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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS
Historiographie gréco-romaine
HÉRODOTE (c.485 - 430)
Textes rassemblés et présentés par Jean-Marie HANNICK
Professeur émérite de l'Université de Louvain
L'auteur
Hérodote est né à Halicarnasse, en Asie mineure, peu avant la seconde guerre médique. La cité était gouvernée alors par un tyran inféodé aux Perses, Lygdamis qui, après la défaite de Xerxès, a vu ses sujets tenter de le renverser ; un parent d'Hérodote, probablement son oncle, le poète Panyassis, aurait perdu la vie dans ces troubles et le futur historien juge alors prudent de se retirer, à Samos. Il est peut-être revenu ensuite dans sa patrie et pourrait avoir été mêlé aux événements qui provoqueront la chute de Lygdamis, laquelle doit être antérieure à 454 puisqu'à cette date, la cité figure sur la liste des membres de la Ligue de Délos. Hérodote entreprend alors des voyages qui le conduisent un peu partout, en Égypte, en Babylonie, sur les rives de la Mer Noire, dans de nombreuses îles grecques ; il séjourne aussi à Athènes où il se lie d'amitié avec Sophocle. En 444, il participe à la fondation de Thourioi, dans le sud de l'Italie, colonie panhellénique voulue par Périclès, où l'on rencontre aussi l'architecte Hippodamos de Milet et le sophiste Protagoras.
La vie vagabonde de notre historien se termine à une date inconnue mais qui ne peut pas se situer avant 430 car on trouve dans son œuvre des allusions à certains événements du début de la guerre du Péloponnèse.
L'œuvre
Hérodote définit son projet dans une brève et assez vague introduction (T 1). Il va, dit-il, exposer le résultat de ses recherches, ou de son enquête (ἱστορίης ἀπόδεξις) afin que ce que les hommes ont fait (τὰ γενόμενα ἐξ ἀνθρώπων) ne s'efface pas avec le temps. Plus précisément, l'auteur vise les faits importants et remarquables/étonnants (ἔργα μεγάλα τε καὶ θαυμαστά) qui, ceci mérite d'être souligné, sont survenus aussi bien chez les Grecs que chez les Barbares : ces faits ne peuvent pas perdre de leur éclat, ne peuvent pas tomber dans l'oubli. In fine, Hérodote limite encore plus étroitement son objectif : montrer la cause du conflit qui a opposé les Grecs et les Perses.
Le plan des Histoires - Hérodote commence par une histoire de la Lydie et du roi Crésus, « le premier des Barbares qui asservit certains Grecs » (I, 6), puis passe à l'histoire et aux mœurs des Mèdes et des Perses, jusqu'à Cyrus, le vainqueur de Crésus.
Le livre II est entièrement consacré à l'Égypte, vaste digression justifiée par la conquête de ce pays par Cambyse, le fils et successeur de Cyrus.
Les livres III et IV abordent l'histoire de Polycrate de Samos, puis de Darius, successeur de Cambyse, qui mène sans succès une vaste expédition contre les Scythes, occasion pour Hérodote de décrire leur pays et leur mode de vie. Une autre campagne de Darius, contre la Cyrénaïque, permet à l'auteur de faire état de ses connaissances sur cette région du nord de l'Afrique.
Avec les livres V et VI, on aborde enfin les préliminaires des guerres médiques : soulèvement des Grecs d'Ionie, expulsion de Miltiade de la Chersonèse puis bataille de Marathon et mort de Darius.
Les livres VII - IX sont consacrés à la seconde guerre médique (batailles des Thermopyles, de l'Artémision, de Salamine, de Platées) et le récit se termine par la prise par les Athéniens de la ville de Sestos, sur l'Hellespont.
Le contenu - Hérodote avait annoncé qu'il raconterait les grandes actions accomplies par les hommes, Grecs et Barbares, les exploits dignes d'être gardés en mémoire. En réalité, son enquête (ἱστορίη) porte sur des sujets bien plus variés ; on y trouve un peu de tout, les divers éléments du récit étant reliés entre eux et avec le sujet principal, les guerres médiques, de façon assez lâche. L'auteur, notamment, est fort attentif à la géographie (T 13) et se plaît à décrire les pays, les villes, les fleuves, les mers qu'il a découverts au cours de ses voyages ou dont il a entendu parler : Babylone (I, 176-183), la mer Caspienne (I, 203), l'Inde (III, 98-106), l'Asie et la Lybie (IV, 37-43), les fleuves de Scythie (IV, 47-57). Il s'intéresse à la zoologie (T 9) et à la botanique. Mais les hommes, leur mode de vie, leurs activités, leur religion retiennent aussi toute son attention. Agrémentée de discours, d'anecdotes (T 22), de digressions en tous genres, cette œuvre se présente comme une sorte d'encyclopédie, aussi divertissante qu'instructive.
