[ BCS ]  [ BCS-BOR ]  [ BCS-PUB ] [Encyclopédie de l'histoire : Introduction ]

MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


Historiographie gréco-romaine

 

 APPIEN d'ALEXANDRIE (IIe siècle p.C.)

 

Textes rassemblés et présentés par Jean-Marie HANNICK

Professeur émérite de l'Université de Louvain


L'auteur

    On ne sait pas grand-chose de la vie d'Appien. Nos informations à son sujet se limitent à ce qu'il dit de lui-même à la fin de la préface de l'Histoire romaine (T 3), à l'une ou l'autre allusion dans le cours de l'œuvre et au témoignage de son ami Fronton. Appien avait rédigé son autobiographie mais ce texte ne nous est pas parvenu.

    Appien est né à Alexandrie, sans doute à la fin du Ier siècle, sous le règne de Domitien. Il a atteint, dit-il, une place de premier rang dans sa patrie : ἑς τὰ πρῶτα ἥκων ἐν τῇ πατρἱδι (Préface, 15). Il est ensuite arrivé à Rome, probablement à l'époque d'Hadrien, y devient avocat (advocatus fisci ?), et se lie d'amitié avec l'orateur Fronton. On a conservé une lettre de dernier, adressée à Antonin le Pieux, dans laquelle il demande pour Appien, dignitatis suae in senectute ornandae causa, un titre de procurateur (Fronton, Correspondance, éd., trad. P. Fleury, Paris, 2003, p. 270-273). C'est à cette époque, semble-t-il, lorsqu'il est donc assez âgé, qu'Appien compose son Histoire romaine. On ne connaît pas la date de sa mort.

L'œuvre

    Appien est l'auteur d'une vaste histoire romaine (Ῥωμαϊκὴ ἱστορία : cf. Préface, 1), en vingt-quatre livres, qui allait des origines à l'époque de Trajan. Une bonne partie de cette œuvre est perdue. Ne subsistent, outre la Préface, que les livres VI-IX et XI-XVII, auxquels s'ajoutent un certain nombre de fragments.

    Le trait le plus original de cet ouvrage est son plan. Appien n'apprécie pas la méthode de ses prédécesseurs qui adoptent un ordre chronologique et passent en revue, année par année, les événements qui se sont produits ici et là (T 1). C'était, rappelons-le, la méthode utilisée par Polybe (T 6) pour les années 217 et suivantes mais Appien refuse d'être constamment ballotté d'un pays à l'autre. Il va donc traiter chaque pays en particulier, raconter l'histoire de ses relations avec Rome dans la diachronie, avant de passer à une autre région. Il mène ainsi son lecteur de la Sicile (livre V) à l'Espagne (livre VI), puis à l'Afrique du nord (livre VIII), à la Macédoine (livre IX ) etc. C'est la présentation κατ' ἔθνος (T 2), mais cette méthode n'est pas sans inconvénient. Elle oblige l'auteur à fragmenter des ensembles pourtant bien cohérents, les guerres Puniques, par exemple : la première était racontée dans le livre V, perdu, consacré à la Sicile ; les débuts de la seconde, en Espagne, se lisent au livre VI (T 4) ; la guerre d'Hannibal en Italie fait l'objet du livre VII (T 7), tandis que la troisième guerre Punique, avec la chute de Carthage, appartient au livre VIII ('T 12). D'autre part, Appien doit bien admettre que cet ordre géographique n'est pas toujours applicable. Il ne convient pas, par exemple, à la guerre de Mithridate qui a touché quasi tout le bassin méditerranéen : « il n'était pas possible d'en diviser la matière peuple par peuple, attendu que les événements furent simultanés et imbriqués les uns dans les autres » (XII, 119, 589 = fin de la Préface dans l'édition P. Goukowsky). L'ordre géographique fait également difficulté pour la guerre de Pompée contre les pirates. Où fallait-il placer le récit de cette campagne ? Faute de mieux, Appien l'intègre au livre consacré à Mithridate (T 21).

    Selon le savant éditeur d'Appien dans la C.U.F., il est impropre de parler à son sujet de « méthode historique » ; P. Goukowsky préfère l'expression « pratique historiographique ». Quoi qu'il en soit, la façon de travailler d'Appien est difficile à analyser. Il faudrait d'abord connaître les sources qu'il a utilisées et les raisons qui l'ont poussé à choisir celle-ci plutôt que celle-là. Or il ne les cite que très exceptionnellement. A propos de la guerre de Numance apparaît le nom de Rutilius Rufus, qu'Appien ne présente d'ailleurs pas de manière explicite comme son informateur (T 5) ; ailleurs, il dit avoir consulté les Mémoires d'Auguste (T 15), avoir lu Hiéronyme de Cardie (XII, 8, 25) et Scribonius Libon (XV, 77, 315). On pourrait sans doute ajouter quelques noms à cette maigre liste et faire des hypothèses sur les auteurs qu'Appien aurait pu consulter sans les nommer : la nature de sa documentation n'en reste pas moins très mystérieuse. Ce qui en revanche paraît assez clair, c'est qu'il s'informe souvent de plusieurs côtés (T 19, 26 ; cf. XI, 64, 340-341 à propos des funérailles de Lysimaque ; XIII, 20, 83-84 : versions diverses de la mort de Scipion Emilien...), sans se croire obligé, d'ailleurs, de choisir une version plutôt qu'une autre. On ne trouve donc pas de traces, dans l'Histoire romaine, d'une véritable critique des sources. Appien a certainement cherché à s'informer avec sérieux (T 14, 15), il peut considérer une version comme peu vraisemblable (T 26), manifester des doutes à propos d'un détail vestimentaire dans la description du triomphe de Pompée (XII, 117, 577). Sa « pratique historiographique » ne va guère au-delà. On comprend dès lors qu'Appien puisse raconter, par exemple, que dans une bataille contre les esclaves révoltés, les troupes de Crassus aient pu massacrer six mille hommes de Spartacus le matin, et autant le soir, avec, de leur côté, des pertes insignifiantes, trois tués et sept blessés (XIII, 118, 552) !

