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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


 

QUINTILIEN
L'INSTITUTION ORATOIRE
LIVRE PREMIER

 Chapitre V

Des qualités et des vices du discours.


 

(1) Le discours a trois qualités: la correction, la clarté, et l'ornement; car pour la convenance, qui est la qualité principale, la plupart en font une dépendance de l'ornement. À ces qualités sont opposés autant de défauts. Le maître recherchera donc en quoi consistent les règles de la correction, lesquelles constituent la première des deux parties de la grammaire.

 (2) Ces règles portent sur les mots pris isolément, ou joints ensemble. Je prends ici le mot uerbum dans une acception générale; car il s'entend de deux manières: ou il embrasse dans sa signification tous les mots dont la phrase est composée, et a le sens que lui donne Horace dans ce vers:

Verbaque prouisam rem non inuita sequentur:
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément;

 ou il est une partie du discours, comme je lis, j'écris. Pour éviter cette équivoque, quelques écrivains ont mieux aimé dire uoces, dictiones, locutiones.

 (3) Les mots considérés isolément sont ou essentiellement latins ou étrangers; simples ou composés; propres ou métaphoriques; usités ou nouveaux. Le plus souvent la qualité d'un mot, pris en lui-même, est purement négative. Car lors même que notre langage est exact, élégant, sublime, ces qualités sont uniquement le résultat de l'ensemble et de l'enchaînement du discours, puisque nous ne louons dans les mots que leur convenance avec les choses.

 (4) La seule qualité qu'on puisse y remarquer, c'est la vocalité ou l'euphonie. Voilà pourquoi entre deux mots qui ont même signification et même valeur, on choisit celui qui sonne le mieux.

 (5) Ce qu'il faut d'abord fuir comme une difformité, c'est le barbarisme et le solécisme. Mais comme ces vices trouvent quelquefois leur excuse soit dans l'usage, soit dans l'autorité, soit dans l'antiquité, soit enfin dans un rapport avec quelque beauté (car il est souvent difficile de les distinguer des figures), le grammairien qui ne veut pas se méprendre sur un point d'observation aussi fugitif, doit s'appliquer à bien saisir cette nuance délicate. J'en parlerai plus au long, lorsque je traiterai des figures.

 (6) Quoi qu'il en soit, le vice qui affecte les mots pris isolément s'appelle barbarisme. Est-ce donc à cela, me dira-t-on peut-être, que se réduisent vos magnifiques promesses? Qui ne sait qu'il y a des barbarismes qu'on fait en écrivant, et d'autres qu'on fait en parlant, par la raison que ce qui est mal écrit doit nécessairement être mal dit, au lieu qu'on peut prononcer d'une manière vicieuse, sans tomber dans la même faute en écrivant? qui ne sait que les premiers ont lieu par addition ou par retranchement, par substitution ou par transposition; et les seconds, dans la manière de séparer ou d'assembler les syllabes, d'aspirer ou d'accentuer?

 (7) Tout cela est peu de chose; mais ce sont des enfants qu'il s'agit d'enseigner, et c'est à des grammairiens que j'adresse mes avis. Que, parmi ces derniers, il s'en trouve qui n'aient que des connaissances grossières et qui ne soient pas allés au-delà du seuil de cette science, ils s'en tiendront aux préceptes vulgaires que renferment les abrégés de certains professeurs; les doctes, au contraire, y ajouteront beaucoup; et d'abord ils feront remarquer qu'on reconnaît des barbarismes de plusieurs sortes:

 (8) le premier, qui naît d'un mot étranger, si, par exemple, on introduit dans le latin un mot africain ou espagnol comme le mot cantus, dont on se sert ordinairement pour désigner la bande de fer qui lie les roues, et que Perse néanmoins emploie comme un mot reçu. Ainsi, dans Catulle, on trouve le mot ploxenum, qui n'est usité que dans les environs du Pô; et dans le discours de Labiénus, ou, si l'on veut, de Cornelius Gallus, contre Pollion, un séducteur amoureux est appelé casamo, terme emprunté aux Gaulois. Quant au mot mastruca, qui est sarde, Cicéron s'en est servi à dessein et par raillerie.

 (9) Le second genre de barbarisme est celui qui est purement intellectuel; ainsi nous disons d'un homme dont le langage a été emporté, menaçant ou cruel, qu'il a parlé comme un barbare.