Méthode historique
Les sources d'Hérodote sont principalement orales et visuelles. Il rapporte ce qu'il a vu et ce qu'il a entendu dire par les Perses (T 3), les Égyptiens (T 6), les Arabes (T 9), les Éginètes (T 15), les Thessaliens (T 19) etc, des informateurs qui restent généralement anonymes, à quelques exceptions près : le spartiate Archias (II, 55), le scythe Tymnès (IV, 76), Dikaios, un banni athénien réfugié chez les Mèdes (VIII, 65) ou le béotien Thersandros (IX, 16). Les sources écrites sont invoquées très rarement, ce qui s'explique sans grande peine. « Quand Hérodote s'occupait d'histoire grecque, note A. Momigliano, il avait très peu de documents écrits à sa disposition : l'histoire grecque se transmettait encore surtout par tradition orale. Voyageant en Orient, il trouvait des témoignages écrits en abondance, mais n'était pas formé à les déchiffrer » (La place d'Hérodote dans l'histoire de l'historiographie, p.171). Il avait pourtant quelques prédécesseurs qu'il aurait pu utiliser. Momigliano songe (p.174-175), mais prudemment car ces œuvres dont il ne reste quasi rien sont mal datées, à Hécatée de Milet, Phérécyde d'Athènes, Xanthos le Lydien, Denys de Milet. Quoi qu'il en soit, le seul « logographe » qui apparaisse comme source dans les Histoires est Hécatée (T 16). Hérodote s'est inspiré aussi d'Homère (II, 116 ; IV, 29) et d'Hésiode (IV, 32), sans doute aussi d'autres auteurs qui ne sont pas nommés ; la moisson, on le voit est bien maigre.
Bien rares aussi les manifestations d'esprit critique. Non pas qu'Hérodote en soit dépourvu : à la recherche d'informations sur Cyrus, il s'adresse à ceux des Perses qui lui paraissent les plus objectifs (T 3) ; confronté au récit que font les Grecs du voyage d'Héraclès en Égypte, il en souligne les aspects invraisemblables (T 5) ; à propos des extrémités du monde en Europe, il fait appel à la philologie pour nier l'existence du fleuve Éridan (T 10) ; quant au statues d'Égine tombées à genoux devant leurs ravisseurs athéniens, c'est de nouveau le critère de vraisemblance qui est invoqué (T 15). La formule employée dans ce dernier cas - ἐμοὶ οὐ πιστὰ λέγοντες - revient d'ailleurs souvent sous sa plume (p.ex. IV, 5, 25, 42...). Notre auteur n'est donc pas un naïf mais il a une conception très particulière de son rôle d'historien, ou d'enquêteur. Il lui suffit de transmettre ce qu'il a appris : « Pour moi, je dois faire connaître ce qui se dit, mais je ne suis pas tenu d'y croire entièrement (que ce que je dis là soit dit pour toute mon histoire) » (VII, 152 ; voir aussi II, 123 et T 6, 12, 16). On comprend qu'avec une telle idée de sa mission, il n'ait pas fait d'efforts excessifs pour débrouiller le vrai du faux. Ajoutons quand même à son crédit un souci constant de recueillir différentes versions d'un même événement, ce qu'on a appelé la technique du « double - ou triple - éclairage », à charge pour le lecteur de faire son choix, à moins qu'Hérodote ne lui indique ce qui est le plus vraisemblable. Mérite aussi d'être soulignée l'honnêteté d'un auteur qui ne cache pas le caractère parfois incertain de ce qu'il rapporte (T 4, 10, 12, 18).
