne s'était pas passé cinq jours que la colère le saisit. Balacios lui-même et Nestorios, préfet d'Égypte, étaient partis vers le premier relais d'Alexandrie, nommé Chaireou. Tous deux montaient un cheval. C'étaient les propres chevaux de Balacios, les plus doux de toutes ses écuries. Pourtant, avant d'arriver à l'étape, les chevaux se mirent à jouer entre eux, comme à l'habitude. Soudain le plus doux, celui que montait Nestorios, mordit Balacios, le désarçonna et se jeta sur lui. De ses dents, il lui déchira si bien la cuisse, qu'il fallut le transporter aussitôt à la ville où, en trois jours, il mourut. Tous admiraient que la prédiction d'Antoine se fût réalisée si vite.

 

T 7 - 94, 1-2  Lisez donc tout cela aux autres frères afin qu'ils apprennent quelle doit être la vie des moines, et qu'il soient persuadés que notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ glorifie ceux qui le glorifient. Non seulement il introduit au royaume des cieux ceux qui le servent jusqu'à la fin, mais à cause de leur vertu et pour l'utilité d'autrui, il manifeste aussi et rend célèbres partout ceux qui se cachent et s'efforcent de vivre dans la retraite. Si besoin est, lis-le aussi aux païens, afin qu'ils reconnaissent du moins ceci : non seulement notre Seigneur Jésus-Christ est Dieu et Fils de Dieu, mais encore ceux qui le servent sincèrement et croient en lui pieusement, les chrétiens, ne se contentent pas de démontrer que les démons qu'ils tiennent, eux les païens, pour des dieux, ne sont pas des dieux, mais ils les foulent aux pieds et les chassent comme trompeurs et corrupteurs des hommes, dans le Christ  Jésus notre Seigneur, à qui soit la gloire aux siècles des siècles. Amen.

 

 

Vie de saint Martin (trad. J. Fontaine)

T 8 - Préface I, 6  Il me semble donc que je ferai œuvre utile, si j'écris tout au long la vie d'un très saint homme, pour qu'elle serve ensuite d'exemple aux autres : à coup  sûr, cela incitera les lecteurs à la vraie sagesse, à la milice céleste et à la vertu divine. Et notre intérêt aussi y trouve son compte, dans la mesure où nous pouvons attendre non point des hommes un vain souvenir, mais de Dieu une récompense éternelle. Car n'ayant pas vécu nous-même de manière à pouvoir servir d'exemple aux autres, du moins avons-nous tâché de ne point laisser dans l'ombre celui qui méritait d'être imité.

 

T 9 - 1, 7-9  Or donc, je vais entreprendre d'écrire la vie de saint Martin, quelle fut sa conduite soit avant son épiscopat, soit pendant son épiscopat, encore qu'il m'ait été impossible d'avoir accès à tous ses actes. Ainsi, on ignore ce dont il fut devant lui-même le seul témoin : car, ne recherchant pas la louange des hommes, il aurait voulu dans toute la mesure où il l'aurait pu, cacher toutes ses « vertus ». Et pourtant, même parmi les faits qui nous étaient connus, nous en avons omis plus d'un, croyant qu'il suffisait de consigner seulement les plus saillants. En même temps, il fallait aussi ménager les lecteurs, pour éviter de les lasser par une accumulation excessive. Je conjure ceux qui vont me lire d'ajouter foi à mes paroles, et de penser que je n'ai rien écrit qui ne fût bien connu et avéré. Autrement, j'eusse préféré le silence au mensonge.

 

