Itinera Electronica
Du texte à l'hypertexte

Virgile Aeneis, Livre XII

III. Mêlée générale [383-553]

 2. Énée à la recherche de Turnus (430-467)

12, 430 Énée, avide de combattre, avait enfermé ses deux jambes
dans leurs gaines d'or; maudissant tout retard, il brandit son épée;
il adapte habilement le bouclier à son flanc et la cuirasse à son dos,
puis, bardé de toutes ses armes, il étreint Ascagne,
que, gêné par son casque, il effleure d'un baiser, en disant :

12, 435 Mon fils, apprends de moi ce que sont le courage et l'effort véritable,
des autres, ce qu'est la chance. Maintenant, mon bras va te défendre
en faisant la guerre, et il te conduira vers de grandes récompenses.
Et toi, lorsque bientôt tu atteindras la maturité, veille à t'en souvenir,
et quand tu repasseras en esprit les exemples des tiens,

12, 440 que ton père Énée et ton oncle Hector animent ton courage."
Sur ces paroles, il s'avance, s'éloignant des portes, immense,
et agitant de la main une énorme pique; en même temps, en rangs serrés,
Anthée et Mnesthée se précipitent, et toute une foule afflue,
délaissant le camp. Alors la plaine se perd dans une sombre poussière

12, 445 et la terre tremble, ébranlée par le martèlement des pas.
Turnus les vit arriver du retranchement opposé,
les Ausoniens les virent, et un frisson glacé les parcourut
jusqu'à la moelle. Avant tous les Latins, Juturne fut la première
à entendre et à reconnaître ce bruit; elle s'enfuit toute tremblante.

12, 450 Énée, lui, vole et entraîne son sombre bataillon à travers la plaine dégagée.
Ainsi, lorsqu'un nuage de pluie, voilant le soleil, gagne les terres,
en traversant la mer (les malheureux laboureurs, hélas, de loin l'ont pressenti,
et leurs coeurs frémissent d'horreur : l'ouragan va déraciner les arbres,
ruiner les moissons, dévaster tout sur un large espace),

12, 455 les vents le précèdent et se font entendre près du rivage;
ainsi le chef rhétéen dirige son armée contre les ennemis en face,
les triangles se forment, et tous s'assemblent en rangs serrés.
Thymbrée, d'un coup d'épée, frappe le pesant Osiris,
et Mnesthée Arcétius, Achate égorge Épulon,

12, 460 et Gyas Ufens; Tolumnius l'augure tombe aussi,
lui qui avait été le premier à lancer un trait contre les ennemis.
Un cri monte vers le ciel, et les Rutules chassés à leur tour,
tournent le dos; couverts de poussière, ils fuient à travers champs.
Énée ne juge pas digne d'envoyer à la mort des fuyards :

12, 465 il ne poursuit ni ceux qui ont combattu sur un pied égal,
ni ceux qui lancent des traits; c'est le seul Turnus que partout
il cherche dans l'obscure mêlée, lui seul qu'il appelle au combat.

430 Ille auidus pugnae suras incluserat auro
hinc atque hinc oditque moras hastamque coruscat.
Postquam habilis lateri clipeus loricaque tergo est,
Ascanium fusis circum complectitur armis
summaque per galeam delibans oscula fatur:

435 'Disce, puer, uirtutem ex me uerumque laborem,
fortunam ex aliis. Nunc te mea dextera bello
defensum dabit et magna inter praemia ducet.
Tu facito, mox cum matura adoleuerit aetas,
sis memor, et te animo repetentem exempla tuorum

440 et pater Aeneas et auunculus excitet Hector.'
Haec ubi dicta dedit, portis sese extulit ingens,
telum immane manu quatiens; simul agmine denso
Antheusque Mnestheusque ruunt omnisque relictis
turba fluit castris: tum caeco puluere campus

445 miscetur pulsuque pedum tremit excita tellus.
Vidit ab aduerso uenientis aggere Turnus,
uidere Ausonii, gelidusque per ima cucurrit
ossa tremor: prima ante omnis Iuturna Latinos
audiit adgnouitque sonum et tremefacta refugit.

450 Ille uolat campoque atrum rapit agmen aperto.
Qualis ubi ad terras abrupto sidere nimbus
it mare per medium; miseris heu praescia longe
horrescunt corda agricolis, dabit ille ruinas
arboribus stragemque satis, ruet omnia late;

455 ante uolant sonitumque ferunt ad litora uenti:
talis in aduersos ductor Rhoeteius hostis
agmen agit, densi cuneis se quisque coactis
adglomerant. Ferit ense grauem Thymbraeus Osirim,
Archetium Mnestheus, Epulonem obtruncat Achates

460 Ufentemque Gyas; cadit ipse Tolumnius augur,
primus in aduersos telum qui torserat hostis.
Tollitur in caelum clamor, uersique uicissim
puluerulenta fuga Rutuli dant terga per agros.
Ipse neque auersos dignatur sternere Morti

465 nec pede congressos aequo nec tela ferentis
insequitur: solum densa in caligine Turnum
uestigat lustrans, solum in certamina poscit.


Commentaire

gaines d'or (12, 430-431). Les jambières d'Énée avaient été fabriquées par Vulcain, comme tout le reste de son équipement.

Mon fils (12, 435-440). La situation rappelle d'assez loin la scène homérique (Iliade, 6, 476-481) des adieux d'Hector à Andromaque, sa femme, et à Astynanax, son fils, au moment où le héros part pour la bataille. Astyanax a peur du casque de son père, qui l'enlèvera. Il est d'ailleurs question d'Hector en 12, 440. Quant aux paroles d'Énée, elles font penser à celles qu'adresse Ajax à son fils chez Sophocle (Ajax, 550-551) : "Sois seulement, mon fils, plus heureux que ton père; ressemble-lui pour tout le reste, et tu n'auras rien d'un vilain" (trad. P. Mazon, Budé).

ton oncle Hector (12, 440). Créuse, l'épouse troyenne d'Énée, était la sœur d'Hector.

Anthée et Mnesthée (12, 443). Anthée, compagnon d'Énée, est cité ici et, à deux reprises, au début de l'Énéide (1, 181 et 1, 510). Mnesthée, lui, est beaucoup plus souvent mentionné (par exemple 9, 171 et, dans le présent livre, 12, 127 et 12, 384).

se perd (12, 445). On ne la distingue plus.

Ausoniens (12, 447). C'est-à-dire les Italiens, les alliés de Turnus.

Juturne (12, 448). Le rôle de la soeur de Turnus (cfr 12, 146) va devenir très important au fil du chant 12.

Ainsi (12, 451-455). La comparaison, inspirée d'Homère (Iliade, 4, 275-279), avait déjà été exploitée par Lucrèce (6, 431ss). Plus haut dans le chant (12, 331-336), Virgile avait, dans une comparaison également, décrit Turnus; Énée devient ici aussi effrayant que son adversaire.

le chef rhétéen (12, 456). C'est Énée, le chef troyen, le cap Rhétée étant un promontoire de la Troade.

Thymbrée etc. (12, 458-460). Troyens (Thymbrée, Mnesthée, Achate, Gyas) qui massacrent chacun un ennemi latin ou rutule (Osiris, Archétius, Épulon, Ufens). Certains ne sont mentionnés qu'une fois dans l'Énéide, d'autres sont des vedettes. On n'insistera pas davantage.

Tolumnius (12, 460-461). Voir plus haut 12, 258-266. Les vers 12, 461 et 12, 266 se correspondent en partie.

 



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Dernière mise à jour : 12/03/2002