Venons-en enfin à la préoccupation première d'Hérodote, dire « ce qui fut cause que Grecs et Barbares entrèrent en guerre les uns contre les autres ». On ne trouve pas dans son œuvre de réponse précise à cette question mais, en cherchant çà et là, il est possible de se faire une idée de la façon dont notre historien s'expliquait le déroulement des affaires humaines. En homme pieux qu'il était (T 8, 21), il accorde une grande importance aux interventions divines qu'on peut entrevoir dans l'ordre naturel (T 9, 19), mais qui sont manifestes dans l'histoire des hommes. Le comportement déraisonnable du roi Candaule, par exemple, n'a pas d'autre explication : « le destin voulait qu'il arrivât malheur » au roi de Sardes (I, 8). À une tout autre échelle, la défaite de l'armée laissée par Xerxès en Grèce après Salamine était elle aussi inévitable car « ce qui doit arriver de par la volonté divine, il n'y a nul moyen pour l'homme de le détourner » (IX, 16). Comme était inévitable la destruction de la ville de Priam : « c'est que la divinité - je déclare ici ce que je pense, - disposait les choses en vue de rendre manifeste aux yeux des hommes par la ruine complète des Troyens qu'aux grandes fautes les dieux infligent de non moins grands châtiments », et l'historien de préciser « Ce que je viens de dire est l'expression de mon opinion personnelle » (II, 120). Cette conception providentialiste ou fataliste de l'histoire s'accommode pourtant d'explications plus terrestres. Ce ne sont pas les dieux qui ont permis aux Grecs de repousser l'invasion de Xerxès, c'est la clairvoyance des Athéniens qui ont voulu se battre sur mer plutôt que se réfugier derrière une muraille barrant l'isthme de Corinthe (T 20). Et ce sont ces mêmes Athéniens qu'Hérodote rend responsables, au moins en partie, de ce long conflit avec les Perses : en envoyant des vaisseaux à l'aide de l'Ionie révoltée, ils ont été « la source de calamités pour les Grecs et pour les Barbares » (V, 97). On notera cette dernière formule, qui fait écho à ce qui est dit dans le Prologue. Pour Hérodote, en désaccord sur ce point avec Thucydide (I, 18, 1-2), les guerres médiques ne doivent pas être interprétées comme des invasions brutales des Perses dans un monde grec innocent ; les deux camps ont eu leur rôle dans le déclenchement des hostilités.
Hérodote n'est donc pas qu'un conteur. Sans doute serait-il exagéré de parler ici de « philosophie de l'histoire » mais il est indéniable que notre auteur est capable de réfléchir au sens des événements, à la croissance et au déclin des sociétés humaines (T 2), aux bienfaits de la liberté et de l'égalité (T 14), à la puissance de la coutume (III, 38), aux vertus de l'unité dans les entreprises guerrières (VIII, 3). Le titre de « Père de l'histoire » qui lui a été conféré (Cicéron, De legibus, I, 1, 5) est sans doute quelque peu excessif : il n'est pas tout à fait immérité.
Survie
Dans l'antiquité, les avis sur Hérodote sont fort partagés. Thucydide qui, chronologiquement, le suit de près, semble ne pas avoir apprécié son œuvre : on peut penser en effet qu'il songe entre autres à Hérodote lorsqu'il évoque ces « logographes qui les ont rapportés [les faits anciens] en cherchant l'agrément de l'auditeur plus que le vrai » (I, 21, 1). Son Histoire de la guerre du Péloponnèse est en tout cas conçue sur un modèle radicalement différent de celui des Histoires, ce que soulignait déjà Denys d'Halicarnasse : « il [Thucydide] reprochait [aux Histoires d'Hérodote] une ampleur beaucoup trop grande pour pouvoir être embrassée d'un seul coup d'œil par l'intelligence humaine, dans la minutie de tous ses détails. Jetant donc son dévolu sur une seule guerre, celle que se livraient les Athéniens et les Péloponnésiens, il entreprit d'en faire la relation » (Thucydide, 6, 2). Mais Théopompe, un continuateur de Thucydide, n'a pas eu les mêmes réticences puisqu'il avait pris la peine de composer un résumé des Histoires en deux livres, aujourd'hui perdus. Les philologues alexandrins ne paraissent pas non plus avoir méprisé cet ouvrage : c'est à eux qu'on doit sans doute sa division en neuf livres et l'on sait qu'Aristarque lui avait consacré un commentaire.