T 10 - 4, 1-7  Cependant les barbares envahissaient les Gaules, et le César Julien, concentrant son armée près de la cité des Vangions [Worms], se mit en devoir de distribuer un « donativum » aux soldats : selon l'usage, on les appelait un par un, jusqu'au moment où ce fut le tour de Martin. Alors, jugeant le moment venu de demander son congé, car il estimait qu'il n'aurait plus sa liberté, s'il acceptait le « donativum »  sans avoir l'intention de continuer à servir, il dit à César : « Jusqu'ici, j'ai été à ton service : permets-moi maintenant d'être au service de Dieu ; que celui qui a l'intention de combattre accepte ton "donativum" ; moi, je suis soldat du Christ, je n'ai pas le droit de combattre ». Mais alors, à ces mots, le tyran se mit à gronder, disant que si Martin refusait de servir, c'était par crainte du combat qui devait avoir lieu le lendemain, et non point pour des motifs religieux. Mais Martin, intrépide, et même d'autant plus ferme que l'on avait tenté de l'intimider, dit alors :  « Si l'on impute mon attitude à la lâcheté et non à la foi, je me tiendrai demain sans armes devant les lignes et au nom du Seigneur Jésus, sous la protection du signe de la croix, sans bouclier ni casque, je pénétrerai en toute sécurité dans les bataillons ennemis ». On le fait donc ramener et jeter en prison, afin qu'il tienne parole en se laissant exposer sans armes aux barbares. Le lendemain, l'ennemi envoya des parlementaires pour négocier la paix, et se rendit avec armes et bagages. Qui donc pourrait douter que cette victoire ait été véritablement due au bienheureux, puisqu'il lui fut accordé de ne pas être envoyé sans armes au combat ?

 

T 11 - 6, 4-6  Puis, l'hérésie arienne ayant pullulé à travers le monde entier, et surtout dans l'Illyricum, comme il était presque seul à opposer  la résistance la plus énergique à la foi corrompue des évêques et qu'on l'avait soumis à nombre de mauvais traitements - car il fut non seulement battu de verges en public, mais finalement contraint de quitter la ville - il regagna l'Italie et, apprenant que dans les Gaules aussi, l'éloignement de saint Hilaire, contraint et forcé à l'exil par les hérétiques, avait jeté le trouble dans l'Église, il s'installa un ermitage à Milan. Là aussi , Auxence [évêque de Milan], principal fauteur du parti arien, le persécuta avec un acharnement extrême : il l'accabla d'avanies et le fit expulser de la cité. Aussi, estimant qu'il lui fallait céder aux circonstances, il se retira dans l'île appelée Gallinara [au sud-ouest de Gênes], en compagnie d'un prêtre qui était un homme de grandes vertus. Il y vécut quelque temps de racines. A ce moment, il prit pour nourriture de l'hellébore, une plante que l'on dit vénéneuse. Mais sentant la violence du poison l'attaquer, et la mort déjà prochaine, il repoussa par la prière la menace de ce péril, et aussitôt tout le mal fut mis en déroute.

 

T 12 - 8, 1-3  Peu après, comme il passait le long du domaine d'un certain Lupicin, un notable selon ce monde, il est accueilli par les cris de deuil d'une foule qui se lamentait. Il s'approche d'elle avec sollicitude et s'enquiert du motif de ces pleurs : on lui explique alors qu'un petit esclave de la domesticité s'était arraché la vie en se pendant. A cette nouvelle, il entre dans la cellule où le corps gisait ; il mit dehors toute la foule, s'étendit sur le corps et pria quelque temps. Bientôt, le visage ranimé mais les yeux encore alanguis, le défunt se soulève vers le visage de Martin. Dans un lent effort, il parvient à se dresser sur son séant et, saisissant la main du bienheureux, il se mit debout. Puis, avec lui, il s'avança ainsi jusqu'au vestibule de la maison, sous les regards attentif de toute la foule.

 

T 13 - 9, 1-4  A peu près vers la même époque, on le réclamait pour l'évêché de Tours. Mais comme il était difficile de le tirer de son monastère, certain Rusticius, citoyen de Tours, feignit d'avoir sa femme malade et, se jetant à ses genoux, parvint à le faire sortir. C'est ainsi que, des foules de Tourangeaux se trouvant déjà postées sur le parcours, on l'escorta sous bonne garde jusqu'à la cité, comme un prisonnier. Chose extraordinaire, une multitude incroyable de gens, venus non seulement de cette ville, mais aussi des cités voisines, s'étaient assemblés pour lui apporter leurs suffrages. Ils n'ont tous qu'une volonté, un même désir, un même sentiment : Martin est le plus digne de l'épiscopat, heureuse sera l'Église qui aura un tel évêque !

Un petit nombre pourtant, et quelques-uns des évêques que l'on avait fait venir pour installer le prélat, y faisaient une opposition impie. Ils disaient que c'était un personnage méprisable, et qu'un homme à la mine pitoyable, aux vêtements sales, aux cheveux en désordre, était indigne de l'épiscopat. Cela étant, le peuple, qui en jugeait plus sainement, tourna en ridicule la folie de ceux qui, en cherchant à blâmer cet homme remarquable, publiaient ses mérites éclatants. Et en vérité, ils ne purent que s'incliner devant les intentions du peuple, inspiré par la volonté du Seigneur.

