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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS
L'auteur
Sulpice Sévère est né dans une grande famille d'Aquitaine sous le règne de Julien. Il fait des études de droit à Bordeaux, devient un brillant avocat, se marie. Vers 390, il se convertit au christianisme et se rend plusieurs fois à Tours pour rencontrer son maître spirituel, le futur Saint Martin. Il est aussi l'ami intime de Paulin de Nole. Devenu veuf, Sulpice vend ses biens et fonde à Primuliacum, près de Toulouse, une sorte de monastère où il se retire avec quelques compagnons. La petite communauté y mène une vie ascétique et Sulpice écrit, d'abord une Vie de Martin, puis une Chronique universelle. On ne sait rien des dernières années de notre auteur.
La Chronique
L'uvre est très ambitieuse (T 1). Sulpice veut raconter toute l'histoire de l'humanité, de la Création à la mort de Priscillien en 385, mais sous la forme d'un résumé, en deux livres, un "bréviaire", genre littéraire très commun dans l'antiquité tardive. Sulpice négligera donc les détails (T 4) et s'intéresse surtout à l'histoire juive et chrétienne : les peuples païens ne sont là qu'à titre accessoire. L'histoire chrétienne elle-même n'occupe qu'une faible partie de l'ouvrage: Sulpice, qui se refuse à parler de la vie de Jésus et des premières années de l'Eglise (T 9), concentre son attention sur l'hérésie arienne et sur celle de Priscillien. Cela ne fait qu'une bonne vingtaine de chapitres à la fin du livre II ; le gros du travail est un résumé de l'Ancien Testament.
La source principale est donc la Bible, plus précisément les textes historiques (T 3) ; les livres prophétiques, sapientiaux, poétiques n'ont guère d'intérêt pour le chroniqueur. Celui-ci, fin lettré, connaît aussi des auteurs profanes (T 7) : assez curieusement, il semble ignorer les Antiquités judaïques de Flave-Josèphe mais il cite Virgile et exploite des historiens comme Trogue-Pompée/Justin, Tacite, Salluste. On a remarqué, par exemple, que le portrait qu'il fait de Priscillien ressemble fort à celui de Catilina. Cette connaissance des auteurs latins nous vaut parfois de curieuses descriptions, comme cette organisation par Moïse du peuple juif en unités dirigées par des tribuns, des centurions et des décurions (T 2) !
Sulpice Sévère ne se contente pas de résumer l'histoire juive et chrétienne. Il est aussi très soucieux de chronologie et prétend dater les événements qu'il rapporte, ce qui ne va pas toujours sans difficultés. On le voit alors discuter avec beaucoup de rigueur (T 6, 7, 8). Enfin, il lui arrive de réagir devant les faits qu'il raconte. L'historien est aussi un moraliste, condamnant le comportement de certains évêques de son temps trop attirés par les biens matériels (T 4), approuvant la pauvreté de quelques autres (T 10). Le dernier texte (11) nous montre aussi un auteur engagé qui, s'il ne soutient pas les hérétiques, n'apprécie pas non plus la violence et l'acharnement de certains défenseurs de l'orthodoxie.
En dépit de ses qualités, la Chronique de Sulpice Sévère n'a guère rencontré le succès: elle n'est connue que par un seul manuscrit. L'auteur a obtenu une bien plus large audience avec sa Vita Martini, dont il sera question dans le dossier consacré à l'hagiographie.
Voir aussi Introduction à l'historiographie chrétienne.
Bibliographie Texte
- Sulpice Sévère, Chroniques, éd., trad. G. de Senneville-Grave, Paris, 1999 (Sources chrétiennes, 441).
Études
- Bertrand D., Chronologie et exégèse chez Sulpice Sévère, dans B. Pouderon - Y.-M. Duval (Dir .), L'historiographie de l'Église des premiers siècles, Paris, 2001, p.451-467.
- Ghizzoni F., Sulpicio Severo, Rome, 1983.
- Inglebert H., Les Romains chrétiens face à l'histoire de Rome, Paris, 1996 [Livre VI: La Chronique de Sulpice Sévère].
Textes choisis T 1 - Chroniques (trad. G. de Senneville-Grave) Préface, 1-2
L'histoire rapportée par les Saintes Écritures depuis la création du monde, j'ai entrepris de la ressaisir de façon concise et, en précisant la datation, d'en donner un récit abrégé jusqu'à nos jours, car beaucoup, et avec insistance, me le réclamaient, qui avaient hâte, grâce à un résumé, de connaître les actions divines. Et moi, cédant à leur vu, je n'ai pas épargné ma peine pour que tout ce qui était exposé en détail dans de bien nombreux volumes fût renfermé par moi en deux petits livres: mais la concision que j'ai visée est telle que je n'ai rien soustrait, ou presque, à l'histoire.
