Jean d'Outremeuse, Myreur des Histors, I, p. 149b-159a
Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)
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Ce fichier contient quatre parties :
* Myreur, p. 149b-153a (A. Conflits souvent légendaires en Orient et en Occident)
* Myreur, p. 153b-155a (B. Suite des conflits précédents : Judée - Grèce et Rome)
* Myreur, p. 155b-157a (C. Conflits légendaires entre l'Égypte des Lagides et les Carthaginois - Divers)
* Myreur, p. 157b-159a (D. Rome et Carthage : Légendes autour de la troisième Guerre Punique)
A. Conflits souvent légendaires en orient et en occident [Myreur, p. 149b-153a]
Autour d'Antiochus, de Synastor, d'Agilfo, de Gaborens, de Franco, de Castor, de Lidriel et d'Hector
Ans 421-426 de la transmigration = 168-163 a.C.n.
Introduction (sommaire et texte)
Ce qui concerne le début du texte, la notice sur le Séleucide Antiochus IV Épiphane appartient à l'histoire, mais en partie seulement, car la vision que se fait Jean des rapports du roi avec l'Égypte des Lagides dans les premières années de son règne ne correspond pas à la réalité. En fait, les Lagides avaient projeté de s'emparer de la Syrie d'Antiochus, partie intégrante de leurs possessions jusqu'en 200 avant notre ère. C'est pour écarter la menace qu'Antiochus IV avait préventivement attaqué lui-même les Lagides en remportant sur eux d'importants succès militaires, à Alexandrie même (à deux reprises), à Memphis, puis en Chypre. Mais ses victoires sur le terrain se heurtent à une très vive opposition du pouvoir romain, qui surveille de près Antiochus et ce qui se passe dans la région. Un émissaire romain transmet à Antiochus, de la part de Rome, l'ordre d'évacuer l'Égypte et Chypre. Le roi séleucide cède à cette pression diplomatique et se retire dans son pays. Par contre, comme cela a été dit plus haut (p. 148), l'intervention d'Antiochus IV Épiphane contre les Juifs rebelles à ses projets d'hellénisation et l'opposition qu'elle suscite de la part de Mattathias et des Maccabées sont pour l'essentiel historiques.
Par contre, la suite de la section qui continue les conflits précédemment décrits relève de l'épopée légendaire. Ces conflits d'ailleurs se sont internationnalisés, les forces gauloises et romaines intervenant à l'est dans les conflits locaux. On voit des Athéniens s'opposer aux Grecs, ces derniers, dans le monde du chroniqueur, étant les gens de Constantinople (p. 253). Les Athéniens d'Agilfo sont soutenus par les Gaulois de Franco et les Grecs de Synastor par les Romains. Des troupes gauloises et grecques assiègent en commun la ville d'Athènes défendue par les Athéniens et par les Romains.
À l'ouest, une manoeuvre, assez proche de celle utilisée précédemment par le comte de Flandre Lidrionel à l'égard du roi Négel de Danemark (p. 146), se reproduit. Gaborens, duc de Bourgogne, profite du départ de Franco en Orient pour ravager la Gaule et assiéger Lutèce, défendue par les troupes de Lidriel, troisième comte de Flandre.
À l'est, les affaires tournent au désavantage des alliés athéniens et romains. Ils sont défaits au combat et le roi athénien Agilfo est tué. Le Grec Synastor installe sur le trône d'Athènes son propre fils Castor, qui épouse la fille d'Agilfo. Quant aux Romains, ils prennent la fuite, après avoir saboté les navires des Grecs et menti à Synastor, en lui disant que la Grèce, son pays, était attaquée par Antiochus. Synastor décide de retourner le défendre, mais périt en mer, avec tous ses hommes, dès son départ, suite au naufrage total de sa flotte, savamment sabotée par les Romains. Par ailleurs, Franco, resté à l'est aux côtés des Grecs, est informé des attaques dont la Gaule est victime et rentre lui aussi pour défendre son pays. Son retour est un succès complet. Il ravage au passage la Bourgogne, l'Auvergne et le Limousin, atteint Lutèce et, avec l'aide des Flamands restés dans la ville, écrase les Bourguignons et tue leur duc Gaborens. Ces victoires ont des conséquences matrimoniales et territoriales : Hector, fils de Franco, épouse la fille de Lidriel, le comte de Flandre, et reçoit en héritage la Bourgogne, l'Auvergne et le Limousin.
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* Franco ravage la Bourgogne, l'Auvergne et le Limousin, puis gagne Lutèce, assiégée par Gaborens - Franco et les Flamands restés à Lutèce écrasent les Bourguignons et tuent Gaborens ainsi que ses trois fils - Hector, fils de Franco, épouse Lidéon, fille de Lidriel, comte de Flandre, et reçoit en héritage la Bourgogne, l'Auvergne et le Limousin (date non précisée: 426 ? de la transmigration = 163 ? a.C.n.)
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Antiochus IV Épiphane de Syrie devient l'allié de Ptolémée d'Égypte - Plus tard il veut mater ses sujets Juifs rebelles à ses tentatives d'hellénisation et se heurte à l'opposition de Mattathias et de ses fils, fidèles à leur loi (421-423 de la transmigration = 168-166 a.C.n.)
[p. 149] Item, l'an IIIIc et XXI, en mois de jenvier, oit grant batalhe entre le roy Anthiocus de Surie et ses gens, car ilh ly furent rebelle por chu qu'ilh les faisoit fauseir leur loy ; si l'encacharent, et ilh fuit en Egypte al roy Pholomes, et fist alianche à luy qu'ilh ly aideroit à tous jours, et ilh ly vosist aidier à destruire ses gens. Adont vient awec ly le roy Pholomes à oust bani, et les destruite, et remist le roy Anthiocus en sa possession. Et adont ilh fut plus fels aux Juys que devant. |
[p. 149] En janvier de l'an 421 [168 a.C.n.], une grande bataille opposa le roi Antiochus IV de Syrie et ses sujets. Ils se rebellèrent parce que le roi les forçait à désobéir à leur loi (p. 148). Chassé, Antiochus s'enfuit en Égypte chez le roi Ptolémée avec qui il s'allia. Antiochus aiderait Ptolémée en toutes circonstances et Ptolémée aiderait Antiochus à mater les rebelles. Ptolémée, avec l'armée qu'il avait convoquée, accompagna Antiochus, anéantit ses opposants, puis le remit sur le trône. Antiochus fut encore plus cruel envers les Juifs qu'auparavant. |
Item, l'an IIIIc et XXII, prist ly roy Anthiocus à femme Eliza, la filhe al roy Pholomes de Egypte, qui n'astoit pais de sa lignie ne de son loy. |
En l'an 422 [167 a.C.n.], Antiochus IV prit pour femme Éliza, la fille du roi Ptolémée d'Égypte, qui n'était ni de sa lignée ni de sa religion. |
[Matathias, Johans, Symon, Judas, Eleazar, Jonatas] Apres, sour l'an del transmigration de Babylone IIIIc et XXIII, avoit en la citeit de Mondin unc puissans hons qui fut nomeis Matathyas, qui avoit V fis : ly promirs oit à nom Johans, ly secon Symon, ly tiers Judas, ly quars Eleazar, ly Ve Jonathas. Ches enfans ne vorent onques lassier à faire les commandement de leur loy por le roy Anthiocus ; ains se tournarent encontre luy à défense, et orent contre luy mult de belles victoirs ; et fut par eaux à cel temps sourtenue la loy, enssi qu'ilh contient plus plainnement ens hystoirs de Sainte-Engliese qui de chu font mention. |
[Mattathias, Jean, Simon, Judas, Éléazar, Jonathan] En l'an 423 [166 a.C.n.] de la transmigration de Babylone, dans la cité de Mondin, vivait un homme important, du nom de Mattathias, père de cinq fils : le premier s'appelait Jean, le second Simon, le troisième Judas, le quatrième Éléazar, le cinquième Jonathan. Ces enfants ne voulurent jamais cesser d'observer les règles de leur loi malgré Antiochus IV Épiphane. Ils se retournèrent contre lui pour la défendre, remportant sur lui de très belles victoires. À cette époque, ils soutinrent la loi, comme le disent plus en détail les histoires de la Sainte-Église qui en font mention. |
Agilfo redevient roi d'Athènes, ce qui provoque la guerre entre Grecs et Athéniens - Synastor assiège Athènes - Lidrel devient comte de Flandre (423-424 de la transmigration = 166-165 a.C.n.)