 

T 14 - 14, 1-2   Vers le même temps et dans la même œuvre, il fit preuve d'une « vertu » non moins grande. De fait, il avait mis le feu, en certain village, à un sanctuaire païen tout à fait ancien et très fréquenté : des tourbillons de flammes étaient emportés par le vent qui les poussait vers une maison voisine, et même attenante à l'édifice. Dès que Martin s'en aperçut, il accourt rapidement, monte sur le toit de la maison et se porte à la rencontre des flammes qui arrivaient. Mais alors, spectacle extraordinaire, on put voir le feu se rabattre contre le vent, malgré sa violence, si bien que les éléments semblaient pour ainsi dire se combattre et entrer en conflit. Ainsi, par la « vertu » de Martin, le feu n'accomplit son œuvre que là où il en avait reçu l'ordre.

 

T 15 - 21, 1-2  Il est certain que même des anges lui apparurent assez souvent, jusqu'à engager la conversation et à s'entretenir avec lui. Quant au diable, il le voyait de ses yeux si facilement et si distinctement qu'il le reconnaissait sous n'importe quel aspect : qu'il conservât sa nature propre, ou qu'il se transformât, prenant les diverses figures du mal spirituel. Et sachant qu'il lui était impossible d'échapper, le diable l'accablait souvent d'invectives, dans l'incapacité où il était de l'abuser par ses ruses.

 

T 16 - 24, 8  A ces mots, l'autre s'évanouit aussitôt comme une fumée. Il remplit la cellule d'une telle puanteur qu'il laissait ainsi la preuve indiscutable de ce qu'il était le diable. Ces faits, tels que je viens de les rapporter, je les ai appris de la bouche de Martin lui-même, - pour que personne n'aille croire que ce sont des histoires.

 

T 17 - 25, 1  De fait, pour avoir entendu depuis longtemps parler de sa foi, de sa vie et de sa « vertu », nous brûlions de l'envie de le connaître : aussi, pour le voir, avons-nous entrepris avec plaisir un lointain voyage. En même temps, comme nous éprouvions dès ce moment un ardent désir d'écrire sa vie, nous l'avons en partie interrogé lui-même, dans la mesure où il était possible de lui poser des questions, et nous avons enquêté d'autre part auprès de ceux qui avaient été les témoins de ses faits et gestes, ou qui les connaissaient.

 

T 18 - 27, 3-7  A dire vrai, nous en avons personnellement connu quelques-uns qui enviaient sa « vertu » et sa vie, détestant en lui ce qu'ils ne voyaient point en eux-mêmes et ce qu'ils n'avaient pas la force d'imiter. Et même - douloureux et lamentable sacrilège -, on rapportait que ses persécuteurs étaient sans doute fort peu nombreux, mais que, pour la plupart, c'étaient des évêques. En vérité, il n'est pas nécessaire de donner des noms, encore que la plupart d'entre eux nous cernent aussi de leurs abois. ll suffira que, si l'un d'entre eux lit ces lignes et en reconnaît la vérité, il rougisse de honte. Car s'il se fâche, il avouera ainsi que ces paroles le concernent personnellement, alors qu'il se pourrait que nous ayons songé à d'autres. Mais nous ne nous dérobons point à ce que, s'il en est de cette espèce, ils nous enveloppent avec ce grand homme dans la même haine.

Il est en tout cas une chose dont je suis bien sûr, c'est que ce petit ouvrage plaira à toutes les saintes personnes. Du reste, celui qui lira ce livre avec incrédulité, la faute lui en incombera. Quant à moi, j'ai bien conscience, ayant été poussé à écrire par l'authenticité des faits et par l'amour du Christ, d'avoir exposé l'évidence et dit la vérité. Et la récompense que Dieu leur aura préparée sera réservée, je l'espère, non point à tous ceux qui auront lu, mais à tous ceux qui auront cru.