    Une autre faiblesse d'Appien, d'ailleurs avouée (T 2), est son peu de souci pour la chronologie. Des expressions comme οὐ πολὺ δὲ ὕστερον, χρόνῳ δ' ὕστερον, ἔτεσιν δὲ οὐ πολλοῖς ὕστερον ne sont pas rares sous sa plume et ses dates par olympiades sont souvent approximatives (VI, 42, 171), quand elles ne sont pas erronées (T 13).

    Appien a bien défini le but qu'il poursuivait en entamant son Histoire romaine : mesurer la valeur (ἀρετή) des Romains face aux différents peuples qu'ils avaient subjugués (T 1). Il n'est donc pas étonnant que son récit porte essentiellement sur les aspects politiques et militaires de l'histoire de Rome, une perspective assez conventionnelle. Il est assez habituel aussi, chez les historiens anciens, d'expliquer les événements par une intervention divine (T 8, 9, 10, 16), de noter les prodiges qui annoncent les malheurs à venir (T 24 ; XIII, 110, 513). Comme dans la tragédie classique, les héros d'Appien sont souvent victimes de la colère ou de la malveillance des dieux. C'est le cas de Cicéron (T 25), d'Antiochus III (XI, 28, 139-141), de Sertorius (XIII, 113, 526), d'Antoine (XV, 72, 296). Appien, qui fut avocat et qui était l'ami de Fronton, respecte évidemment la tradition consistant à agrémenter le récit par des discours, d'Hannibal (XI, 14, 54 - 58), de Sylla (XII, 57, 230 - 58, 239 ; 62, 253 - 260), d'Octave (XV, 15, 51 - 17, 64), d'Antoine (XV, 18, 66 - 20, 76 ; 33, 128 - 38, 155), de Cicéron (XV, 52, 213 - 220). Et par des portraits (T 10).

    L'œuvre d'Appien présente toutefois certains aspects moins traditionnels. Contrairement à la plupart des historiens grecs et latins, Appien prête une grande attention aux phénomènes économiques et sociaux, du moins dans les livres consacrés aux guerres civiles (T 23). Il manifeste également un souci constant d'expliquer, à son public grec, les particularités des institutions romaines, la dictature (T 8), la technique législative (T 11), le proconsulat italien (T 22), le triomphe des généraux vainqueurs (VIII, 66), l'anneau d'or des chevaliers (VIII, 104, 493), les faisceaux consulaires et prétoriens (XI, 15, 63). Il est clair que notre historien se veut aussi pédagogue. Un pédagogue qui n'hésite pas à insérer des commentaires personnels dans son récit, comme cette condamnation des philosophes qui se mêlent de politique (T 20). Ailleurs, c'est la conduite intempestive du consul M. Aemilius Lepidus lors du siège de Numance qui lui inspire cette réflexion : « C'était en effet pour la gloire, le profit ou les honneurs du triomphe que certains partaient exercer des commandements, et non pour le bien de la Cité » (VI, 80, 349). Quant à l'abdication de Sylla, Appien ne peut s'empêcher de dire son étonnement : le dictateur a été le premier et le seul à abandonner le pouvoir sans y être forcé, et à avoir posé ce geste en faveur du peuple, c'est-à-dire de ceux qui avaient été les victimes de son régime. Une décision absurde, déraisonnable ! Comment Sylla n'a-t-il pas craint la vengeance de ses anciens sujets ? Pour Appien, c'est qu'il était dégoûté de la guerre, du pouvoir, de la Ville, et qu'il n'avait plus qu'un désir, vivre à la campagne (XIII, 103, 481 - 104, 490).

Réception

L'Histoire romaine d'Appien a survécu, intacte, jusqu'à la fin du IXe siècle : le patriarche de Constantinople Photius en possédait encore un exemplaire complet. Mais lorsqu'elle réapparaît en Occident au XVe siècle, l'œuvre est gravement amputée: plus de la moitié a disparu. Elle intéresse pourtant le pape Nicolas V qui confie à son secrétaire Pier Candido Decembrio le soin de la traduire en latin. C'est sous cette forme qu'Appien se fait d'abord connaître dans le public lettré ; le texte grec ne sera en effet édité qu'environ un siècle plus tard. Entretemps, le travail de Decembrio a été imprimé, dans les années 1470, et va donner naissance à de nouvelles traductions, d'abord en italien, puis en français par Claude de Seyssel, un éminent collaborateur du roi Louis XII. Notons au passage que Seyssel n'est pas qu'un simple traducteur de l'Histoire romaine, il s'intéresse aux idées politiques qu'elle véhicule, en particulier dans les livres consacrés aux guerres civiles. IL s'agit pour lui d'instruire Louis XII sur la façon de bien gérer les affaires du royaume. Quelques années plus tard (1515), Seyssel reviendra sur ce sujet, et utilisera donc de nouveau Appien, dans son œuvre majeure, dédiée à François Ier, La Grant Monarchie de France.