À l'époque romaine les opinions sur Hérodote sont également fort divergentes. Sa géographie est évidemment périmée dans une large mesure depuis l'expédition d'Alexandre, les voyages de Pythéas de Marseille et les découvertes d'astronomes comme Ératosthène ou Aristarque de Samos. On continue toutefois à admirer son style : Denys d'Halicarnasse le dit supérieur à celui de tous ses devanciers (Thucydide, 23, 7) et Lucien voudrait être capable de l'imiter (Hérodote, 1). Mais on souligne aussi ses erreurs, sa propension à accueillir les récits les plus invraisemblables, sa partialité. Au moment même où il le qualifie de « Père de l'histoire », Cicéron lui reproche ses innumerabiles fabulae (De legibus, I, 1, 5). Et Plutarque consacre tout un traité à la « malignité » d'Hérodote ; son introduction (§ 2-10) présente d'abord les formes que prend cette κακοήθεια, puis l'auteur passe en revue les différents livres pour en faire une critique systématique, avant de conclure : « Son charme séducteur est indéniable, mais il faut se garder de ses calomnies... et de cette manie de dénigrer qui se cache derrière la surface lisse et unie de son discours, pour éviter de laisser pénétrer en nous, à notre insu, des opinions absurdes et erronées concernant les cités et les hommes les plus irréprochables et les plus glorieux de la Grèce » (§ 43 ; trad. G. Lachenaud). Plus tard, Ammien Marcellin reviendra encore sur la crédulité d'Hérodote : c'est en souriant, dirait-on, qu'il évoque le passage où celui-ci raconte comment s'opéra le dénombrement de l'armée de Xerxès à Doriscos (T 18).
À la Renaissance, l'œuvre d'Hérodote retrouve des admirateurs, Lorenzo Valla, par exemple, qui en fait une traduction en latin, publiée seulement en 1474, une quinzaine d'années après sa mort. Mais c'est en Henri Estienne qu'Hérodote trouve son principal avocat. En 1566, cet humaniste publie deux apologies d'Hérodote l'une, d'une soixantaine de pages en latin, est conçue comme une préface à la traduction de Valla ; l'autre, de plus de huit cents pages, en français, se présente surtout comme une satire de la vie moderne et, en particulier des mœurs dépravées des gens d'Église. L'élément commun à ces deux textes est l'argument selon lequel les prétendues affabulations d'Hérodote doivent s'apprécier et peuvent se justifier si on les compare à ce que l'histoire nous apprend des comportements humains aux époques plus récentes.
Hérodote occupe également une place non négligeable dans L'histoire des histoires de La Popelinière, publiée à Paris en 1599. On sait que cet auteur, dans son analyse de l'historiographie de tous les temps et de quasiment tous les pays, distingue quatre grandes étapes. L'histoire a d'abord été « naturelle et grossière », avant l'invention de l'écriture ; puis, poétique quand « les peuples... dresserent en vers et certains chants publics et particuliers esquels ils trouverent plus honorable et commode de la consigner, pour garder la memoire de ce qu'ils jugeoyent plus recommandable » (L'histoire des histoires, éd. Ph. Desan, p.38). Vint ensuite l'historiographie en prose, les annales que l'on retrouve un peu partout, chez les Grecs, les Romains, les Assyriens, les Hébreux, et enfin l'histoire véritable qui, « de courte, estroicte, et resserrée qu'elle estoit, fut accreuë, estenduë et enrichie, tant pour la diversité des narrez : que par une plus douce et mieux polie eloquence » (ibid., p.135), histoire dont le premier représentant n'est autre qu'Hérodote et qui s'est maintenue à travers les siècles, jusqu'à l'époque de La Popelinière lui-même.
On terminera ce bref aperçu par l'évocation d'un curieux personnage, Paul-Louis Courier (1772-1825), officier d'artillerie retourné à la terre, « canonnier vigneron » comme il se définissait lui-même, mais helléniste distingué qui, en 1822, annonce qu'il a entrepris une nouvelle traduction d'Hérodote, moins académique, moins empruntée que celle d'un Larcher, par exemple, lequel « a fort souvent des termes qui sentent un peu l'antichambre de Mme de Sévigné » (P.- L. Courier, Œuvres complètes, éd. M. Allem, Paris, La Pléiade, 1951, p.497). L'auteur n'a fait qu'entamer le travail ; il n'a traduit que des extraits des livres I, III, VIII et IX, avec une préface.
BIBLIOGRAPHIE
Éditions - traductions
- Histoires, éd., trad. Ph.- E. Legrand, 11 vol., Paris, 1932-1954 (avec des rééditions). Un vol. d'Introduction, le dernier contenant des Index.
- Storie, éd., trad., comm. D. Asheri, A. Fraschetti, S.M. Medaglia, G. Nenci e.a., 9 vol., Milan, 1988-2006 (Scrittori greci latini).
- Historiens grecs, I. Hérodote - Thucydide, trad. A. Barguet (Hérodote), D. Roussel (Thucydide), Paris, 1964 (Bibliothèque de la Pléiade).
Études
- Bakker E.J. - De Jong I.J.F. - Van Wees H. (eds.), Brill's Companion to Herodotus, Leyde, 2002.