 

 

Vie de sainte Mélanie (trad. D. Gorce)

T 19 - 1  Ce fut donc cette bienheureuse Mélanie qui, la première du Sénat romain, éprise du Christ depuis sa jeunesse et blessée de l'amour divin, s'éprit de la chasteté corporelle. Ses parents qui, membres distingués du Sénat romain, espéraient assurer par elle la continuation de leur famille, l'unissent à toute force en mariage à son bienheureux époux le consulaire Pinien, alors qu'elle était dans sa quatorzième année, son conjoint en ayant environ dix-sept. Mais, ayant fait l'expérience du mariage et fini de prendre le monde en haine, elle exhortait son mari de façon pathétique, lui adressant ces paroles : « Si tu veux, mon seigneur, pratiquer avec moi la chasteté et cohabiter avec moi sous la loi de la continence, je te reconnais pour seigneur et maître de ma propre vie ; mais si cela te semble trop lourd, si tu ne peux supporter l'ardeur de la jeunesse, voici tous mes biens à tes pieds pour en user en maître désormais à ton gré. Affranchis seulement mon corps, pour qu'avec mon âme je le présente sans tache au Christ au Jour redoutable.» Mais il n'acquiesça pas dès le début à sa proposition, sans d'ailleurs la détourner complètement de son projet ; il lui répondit en ces termes : « Lorsque, par la volonté du Seigneur, nous aurons deux enfants pour nous succéder dans nos biens, alors, tous les deux de concert, nous renoncerons au monde.»  Et voici que, selon le dessein de la Providence, leur naît une fille, qu'aussitôt ils consacrèrent à Dieu pour l'état de virginité.

 

T 20 - 6  Au même moment meurt aussi leur fille vouée à la virginité. De la sorte, désormais, brûlant l'un et l'autre de tenir leurs promesses envers Dieu et n'en obtenant pas la permission de leurs parents, ils furent affligés au point de refuser de prendre de la nourriture si ceux-ci, d'accord avec eux, n'acceptaient de les voir partir, pour renoncer  aux vanités et à la mondanité de leurs parures et adopter des sentiments angéliques et célestes. Mais leurs parents, redoutant les reproches des hommes, n'acquiesçaient toujours pas au désir de leurs enfants. Ceux-ci, en ayant beaucoup de peine, étant donné qu'ils ne pouvaient à cause de la résistance de leurs parents prendre librement le joug du Christ, délibéraient entre eux de s'éloigner et de fuir la ville. Tandis qu'ils y songeaient, ainsi que le racontait la bienheureuse pour notre édification, tout d'un coup, le soir venu, une sorte de parfum céleste survint soudain et changea en joie indicible la tristesse qui le accablait. Rendant grâce à Dieu, ils s'enhardirent contre les embûches de leurs ennemis.

 

T 21 - 11 Comme il nous a paru très avantageux de rapporter quelques détails de leur visite [à l'impératrice Séréna], détails qu'elle relatait très souvent pour notre édification, je les écrirai à mon tour, avec la plus grande exactitude, pour l'utilité de ceux qui me lisent. Comme beaucoup, nous confia-t-elle, disaient qu'il lui fallait, selon l'habitude en vigueur  Rome chez les personnes de rang sénatorial, avoir, au cours de la visite, la tête découverte, elle affirma avec une noble fierté qu'elle ne changerait pas d'habits - à cause de ce qui est écrit : « J'ai revêtu mes habits ; comment les ôterais-je? » - et qu'elle ne découvrirait pas non plus la tête - en raison de l'Apôtre qui dit : « Il ne faut pas que la femme prie sans avoir la tête couverte ».

 

T 22 - 19 Au reste, s'étant défaits hardiment, comme nous l'avons dit, de ce qui restait de leurs biens à Rome, ils vinrent en aide, pour ainsi dire, au monde entier. Quelle est en effet la ville, quel est le pays qui n'a eu sa part de leurs immenses bienfaits ? Parlons-nous de la Mésopotamie et du reste de la Syrie, de la Palestine entière, des contrées de l'Égypte et de la Pentapole ? Bref, tout l'Occident et tout l'Orient ont eu leur part de leurs immenses bienfaits ! Moi-même, par exemple, ayant fait le voyage de Constantinople, j'ai entendu de nombreux vieillards rendre grâce aux saints, tout particulièrement le seigneur Tigrios, le prêtre de Constantinople. S'étant rendus acquéreurs de nombreuses îles, ils en gratifièrent de saints personnages; de même, ayant acheté aussi des monastères de moines et de vierges, ils en firent don à ceux qui les habitaient, fournissant à chaque endroit la somme d'or suffisante. Ils donnèrent au surplus pour les autels des églises et des monastères tous leurs vêtements de soie qui étaient nombreux et de grande valeur, et mettant en pièces l'argenterie qu'ils possédaient en grande quantité, ils en firent, pour Dieu, des autels, des joyaux d'église et nombre d'autres offrandes. Ayant vendu leurs propriétés de Rome, d'Italie, d'Espagne et de Campanie, ils firent voile vers l'Afrique.

