Itinera Electronica
Du texte à l'hypertexte

Virgile Aeneis, Livre XII

II. Rupture de trêve [216-382]

 2. Reprise des combats (257-310)

12, 257 Alors les Rutules saluent cet augure par un cri,
et se préparent;Tolumnius l'augure le premier s'écrie :
"C'était cela, oui cela, que souvent j'ai appelé de mes voeux.

12, 260 J'accepte l'augure et reconnais nos dieux; sous ma conduite,
prenez les armes, ô malheureux, qu'un audacieux étranger combat
et terrifie comme de faibles volatiles, dévastant sauvagement vos rivages.
Il cherchera à fuir, et mettra les voiles, s'enfonçant vers le large;
vous, d'un seul coeur, resserrez vos rangs,

12, 265 et en combattant défendez le roi qui vous fut ravi".
Il parla et, s'avançant en courant, décocha un trait sur les ennemis
qui lui faisaient face; le trait en bois de cornouiller émet un son strident
et, sûr de sa route, fend les airs. Aussitôt un grand cri s'élève; en même temps,
toutes les formations s'agitent et dans le tumulte les coeurs s'échauffent.

12, 270 La pique s'envole. En face se trouvait un groupe de jeunes gens,
neuf frères de belle allure, tous fils d'une seule femme, une Tyrrhénienne,
qui, épouse fidèle, les avait donnés à l'arcadien Gylippe;
la pique en atteint un au milieu du corps, là où la couture du baudrier
frotte sur le ventre et où une fibule maintient les bords des côtés;

12, 275 elle traverse les côtes du jeune homme, si beau
avec ses armes rutilantes, et elle l'abat sur le sable fauve.
Mais voici ses frères, phalange courageuse et brûlante de douleur;
certains brandissent leurs glaives, les autres saisissent un trait
et se précipitent en aveugles. En face, des troupes de Laurentes

12, 280 accourent vers eux; mais voilà que, reformés en rangs serrés,
déferlent Troyens et Agylliens et Arcadiens avec leurs armes peintes :
une même passion les possède tous, celle d'en finir par le fer.
Ils ont saccagé les autels; une tempête de traits traverse le ciel
comme un tourbillon, tandis que s'abat une pluie de fer;

12, 285 on emporte cratères et foyers sacrés. Latinus même
s'enfuit, en rappelant que le non-respect du traité a outragé les dieux.
Certains attellent les chars ou d'un bond montent sur leurs chevaux,
et se présentent en brandissant leurs épées.
Messapus avise un roi, revêtu de ses insignes royaux,

12, 290 le tyrrhénien Aulestès ; avide de confondre les accords, il l'effraie
en poussant son cheval vers lui; celui-ci recule et s'écroule,
et le malheureux roule sur les autels dressés derrière lui,
les heurtant de la tête et des épaules. Alors arrive, armé d'une pique,
le bouillant Messapus. Du haut de son cheval, il lui assène lourdement

12, 295 malgré ses vives supplications, un trait épais comme une poutre, en disant :
"Voilà pour lui; c'est la meilleure victime offerte aux grands dieux."
Les Italiens accourent, le dépouillent; ses membres sont encore chauds.
Corynée survient, arrache à l'autel un tison ardent
et, tandis qu'Ébysus arrive pour lui porter un coup,

12, 300 il le devance en le brûlant au visage : sa longue barbe s'embrase
et dégage une odeur de brûlé; alors, Corynée le poursuit
et, de la main gauche, saisit la chevelure de son ennemi éperdu;
d'une pression de genou, il s'appuie sur lui et le cloue au sol;
puis de son glaive rigide, il lui perce le flanc. Podalire, épée levée,

12, 305 poursuit Alsus le berger qui se ruait en première ligne à travers les traits,
et le domine de toute sa hauteur; mais Alsus, levant sa hache, d'un coup
fend par le milieu le front et le menton de son adversaire,
dont les armes baignent dans des flots de sang.
Un lourd repos, un sommeil de fer pèsent sur les paupières

12, 310 du moribond, dont les regards s'enfoncent dans l'éternité de la nuit.

Tum uero augurium Rutuli clamore salutant
expediuntque manus; primusque Tolumnius augur
'Hoc erat, hoc, uotis,' inquit, 'quod saepe petiui.

260 Adcipio adgnoscoque deos; me, me duce ferrum
corripite, O miseri, quos improbus aduena bello
territat inualidas ut aues et litora uestra
ui populat: petet ille fugam penitusque profundo
uela dabit. Vos unanimi densete cateruas

265 et regem uobis pugna defendite raptum.'
Dixit et aduersos telum contorsit in hostis
procurrens: sonitum dat stridula cornus et auras
certa secat. Simul hoc, simul ingens clamor et omnes
turbati cunei calefactaque corda tumultu.