- Boudou V., La réception d'Hérodote au XVIe siècle, dans Lachenaud G. - Longrée D. (eds), Grecs et Romains aux prises avec l'histoire, t.II, p.729-743.
- Dewald C. - Marincola J. (eds.), The Cambridge Companion to Herodotus, Cambridge, 2006 (BMCR 2007.04.47).
- Hartog F., The Invention of History : the Pre-History of a Concept from Homer to Herodotus, dans History & Theory, 39, 2000, p.384-395.
- Lasserre F., L'historiographie grecque à l'époque archaïque, dans Quaderni di storia, 4, 1976, p.113-142.
- Lateiner D., The Historical Method of Herodotus, Toronto, 1989.
- Momigliano A., La place d'Hérodote dans l'histoire de l'historiographie, dans Problèmes d'historiographie ancienne et moderne, p.169-185.
- Romm J., Herodotus, New Haven - Londres, 1998.
- Van Der Veen J.E., The Significant and the Insignificant. Five Studies in Herodotus' View of History, Amsterdam, 1996 (Amsterdam Studies in Classical Philology, 6).
TEXTES CHOISIS (trad. Ph.- E. Legrand)
T 1 - Histoires - Prologue. Hérodote de Thourioi expose ici ses recherches, pour empêcher que ce qu'ont fait les hommes, avec le temps, ne s'efface de la mémoire et que de grands et merveilleux exploits, accomplis tant par les Barbares que par les Grecs, ne cessent d'être renommés ; en particulier, ce qui fut cause que Grecs et Barbares entrèrent en guerre les uns contre les autres.
T 2 - Histoires, I, 5 Telles sont les assertions des Perses et des Phéniciens. Quant à moi, je ne vais pas prononcer, à propos de ces événements, qu'il en fut ainsi ou d'une autre façon. J'indiquerai celui qui, autant que je sache personnellement, a pris le premier l'initiative d'actes offensants envers les Grecs ; et j'avancerai dans la suite de mon récit, parcourant indistinctement les grandes cités des hommes et les petites ; car, de celles qui jadis étaient grandes, la plupart sont devenues petites ; et celles qui étaient grandes de mon temps étaient petites autrefois; persuadé que la prospérité humaine ne demeure jamais fixée au même point, je ferai donc mention également et des unes et des autres.
T 3 - I, 95 La suite de mon récit réclame maintenant que je dise qui était ce Cyrus qui renversa l'empire de Crésus et comment les Perses parvinrent à l'hégémonie en Asie. Je suivrai dans mon exposé ce que disent quelques-uns des Perses, ceux qui ne veulent pas magnifier l'histoire de Cyrus mais dire la vérité, tout en étant capable de faire connaître aussi trois autres versions différentes.
T 4 - I, 140 Je puis dire des Perses ce qui précède avec certitude, sachant à quoi m'en tenir. De ce qui suit, je parle comme de choses secrètes, sans en être sûr. Il s'agit des morts.
T 5 - II, 45 Les Grecs racontent beaucoup de choses inconsidérément ; c'est une sottise, entre autres, que ce récit qu'ils font au sujet d'Héraclès : étant venu en Égypte, disent-ils, les Égyptiens le couronnèrent de bandelettes et l'emmenèrent processionnellement pour le sacrifier à Zeus ; lui, pendant un temps, serait resté tranquille ; mais comme, près de l'autel, on procédait à sa consécration, il recourut à la force et massacra tout le monde. Quand ils font ce récit, les Grecs me paraissent ignorer tout à fait le caractère et les coutumes des Égyptiens. Comment des hommes à qui la loi divine ne permet même pas de sacrifier du bétail, sauf des porcs, des bœufs et des veaux mâles à condition qu'ils ne présentent pas les signes, et des oies, comment ces gens sacrifieraient-ils des hommes ? Et, ajouterons-nous, comment est-il possible qu'Héraclès, étant seul et qui n'était encore, de leur aveu, qu'un homme, ait mis à mort des myriades ? Puissent les dieux et les héros prendre en bonne part ce que nous avons dit à ce sujet.
T 6 - II, 99 Jusqu'ici, ce que je disais est tiré de ce que j'ai vu, des réflexions que j'ai faites, des informations que j'ai prises ; à partir de maintenant, je vais dire ce que les Égyptiens racontent, comme je l'ai entendu ; il s'y ajoutera quelque chose aussi de ce que j'ai vu par moi-même.