 

T 23 - 20 Ainsi, partant de là, ils firent voile vers l'Afrique, comme nous l'avons dit. Arrivés là-bas, ils vendirent aussitôt les biens qu'ils possédaient en Numidie, en Maurétanie et en Afrique même, et disposèrent de cet argent en partie pour le service des pauvres, en partie pour le rachat des prisonniers. Dispersant ainsi sans compter, ils se réjouissaient dans le Seigneur et ils étaient heureux, réalisant effectivement ce qui est écrit : « Il a dispersé, il a donné aux pauvres ; sa justice demeure dans les siècles des siècles ». Les bienheureux ayant décidé de vendre tous leurs biens, les très saints et éminents évêques d'Afrique, c'est-à-dire le bienheureux Augustin, son frère Alypius et Aurélius de Carthage, leur donnèrent le conseil suivant : « L'argent que vous distribuez maintenant aux monastères sera dépensé en peu de temps. Mais, si vous voulez laisser une mémoire ineffaçable au Ciel et sur la terre, faites don à chaque monastère d'un local et d'un revenu ». Accueillant pleinement l'excellent avis des saints, ils agirent selon leurs conseils. Eux-mêmes désormais s'avançant vers la perfection, s'efforçaient de s'accoutumer à la pauvreté totale, dans le logement comme dans le régime.

 

T 24 - 50  Voici que l'accaparent à l'improviste d'autres combats dépassant les précédents labeurs. A peine commençait-elle à respirer un peu, ayant achevé le monastère, que lui arrive une lettre de son oncle Volusien, ex-préfet de la grande Rome, disant que celui-ci venait à Constantinople en ambassade près de la très pieuse impératrice Eudoxie qui avait été accordée en mariage à notre très chrétien empereur Valentinien. La voilà prise du désir de voir son oncle. Aiguillonnée par la grâce d'en-haut, elle avait grande envie de le faire pour sauver son âme à force de peine. En effet, il restait encore païen.

 

T 25 - 54  Le diable venait tout juste, par le moyen de la doctrine infecte de Nestorius, de jeter le trouble dans les âmes des simples. Aussi beaucoup de femmes de sénateurs, et d'autres personnages des plus brillants par la culture, venaient chez notre sainte mère, discuter avec elle de la foi orthodoxe. Et celle-ci, en qui habitait l'Esprit-Saint, ne cessait du matin au soir de parler théologie, ramenant beaucoup d'égarés à la foi orthodoxe, en soutenant d'autres qui doutaient, aidant, en un mot, par son enseignement inspiré de Dieu, tous ceux qui venaient la trouver.

 

T 26 - 56  Étant restée à Constantinople jusqu'à ce qu'elle eût fait son service de quarantaine [après le décès de son oncle] , elle fut d'un profit extraordinaire pour tous les habitants, spécialement pour les impératrices amies du Christ. Elle édifia aussi le très pieux empereur Théodose [II]. Elle l'exhorta à laisser partir son épouse qui avait le désir de vénérer le Lieux Saints, et nous partîmes de là-bas en février [437]. A ce moment, l'hiver était si violent que les évêques de Galatie et de Cappadoce nous affirmaient n'avoir jamais vu un tel hiver. Et nous, couverts de neige toute la journée, nous allions notre chemin sans relâche, ne voyant ni terre ni montagne, sauf les hôtelleries dans lesquelles nous logions le soir. Quant à elle, comme l'acier, elle ne se relâchait absolument pas de son jeûne, disant : «Il est plus que jamais nécessaire de peiner et de rendre grâce à Dieu, le maître de toutes choses, pour les grandes merveilles qu'il a accomplies avec moi.»

 


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[ 11 janvier 2010 ]


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