    Au milieu du XVIe siècle paraît enfin le texte grec de l'Histoire romaine d'Appien par les soins, d'abord, de Ch. Estienne (1551), puis de son neveu Henri (1557 ; 2e éd. 1592).

    La réputation d'Appien n'est pourtant pas très flatteuse. Dans son Histoire des Histoires (1599), La Popelinière, s'appuyant sur l'autorité de Casaubon, lui consacre cette brève notice : « Appian Alexandrin Sophiste, dressa vingt-deux livres de l'Histoire Romaine... Plusieurs n'en font grand estat, pource qu'il n'a presque rien de propre dit Casab. en Suet. Et qu'on peut trouver tout ce qu'il traite, aussi bien et mieux representé par les autres Autheurs » (L'Histoire des Histoires, éd. Ph. Desan, t. 1, Paris, 1989, p. 281). Quelques années plus tard, Scaliger lui reproche la faiblesse de sa chronologie et l'accuse même de plagiat (cf. P. Goukowsky, Appien, Histoire romaine, t. VII, p. CLXXI). Appien sera longtemps considéré par les spécialistes comme un historien médiocre, ce qui ne l'empêchera pas d'être lu, et apprécié, par des lecteurs de qualité. On voit ainsi Corneille et Racine tirer de son œuvre la matière de Rodogune et de Mithridate, Montesquieu renvoyer à Appien ceux qui voudraient s'informer « des horreurs des guerres de Marius et de Sylla » (Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, ch. XI). Plus surprenant, Marx lui-même lisait Appien et le cite dans le Capital (cf. É. Famerie, Appien, ses traducteurs français et Marx, p. 98) : il s'agit évidemment ici des livres XIII-XVII de l'Histoire Romaine consacrés aux guerres civiles, des livres plusieurs fois cités également dans le Traité de sociologie générale de Pareto (1916).

 

 

Bibliographie

Texte et/ou traduction

Histoire romaine, éd., trad. P. Goukowsky - D. Gaillard e.a., 8 vol. parus, Paris, 1997-2011 (C.U.F.) : amples et solides introductions, abondantes notes explicatives.

Les guerres civiles, Livres I - II, trad. J.-J. Combes-Dounous [1758-1820], éd. C. Voisin - Ph. Torrens, Paris, 1993-1994 ; Livres III-IV, trad. Ph. Torrens, 2000-2008 (La Roue à Livres).

Appian's Roman History, trad. H. White, 4 vol., Londres - New York, 1912-1913 (Loeb Classical Library).

Études

‒ Brodersen K., Arrian und sein Werk, dans ANRW, 34.1, Berlin - New Yotk, 1993, p. 339-363.

‒ Bucher G.S., The Origin, Program and Composition of Appian's Roman History, dans TAPhA, 130, 2000, p. 411-458.

‒ Famerie É., Le latin et le grec d'Appien. Contribution à l'étude du lexique d'un historien grec de Rome, Genève, 1998 (École pratique des Hautes Études - IVe Section. Hautes Études du Monde Gréco-romain, 24)

‒ Gabba E., Appiano e la storia delle guerre civile, Florence, 1956 (Biblioteca di cultura, 59).

Réception

‒ Famerie É., Appien, ses traducteurs français et Marx, dans Acta classica Universitatis Scientiarum Debreceniensis, 26, 1990, p. 91-99.

‒ Glaesener H., Les points de départ historiques de "Rodogune", dans Revue belge de philologie et d'histoire, 29, 1951, p. 367-387.

‒ Torrens Ph., Claude de Seyssel traducteur des historiens antiques, dans Eichel-Lojkine P. (éd.), Claude de Seyssel. Écrire l'histoire, penser le politique en France à l'aube des temps modernes, Rennes, 2010, p. 183 et sv.

 

 

Textes choisis

T 1 - Histoire romaine, Préface, 12  Ces événements ont été racontés par beaucoup d'auteurs, tant grecs que latins, et l'histoire en est bien plus longue que celle de la Macédoine, pourtant la plus longue des temps anciens. Mais, à la lecture de ces ouvrages, et alors que je voulais voir la valeur éminente des Romains face à chacun de ces peuples en particulier, souvent, le récit m'a entraîné de Carthage en Espagne, et d'Espagne en Sicile ou en Macédoine, ou dans des ambassades envoyées à d'autres peuples, ou dans des alliances avec l'étranger ; ensuite, le récit me ramenait, comme un vagabond, à Carthage ou en Sicile, puis revenait en arrière alors que la matière n'était pas encore épuisée. Finalement, j'ai rassemblé moi-même ces morceaux, énumérant les campagnes et les ambassades romaines en Sicile et ce qu'il y ont fait jusqu'à ce qu'il l'aient établie dans sa situation d'aujourd'hui ; énumérant les guerres des Romains contre les Carthaginois, les traités conclus, les ambassades envoyées ou venues de là-bas, ce que les Romains ont fait subir ou ont  subi jusqu'à ce qu'ils aient détruit Carthage et soumis le peuple libyen, pour ensuite reconstruire la ville et donner à la Libye son statut actuel. Et cela, je l'ai fait pour tous les autres peuples. Je voulais analyser l'attitude des Romains à l'égard de chacun d'eux pour m'informer sur la faiblesse ou la résistance de ces peuples, le mérite ou la chance de leurs chefs victorieux, ou sur tout autre événement qui aurait pu s'être produit.