T 7 - II, 143 Avant moi, l'historien Hécatée exposant à Thèbes sa généalogie et rattachant sa famille à un dieu comme seizième ancêtre, les prêtres de Zeus en agirent avec lui comme ils le firent également avec moi, qui n'exposais pas de généalogie. Ils m'introduisirent à l'intérieur du temple, qui est grand, et là ils me montrèrent en les comptant des colosses de bois en aussi grand nombre que j'ai dit ; car chaque grand prêtre érige en ce lieu, de son vivant, une statue de lui-même... Quand Hécatée leur exposa sa généalogie et se rattacha à un dieu comme seizième ancêtre, ils lui opposèrent une généalogie fondée sur ce dénombrement, et ils n'admirent pas ce qu'il disait, qu'un homme fût né d'un dieu. Ils lui opposèrent cette généalogie comme il suit : de chacun des colosses, ils déclarèrent que c'était un piromis né d'un piromis, jusqu'à ce que, pour les trois cent quarante-cinq colosses, ils eurent fait voir cette descendance de piromis à piromis, sans les rattacher ni à un dieu ni à un héros. Piromis, traduit en langue grecque, signifie « homme de bien ».
T 8 - II, 170-171 Il y a aussi à Saïs, dans le sanctuaire d'Athéna, le sépulcre de celui dont je ne crois pas conforme à la piété de prononcer le nom en pareille occasion [Osiris] ; il est derrière le temple et s'étend tout le long du mur de ce temple. Dans l'enceinte sacrée se dressent deux grands obélisques de pierre ; un lac y est contigu... On donne auprès de ce lac, la nuit, des représentations de Sa passion, que les Égyptiens appellent des mystères. J'en sais plus long sur le détail de ces représentations ; mais gardons le silence sur ce sujet. De même sur les fêtes d'initiation de Déméter, que les Grecs appellent Thesmophories, sur ces fêtes aussi gardons le silence, sinon pour en dire ce que permet la piété...
T 9 - III, 108 Les Arabes disent aussi que la terre entière serait remplie de ces serpents s'il ne leur arrivait le même genre d'accidents que je savais arriver aux vipères. J'imagine que la divine providence, étant, comme il est naturel de le penser, pleine de sagesse, a créé prolifiques toutes les espèces d'humeur timide et qui sont bonnes à manger, pour empêcher qu'elles ne viennent à disparaître à force d'être dévorées, et au contraire peu fécondes les espèces féroces et nuisibles.
T 10 - III, 115-116 Ce sont là les extrémités du monde en Asie et en Lybie. De celles qui se trouvent en Europe vers le couchant, je ne puis parler avec exactitude ; car je n'admets pas, quant à moi, que des Barbares appellent Éridan un fleuve se jetant dans la mer septentrionale, d'où, à ce qu'on dit, viendrait l'ambre ; et j'ignore l'existence d'îles Cassitérides, d'où nous viendrait l'étain. Pour celui-là, son nom même - l'Éridan - se dénonce comme étant un nom grec et non barbare, forgé par quelque poète ; pour celles-ci, j'ai beau donner mes soins à la question, je ne puis entendre dire par personne qui l'ait constaté de ses yeux qu'il existe une mer à ces confins de l'Europe. Mais c'est un fait que l'étain et l'ambre nous viennent d'un bout du monde. Il est constant que c'est dans le Nord de l'Europe qu'il y a de beaucoup le plus d'or. Comment il est obtenu, cela non plus je ne saurais le dire avec certitude ; on raconte qu'il serait soustrait aux griffons par les Arimaspes, hommes n'ayant qu'un œil ; mais je ne puis pas même me persuader qu'il existe des hommes n'ayant qu'un œil et qui, pour le reste de leur personne, ressemblent aux autres humains. Quoi qu'il en soit, il paraît que les régions extrêmes, qui entourent le reste du monde et l'enferment entre elles, possèdent seules les choses que nous estimons les plus belles et qui sont les plus rares.
T 11 - III, 122 Polycrate est en effet le premier des Grecs, à notre connaissance, qui songea à l'empire des mers, - je laisse de côte Minos de Cnosse et ceux qui avant lui, s'il y en eut, ont régné sur la mer, - le premier, dis-je, du temps qu'on appelle le temps des hommes ; il avait bon espoir de régner sur l'Ionie et les îles.