Il ne m'a pas semblé absurde, après avoir parcouru les événements rapportés par l'histoire sainte jusqu'à la crucifixion du Christ et à l'uvre des apôtres, d'y rattacher aussi ce qui a suivi : je parlerai de la destruction de Jérusalem, des persécutions contre le peuple chrétien, puis des temps de paix et à nouveau du bouleversement général né de l'intérieur des Églises pour leur perte. Du reste, je n'aurai pas de peine à l'avouer, je me suis servi, partout où la nécessité m'y a obligé, des historiens profanes pour distinguer les époques et suivre la succession des faits, et je leur ai emprunté ce qui manquait pour parfaire la connaissance de l'histoire : ainsi, tout à la fois, j'instruirais les ignorants et je convaincrais les lettrés.
T 2 - I, 16, 2 Sur le conseil de son beau-père [Jothor], Moïse organisa la répartition du peuple : il mit à sa tête des tribuns, des centurions et des décurions, et il transmit aux générations futures les règles indispensables au bon ordre. Puis Jothor repartit dans son pays. De là, on parvint au mont SinaÏ.
T 3 - I, 19, 1 Ensuite vient le Lévitique dans lequel est réglée la bonne manière de sacrifier ; y sont ajoutées également à la Loi promulguée antérieurement d'autres dispositions ayant toutes trait à l'institution sacerdotale. Si quelqu'un veut en prendre connaissance, il les aura là avec plus d'exactitude. En effet, quant à nous qui conservons à l'ouvrage entrepris sa dimension, nous ne nous attachons qu'à l'histoire.
T 4 - I, 22, 2 Mais, parce que notre intention n'a pas été de détailler ces événements dans l'ordre, nous appliquant à la brièveté, nous avons tenu à ce que soit tout juste signalé le fait que vingt-neuf royaumes furent soumis au pouvoir des Hébreux [sous Josué]. Leurs terres furent distribuées à chacune des onze tribus. En effet, les Lévites étant réservés pour le sacerdoce, aucune part ne leur fut donnée pour qu'ils servent Dieu plus librement. Non, je ne saurais, en me taisant, laisser cet exemple, et je le proposerais volontiers à lire aux ministres de nos églises. Car ils me paraissent non seulement avoir oublié cette prescription, mais encore l'ignorer. Si grande est à notre époque la cupidité qui a envahi leur cur comme une vraie gangrène: ils éprouvent une voracité de possession, mettent tous leurs soins dans leurs domaines, couvent leur or, achètent, vendent et s'affairent au profit par tous les moyens. Et si quelques-uns semblent être mieux intentionnés et ne sont ni possédants ni négociants, les voilà - ce qui est beaucoup plus scandaleux - siégeant à attendre des cadeaux, et en se faisant payer, ils plongent leur vie dans la corruption, faisant parade, si je puis dire, d'une sainteté vénale. Mais je me suis écarté plus que je ne voulais, tant note époque me fait honte et me dégoûte. Je reviens à mon dessein.
T 5 - I, 27, 3 Simmichar lui succéda [à Samson] ; l'Écriture n'a rien développé à son sujet. En effet, je n'ai pas retrouvé le terme de son commandement et je découvre que le peuple est resté sans chef. C'est ainsi que, lors de la guerre civile contre la tribu de Benjamin, Juda fut pris pour chef de guerre à titre temporaire. Mais beaucoup de ceux qui ont écrit sur ces époques lui ont attribué un an de commandement. Beaucoup l'ont négligé et ont placé immédiatement après Samson le prêtre Héli. Quant à nous, nous laisserons la chose sans en décider, car elle est encore trop peu avérée.
T 6 - I, 39, 1 Assuré de ses ressources, il [Salomon] entreprit de faire pour Dieu un temple d'énorme dimension, et, après avoir réuni pendant trois ans les crédits nécessaires, il en jeta les premières fondations à peu près la quatrième année de son règne, environ cinq cent quatre-vingt-huit ans après la sortie des Hébreux hors d'Égypte quoiqu'au troisième Livre des Rois soit donné le chiffre de quatre cent quarante ans. Mais cela ne convient nullement, car, en établissant là-dessus la chronologie, j'ai pu plus aisément pécher par défaut que par excès en mes calculs. Mais je ne doute pas que la vérité ait été altérée par la négligence des copistes, surtout à travers tant de siècles, plutôt que par une erreur du prophète. De même, nous croyons qu'il en sera ainsi pour ce petit livre aussi qui est le nôtre : car ce que nous avons composé non sans quelque soin sera corrompu par la négligence des scribes.