T 2 - Préface, 13  Pensant que les uns et les autres voudront apprendre l'histoire des Romains de cette manière, je la raconte donc peuple par peuple (κατ' ἔθνος) ; je passe sur ce qui s'est produit chez d'autres pendant ce temps, pour le dire au moment voulu. J'ai trouvé inutile de fixer les dates de tous les événements : je les indiquerai de temps en temps pour les faits les plus importants.

T 3 - Préface, 15  Qui suis-je, moi l'auteur de ce livre ? Beaucoup le savent et je l'ai déjà dit moi-même. Pour être plus clair, je suis Appien d'Alexandrie ; je comptais parmi les notables dans ma patrie et j'ai plaidé dans des procès, à Rome, devant les empereurs jusqu'à ce qu'ils m'aient jugé digne d'être leur procurateur. Si quelqu'un veut absolument en savoir davantage, il existe un texte de moi sur ce sujet.

T 4 - Livre VI, L'Ibérique, (trad. P. Goukowsky), 3, 11-12  Comment ils [les Romains] s'emparèrent de chacune de ces provinces et comment ils guerroyèrent à leur propos contre les Carthaginois puis, après les Carthaginois, contre les Ibères et les Celtibères, c'est ce que montrera le présent livre, dont la première partie est consacrée aux Carthaginois. Comme il s'agissait là d'événements ayant trait à l'Ibérie, je me suis trouvé dans l'obligation de les regrouper dans le livre De l'Ibérie, pour la même raison qui m'avait fait regrouper dans le livre De la Sicile les démêlés entre Romains et Carthaginois à propos de la Sicile, qui marquèrent l'entrée des Romains en Sicile et le début de leur domination sur celle-ci.

T 5 - VI, 88, 382  Scipion [Emilien] ordonna à Rutilius Rufus, qui a écrit une relation de cette guerre [de Numance] et était alors tribun militaire, de prendre avec lui quatre escadrons de cavalerie et de tenir en respect les gêneurs. Or, comme ceux-ci se repliaient, Rufus les suivit sans s'arrêter à temps et grimpa avec les fuyards jusqu'à la crête. Là, les troupes en embuscade s'étant démasquées, il ordonna à ses cavaliers de cesser la poursuite et d'interrompre l'offensive : ils devaient rester sur la défensive, lances en arrêt, en se bornant à repousser l'assaillant.

T 6 - VI, 96, 418 - 97, 419-421  C'est dans cet état qu'ils se rendirent à Scipion. Celui-ci leur intima l'ordre d'apporter leurs armes ce jour-là à un endroit déterminé et de se rendre le lendemain à un autre emplacement. Mais ils laissèrent passer la journée, car ils avaient reconnu que beaucoup d'entre eux tenaient encore à la liberté et désiraient quitter volontairement la vie. Ils réclamaient donc la journée pour préparer leur mort.

    Tellement on était assoiffé de liberté et de bravoure dans une petite ville barbare ! Alors qu'ils n'étaient que huit mille environ à l'époque de la paix, tels furent les grands succès qu'ils remportèrent sur les Romains, tels furent les traités qu'ils conclurent avec eux sur un pied d'égalité, alors que Rome n'avait consenti à conclure de tels accords avec personne, tel fut le général qu'ils affrontèrent en dernier lieu et provoquèrent souvent au combat, alors qu'il les bloquait avec soixante mille hommes ! Mais celui-ci fut à la vérité meilleur stratège qu'eux en n'affrontant point des bêtes féroces et en les réduisant par la faim, mal imparable, le seul sans doute qui permît la capture de Numance et qui seul la rendit possible. Voilà donc ce que j'ai trouvé à dire au sujet des Numantins, considérant leur petit nombre, leur endurance, leurs multiples exploits et la durée de leur résistance.

T 7 - Livre VII, Le livre d'Annibal (trad. D. Gaillard), 1, 1  Ce que le Carthaginois Annibal, après s'être lancé sur l'Italie depuis l'Espagne, accomplit durant les seize années au cours desquelles il resta à faire la guerre et ce qu'il subit de la part des Romains, jusqu'à ce que les Carthaginois, leur cité étant en danger, l'eussent rappelé chez eux et que les Romains l'eussent chassé d'Italie, c'est ce que montre ce livre. La vraie raison de l'invasion d'Annibal et le prétexte qu'il en produisit au grand jour ont été exposés avec la plus grande précision dans le Livre Ibérique ; mais je les évoquerai encore maintenant, seulement pour mémoire.

T 8 - VII, 12, 49-50  Détourné par la divinité, Annibal se dirigea de nouveau vers la mer Ionienne [= Adriatique], dévastant sur sa route la région côtière et poussant devant lui un énorme butin. Le consul Servilius, qui suivait une route parallèle à la sienne, arriva à Ariminum : une journée de marche le séparait d'Annibal. Il y tenait son armée regroupée et redressait le moral des Gaulois encore alliés de Rome, jusqu'au moment où le dictateur Fabius Maximus, une fois sur place, envoya Servilius à Rome, car il n'y a plus ni consul ni préteur quand un dictateur a été élu. Suivant pas à pas Annibal sans engager le combat avec lui, bien qu'il le provoquât souvent, Fabius ne lui laissait assiéger personne, surveillant tous ses mouvements et maintenant sa pression.