270 Hasta uolans, ut forte nouem pulcherrima fratrum
corpora constiterant contra, quos fida crearat
una tot Arcadio coniunx Tyrrhena Gylippo,
horum unum ad medium, teritur qua sutilis aluo
balteus et laterum iuncturas fibula mordet

275 egregium forma iuuenem et fulgentibus armis
transadigit costas fuluaque effundit harena.
At fratres, animosa phalanx accensaque luctu,
pars, gladios stringunt manibus, pars missile ferrum
corripiunt caecique ruunt. Quos agmina contra

280 procurrunt Laurentum, hinc densi rursus inundant
Troes Agyllinique et pictis Arcades armis:
sic omnis amor unus habet decernere ferro.
Diripuere aras, it toto turbida caelo
tempestas telorum ac ferreus ingruit imber,

285 craterasque focosque ferunt. Fugit ipse Latinus
pulsatos referens infecto foedere diuos.
Infrenant alii currus aut corpora saltu
subiciunt in equos et strictis ensibus adsunt.
Messapus regem regisque insigne gerentem,

290 Tyrrhenum Aulesten, auidus confundere foedus,
aduerso proterret equo: ruit ille recedens
et miser oppositis a tergo inuoluitur aris
in caput inque umeros. At feruidus aduolat hasta
Messapus teloque orantem multa trabali

295 desuper altus equo grauiter ferit atque ita fatur:
'Hoc habet, haec melior magnis data uictima diuis.'
Concurrunt Itali spoliantque calentia membra.
Obuius ambustum torrem Corynaeus ab ara
corripit et uenienti Ebuso plagamque ferenti

300 occupat os flammis: olli ingens barba reluxit
nidoremque ambusta dedit. Super ipse secutus
caesariem laeua turbati corripit hostis
inpressoque genu nitens terrae adplicat ipsum:
sic rigido latus ense ferit. Podalirius Alsum

305 pastorem primaque acie per tela ruentem,
ense sequens nudo superimminet: ille securi
aduersi frontem mediam mentumque reducta
disicit et sparso late rigat arma cruore.
Olli dura quies oculos et ferreus urget

310 somnus, in aeternam conduntur lumina noctem.


Commentaire

se préparent (12, 258). Le texte latin dit "dégagent leurs mains", mais le sens n'est pas clair. Peut-être est-ce pour prendre leurs armes.

Tolumnius l'augure (12, 258-263). Il apparaissait déjà en 11, 429, avec l'épithète de "heureux" (felix). Rien de tel ici, et le lecteur pressent que l'augure va se tromper dans l'interprétation du prodige.

le roi qui vous fut ravi (12, 265). Turnus, à qui Latinus a préféré Énée.

le trait en bois de cornouiller (12, 267). Le bois du cornouiller (cornus en latin), très dur, servait à fabriquer javelots et lances. Cfr aussi 9, 698.

neuf frères (12, 270). Comme l'observe J. Perret (Virgile. Énéide III, 1980, p. 135, n. 1), ces neuf frères rappellent les sept fils de Phorcus, en 10, 328-330. Le savant français poursuit en faisant remarquer qu'Homère ne semble pas connaître de formations familiales de ce genre et qu'on a peut-être ici la transposition (à l'échelle réduite de l'Énéide) de souvenirs d'une époque où les guerres étaient parfois soutenues par des clans (cfr les Fabii au Crémère chez Tite-Live, 2, 48-50).

Gylippe (12, 272). Ce nom n'est connu ni de l'épopée, ni de la mythologie, mais il fut porté par des personnages historiques, notamment un général lacédémonien de la guerre du Péloponnèse (Thucydide, 6, 93, 2).

Agylliens (12, 281). Ce sont les guerriers venus d'Agylla, c'est-à-dire Caeré, la ville étrusque qui avait chassé Mézence le tyran. Les Agylliens ici évoqués combattaient donc du côté des Troyens et des Arcadiens (8, 475-496), et non du côté des Italiens (7, 649-654).

leurs armes peintes (12, 281). En 8, 588, l'arcadien Pallas est décrit avec des armes peintes, ainsi que les Amazones, en 11, 660.

saccagé les autels (12, 283). Dans la mêlée, les combattants saccagent les autels auprès desquels s'était déroulée la cérémonie de la conclusion de l'accord.

cratères et foyers sacrés (12, 285). Les prêtres emportent dans la précipitation vases et foyers portatifs.

en rappelant (12, 286). Comme l'observe J. Perret, Virgile s'abstient de prendre parti sur la légitimité de cette reprise des combats. Latinus, au contraire, extériorise ses sentiments et ses jugements.

Messapus (12, 289). Première mention en 7, 691, de cet Italien, souvent nommé, y compris dans ce chant (cfr 12, 128).

Aulestès (12, 290). Mentionné en 10, 207, comme commandant d'un vaisseau tyrrhénien.

Corynée (12, 298). Ce nom semble s'appliquer à un Troyen. Un Corynée est cité en 6, 228. En 9, 571, un Corynée est abattu par Asilas.

Ébysus (12, 299). Ce guerrier rutule n'est mentionné qu'ici dans l'Énéide.

Podalire... Alsus (12, 304-305). Podalire, un Troyen, et Alsus, un Latin (?) ne sont mentionnés qu'ici.

Un lourd repos (12, 309-310). Ces deux vers sont repris presque textuellement de 10, 745-746, où Virgile les applique à Orodès.

 



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Dernière mise à jour : 12/03/2002