T 7 - II, 9, 3 Quatre ans avant de décéder, il [Darius] livra bataille à Marathon au cours de ce combat si souvent relaté dans les histoires grecques et romaines. Cela se passa environ deux cent soixante ans après la fondation de Rome, sous le consulat de Macerinus et d'Augurinus, il y a de cela huit cent quatre-vingt-huit ans, pour autant que le décompte des consuls romains ne m'ait pas trompé : en effet, j'ai aligné toutes les dates sur le consulat de Stilichon [a.400].
T 8 - II, 19, 1-2 Mais, afin que l'ordre des temps se suive bien et qu'il apparaisse plus clairement qui fut cet Antiochus, nous énumérerons les noms et les dates des rois de Syrie postérieurs à Alexandre. A la mort du roi Alexandre, comme nous l'avons rapporté plus haut, tout son royaume fut divisé par ses amis, et gouverné pendant quelque temps sous une royauté nominale. Séleucus [Ier Nicator], après neuf ans, reçut le titre de roi en Syrie et il régna trente-deux ans. Après lui, Antiochus [Ier], son fils, régna dix-neuf ans. Puis Antiochus II, fils d'Antiochus, surnommé aussi Theos, quinze ans. Après lui, Séleucus [II] son fils, surnommé Callinicus, vingt et un ans. De même, Séleucus [III Sôter], fils de Callinicus, trois ans. A sa mort, Antiochus [III], son frère, détint l'Asie et la Syrie pendant trente-sept ans. Cet Antiochus [le Grand] est celui contre qui combattit Lucius Scipion l'Asiatique : il fut vaincu pendant cette guerre et dépouillé d'une partie de son royaume. Il eut deux fils, Séleucus [IV Philopator] et Antiochus [IV Epiphane] : il avait livré ce dernier en otage aux Romains Celui-ci [Antiochus, libéré par les Romains], cinq ans après avoir commencé à régner [à la mort de son frère Séleucus], comme nous l'avons expliqué plus haut, ravagea Jérusalem.
T 9 - II, 27, 2 Mais ce que contiennent les Évangiles et, à la suite, les Actes des apôtres, je n'ai pas osé y toucher, de peur que le style d'un court ouvrage n'amoindrît la majesté du sujet et je m'attacherai au reste des événements
T 10 - II, 41, 1-2 On dépêcha ainsi en Illyricum, en Italie, en Afrique, dans les Espagnes et les Gaules les agents du maître des offices ; bon gré, ou mal gré, quatre cent évêques occidentaux et même un peu plus se retrouvèrent à Rimini [a. 359]. L'empereur avait pourvu à ce qu'on leur assurât à tous le couvert et le gîte. Mais les nôtres, c'est-à-dire les Aquitains, les Gaulois et les Bretons, jugèrent ce secours inconvenant; ils refusèrent l'aide du trésor public et préférèrent subsister à leurs propres frais. Trois seulement parmi les Bretons, par manque de biens propres, usèrent des biens de l'État; ils repoussèrent les sommes collectées que les autres leur offraient, estimant plus saint de grever le trésor que des particuliers. Quant à moi, j'ai entendu dire que Gavidius, notre évêque, chaque fois qu'il rappelait ce comportement, se montrait plutôt sévère, mais je serais personnellement d'un tout autre avis, et je considère comme louable que des évêques aient été si pauvres qu'ils ne possédaient rien en propre et qu'ils préféraient toucher une aide du trésor plutôt que des autres, ne grevant ainsi personne; de toute façon, c'est un bel exemple pour les uns et les autres.
T 11 - II, 50, 1 Ainsi, tous ceux qui avaient été entraînés dans l'affaire comparurent devant le souverain [Maxime]. Les suivirent aussi, comme accusateurs, les évêques Hydace et Ithace, dont je ne blâmerais pas la passion de venir à bout des hérétiques, s'ils n'eussent combattu avec plus de passion de vaincre que nécessaire. Mais pour dire le fond de ma pensée, accusés et accusateurs se partagent mon antipathie ; en tout cas, j'affirme nettement qu'Ithace était un homme sans valeur morale ni religieuse : effronté, bavard, cynique, dépensier, extrêmement porté aux plaisirs du ventre et du gosier. Il en était venu à un tel point de sottise qu'il intentait des accusations à tout le monde comme partisan ou disciple de Priscillien, même de saints hommes qui avaient le goût de lire l'Écriture ou le propos de rivaliser en jeûnes. Ce misérable osa même en cette occasion imputer publiquement à l'évêque Martin, un homme en tout comparable aux apôtres, la honte de l'hérésie.
Les commentaires éventuels peuvent être envoyés à Jean-Marie Hannick[ 21 avril 2009 ]
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