T 9 - VII, 53, 224  Il me semble qu'un dieu accorda cette victoire [du Métaure, a. 207] aux Romains en compensation de la défaite qu'ils avaient essuyée à Cannes [a. 216] : elle eut lieu peu après Cannes et fut d'une importance à peu près équivalente. Dans les deux cas en effet les généraux furent tués et les pertes en vies humaines se compensèrent presque exactement. Et il advint que les uns et les autres firent de nombreux prisonniers, et que les uns et les autres s'emparèrent du camp ennemi avec son abondant armement. Ainsi la Ville fit tour à tour l'expérience du succès et de l'échec. Quant aux Celtibères réchappés du désastre, les uns se retirèrent chez eux, les autres rejoignirent Annibal.

T 10 - Livre VIII, Le livre africain (trad. P. Goukowsky), 106, 499-502  Sur ces mots, il [Massinissa] mourut. Ce fut un homme à tous égards favorisé par la Fortune, auquel la Divinité accorda <de recouvrer> la royaume de ses pères, dont les Carthaginois et Syphax l'avaient dépouillé, et de lui donner une très grande extension, depuis la Maurétanie, voisine de l'Océan jusqu'au royaume de Cyrène, vers le milieu du continent. Elle lui permit aussi de mettre en culture un immense territoire alors que, dans l'ensemble, les Numides se nourrissaient de plantes sauvages, faute de pratiquer l'agriculture, de laisser à ses héritiers de grands trésors ainsi qu'une nombreuse armée bien entraînée, et de régler leur compte à ses ennemis : de sa propre main, il captura Syphax, et il provoqua la ruine de Carthage, à bout de forces quand il l'abandonna aux Romains. Physiquement, c'était un homme de haute taille, plein d'une grande vigueur, même dans son extrême vieillesse, et qui jusqu'à sa mort prit part aux combats, montant à cheval sans l'aide d'un écuyer. Voici la meilleure preuve que je donnerai de sa vigueur : alors que des enfants lui naissaient et lui mouraient en grand nombre, il n'en avait jamais moins de dix en vie , et il laissa à quatre-vingt-dix ans un enfant de quatre ans ! Voilà donc l'âge et la condition physique de Massinissa au moment de sa mort. Scipion [Emilien], quant à lui, commença par accorder de nouvelles donations aux enfants illégitimes du roi, puis il déclara que ses fils légitimes posséderaient en commun les trésors, le produit du tribut et le titre royal. Mais il partagea le reste de l'héritage de manière à ce que chacun reçût ce qui répondait le mieux à ses aspirations : l'aîné, Micipsa, qui était aussi le plus pacifique, aurait comme privilège Cirta et le palais royal qui s'y trouvait ; Gulussa, son cadet, militaire dans l'âme, déciderait souverainement de la guerre et de la paix ; Mastanabal enfin, qui était le plus jeune, pratiquait la justice : à lui de juger les chicanes entre leurs sujets.

T 11 - VIII, 112, 530-533  Les comices devaient se tenir sous peu ; Scipion briguait l'édilité car, vu son âge, les lois ne lui permettaient pas encore d'exercer le consulat ; le peuple pourtant voulait le faire consul. Comme la chose était illégale, les consuls produisaient devant lui le texte de la loi ; mais le peuple persistait et se montrait pressant, criant que, d'après les lois de Tullius et de Romulus, c'était lui qui décidait souverainement du choix des magistrats et qu'en matière de lois électorales, il validait ou invalidait ce qu'il voulait. Finalement, l'un des tribuns dit qu'il retirerait aux consuls l'organisation des élections, s'ils ne se rangeaient pas à l'avis du peuple. Et le Sénat confia aux tribuns le soin d'abroger la loi en question et de la réintroduire au bout d'un an, a peu près de la même manière que les Lacédémoniens eux aussi, sous la contrainte des circonstances, suspendirent l'atimie des soldats capturés à Pylos en disant « qu'en ce jour il fallait laisser dormir les lois ». C'est ainsi que Scipion, qui briguait l'édilité, fut élu consul, et son collègue Drusus lui enjoignit de tirer au sort avec lui l'attribution de l'Afrique. Finalement, l'un des tribuns fit adopter un texte aux termes duquel le choix pour ce commandement appartiendrait au peuple. Et le peuple choisit Scipion.

T 12 - VIII, 122, 628-630  C'est sur ces paroles, dit-on, que périt la femme d'Asdrubal, comme lui-même aurait dû périr. Scipion voyait une ville qui, florissante durant sept siècles à dater de sa fondation avait étendu son pouvoir sur tant de terres, de mers et d'îles,  qui avait possédé autant de navires, d'éléphants et d'argent que les plus grands empires, mais les avait dépassés de beaucoup par son audace et son ardeur, elle qui, même dépouillée de tous ses navires et de tout son armement, n'en avait pas moins soutenu, trois années durant, une guerre d'une telle ampleur et une famine si sévère : une ville dont la destinée s'achevait définitivement par un désastre complet. Alors, dit-on, Scipion fondit en larmes, laissant voir qu'il pleurait sur l'ennemi. Puis il médita longuement en lui-même, ayant pris conscience qu'il faut qu'un puissance fasse traverser aux cités, aux peuples et aux royaumes, tous autant qu'ils sont, des mutations comparables à celles que connaissent les simples particuliers, et que tel fut le sort d'Ilion, ville jadis fortunée, tel aussi celui des Assyriens, des Mèdes et des Perses qui, après ceux-ci, furent une très grande puissance et tel celui des Macédoniens dont l'empire avait brillé naguère du plus vif éclat. Tournant les yeux vers l'historien Polybe, il dit, soit à dessein, soit que ces vers lui eussent échappé :

                                                                 « Un jour viendra où la sainte Ilion aura vécu,
                                                                    et Priam, et les guerriers de Priam à la bonne lance de frêne » (Iliade, VI, 448-449).