T 12 - IV, 16 Ce qu'il y a au-dessus de la contrée dont je m'apprête à parler dans ce développement, nul ne le sait avec exactitude. Je n'ai pu en effet m'en informer auprès de personne qui dit le savoir pour l'avoir vu de ses yeux ; et Aristéas lui-même, dont je faisais mention un peu plus haut, Aristéas lui-même, dans l'ouvrage en vers où il fait œuvre de poète ne prétend pas être allé en personne plus avant que les Issédons ; des pays situés au-delà, il a parlé par ouï-dire ; ce sont, déclare-t-il, les Issédons qui en disaient ce qu'il dit. Pour nous nous allons rapporter tout ce que nous avons pu atteindre par ouï-dire de renseignements précis s'étendant aussi loin que possible.
T 13 - IV, 36 Je ris quand je vois que beaucoup déjà ont dessiné des images d'ensemble de la terre, sans qu'aucun en ait donné un commentaire vraisemblable ; ils représentent l'Océan enveloppant de son cours la terre, qui serait toute ronde comme si elle était faite au tour, et s'imaginent l'Asie égale à l'Europe. Je vais en effet, en peu de mots, montrer quelle est la grandeur de chacune de ces parties et donner une idée de sa figure.
T 14 - V, 78 Athènes était donc en pleine prospérité. Ce n'est pas dans un cas isolé, c'est d'une façon générale que se manifeste l'excellence de l'égalité [ἰσηγορίη] : gouvernés par des tyrans, les Athéniens n'étaient supérieurs à la guerre à aucun des peuples qui habitaient autour d'eux ; affranchis des tyrans, ils passèrent de beaucoup au premier rang. Cela prouve que, dans la servitude, ils se conduisaient volontairement en lâches, pensant qu'ils travaillaient pour un maître, au lieu qu'une fois libérés, chacun trouvait son propre intérêt à accomplir sa tâche avec zèle.
T 15 - V, 86 Les Athéniens donc... débarquèrent de leurs vaisseaux et se dirigèrent vers les statues; mais il leur fut impossible de les arracher de leurs bases ; ils passèrent alors des cordes autour d'elles et tirèrent ; ils tirèrent jusqu'au moment où les statues, - chose que je ne puis croire quand les Éginètes le disent, et laissent croire à d'autres, - toutes deux du même mouvement tombèrent à genoux devant eux, dans une position où, depuis lors, elles demeurent. Voilà, d'après les Éginètes, comment auraient agi les Athéniens.
T 16 - VI, 137 Voici dans quelles conditions Miltiade s'était emparé de Lemnos. Les Pélasges avaient été chassés de l'Attique par les Athéniens, justement ou injustement, car je ne puis affirmer sur ce point, mais seulement rapporter ce que l'on raconte : Hécatée, fils d'Hégésandros, dans ses histoires, dit en propres termes que ce fut injustement.
T 17 - VII, 20-21 Durant quatre années entières à partir de la réduction de l'Égypte, Xerxès prépara une armée et ce qui était nécessaire à cette armée ; et, au cours de la cinquième année, il se mit en campagne avec une grande multitude de troupes. Car, des expéditions dont nous avons connaissance, celle-ci fut de beaucoup la plus importante, à tel point qu'en comparaison avec elle celle de Darius contre les Scythes n'a l'air de rien, ni celle que firent les Scythes quand, à la poursuite des Cimmériens, ils envahirent le pays des Mèdes, soumirent presque toute la haute Asie et l'occupèrent, ce dont par la suite Darius voulut tirer vengeance ; ni, d'après ce qu'on raconte, celle des Atrides contre Ilion ; ni celle, qui eut lieu avant la guerre de Troie, des Mysiens et des Teucriens, qui passèrent en Europe en franchissant le Bosphore, soumirent tous les Thraces, descendirent sur la mer Ionienne, avancèrent du côté du Sud jusqu'au fleuve Pénée. Toutes ces expéditions, non plus que d'autres qui ont eu lieu outre celles-là, ne sont à mettre en parallèle avec elle seule.
T 18 - VII, 60 A quel nombre d'hommes s'élevait le contingent fourni par chaque nation, je ne puis le dire avec exactitude, car personne ne le dit ; mais il apparaît que, dans son ensemble, l'effectif de l'armée de terre était de cent soixante-dix myriades. Voici comment on opéra le dénombrement. On rassembla en un même lieu dix mille hommes, qu'on serra le plus possible les uns contre les autres, et on traça tout autour deux un cercle ; puis on renvoya les dix mille hommes, et on éleva, en suivant le tracé du cercle, une murette d'enceinte à hauteur du nombril ; cela fait, on introduisit dans l'espace entouré par la muraille d'autres et d'autres hommes, jusqu'à ce que, par ce procédé, tous eurent été dénombrés. Et, une fois dénombrés, on les classa par nation.