[p. 149] En cesti an, en may, morut Poleno ly roy d'Athennes, qui fut fis le roy de Gresse Synastor. Adont remandarent les barons d'Athennes leur aultre roy Agylfo, qui demoroit à Romme et n'osoit revenir puis le temps que ly roy Synastor avoit conquis son rengne. Adont revient-ilh et fut rechus par ses hommes et remys en son siege et en sa digniteit, dont ilh esmut puis grant guerre entres les Grigois et cheaux d'Athenne. |
[p. 149] En mai de cette année-là [166 a.C.n.] mourut le roi d'Athènes Poléno, fils de Synastor, le roi de Grèce. Les barons d'Athènes rappelèrent alors leur autre roi, Agilfo, qui demeurait à Rome et n'osait revenir, depuis que Synastor avait conquis son royaume (p. 147). Alors Agilfo rentra. Il fut accueilli par ses partisans et rétabli sur son trône et dans sa dignité. Cela provoqua une grande guerre entre les Grecs et les Athéniens. |
Item, l'an IIIIc et XXIIII, en avrilh, morut Flandris, ly secons conte de Flandre ; si fut conte apres luy son fis, qui oit nom Lydrel, lyqueis regnat XIX ans. |
En avril de l'an 424 [165 a.C.n.] mourut Flandris, le second comte de Flandre ; son fils, nommé Lidriel, devint comte après lui, et régna dix-neuf ans. |
Ayant appris qu'Agilfo demande l'aide des Romains, Synastor pousse le duc de Gaule Franco à se venger des Romains, assassins de ses frères, et demande son aide - Franco se rend à Athènes avec une armée (425 de la transmigration = 164 a.C.n.)
[De roy Senastor] Item, [p. 150] l'an IIIIc et XXV, assemblat ly roy Senastor Cm Grigois, et vient en Athenes, et destruite le pays, et assegat la citeit ; mains, quant ly roy Agilfo choisit le siege, ilh envoiat IIII messagiers à Romme por querre socour ; mains ilh avient que les messagiers soy partirent par nuit de la citeit, se chevalchoient parmy les oust des Grigois, si furent aperchus des gaites, qui les cacharent de si pres que ly unc en fut pris, et les altres trois escappont. |
[Le roi Synastor] En [p. 150] l'an 425 [164 a.C.n.], le roi Synastor rassembla cent mille Grecs, se rendit à Athènes, ravagea tout le pays et assiégea la ville. Quand le roi Agilfo vit cela, il envoya quatre messagers à Rome pour demander du secours. Mais les messagers, qui avaient quitté la cité pendant la nuit et qui traversaient à cheval les rangs des Grecs, furent aperçus par les guetteurs, qui les poursuivirent de si près que l'un d'eux fut capturé. Les trois autres réussirent à s'échapper. |
Cheli qui fut pris fut meneis devant le roy, alqueile li roy demandat où ilh aloient ly et ses compagnons ; et chis li dest la veriteit. Quant ly roy entendit que cheauz d'Athennes mandent sourcour aux Romans, si s'est aviseis et at escript lettres qu'ilh envoiat en Gal à dus Franco, et ly mandat qu'il vengne vengier le murdre de ses II freres que les Romans ly avoient murdris, car ilh ly aideroit. |
Le prisonnier fut amené devant Synastor, qui lui demanda où ils allaient, lui et ses compagnons ; il lui dit la vérité. Quand le roi apprit que les Athéniens demandaient du secours aux Romains, il réfléchit et écrivit des lettres qu'il envoya en Gaule, au duc Franco, lui demandant de venir venger le meurtre de ses deux frères, assassinés par les Romains. Il l'y aiderait. |
Enssi envont tous les messagiers, et ont tant aleit que ilhs presentont leurs lettres à Romme et en Gal à Lutesse. Et li dus qui volentier les voloit vengier, assemblat son oust, et se soy mist à chemyn vers Athennes ; mains anchois que ly dus Franco fust eslongiés son paiis IIII journéez, sorvint à ly grant damaige, enssi com vos oreis. |
Ainsi se mirent en route les différents messagers. Finalement ils présentèrent leurs lettres d'une part à Rome, d'autre part en Gaule, à Lutèce. Le duc (Franco), désireux de venger ses frères, rassembla son armée et prit le chemin d'Athènes. Mais il n'était pas éloigné de son pays de quatre jours qu'il lui arriva un grand malheur, comme vous allez l'entendre. |
Le duc de Bourgogne Gaborens, en l'absence de Franco, pénètre en Gaule, ravage le pays et assiège Lutèce - À la demande des Gaulois, Lidriel, le nouveau comte de Flandre, arrive avec ses troupes devant Lutèce, où se déroule une violente bataille - Elle est perdue par les Flamands, qui se replient dans Lutèce - Gaza de Bruges, leur porte-drapeau, s'enfuit en Grèce annoncer à Franco l'attaque de Gaborens contre la Gaule (425 ? de la transmigration = 164 ? a.C.n.)
[p. 150] [De dus Gaborens et de conte Lydrel] A cel temps avoit I duc en Burgongne qui oit nom Gaborens, qui astoit fis Gabor, unc senateur de Romme qui avoit esteit ochis par les Sycambiens, quant Romme fut conquestée, enssi com dit est par-desus. |
[p. 150] [Le duc Gaborens et le comte Lidriel] À cette époque régnait en Bourgogne un duc, nommé Gaborens. C'était le fils de Gabor, un sénateur romain qui avait été tué par les Sicambres lors de la conquête de Rome, comme on l'a été raconté plus haut (p. 147). |
Chis Gaborens haioit fortement les Sycambiens, et avoit grant volenteit de son peire à vengier ; si assemblat grans gens, et entrat en pays de Galle, et destruite grant partie de pays, et conquestat Lutesse et pluseurs altres citeis, et ochioit tous cheaux qui ne ly voloient faire homage. |
Ce Gaborens haïssait beaucoup les Sicambres et avait la ferme volonté de venger son père. Il rassembla une troupe importante, pénétra en Gaule, dévasta une grande partie du pays, conquit Lutèce et beaucoup d'autres cités, tuant tous ceux qui ne voulaient pas lui rendre hommage. |
Mains les altres s'enfuirent en Flandre à conte Lydrel requere aide, si que chis qui faire le devoit, car ilh tenoit son pays d'on duc de Gal qui luy et ses predicesseurs avoient fondeit. |
Les autres s'enfuirent en Flandre et demandèrent l'aide du comte Lidriel, qui, selon eux, devait intervenir, puisqu'il détenait son pays d'un duc de Gaule qui l'avait fondé avec ses prédécesseurs. |
[Batalhe par-devant Lutesse] Quant li conte Lydrel entendit chu, si assemblat tous ses Flamens et vient en Galle ; se mandat jour de batalhe à Gaborens, et fut le XIIe jour de septembre l'an deseurdit ; et astoient bien des Flammens LXm hommes et les altres erent bien IIIIxx M, et la batalhe fut par-devant la citeit de Lutesse. |
[Bataille devant Lutèce] Quand le comte Lidriel apprit cela, il rassembla tous ses Flamands et se rendit en Gaule. Il fixa à Gaborens un jour pour la bataille : c'était le douze septembre de l'an précisé ci-dessus. Les Flamands étaient au moins soixante mille et les autres au moins quatre-vingt mille. Le combat eut lieu devant Lutèce. |
Mains quant les gens de Lutesse veirent les Flammens, si sont issus hours por eaux aidier, et se soy trahirent vers le banier [p. 151] le conte de Flandre, qui adont portoit I scus d'argent à IX ras de sable ; et li dus de Borgongne lei portoit d'asure à I dragon de goules. |
Quand les habitants de Lutèce virent les Flamands, ils sortirent pour les aider et se dirigèrent vers la bannière [p. 151] du comte de Flandre, qui portait alors un bouclier d'argent à neuf rats de sable (p. 333). Celui du duc de Bourgogne était d'azur, avec un dragon de gueule. |
[Flamens desconfis] Celle batalhe fut mult fort ; mains les Flamens furent desconfis, et furent reculeis jusques aux baires de la citeit en laqueile ilh entrarent et se fisent fermeir les portes, et ne furent point esbahis, et soy fisent desarmeir : ilh n'avoient mie perdut Xm hommes, car ilz furent desconfis par le defaulte de leur bannereche qui portoit leur banier qui s'enfuit ; et fut nomeis Gaza de Bruge. |
[Les Flamands défaits] La bataille fut très violente. Les Flamands furent battus et repoussés jusqu'aux barrières de la cité, où ils entrèrent, firent fermer les portes et, sans être effrayés, déposèrent leurs armes : ils n'avaient pas perdu dix mille hommes. Ils avaient été battus parce que leur porte-drapeau, qui portait leur étendard, s'était enfui : il s'appelait Gaza de Bruges. |
Chis Gaza s'enfuyt et n'arestat ; se vient en Athennes, por nonchier al duc Franco le fait que ly duc de Borgongne destruoit son pays. |
Ce Gaza s'enfuit sans jamais s'arrêter. Il arriva à Athènes et annonça au duc Franco que le duc de Bourgogne dévastait son pays. |
Les Romains, toujours plus nombreux, soutiennent les Athéniens tandis que les Gaulois arrivent un mois plus tard et, avec les Grecs, assiègent Athènes - Romains et Athéniens sortent de la ville mais sont défaits dans une horrible bataille où ils subissent de lourdes pertes, dont la mort d'Agilfo, roi des Athéniens - Les Romains en fuite sabotent les navires des Grecs et font savoir à leur roi présent devant Athènes que son pays est attaqué par Antiochus de Syrie