Et comme Polybe l'interrogeait sans ambages, puisqu'il était aussi son maître, sur le sens de ses paroles, on dit qu'il ne se retint pas de prononcer le nom de sa patrie pour laquelle, eu égard aux vicissitudes de la condition humaine, il éprouvait sans doute des craintes.

T 13 - VIII, 135, 642-643  Ces mesures édictées, la commission reprit la mer pour Rome, cependant que Scipion exécutait les dispositions prises et organisait des sacrifices et des jeux pour fêter la victoire. Quand il en eut fini avec tout cela, il passa la mer et conduisit un triomphe d'une splendeur inégalée, dans une profusion d'or et un immense déploiement de statues de divinités et d'ex-voto que les Carthaginois, au cours des temps et par de continuelles victoires, avaient rapportés en Afrique de toutes les parties du monde. C'était l'époque où l'on célébrait un troisième triomphe sur la Macédoine après la capture d'Andriscos [a. 146], le Pseudo-Philippe, et un premier triomphe sur la Grèce, remporté par Mummius [a. 145]. Cela se passait aux alentours de la cent-soixantième olympiade.

T 14 - Livre IX, Le livre illyrien (trad. P. Goukowsky), 6, 15-16  Voilà ce que j'ai à dire sur ceux que les Grecs considèrent comme Illyriens. Pour leur part, les Romains ajoutent à ces peuples les Pannoniens, les Rhètes, les Noriques, les Mysiens d'Europe, ainsi que tous les peuples limitrophes de ceux-là, qui habitent sur la rive gauche de l'Istros en descendant le fleuve ; ils les distinguent des Grecs, comme le font les Grecs eux-mêmes, et appellent chacun d'entre eux par son nom particulier, mais ils considèrent que tous ensemble forment l'Illyrie. Je n'ai pas été en mesure de trouver l'origine de cette opinion, qui est encore aujourd'hui la leur, quand par exemple ils afferment en une seule fois le tribut payé par ces peuples, depuis la source du Danube [Istros] jusqu'à la mer Pontique, en l'appelant « tribut illyrien ». De quelle manière les Romains les soumirent, j'ai reconnu, lorsque j'ai parlé de la Crète, ne pas avoir trouvé les origines et les motifs exacts des guerres et j'ai encouragé ceux qui pouvaient en dire davantage sur ce point à le faire. Quant à moi, je me bornerai à écrire ce que j'ai appris moi-même.

T 15 - IX, 15, 42-43  Voilà tout ce que j'ai trouvé comme événements anciens relatifs aux Illyriens et aux Pannoniens. Même dans les Mémoires du second César, celui qui fut plus tard appelé Auguste, je n'ai rien trouvé de plus ancien sur les Pannoniens, mais il me semble que, outre les tribus illyriennes dont j'ai parlé, d'autres encore avaient été avant son époque soumises aux Romains. Mais de quelle façon ? Je ne l'ai pas découvert. (Auguste, en effet, n'a pas consigné par écrit les faits et gestes des autres, mais seulement les siens).

T 16 - Livre IX, Le livre macédonien (trad. P. Goukowsky), Fr. 19  Quand Paulus [Paul-Émile] eut atteint un si haut degré de bonheur, la Divinité devint jalouse de ce bonheur. Possédant quatre fils, il avait donné à d'autres en adoption les deux aînés, Maximus et Scipion, et il arriva, en ce qui concernait les deux plus jeunes, que l'un mourut trois jours avant le triomphe et l'autre cinq jours après. Paulus n'en rendit pas moins compte au peuple. L'usage étant en effet que les généraux dressent le bilan de leurs actions, il se présenta sur le Forum et déclara qu'il était passé de Brindes à Corcyre en une journée ; que de Corcyre, il avait en cinq jours fait route jusqu'à Delphes et offert un sacrifice au dieu ; qu'en cinq autres journées il était parvenu en Thessalie et avait pris le commandement de l'armée, et que dans les quinze jours suivants il avait vaincu Persée et reçu la reddition des Macédoniens. Ayant réussi en tout avec une telle rapidité, il avait craint « qu'il n'arrive quelque chose à l'armée sur le chemin du retour à Rome ». L'armée étant rentrée saine et sauve, « c'est à votre sujet », dit-il, « que j'ai ressenti des craintes. La Divinité est en effet envieuse. Mais le malheur s'étant abattu sur moi et deux de mes fils étant morts en même temps, je suis, pour moi, au plus profond de l'infortune ; mais, pour vous, libéré de mon inquiétude ». Après avoir prononcé ces paroles, objet d'admiration pour toutes ses actions et de compassion pour ses fils, il mourut peu après.