T 19 - VII, 129 A ce que disent les Thessaliens eux-mêmes, c'est Poseidon qui créa la gorge par où s'écoule le Pénée ; et ce qu'ils disent là est vraisemblable ; quiconque estime en effet que c'est Poseidon qui ébranle la terre et que les brisures qui résultent de l'ébranlement sont l'œuvre de ce dieu, peut bien dire, à la vue de ce qu'il y a en ce lieu, que, de cela aussi, Poseidon est l'auteur ; car c'est bien un tremblement de terre, à ce qu'il me paraît, qui a produit cette brisure des montagnes.
T 20 - VII, 139 Ici, je suis dans l'obligation d'exprimer une opinion qui me fera mal voir de la plupart des gens ; mais, comme elle est à mes yeux conforme à la vérité, je ne me retiendrai pas de l'exprimer. Si les Athéniens, épouvantés par le danger menaçant, avaient évacué leur pays, ou bien, sans l'évacuer, en y demeurant, s'étaient donnés à Xerxès, personne n'eût essayé d'opposer sur mer de la résistance au Grand Roi. Or, si personne n'avait résisté sur mer à Xerxès, voici ce qui se serait passé sur terre. Quand bien même plusieurs lignes protectrices de murailles auraient été tendues à travers l'Isthme par les Péloponnésiens, les alliés des Lacédémoniens les auraient abandonnées, non pas de leur plein gré mais par force, leurs villes étant prises une à une par l'armée navale du Barbare ; les Lacédémoniens auraient été isolés ; et, isolés, même après avoir accompli de grands exploits ils auraient succombé glorieusement ; ou bien tel aurait été leur sort, ou bien, voyant auparavant les autres Grecs se ranger du côté des Mèdes, ils auraient conclu avec Xerxès un accord. Et ainsi, dans l'un et l'autre cas, la Grèce serait devenue sujette des Perses ; car je ne peux voir quelle aurait été l'utilité des murailles tendues à travers l'Isthme, si le Roi avait été maître de la mer. Donc, qui dirait que les Athéniens ont été les sauveurs de la Grèce ne s'écarterait pas de la vérité, puisque, quel que fût celui des deux partis auquel ils se rangeraient, du côté de ce parti devait pencher la balance ; en choisissant que la Grèce restât libre, en faisant ce choix, ce sont eux, eux seuls, qui réveillèrent tous les autres Grecs qui ne tenaient pas pour les Mèdes, eux qui, après les dieux, repoussèrent le Grand Roi.
T 21 - VIII, 77 Je ne peux prétendre à l'encontre des oracles qu'ils ne soient pas véridiques, ne voulant pas m'efforcer d'en discréditer qui s'expriment clairement, quand je jette les yeux sur ce qui suit : « Mais, quand ils réuniront par un pont de bateaux le rivage sacré d'Artémis au glaive d'or et la marine Kynosoura, pleins d'une folle espérance après avoir saccagé la brillante Athènes, la divine Diké étouffera le violent Coros fils d'Hybris, ivre de désirs, pensant qu'il engloutira tout d'un seul coup. L'airain se heurtera à l'airain, Arès rougira la mer de sang. Alors le fils de Cronos qui voit au loin et l'auguste Niké amèneront pour la Grèce le jour de la liberté. » Quand Bakis parle de tels événements et en des termes si clairs, je n'ai pas le front quant à moi de lui opposer des contestations au sujet des oracles et je n'admets pas que d'autres le fassent.
T 22 - IX, 74 Sur Sophanès, citoyen de ce dème [Décélie], qui se distingua alors parmi les Athéniens [à la bataille de Platées], deux récits différents se racontent ; d'après l'un, il portait, attachée à la ceinture de sa cuirasse par une chaîne de cuivre, une ancre de fer ; quand il était arrivé près des ennemis, il la jetait à terre, pour que les ennemis ne pussent pas, en fondant sur lui, l'ébranler et lui faire quitter son rang ; et, quand ses adversaires prenaient la fuite, jugeant le moment venu, il relevait l'ancre et se mettait ainsi à leur poursuite. Voilà quel est le premier de ces deux récits ; mais voici ce que dit le second, en contradiction avec le précédent : c'était sur son bouclier, sans cesse en mouvement et jamais au repos, que Sophanès portait comme emblème l'image d'une ancre ; ce n'était pas une ancre de fer attachée à sa cuirasse.
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[14 octobre 2010]
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