[p. 151] [Athennes assegie par les Romans (sic)] Ors vos diray de dus Franco et des altres ; se vos laray esteir des Borgengnons qui ont assiese la citeit de Lutesse, et les Flammens le defendent mult bien. |
[p. 151] [Athènes assiégée par les Grecs] Maintenant je vous parlerai du duc Franco et des autres ; je ne dirai plus rien des Bourguignons qui assiègent Lutèce ni des Flamands qui la défendent très bien. |
Et les Romans ont tant chevalchiet, qu'ilz sont venus en Athennes ; et ont là sourjourneit I mois, portant que gens les accressoient toudis, et ilhs ne quidoient pas que les Sycambiens les venissent greveir ne aydier les Grigois, car ilh n'awissent pas tant ratendut qu'ilh ratendirent. |
Les Romains chevauchèrent jusqu'à Athènes, où ils restèrent un mois. Des renforts venaient sans cesse s'ajouter à eux. Ils ne pensaient pas que les Sicambres viendraient leur nuire et aider les Grecs, car ils n'auraient pas attendu aussi longtemps pour agir. |
Anchois que ly mois fust accomplis, vient ly dus Franco, et awec ly XLm hommes à chevals. Quant les Grigois les veirent, si en fisent grant joie et noble fieste. |
Mais avant la fin du mois, le duc Franco arriva, avec quarante mille cavaliers. Quand les Grecs les virent, ils en furent très heureux et leur firent grande fête. |
Dedens VIII jour apres la venue des Sycambiens, fut la citeit d'Athenes assegié et assalhié des Grigois, et fut pres conquestée, quant les Romans et ches d'Athennes issirent fours tous armeis et corurent sus les Grigois qui bien soy defendirent. |
Dans les huit jours qui suivirent l'arrivée des Sicambres, la cité d'Athènes fut assiégée et assaillie par les Grecs. Elle était près d'être conquise quand Romains et Athéniens en armes sortirent tous et foncèrent sur les Grecs qui se défendirent vaillamment. |
Là oit orible estour qui durat de medy jusqu'à la nuit, et furent les Romans desconfis ; si en fut ochis XLm, tant des Romans com des Athennois, et ly remanans s'enfuirent. A celle batalhe fut mors ly roy d'Athennes et ses dois fis Agilfris et Aloxa, et bien XXX des senateurs de Romme, et XLm hommes awec. |
Un terrible combat s'engagea qui dura de midi à la nuit. Les Romains furent battus. Il y eut quarante mille tués, tant Romains qu'Athéniens, et les rescapés prirent la fuite. Cette bataille entraîna la mort du roi d'Athènes, de ses deux fils, Agilfris et Aloxa, de trente sénateurs de Rome au moins, et de quarante mille hommes. |
[Malische des Romans] Adont s'avisarent les Romans qui s'enfuoient d’one grant malische, car ilh vinrent al porte où les naves des Grigois où ilh astoient venus et en devoient raleir, et les alerent toutes traweir en pluseurs lis, et puis les estoparent de gomme d'Arabie tous les trais et de chire, portant qu'ilh ne voloient mie que li aywe entras sitost [p. 152] dedens, jusques à tant qu'ilhs seroient sour la hault mere que les grandes ondes les destopperoient ; et astoit cascons des trais oussi gran que unc homme y posist bouteir son pongne. |
[Ruse des Romains] Alors les Romains qui s'enfuyaient imaginèrent une ruse d'une grande malice. Ils allèrent au port où mouillaient les bateaux qui avaient amené les Grecs et devaient les ramener. Ils firent des trous en différents endroits des coques, en les rebouchant tous avec de la gomme arabique et de la cire. En effet, ils ne voulaient pas que l'eau pénètre [p. 152] dans les navires avant qu'ils ne se trouvent en haute mer, où les fortes vagues déboucheraient les trous. Chaque trou était assez grand pour permettre à un homme d'y enfoncer le poing. |
Quant les Romans orent chu fait, ilh prisent I messagier qui savoit bien parleir grigois, et le fisent aleir devant Athennes à roy grigois dire et raconteir que ly roy Anthiocus de Surie avoit assegiet son pays et le destruoit. Adont soy partit li messagier, si revient vers la citeit d'Athennes. |
Après cela, les Romains choisirent un messager qui connaissait le grec et lui dirent d'aller raconter au roi des Grecs [Synastor], qui se trouvait devant Athènes, que le roi Antiochus de Syrie avait assiégé son pays et le dévastait. Le messager partit et retourna à Athènes. |
Castor, fils de Synastor de Grèce, est placé sur le trône d'Athènes et épouse la fille du roi Agilfo - Synastor et Franco renoncent à leur projet d'envahir Rome suite aux deux messages qu'ils ont reçus, l'un, fondé, destiné à Franco, l'autre, mensonger, destiné à Synastor - Franco et Synastor retournent défendre leurs pays respectifs - Les Grecs de Synastor périssent en mer, dans le naufrage total de leur flotte sabotée par la ruse des Romains (426 de la transmigration = 163 a.C.n.)
[p. 152] Or vos diray de roy Sinastor de Gresse, et de duc Franco et de leur gens qui sont entreis en la citeit d'Athennes, et ont coroneit à roy d'Athennes Castor, le fis Synastor, et ly ont fait esposeir la filhe le roy Agilfo, que ilh ont troveit en la citeit, qui fut nomée Catherne, qui mult astoit belle. Apres en fist-ons les noches à la loy que ilh tenoient adont. |
[p. 152] Je vous parlerai maintenant du roi Synastor de Grèce et du duc Franco, qui entrèrent dans la cité d'Athènes et couronnèrent comme roi d'Athènes, Castor, le fils de Synastor. Ils lui donnèrent pour épouse la fille du roi Agilfo. Ils l'avaient trouvée dans la ville ; elle se nommait Catherine et était très belle. On célébra les noces selon la loi alors en vigueur. |
Et avoient jureit ensemble ly roy de Gresse et li dus de Galle d'aleir ensemble assegier Romme et destruire ; mains atant vinrent là dedens VIII jours dois messagiers li uns apres l'autre : Bacuda de Pavie et Gaza le banereche de Flandre, qui ont bien fait leur messaiges, ly I de menchongne et ly altre de veriteit. |
Le roi de Grèce et le duc de Gaule avaient juré ensemble de faire le siège de Rome et de la détruire. Mais dans les huit jours arrivèrent l'un après l'autre deux messagers : Bacula de Pavie, et Gaza, le porte-drapeau de Flandre, qui délivrèrent leurs messages : l'un était mensonger et l'autre disait la vérité. |
[Grigois et Sycambiens soy partent d’Athennes] Quant li roy et li dus entendirent les dois messagiers, si sont mult enbahis ; si falit enssi leur alianche, cascon en ralat en son pays. Departis sont les II oust ; les Grigois en vont vers la mere, et les Sycambiens s'envont vers Borgongne. Chu fut sor l'an IIIIc et XXVI, en fevrier, que les Grigois et les Sycambiens soy partirent d'Athenes. |
[Grecs et Sicambres quittent Athènes] Quand le roi et le duc entendirent les deux messagers, ils furent très étonnés. Leur alliance prit fin et chacun retourna dans son pays. Les deux armées s'en allèrent : les Grecs partirent par la mer et les Sicambres se mirent en route vers la Bourgogne. Ce fut en février de l'an 426 [163 a.C.n.], que les Grecs et les Sicambres quittèrent Athènes. |
[De roy Synastor et de ses gens] Or, vos diray des Grigois qui sont venus à rivaige à Brandis, et sont monteis sour mere à plustost qu'ilh porent por socorir leur pays ; puis ont leveis leur voiles, et si s'envont. Et allarent plus de II liwes anchois que les trais fussent destoppeis ; et quant ilh furent destoppeis, adont entrat ly mere dedens en milh lieu, et furent asseis toist affondreis toutes les naves que oncques n'en escappat une seule ne I seul homme. Enssi fut là noyés ly roy Synastor, awec luy Cm Grigois, et grant avoir perdut. |
[Le roi Synastor et ses gens] Maintenant je vous parlerai des Grecs qui, arrivés sur la côte, à Brindes, s'embarquèrent aussi vite qu'ils le purent pour porter secours à leur pays. Ils levèrent les voiles et s'en allèrent. Ils naviguèrent plus de deux lieues avant que les trous ne se débouchent. Quand cela se produisit, l'eau de mer pénétra en mille endroits et très vite tous les navires sombrèrent. Pas un seul navire, pas un seul homme non plus n'en réchappa. Ainsi périt noyé le roi Synastor. Avec lui cent mille Grecs moururent et de grandes richesses furent perdues. |
Franco ravage la Bourgogne, l'Auvergne et le Limousin, puis gagne Lutèce, assiégée par Gaborens - Franco et les Flamands restés à Lutèce écrasent les Bourguignons et tuent Gaborens ainsi que ses trois fils - Hector, fils de Franco, épouse Lidéon, fille de Lidriel, comte de Flandre, et reçoit en héritage la Bourgogne, l'Auvergne et le Limousin (date non précisée: 426 ? de la transmigration = 163 ? a.C.n.)