T 17 - Livre XI, Le livre syriaque (trad. P. Goukowsky), 28, 138-139  Mais Antiochus [III], qui d'ailleurs était toujours d'une façon générale une tête brûlée et quelqu'un de prompt à changer d'avis, fut complètement atterré quand il apprit la défaite de Myonnèsos : il crut que la divinité complotait contre lui ! Tout se déroulait en effet contrairement à ses calculs. Les Romains étaient vainqueurs sur mer, où il croyait détenir une grande supériorité ! Les Rhodiens avaient bloqué Annibal en Pamphylie ! Philippe [V] menait les Romains par des chemins impraticables alors qu'il s'imaginait qu'il leur en voudrait particulièrement pour ce qu'ils lui avaient fait subir ! Profondément agité par tout cela et une divinité troublant désormais sa raison, ce qui arrive à tout le monde quand survient un malheur, il abandonna inconsidérément la Chersonnèse avant même que l'ennemi fût en vue, sans avoir transporté ailleurs ou incendié tout ce qu'il y avait entassé en abondance comme grain, armes, argent et machines de guerre, mais en laissant à l'ennemi, intactes, de si importantes ressources.

T 18 - XI, 52, 260  Mais j'exposerai cela d'une manière complète dans mon Livre Parthique. Dans le présent livre, qui est consacré à la Syrie, j'ai dit comment les Romains ont occupé la Syrie et lui ont donné son organisation actuelle : je ne crois pas non plus déplacé de survoler l'histoire des Macédoniens qui régnaient en Syrie avant les Romains.

T 19 - XI, 56, 288-291  Après qu'Alexandre fut revenu de l'Inde à Babylone, alors qu'il faisait une tournée d'inspection dans les marais qui se trouvent en Babylonie même, car on avait besoin de l'Euphrate pour irriguer la terre d'Assyrie, un coup de vent emporta son diadème qui alla s'accrocher à un roseau, sur la tombe d'un ancien roi. C'était là aussi un signe annonçant la mort du roi ; mais on dit qu'un marin, s'étant précipité à la nage, se coiffa du diadème et le rapporta à Alexandre, sans qu'il fût mouillé : pour son empressement, il reçut aussitôt du roi un cadeau d'un talent d'argent. Et, comme les devins invitaient Alexandre à faire périr cet homme, les uns disent qu'ils réussirent à le convaincre, d'autres qu'il refusa. Certains même, passant outre à tous ces témoignages, prétendent que ce ne fut pas du tout un marin mais Séleucos qui se précipita à la nage vers le diadème royal et s'en coiffa afin qu'il ne fût pas mouillé. Et, pour tous les deux, dit-on, les présages s'accomplirent : Alexandre en effet trépassa à Babylone et Séleucos fut, parmi les héritiers d'Alexandre, celui qui régna sur le plus grand nombre de territoires lui ayant appartenu.

T 20 - Livre XII, Le guerre de Mithridate (trad. P. Goukowsky), 28, 109-111  A l'aide de ces soldats, Aristion devint tyran dans sa patrie. Il mettait à mort aussitôt un certain nombre d'Athéniens, sous prétexte qu'ils étaient des partisans de Rome, tandis qu'il en renvoyait d'autres devant le tribunal de Mithridate, et cela bien qu'il eût pratiqué la philosophie d'Epicure ! D'ailleurs il ne fut pas le seul, à Athènes, et l'on ne peut pas dire non plus que Critias et son cercle philosophique, qui l'avaient encore précédé dans cette voie, aient représenté un cas unique : tous <les philosophes> qui se sont mêlés des affaires publiques, qu'il s'agisse des Pythagoriciens en Italie ou des Sept Sages dans le reste de la Grèce, ont exercé le pouvoir et la tyrannie avec plus de cruauté que les tyrans ordinaires. Tant et si bien que, même à propos des autres philosophes, ils ont fait germer des soupçons et que l'on s'est demandé, sans trouver la réponse, si c'est par vertu qu'ils sont philosophes, ou s'ils ont trouvé dans la philosophie une consolation à la pauvreté et à l'insuccès. Encore de nos jours, beaucoup d'entre eux, qui vivent en marge de la vie publique dans leur pauvreté et se drapent dans le manteau, indispensable pour cette raison, de la philosophie, ‒ beaucoup d'entre eux, dis-je, adressent des reproches acerbes aux riches et aux gouvernants ; mais, ce qu'ils se ménagent, c'est moins la réputation de mépriser la richesse et le pouvoir que celle d'envier ces deux avantages. Les victimes de leurs diffamations font preuve de beaucoup plus de philosophie en les traitant par le mépris.

T 21 - XII, 91, 414-415  Se rendant compte de la situation, Mithridate envahit la Cappadoce et fortifia son propre royaume. Et les Romains le laissèrent faire sans réagir autant de temps qu'il fut nécessaire pour nettoyer la mer des pirates. Mais, ce nettoyage achevé, comme Pompée, qui en était l'artisan, se trouvait encore en Asie, ils reprirent immédiatement la guerre contre Mithridate et écrivirent à Pompée d'en prendre également le commandement. C'est pourquoi, puisque la guerre maritime menée  bonne fin par Pompée avant de s'attaquer à Mithridate fait partie de cette dernière campagne, et qu'elle n'entre dans le cadre d'aucun autre livre <de mon Histoire Romaine>, je suis d'avis d'en écrire une relation rapide dans cette partie-ci.