[p. 152] Enssi furent vengiés les Romans des Grigois ; et li dus Franco at tant aleit qu'ilh est venus en Bourgongne, en Avergne et en Limosins, et at tout destruite, car ilh ne truve nuls defendeurs se pou non ; car ly dus Gaborens astoit devant Lutesse qu'ilh avoit assegiet. |
[p. 152] Les Romains se vengèrent ainsi des Grecs. Quant au duc Franco, il marcha jusqu'à ce qu'il atteigne la Bourgogne, l'Auvergne et le Limousin, où il ravagea tout, ne rencontrant que très peu de défenseurs. En effet, le duc Gaborens était en train d'assiéger Lutèce. |
[Borgengnons desconfis] Quant ly dus Franco oit chu fait, si [p. 153] fist ses gens chevalchier vers Lutesse, où ilh trovat les Borgengnons ; si les corit sus, et cheaux se sont bien defendus. |
[Bourguignons vaincus] Après cela, le duc Franco [p. 153] fit chevaucher ses troupes vers Lutèce, où il trouva les Bourguignons. Il fonça sur eux, mais ces derniers se défendirent bien. |
Adont issirent fours de Lutesse les Flammens, et se ferirent en l'estour ; là fut ochis ly dus Gaborens et ses trois fis Gobrelio, Gobot et Goghota et XLm Borgongnons et plus ; et les altres soy rendirent à prisonnirs, car ilh n'en porent fuyr. |
Alors les Flamands sortirent de Lutèce et se lancèrent dans un combat, où furent tués le duc Gaborens et ses trois fils, Gobrelio, Gobot et Gogotha, ainsi que plus de quarante mille Bourguignons. Les autres se rendirent et furent faits prisonniers, car ils n'avaient pas pu s'enfuir. |
Apres chu, les Sycambiens et les Flammens sont tous rentreis au Lutesse ; et fist là li dus Franco grant fieste et reverenche à conte de Flandre Lydrel, qui son pays li avoit tenseit. Chis conte Lydrel avoit une filhe qui oit nom Lydeon, et li dus Franco avoit I fis qui fut apelleis Ector. De ches Il fut fait li mariage, et les donnat ly dus Franco tont la terre de Burgongne, Avergne et Lymosin. |
Après cela, les Sicambres et les Flamands rentrèrent tous dans Lutèce. Le duc Franco fit grande fête et grand honneur au comte de Flandre Lidriel qui avait protégé son pays. Ce comte Lidriel avait une fille, du nom de Lidéon, et Franco avait un fils, appelé Hector. On célébra le mariage de ces deux enfants, à qui le duc Franco donna toute la Bourgogne, l'Auvergne et le Limousin. |
B. suite des conflits précédents - judée - GRÈCE ET ROME [Myreur, p. 153b-155a]
Ans 427-432 de la transmigration = 162-157 a.C.n.
Introduction (sommaire et texte)
On reste dans le droit fil des notices précédentes. En ce qui concerne les affaires de Judée (cfr p. 148), Jean revient sur la résistance des Juifs et particulièrement des Maccabées à l'hellénisation forcée de leur pays et aux attaques contre la religion juive dont se rendent responsables les différents Séleucides du moment (Antiochus IV Épiphane, Antiochus V Eupator et son ministre Lysias, Démétrius I et son général Bacchidès). Il y est fait notamment allusion à la profanation du Temple par des sacrifices païens, à sa purification en 164 avant notre ère (la troisième dédicace) et à la mort au combat, en 160 avant notre ère, de Judas Maccabée, le chef de la révolte. Jean ne dit pas ici que Jonathan, le frère de Judas, reprend la direction de la révolte. Pour la suite, cfr p. 160-161, p. 163
Vient alors la suite, bien détaillée, des événements fictifs qui avaient été développés dans les passages précédents et où se trouvaient mêlés Athéniens, Gaulois, Grecs et Romains. Les Gaulois sont hors du jeu. Les Athéniens et les Grecs sont maintenant alliés puisque le nouveau roi d'Athènes est Castor, le fils du grec Sénestor, mort dans le naufrage en mer de sa flotte sabotée par les Romains. Pour venger la mort de Sénestor, Athéniens et Grecs partent attaquer Rome avec une puissante armée. Mais les Romains rassemblent leurs alliés (dont Invidus, roi des Latins, dont on n'avait plus parlé depuis la p. 148), remportent sur l'armée d'invasion une victoire écrasante et dans la foulée conquièrent le pays des Athéniens. En récompense pour son aide, Invidus reçoit la ville d'Athènes (qu'il donne à son fils) et est fait sénateur de Rome.
Une brève remarque concerne la mention de Térence (né vers 190 et mort en 159 avant notre ère). Si l'on en croit Suétone, cet auteur comique latin serait bien né à Carthage, mais, réduit en esclavage encore enfant, il aurait été acheté par le sénateur romain Terentius Lucanus, qui l'aurait affranchi. En réalité, toute sa carrière s'est donc déroulée à Rome, dans la haute société romaine.
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Sous le règne d'Antiochus V Eupator de Syrie, Judas Maccabée, à la tête des Juifs, rétablit pour un temps la loi juive dans le Temple de Jérusalem, mais est finalement tué dans un combat mené par Bacchidès, envoyé par Démétrius I de Syrie, successeur d'Eupator (427 de la transmigration = 162 a.C.n.)
[p. 153] Item, l'an IIIIc et XXVII, en mois d'octembre, morut ly malvais roy Antiochus de Surie et d'Asie. Si regnat apres son fis Anthiocus Empatar I an. Adont fist Judas Machabeus osteir les ydolles que ly roy avoit faite mettre en temple, et commandat à faire les oblations et les sacrifiches en temple solonc l'esengnement de leur loy. |
[p. 153] En octobre de l'an 427 [162 a.C.n.] mourut Antiochus, le mauvais roi de Syrie et d'Asie. Son fils Antiochus Eupator lui succéda et régna pendant un an. Judas Maccabée fit alors enlever les idoles que le roi avait fait placer dans le Temple ; il ordonna aussi d'y faire les offrandes et d'y offrir les sacrifices conformément aux enseignements de la loi juive. |
[La tirche dicause Jherusalem] Adont fut celebrée en Jherusalem la tirche dicause, et en l'an apres morut Empater. Si regnat apres luy son fis XII ans, qui oit nom Demetres. Chis roy Demetres envoiat en la terre de Judée unc sien prinche, qui oit nom Bachides, à XXm hommes, por la terre à conquesteir que Judas Machabeus tenoit. |
[La troisième dédicace de Jérusalem] On célébra à Jérusalem la troisième dédicace. Eupator mourut l'année suivante. Son fils Démétrius régna pendant douze ans. Il envoya en Judée un de ses princes, dénommé Bacchidès, avec vingt mille hommes, pour conquérir le pays qui était aux mains de Judas Maccabée. |
[Judas Machabeus] Si oit Judas batalhe contre luy et ses freres awec ; mains en celle batalhe fut ochis Judas, qui astoit li soverains evesques et prinche de la loy de peuple Ysrael ; et furent mors awec li VIIIc de ses hommes. Chis Judas avoit governeit le peuple d'Ysrael XIX ans, et avoit oyut maintes belles victoirs, sicom la bible en fait mention. |
[Judas Maccabée] Judas et ses frères lui livrèrent une bataille, au cours de laquelle Judas fut tué. Il était le grand prêtre et le docteur de la loi du peuple d'Israël. Huit cents de ses hommes moururent avec lui. Il avait dirigé le peuple d'Israël durant dix-neuf ans et remporté maintes belles victoires, comme le raconte la Bible. |
Le poète Térence vit à Carthage - Les Grecs et les Athéniens de Castor sont informés du naufrage de Synastor, quatre ans après les faits (430 de la transmigration = 159 a.C.n.)
[p. 153] [Terentius] A cel temps regnoit en la citeit de Carthaige en Affrique ly noble poete qui oit nom Terentius. |
[p. 153] [Térence] À cette époque vivait dans la cité de Carthage en Afrique le poète réputé qui se nommait Térence. |
Item, l'an IIIIc XXX, montarent sour mere XIIIIm Grigois, por aleir en Athennes savoir novelle de roy Synastor et de ses gens, et pourquoy demoroient tant longement. Et ilh astoient tous noyés IIII ans devant, enssi que dit est desus ; mais nuls ne le savoit portant qu'ilh n'estoit escapeit nuls d'eaux. |
En l'an 430 [159 a.C.n.], quatorze mille Grecs prirent la mer, pour aller à Athènes s'informer de Synastor et de ses hommes, et savoir pourquoi ils restaient absents si longtemps. Tous avaient été noyés quatre ans plus tôt, comme on l'a dit. Mais on ne le savait pas, personne n'ayant échappé au désastre. |
Si ont tant nagiet par mere et aleit par terre, qu'ilh sont venus en Athennes ; si ont troveit le roy Castor, et ly demandarent [p. 154] novelle de Synastor le roy, son pere ; et ilh leur dest qu'ilh avoit IIII ans que ilh en estoit raleis vers Gresse por sorcorir son rengne contre le roy Anthiocus de Surie, qui l'avoit assegiet, enssi qu'ilh ly fuit nunchieit par messagier. |
Ils voyagèrent longtemps, sur mer et sur terre, avant d'arriver à Athènes. Ils y trouvèrent le roi Castor et lui demandèrent [p. 154] des nouvelles du roi Synastor son père. Castor leur dit que Synastor était retourné en Grèce depuis quatre ans, pour défendre son royaume contre le roi Antiochus de Syrie, qui l'avait assailli, comme l'avait annoncé un messager. |
De chu mult soy mervelharent les barons de Gresse, et se desent que oncques ly roy Anthiocus ne les avoit assegiet ne riens forfaite. Quant ly roy Castor entendit chu, si fut esperdus et mult esmaiés. |
Les barons de Grèce furent extrêmement étonnés. Ils dirent que jamais le roi Antiochus ne les avait attaqués et n'avait commis de faute envers eux. En entendant cela, Castor fut troublé et très inquiet. |
[Mervelhe] Adont orent les barons conselhe que ilh feroient al temple aleir uns hons, por savoir à leur dieux novelle de roy Synastor et de ses gens. Atant ont pris Ardossa, I chevalier grigois ; si l'ont envoiet à leur Dieu, car chis en savoit bien la manere ; si fist ses oblations et ses dyableries, tant que li malvais Sathanas vient dedens leur ydolle, qui li devisa comment li emporere et ses gens furent en meir noiiés par les Romans, enssi com dit est par-deseur. |
[Prodige] Les barons décidèrent alors d'envoyer un homme au Temple, pour obtenir de leurs dieux des nouvelles du roi Synastor et de ses gens. Ils désignèrent et envoyèrent Ardossa, un chevalier grec, qui savait comment il fallait faire. Il fit ses offrandes et ses sortilèges. Le maudit Satan prit possession de leur idole qui leur raconta comment l'empereur et ses hommes avaient été noyés en mer par les Romains, comme cela a été dit (p. 152). |
Castor d'Athènes et les Grecs, pour venger Synastor, attaquent les Romains et la ville de Rome - Mais les Romains et leurs alliés, le roi Invidus des Latins, le roi Godosa de Pavie et le prince de Milan, à la tête d'une nombreuse armée, remportent la victoire et conquièrent tout le territoire des Athéniens - Le Latin Invidus reçoit la ville d'Athènes, qu'il donne à son fils, et est fait sénateur de Rome (432 de la transmigration = 157 a.C.n.)
[p. 154] [De roy Castor et des Romans] Quant Ardossa soit chu, se le nunchat à roy ; adont jurat ly roy que ilh les vengeroit ; si assemblat Cm hommes, et se soy mist al chemyn, si s'en allat droit vers Romme. Quant les Romans sorent chu, ilh mandarent pais et acorde à roy Invidus des Latins, que ilh les vosist aidier contre cheaux d'Athennes, et ilh li feroient amende à sa volonteit de chu que ilh ly avoient forfaite, teile que luy seroit et ses heurs soverains senateurs de Romme. |
[p. 154] [Le roi Castor et les Romains] Quand Ardossa apprit cela, il l'annonça au roi, qui jura de les venger. Il rassembla cent mille hommes et se mit en route directement pour Rome. À cette nouvelle, les Romains demandèrent au roi des Latins Invidus de conclure la paix et un accord. S'il acceptait de les aider contre les Athéniens, les Romains répareraient leurs torts envers lui, selon sa volonté ; lui et ses héritiers seraient sénateurs souverains de Rome. |
Quant ly roy Invidus entendit chu, se mandat ses hommes et vient à Romme à XLm hommes. Apres y vient ly roy Godosa de Pavie à XLm hommes, et ly prinche de Melant à XXm hommes ; et les Romans assemblont leur gens al somme de Cm hommes. Et quant les Romans furent tous ensemble, si furent-ilh sommeis à IIc milhes hommes. |
Ayant entendu cela, Invidus convoqua ses troupes et gagna Rome avec quarante mille hommes. Arrivèrent ensuite le roi Godosa de Pavie avec quarante mille hommes et le prince de Milan avec vingt mille. Les Romains aussi rassemblèrent leurs troupes, soit cent mille hommes. Une fois que les Romains furent tous réunis, ils étaient deux cent mille. |
Adont soy partirent les Romans de Romme et chevalcarent contre leurs anemis, portant que ilh ne voloient mie estre ensereit dedens leur citeit, et oussi afin que leur anemis n'ardissent leur pays. Et sont aleis logiés en la fin sor le marche de leur pays por mies à gardeir ; et y demoront pres de VIII mois anchois que leur anemis venissent. |
Les Romains sortirent alors de Rome et chevauchèrent à la rencontre de leurs ennemis, car ils ne voulaient ni être enfermés dans leur cité, ni voir le pays détruit par le feu. Ils allèrent installer leur camp à la fontière, pour mieux protéger le territoire. Ils y restèrent près de huit mois, avant l'arrivée des ennemis. |
En la fin vinrent cheaux d'Athennes à Cm hommes ; et quant ilh veirent les Romans, sy ont leurs gens ordineit, et les Romans les leurs. |
Finalement, les Athéniens se présentèrent avec cent mille hommes. À la vue des Romains, ils rangèrent leurs troupes et les Romains firent de même. |
[Grant batalhe] Si soy corirent sus ; là oit grant batalhe, où ilh morut cent et XLm hommes, tant d'onne partie com de [p. 155] l'autre ; mains cheaux d'Athennes furent desconfis, et li roy Castor ochis. Adont escapat de cheaux d'Athennes et des Grigois XLIX hommes tant seulement. |
[Grande bataille] Ils s'affrontèrent. Une grande bataille eut lieu, où périrent cent quarante mille hommes, dans un camp comme dans [p. 155] l'autre ; mais les Athéniens furent défaits et le roi Castor fut tué. Parmi les Athéniens et les Grecs, seules quarante-neuf personnes échappèrent à la mort. |
[Athennes conquestée par les Romans] Apres la desconfiture alarent les Romans devers Athennes ; se prisent tout le pays et ochisent Synastor le fis le roy Castor, de Catherne, sa femme, et son frere Agilfo, qui astoit jovene d'eaige. Et fut cel batalhe en jenvier sor l'an IIIIc et XXXII. |
[Athènes conquise par les Romains] Après la défaite (des Grecs), les Romains partirent pour Athènes. Ils conquirent tout le pays, tuèrent Synastor, fils du roi Castor et de sa femme Catherine (p. 152), ainsi que son frère Agilfo, en bas âge. Cette bataille eut lieu en janvier de l'an 432 [157 a.C.n.]. |
Enssi com je vos dis fut la batalhe desconfite, et fut Athennes conquestée, que les Romans ont donneit en signe de pais à Invydus, le roy des Latins, qui mult les en remerchiat. Et ly roy le rendit à Innelus son fis, qui prist à femme Catherne la femme Castor ; puis se sont tous departis et raleis chascons en son pays. Et al departir fut fais Invidus, ly roy des Latins, sovrains senateur de Romme. |
Comme je l'ai dit, la bataille fut perdue pour les Athéniens et Athènes fut conquise. Les Romains la donnèrent en gage de paix à Invidus, le roi des Latins, qui les en remercia vivement. Le roi la rendit à Innelus, son fils, qui prit pour femme Catherine, la femme de Castor. Ensuite tous repartirent, chacun dans son pays. Et au moment du départ, Invidus, le roi des Latins, fut fait sénateur souverain de Rome. |
C. CONFLITS légendaires ENTRE l'Égypte des Lagides et les Carthaginois [Myreur, p. 155b-157a]
Ans 432-440 de la transmigration = 157-149 a.C.n.