T 22 - Livre XIII, Guerres civiles I (trad. P. Goukowsky), 38, 170-172  En secret, ils [les Italiens révoltés contre Rome] s'envoyaient d'une ville à l'autre des émissaires conclure des arrangements sur ces questions, et ils échangeaient des otages en gage de leur bonne foi mutuelle. Absorbés par les procès et les affrontements dont la Ville était le théâtre, les Romains pendant longtemps ne prirent pas conscience de cela. Mais, dès qu'il en furent informés, ils envoyèrent dans les différentes villes ceux d'entre eux qui leur paraissaient avoir le plus de liens avec chacune de celles-ci, afin d'y enquêter discrètement sur ce qui s'y passait. Et l'un de ces espions, qui avait vu conduire un jeune homme d'Asculum dans une autre ville comme otage, dénonça l'affaire à Servilius, le proconsul en charge des territoires en question. Il semble en effet qu'il y avait à cette époque-là des proconsuls qui exerçaient des commandements régionaux en Italie. C'est peut-être cette institution qui fut imitée par Hadrien lorsque beaucoup plus tard, à l'époque où il exerçait à Rome le pouvoir impérial, il restaura cette institution, qui ne dura que peu de temps après lui.

T 23 - XIII, 54, 232-234  A la même époque, un conflit éclata à Rome entre créanciers et débiteurs : les premiers faisaient rembourser les dettes avec des intérêts, alors qu'une ancienne loi prohibait le prêt usuraire, sous peine, pour celui qui avait prêté de l'argent dans ces conditions, d'avoir à payer en plus une amende. Je crois que les anciens Romains, comme les Grecs, s'étaient détournés du prêt usuraire parce qu'ils y voyaient une activité de boutiquier, pesant lourd sur les pauvres, et une source de querelles génératrices d'inimitiés, de la même façon que les Perses avaient condamné l'emprunt, comme entaché de tromperie et habituant au mensonge. Mais un usage invétéré légitimait le prêt usuraire : aussi les uns s'appuyaient-ils sur l'usage pour réclamer des intérêts, tandis que les autres, comme de juste quand on sort de guerres et de luttes civiles, ajournaient leur remboursements ; il s'en trouvait même pour menacer les prêteurs de les faire mettre à l'amende !

T 24 - XIII, 83, 377-378  Les Romains croyaient que dans cette guerre [contre Sylla], la Divinité elle-même leur avait fait présager ces malheurs. Dans toute l'Italie, beaucoup de gens, soit individuellement, soit collectivement, étaient envahis de frayeurs irraisonnées ; et l'on se remémorait d'antiques oracles encore plus alarmants ; de nombreux prodiges se produisaient : une mule mit bas, une femme enceinte donna naissance non pas à un enfant, mais à une vipère, la Divinité provoqua un violent tremblement de terre qui fit s'effondrer à Rome quelques temples (et les Romains sont profondément remués par des phénomènes de cette sorte). Le Capitole, édifié par les rois quatre siècles environ avant cette époque, fut ravagé par le feu, et personne n'avait idée de la cause de l'incendie. On voyait en tout cela des signes annonciateurs relatifs à la multitude des victimes, à l'asservissement de l'Italie et, pour ce qui était de Rome elle-même, à la prise de la ville par Sylla et au changement de son organisation politique.

T 25 - Livre XV, Guerres civiles III (trad. P. Goukowsky), 61, 250-252  Les sénateurs décrétèrent donc de prescrire à Antoine d'échanger la Gaule contre la Macédoine. Quant au reste des instructions, les sénateurs, par inconscience ou de propos délibéré, confièrent à Cicéron le soin de les rédiger et de les remettre aux émissaires. Mais celui-ci, dénaturant leur décision, la rédigea comme suit : « Qu'Antoine s'éloigne sans délai de Modène et abandonne la Gaule à Décimus ; qu'il se trouve à un jour fixé en deçà du Rubicon, le fleuve qui marque la limite entre l'Italie et la Gaule, et qu'il s'en remette entièrement au Sénat pour tout ce qui le concerne ». Voilà comment Cicéron rédigeait les instructions, dans un esprit de polémique et mensongèrement, encore qu'il n'y eût pas entre eux une si grande inimitié ; mais, à ce qu'il semblait, la Divinité jetait le trouble dans les affaires publiques pour y apporter du changement et nourrissait de mauvaises intentions contre Cicéron lui-même.

T 26 - XV, 84, 346-347  Sans perdre un instant, Lépide bondit de son lit pour se rendre auprès de ses soldats, sans avoir noué la ceinture de sa tunique, promettant de faire ce qu'ils demandaient, saluant Antoine avec empressement et invoquant la nécessité pour excuse. Certains croient même qu'il tomba aux genoux d'Antoine, au motif que c'était un bon à rien et un pleutre ; mais les historiens dans leur ensemble ne croient pas à ce détail qui me paraît, à moi aussi, invraisemblable. Car Lépide n'avait encore accompli contre Antoine aucun acte de guerre qui eût justifié ses craintes.


Les commentaires éventuels peuvent être envoyés à Jean-Marie Hannick.

[12 avril 2013]


[ BCS ]  [ BCS-BOR ]  [ BCS-PUB ] [Encyclopédie de l'histoire : Introduction ]