Introduction (sommaire et texte)
L'histoire du conflit légendaire entre Grecs, Athéniens, Gaulois, Romains et populations alliées, s'interrompt pour céder la place à quelques notices étrangères à ce sujet et surtout à l'histoire. Il s'agit des rapports entre les Lagides et un roi Danemont de Carthage, inconnu par ailleurs.
Il ne semble pas en effet que les Lagides soient intervenus dans les Guerres Puniques. On sait en tout cas que Ptolémée III aurait même refusé une aide financière à Carthage à l'époque de la première Guerre Punique. Jean semble confondre Africains et Carthaginois, ce qui rend l'analyse difficile. Il est très invraisemblable que les Africains de Carthage aient pu être à un quelconque moment les alliés du roi des Arabes, et que Carthage ait jamais été en état d'imposer un tribut à un des Lagides. Mais arrêtons là. Tenter de retrouver les événements historiques dissimulés dans ces notices prendrait trop de temps pour peu de résultat.
En ce qui concerne les affaires de Judée, dans la rubrique « successions », qui mentionne la mort de Démétrius I (en 151-150 avant notre ère), on attirera l'attention sur les rapports positifs entre Alexandre [Balas], le successeur de Démétrius, et Jonathan (Maccabée), ainsi que sur la vision de « Juifs couronnant Alexandre comme roi de Syrie et d'Asie ». Les choses sont en réalité beaucoup plus nuancées que dans la version du chroniqueur liégeois. Pour plus de précisions, on se reportera par exemple au site Antikforever. Quoi qu'il en soit, Jonathan Maccabée avait désormais l'appui d'Alexandre Balas et le calme était maintenant revenu entre la Judée et la Syrie. Jonathan Maccabée fut installé comme grand-prêtre en 159 avant notre ère. On le retrouvera p. 161, où il sera question de traités d'alliance conclus avec les Romains, non seulement par Jonathan, mais aussi par son frère Judas. Sous les Maccabées déjà, Rome s'occupait donc aussi des Juifs.
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Durant trois ans, l'Égypte de Ptolémée, qui revendique la souveraineté sur l'Afrique, et le roi de Carthage, Danemont, se livrent à des attaques mutuelles qui aboutissent à une bataille, où Ptolémée est vaincu (432-435 de la transmigration = 157-154 a.C.n.)
[p. 155] [Discorde entre les roys Pholomes et Dannemon] Item, en cheli temps, commenchat grant discorde entre cheaux d'Affriques et le roy Pholomes d'Egypte ; et ly cause del discorde si astoit teile, que ly roy Pholomes voloit estre soverains de la terre d'Affrique, et qu'ilh ly rendissent tregut.Si s'en esmut mult grant guerre, car les Affricans commencharent à destruire la terre d'Egypte, et les autres destruisoient la terre d'Affrique. En teile maniere durat-ilh bien III ans, toudis ardre et destruire et conquirre terre li uns sour l'autre, sens batalhe avoir ; mains al derain les II parties s'encontrarent, chascon partie à Xm hommes qui venoient de destruire ly unc l'autre. Si orent grant batalhe mais ly roy Pholomes fut desconfis, qui s'enfuit, et ly roy Dannemon d'Affrique s'en ralat et emynat ses oust en son pays, et fut chu en mois de may l'an IIIIc et XXXV. |
[p. 155] [Discorde entre les rois Ptolémée et Danemont] En ce temps-là éclata une grande discorde entre les Africains et le roi Ptolémée d'Égypte. La cause en était que le roi Ptolémée voulait être le souverain de la terre d'Afrique et qu'il en exigeait un tribut. Cela déclencha une grande guerre, car les Africains se mirent à dévaster la terre d'Égypte, et les Égyptiens celle d'Afrique. Pendant au moins trois ans, on ne cessa de brûler, détruire et conquérir de part et d'autre, sans livrer de véritable bataille ; mais à la fin, les deux adversaires se rencontrèrent, chacun avec dix mille hommes, qui venaient se détruire les uns les autres. Ce fut une grande bataille. Le roi Ptolémée fut vaincu et s'enfuit, tandis que le roi Danemont d'Afrique s'en retourna dans son pays, emmenant son armée. Cela se passa au mois de mai de l'année 435 [154 a.C.n.]. |
Ptolémée et son allié, le roi Démétrius de Syrie, repartis en guerre contre les Africains de Carthage et leur allié, le roi des Arabes, sont battus dans un combat meurtrier, mais Ptolémée parvient à s'échapper et charge Démétrius de Syrie de faire la paix avec les Africains, lesquels imposent un tribut à Ptolémée (435-437 de la transmigration = 154-152 a.C.n.)
[p. 155] Item, le roy Pholomes, quant ilh fut revenus en son pays, ilh fist alianche à Demetres le roy de Surie, qui li pristat XLm hommes, et s'en ralat en Affrique à Cm hommes, et destruit le pays. |
[p. 155] Rentré chez lui, le roi Ptolémée s'allia à Démétrius, le roi de Syrie, qui lui prêta quarante mille hommes. Ptolémée retourna alors en Afrique avec cent mille hommes, dévastant tout le pays. |
Mains quant les Affricans sorent sa venue, si assemblarent leurs hommes, et furent oussi bien Cm, et ly roy d'Arabes les vient aidier à XLm hommes ; puis issirent de la citeit de Cartaige, où ilh astoient assembleis, et là ilh s'en alont devers les Egiptiiens et les corurent sus. |
Mais, informés de son arrivée, les Africains rassemblèrent leurs troupes, au nombre d'au moins cent mille hommes. Le roi des Arabes vint aussi les aider, avec quarante mille hommes. Les Africains sortirent alors de Carthage, où ils étaient rassemblés, se dirigèrent vers les Égyptiens et les attaquèrent. |
Là oit fort estour, qui durat de matin jusques al heure de vesperes, et fut bien ochis des Affricans XLm ; mains ils orent la victoir, car leurs anemis furent desconfis ; si en fut mors LXXIIIIm, et si se noiat en mere plus de Xm. |
Un grand combat se déroula alors, qui dura du matin au soir. Au moins quarante mille d'entre eux furent tués, les Africains furent vainqueurs et leurs ennemis battus : soixante-quatorze mille d'entre eux périrent et plus de dix mille se noyèrent en mer. |
[Les Egyptiiens desconfis] Adont s'enfuit ly roy Pholomes à chu de [p. 156] gens que ilh avoit de remanant, et les Affricans les suyrent mult firement; mais ilh escapparent. Quant li roy Pholomes vient en Egypte, son regne, si voit bien qu'ilh avoit tot perdut, et qu'ilh ne poroit endureir le siege des Affricans, si le venoient assegier ; si envoiat le roy de Surie Demetre aux Affricans por faire la pais. Cel desconfilure fut en febrier l'an IIIIc et XXXV, car febrier astoit adont le derain mois de l'an. |
[Les Égyptiens battus] Le roi Ptolémée s'enfuit alors avec ce qui lui restait [p. 156] de troupes. Les Africains poursuivirent très énergiquement les Égyptiens, mais ceux-ci en réchappèrent. Quand le roi Ptolémée fut rentré dans son royaume, il vit bien qu'il avait tout perdu et qu'il ne pourrait supporter le siège des Africains, s'ils venaient l'assaillir ; il envoya le roi de Syrie Démétrius chez les Africains pour faire la paix. Cette défaite eut lieu en février de l'an 435 [154 a.C.n.], février étant alors le dernier mois de l'année. |
[Demetre le roy de Surie procure la pais] Enssi com nos vos devisons avient-ilh, et s'en allat ly roy de Surie en Affrique ; si vient en Carthage à Vc chevaliers, et procurat la pais, qui en teile maniere fut ordinée, que ly roy Pholomes d'Egypte paieroit à roy Dannemon d'Affrique milh besans por ses despans, et IIm por les damaiges qu'ilh avoit soustenuit en ly défendant de la fause demande que ly roy Pholomes li faisoit. Et (fut) fait ladit pais l'an IIIIc et XXXVII. |
[Démétrius, le roi de Syrie, ramène la paix] Les choses se passèrent comme nous l'avons raconté. Le roi de Syrie se rendit en Afrique : il arriva à Carthage avec cinq cents chevaliers, et ramena la paix, qui fut conclue aux conditions suivantes : le roi Ptolémée d'Égypte paierait au roi Danemont d'Afrique mille besants pour ses frais, et deux mille pour les dommages subis en se défendant contre l'exigence injustifiée du roi Ptolémée. La dite paix fut signée en l'an 437 [152 a.C.n.]. |
Successions au Danemark et chez les Latins - En Syrie, c'est un des trois fils de Démétrius I, Alexandre, qui devient finalement roi (438-441 de la transmigration = 151-149 a.C.n.)
[p. 156] Item, l'an IIIIc et XXXVIII en awost, morut ly Ve roy de Dannemarche, qui avoit nom Anthenoir. Si fut roy apres luy son fis Godosa, lyqueis regnat XXVIII ans. |
[p. 156] En l'an 438 [151 a.C.n.], au mois d'août, mourut le cinquième roi de Danemark, qui se nommait Anténor. Son fils Godosa lui succéda et régna durant vingt-huit ans. |
En cel an meisme, en febrier, morut ly roy des Latins, Invydus. Si fut apres ly roy son fis Invydel, qui regnat XII ans. |
Cette même année, en février, mourut le roi des Latins, Invidus. Son fils Invidel lui succéda et régna pendant douze ans. |
[Des trois fis de roy Demetre] Item, l'an IIIIc et XL, morut ly roy Demetres de Surie et d'Asie, en fevrier ; si fut adont grant discorde entres ses enfans, dont ilh en astoit trois : Alixandre, Anthiocus et Demetres. Chis Anthiocus astoit ly anneis ; par chesti raison devoit succedeir son peire el regne ; mains Alixandre, qui astoit ly anneis apres astoit tant chevalereux, et avoit fait à Jonatas tant de biens et de bons serviches, et fors en ses gueres que ilh l'amoit fortement, et enssi faisoit ly peuple de Judée, tant que finablement ilh le coronarent roy de Surie et d'Asie, sour l'an IIIIc et LXI (sic) en marche. |
[Les trois fils du roi Démétrius] En l'an 440 [149 a.C.n.], en février, mourut le roi Démétrius I de Syrie et d'Asie. Il y eut alors une grande discorde entre ses trois fils : Alexandre [Balas], Antiochus [VI] et Démétrius [II]. Antiochus était l'aîné, et, pour cette raison, devait succéder à son père sur le trône ; mais Alexandre, qui venait en second lieu, était si vaillant chevalier et avait rendu à Jonathan (p. 160-161, p. 163) tant de bons et loyaux services, même en dehors des guerres, que celui-ci l'aimait beaucoup, tout comme l'aimait aussi le peuple de Judée. Les Juifs le couronnèrent finalement roi de Syrie et d'Asie en mars 441 (au lieu de 461, selon le texte). |
Et fut de chis discors sentenchiet que Anthiocus, li anneis fis, le perdoit, portant que ilh ne savoit nient gueroier ne governeir le pays, car ilh n'astoit point chevalereux. Et li altre, Demetres, le perdoit portant que ilh astoit jovenes, et que Alixandre astoit anneis de ly. Enssi fut l'acordanche faite, et les dois freres demoront awec le roy Alixandre leur frere. |
Suite à cette discorde, il fut décrété qu'Antiochus, le fils aîné, n'obtenait pas le trône, parce qu'il ne savait ni guerroyer ni gouverner le pays, n'étant pas un très vaillant chevalier. Et Démétrius, l'autre fils, qui était (plus) jeune et le cadet d'Alexandre, ne l'obtenait pas non plus. Tel fut l'accord conclu, et les deux hommes restèrent avec le roi Alexandre [Balas], leur frère. |
D. Rome et Carthage : LÉGENDES AUTOUR DE LA TROISIÈME GUERRE PUNIQUE [Myreur, p. 157b-159a]
Ans 441-445 de la transmigration = 148-144 a.C.n.
Introduction (sommaire et texte)
Nouvelle rupture dans le récit, qui nous ramène aux Guerres Puniques, très précisément à la troisième (149 à 146 avant notre ère), celle qui vit la destruction totale de Carthage. Mais la fin de Carthage évoquée par Jean ne répond guère aux réalités de l'histoire. Parmi les trois consuls cités (p. 157), deux d'entre eux seulement pourraient correspondre à des personnalités romaines occupant des hautes fonctions à cette époque : le troisième nom, Torance, n'est pas identifiable. On ne sait pas comment interpréter ce motif des projets de vengeance nourris par Carthage contre les Romains et contre les Gaulois. Dans l'histoire, c'est Rome qui porte l'entière responsabilité de cette guerre, qu'elle a voulue. Qui peut bien être ce Joras, « un prince, conseiller du roi des Latins», par ailleurs mercenaire (sodoier) dans les armées carthaginoises, qui semble jouer à Carthage le rôle d'espion et qui connaît les secrets des hauts dirigeants ? Et à quoi peut correspondre l'épisode de cet amiral venu de la ville de Cypuly, un nom qu'on ne rencontre qu'ici, pour soutenir un roi Danemont de Carthage, qui ne semble connu lui aussi que de notre chroniqueur ? Quel est le sens de ces armes d'or et d'argent qui interviennent dans la narration. Tout cela suggère davantage une reconstruction épique qu'un récit historique, fût-il amplifié.
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Conflits « légendaires » entre Égypte et Carthage - Les Romains, informés par Joras, un espion latin infiltré à Carthage, des projets de vengeance des Carthaginois contre Rome et la Gaule, sont décidés à détruire à nouveau Carthage - Ils s'embarquent et dévastent le royaume carthaginois (441 de la transmigration = 148 a.C.n.)
[De Joras] En cel an [p. 157] meismes, vient à Romme Joras, unc prinche qui astoit del conselh le roy des Latins, et venoit de Chartaige en gueres sicom sodoier. Si avoit illuc demoreit tout le temps apres le pais faite entre les Affricans et les Egyptiiens, jusques à cel temps qu'ilh astoit revenus, et avoit oyut parleir les prinches de Chartaige en eaux vantant que ilhs astoient les plus puissans de monde, et avoient bien puissanche d'eaux à vengier de leur anemis, et commencheroient à cel esteit prochaine à plus puissans de leur annemis – chis astoient les Romans – et conqueroient Romme et le destruroient tout, et puis ilh conquesteroient Galle et le destruroient toute ; et enssi ilh partoient et prendoient. |
[Joras] Cette année-là [p. 157] se présenta à Rome un prince nommé Joras, qui faisait partie du conseil du roi des Latins ; il venait de Carthage où il avait combattu comme mercenaire. Jusqu'à son retour à Rome, Il avait séjourné à Carthage pendant tout le temps qui suivit la paix conclue entre Africains et Égyptiens. Il avait entendu les princes carthaginois se vanter d'être les plus puissants du monde et d'avoir des forces suffisantes pour se venger de leurs ennemis. Ils disaient aussi qu'ils commenceraient l'été prochain par les plus puissants d'entre eux – les Romains –, qu'ils feraient la conquête de Rome, la détruiraient entièrement et qu'ensuite, ils s'empareraient de la Gaule et la dévasteraient complètement. C'est ainsi qu'ils se répartissaient la tâche et s'y appliquaient. |
Mains ilh avient tot le contrable, car Joras le dest enssi aux consules qui astoient appelleis por l’année adont Torance, Luciien Censornien et Marche Mauliiens, lesqueis orent grant mervelhe, quant ilh entendirent chu ; se dient que Scipion, jadit consule de Romme, avoit à son temps destruit Cartage, mains ilh faisoient à Dieu seriment que ilh yroient à si grant forche qu'ilh le redestruroient, aussi bien que leur saingnour et compangnon Scipion avoit jadit faite, ou ilh sieroient ochis ; si allarent assembleir grant gens, et se soy misent sour mere. |
Mais c'est tout le contraire qui arriva, car Joras livra toutes ces informations aux consuls en charge pour l'année, Torance, Lucius Censorinus et Marcus Manlius, qui furent très étonnés à les entendre. Ils dirent que Scipion, jadis consul de Rome, avait en son temps détruit Carthage, mais jurèrent devant Dieu qu'ils s'en iraient avec des forces suffisantes pour la détruire à nouveau, comme l'avait fait jadis leur seigneur et compagnon Scipion. S'ils ne le faisaient pas, qu'ils soient mis à mort. Ils allèrent alors rassembler un grand nombre d'hommes et prirent la mer. |
[Les Romans en Affrique] Or s'en alerent les Romans fortement nagant vers Cartaige, et tant ont nagiet qu'ilh sont là venus ; si ont ars et destruite le pays par tout le regne. |
[Les Romains en Afrique] Les Romains naviguèrent à pleines voiles jusqu'à Carthage. Ils incendièrent et firent des ravages à travers tout le royaume. |
Dès leur arrivée, les Romains tombent sur des troupes qui s'enfuient aussitôt - Ils découvrent sur le rivage des navires et quelques gardes, qui leur apprennent que leur amiral est venu de Cypuly, pour soutenir le roi Danemont de Carthage - Les Romains finalement s'emparent des armes, des navires et de toutes les richesses de l'allié des Carthaginois
[p. 157] Et entres les aultres une flotte de XXm Romans chevalchoient parmy I plain ; si encontrarent Xm homme de Cartage, qui de si long qu'ilh les veirent ilh se ont desarmeis, et ont jetteit leurs armeis à terre, et s'en sont enfuys ; et chis astoit uns amyraus, qui venoit à tant de gens servir le roy Dannemon de Cartage por alleir awec ly à Romme. |
[p. 157] Entre autres choses, il arriva qu'une troupe de vingt mille Romains, chevauchant dans une plaine, rencontra dix mille hommes de Carthage, qui, d'aussi loin qu'ils virent les Romains, se débarrassèrent de leurs armes, les jetèrent à terre et s'enfuirent. Il s'agissait d'un amiral, arrivant avec tout ce monde pour servir le roi Danemont de Carthage et l'accompagner à Rome. |
Ches Romans orent grant ammiration qu'ilh poioit fallir ches gens qui fuyoient tant fort ; et toutevoies ilhs ons pris leurs armes, et se sont aleis à rivaige ; si ont troveis les nefs où ilh astoient dedens venus, et XL hommes qui les gardoient, si les ont pris, et apres leur demandarent queiles gens chu astoient. Ilhs respondirent que ch'astoit l'amyrauz de la citeit de Cypuly, ly uns des miedre chevalier de monde, et qui at awec ly bonnes gens d'armes ; si s'en vat en Cartage, où ly roy assemble ses gens par aleir destruire Romme. |
Ces Romains furent très surpris de ne pouvoir rattraper ces gens tant leur fuite était rapide. Ils prirent toutefois leurs armes et se rendirent vers le rivage. Ils y trouvèrent les bateaux qui avaient amené ces troupes, gardés par quarante hommes. Ils les capturèrent et leur demandèrent qui ils étaient. Ils répondirent qu'il s'agissait de l'amiral de la cité de Cypuly, l'un des meilleurs chevaliers au monde, qu'il avait avec lui d'excellents hommes d'armes et qu'il se rendait à Carthage, où le roi rassemblait ses troupes pour aller détruire Rome. |
Et leur [p. 158] desent les Romans : « Barons, or en aleis à roy de Cartage et li dites bien que ilh ne voise point à Romme por lée destruire, anchois demeurt en Cartage, si le defende contre les Romans, qui sont tou pres ardant son pays, et veulent, enssi com ilh ont jureit à leurs dieux, destruire Cartage ; et oussi direis al amyraus de Cypuli, s'ilh est si bons chevalier et ses gens, com vous dite, se vengnent contre nos reconquerre leurs armes et leurs naves et tout l'avoir qui est dedens, lequeile nos prenderos tantost, et les garderons bien jusques à tant qu'ilh auront la volenteit de reconquerre. » |
[p. 158] Les Romains leur dirent : « Barons, allez maintenant trouver le roi de Carthage et dites-lui bien de ne pas partir détruire Rome, mais de rester à Carthage pour défendre sa cité contre les Romains, qui, tout proches, sont en train d'incendier son pays, et qui veulent, selon le serment fait à leurs dieux, la détruire. Vous direz aussi à l'amiral de Cypuly et à ses hommes, s'ils sont aussi bons chevaliers que vous dites, de venir chercher leurs armes, leurs bateaux et toutes les richesses qui s'y trouvent, que nous allons immédiatement saisir et garder jusqu'à ce qu'ils veuillent les reprendre. » |
Ches XL chevaliers s'en alerent, et n'oiserent riens dire ; si fisent bien leurs messaiges al roy, qui savoit jà la venue des Romans. Si oit sour chu conselhe ; mains quant ly amyraux soit la perdre de ses naves et de son avoir, si fut mult dolans, et dest, s'ilh avoit des armes, qu'ilh soy combatteroit aux Romans, et les reconqueroit ou ilh y moroit. Adont, par defaulte de fier, fist ly amiraus armes faire d'or et d'argent ; et les Romans qui astoient al rivage ont pris tout l'avoir et l'ont enporteit. |
Les quarante chevaliers s'en allèrent, sans rien oser dire. Ils transmirent bien les messages au roi, déjà averti de l'arrivée des Romains. Il tenait conseil sur cette question. Mais quand il apprit la perte de ses navires et de ses biens, l'amiral fut très affecté et déclara que s'il avait des armes, il combattrait les Romains pour récupérer ses biens ou qu'il mourrait. Alors, comme il manquait de fer, l'amiral fit faire des armes en or et en argent. Quant aux Romains qui étaient restés sur le rivage, ils s'emparèrent de toutes les richesses et les emportèrent. |
Les Romains assiègent Carthage durant quatre ans, sans pouvoir empêcher son approvisionnement en vivres et en hommes armés - Les Carthaginois, devenus plus nombreux que les Romains, engagent finalement une bataille, qui fait beaucoup de morts de part et d'autre, mais qui est finalement remportée par les Romains - Les Carthaginois rescapés sont réduits en esclavage ou se suicident - La ville est pillée et réduite en cendres (445 de la transmigration ? = 144 a.C.n. ?)
[p. 158] [Le siege de Cartage] Le siege de Cartage, enssi qu'ilh l'avoient redifiiet apres la destruction que Scipion en avoit fait, si est teile : ch'est assavoir qu'elle astoit avironnée de murs contenans tout altour XXXm passe, dont chascon passe tenoit V piés ; et se font oussi les cent pas et XXV le stadiiens ; et est toute encenglée sus la mere de medis, qui toute altour le circuite presque tout ; et tient tant sens compteir les fautes qui astoient de IIIm passe apparans ; et astoient les murs de XXX piés espès, et si avoit des roches à la quarure de XL cubites de hault ; et si astoit li ars que ons disoit Birsie unc pau plus grans que II milhe passe. |
[p. 158] [Le siège de Carthage] Le siège de Carthage, réédifiée après sa destruction par Scipion, se déroula ainsi. Il faut savoir que la ville était enfermée par des murailles sur un pourtour de trente mille pas, chaque pas mesurant cinq pieds et le stade comptant cent vingt-cinq pas. La mer Méditerranée l'entourait presque entièrement. Tout cela sans compter les espaces vides qui semblaient de trois mille pas. Les murs avaient trente pieds d'épaisseur et étaient faits de blocs de quarante coudées de haut. La citadelle, appelée Byrsa, s'étendait sur plus de deux mille pas. |
Cest citeit fut assegié, mains el ne fut mie tantost conquestée ; et acordont, puisque je suy à la mateire, je deviseray tout le fait sicom ilh fut. Sachiés que les Romans seirent bien IIII ans devant la citeit sens batalhe, et ne poioient troveir voie par quoy ilh defendissent à entreir vitalhe et gens d'armes dedens la citeit par mere et par terre, et portant ilh y sirent si longement. |
Carthage fut assiégée mais ne fut pas conquise immédiatement. Et, puisque je traite de ce sujet, je vous dirai tout ce qui s'est passé. Sachez que les Romains tinrent le siège, sans livrer bataille, durant au moins quatre ans devant la cité, sans pouvoir empêcher l'entrée de vivres et d'hommes d'armes, par mer et par terre. C'est pourquoi le siège fut si long. |
Al fien des IIII ans avoient cheaux de la citeit assembleit tant de gens d'armes, qu'ilh les semblat que ch'estoit veriteit qu'ilh avoient plus de peuple que les Romans. Si yssirent hours le thirs jour de [p. 159] may, et soy combattirent aux Romans, et là fut mors XXm Romans ; mains ils orent la victoire, car cheaux de Cartage furent desconfis, et en fuit bien ochis Cm. |
À la fin des quatre années, la cité avait rassemblé tellement d'hommes armés que les Carthaginois semblaient vraiment plus nombreux que les Romains. Le troisième jour de [p. 159] mai, ils sortirent et affrontèrent les Romains. Ces derniers perdirent vingt mille hommes, mais remportèrent la victoire. Les Carthaginois furent défaits et en perdirent au moins cent mille. |
[Cartage pilhet et ars] Et, affin qu'ilh ne morissent mie tous de cel pestilenche, les Romans en prisent bien XXXm hommes et XXVm femmes, qui se rendirent à eaux en servaige ; et tous les altres furent ochis en la batalhe, où ilh se sont jecteis de volenteit en feu ; si sont ars et en la mere si sont noiiés : ilh amoyent mies enssi morir que les Romans à servir. |
[Carthage pillée et incendiée] Et, pour ne pas les laisser mourir tous de ce fléau, les Romains capturèrent au moins trente mille hommes et vingt-cinq mille femmes, qui furent tous réduits en esclavage. Les autres furent tués dans la bataille ou se jetèrent volontairement dans les flammes : ils furent brûlés ou se noyèrent dans la mer, préférant mourir ainsi plutôt qu'être esclaves des Romains. |
Adont fut pilhiet tout ly avoir de la citeit, et li feux butteis par tout la citeit qui ardit XVII jours, et fut teilement ars que toutes les pires des murs calcinarent et soy misent en poudre menue. Et puis sont les Romans revenus. |
Alors toutes les richesses de la cité furent pillées, et le feu bouté partout dans la cité. L'incendie dura dix-sept jours au point que les pierres des murs furent calcinées et réduites en poussière. Puis les Romains rentrèrent chez eux. |
[Suite]
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