 (10) Le troisième genre de barbarisme, dont il y a une infinité d'exemples vulgaires, est celui dont on peut se faire une idée en ajoutant une lettre ou une syllabe à un mot quelconque, ou en la retranchant, ou en mettant l'une pour l'autre, ou en la plaçant où elle ne doit pas être.

 (11) Mais il y a des maîtres qui, pour faire parade d'érudition, se plaisent à chercher des exemples de barbarisme dans les poètes, et en lisant le texte d'un auteur comme on fait d'abord, commencent par lui faire son procès. Or, il faut qu'un enfant sache que ces fautes sont excusables chez les écrivains en vers, et doivent même quelquefois être regardées comme des beautés. Il vaudra donc mieux choisir des exemples moins ordinaires,

 (12) comme celui de Tinga de Plaisance, qui, s'il faut en croire les reproches d'Hortensius, faisait deux barbarismes dans un seul mot, precula pour pergula; d'abord, par changement de lettre, c pour g; puis, par transposition r devant e. Ennius fait la même faute deux fois dans Mettioeo Fufetioeo; mais il a pour lui le privilège de la poésie.

 (13) On admet aussi en prose certaines modifications. Cicéron dit Canopitarum exercitum, quoique les gens du pays disent Canobos; beaucoup d'écrivains ont autorisé Trasumennus pour Tarsumennus, quoiqu'il y ait là transposition. Il en est de même de plusieurs autres mots. Car si l'on soutient qu'adsentior est conforme au génie de la langue, Sisenna a dit adsentio, et beaucoup d'autres l'ont imité, s'appuyant d'ailleurs sur l'analogie; et si l'on soutient, au contraire, qu'adsentio est le vrai mot, on s'écarte de l'usage, qui a accrédité adsentior.

 (14) Et cependant un grammairien puriste et méticuleux s'imaginera qu'il y a retranchement dans l'un ou addition dans l'autre. Que dire aussi de quelques mots qui, pris en particulier, seraient certainement vicieux, et qui joints ensemble sont très corrects?

 (15) Dua, tre, [pando], sont des barbarismes de différents genres; cependant tout le monde a dit duapondo et trepondo jusqu'à nous, et ces deux mots ont encore pour eux l'autorité de Messala.

 (16) Il peut paraître absurde d'avancer que le barbarisme, qui n'est que le vice d'un mot pris isolément, a lieu aussi par rapport aux nombres et aux genres, comme le solécisme: pourtant scala et scopa, hordea et mulsa, quoiqu'on n'ait à y reprendre ni changement, ni retranchement, ni addition de lettres, ne sont vicieux que par cela seul que le pluriel y est transformé en singulier, et le singulier en pluriel; et ceux qui ont dit gladia ont péché contre le genre.

 (17) Mais je me contente, ici comme plus haut, de signaler en passant cet endroit, pour ne pas ajouter moi-même une question de plus à un art que l'entêtement de quelques rhéteurs n'a déjà que trop compliqué. Il faut plus de sagacité pour distinguer les fautes qui se font en parlant, parce qu'on ne peut pas en donner d'exemples par écrit, si ce n'est lorsqu'elles se rencontrent dans les vers, comme cette diérèse Europaï Asiaï, ou le défaut contraire appelé par les Grecs synérèse et synalèphe, que nous traduisons par complexion. Tel est ce vers qu'on lit dans Varron:

 'tum te flagranti deiectum fulmine Phaeton.'

 (18) Car, si c'était en prose, on pourrait prononcer toutes les lettres et conserver chaque syllabe. Il y a en outre des fautes contre la mesure, soit lorsqu'on allonge une syllabe brève, comme dans

 'Italiam fato profugus'

 ou qu'on fait brève une syllabe longue, comme dans

 'unius ob noxam et furias'

 Mais ces fautes ne peuvent être remarquées que dans les vers, et même n'y doivent-elles pas être regardées comme telles.

 (19) Quant à celles qui altèrent les sons, c'est l'oreille seule qui en est juge, quoiqu'on puisse pourtant demander si dans notre langue une aspiration ajoutée ou supprimée mal à propos n'est point une faute d'orthographe, en admettant que H soit une lettre, et non pas seulement un signe. En effet, l'aspiration a subi chez nous de fréquentes variations avec le temps.

 (20) Les anciens en usaient très sobrement, même devant les voyelles; car ils disaient aedi et irci. Ensuite on observa longtemps de ne pas employer l'aspiration avec des consonnes, comme dans Gracci et triumpi. Puis tout à coup l'usage en devint si excessif, qu'on voit encore aujourd'hui dans quelques inscriptions, choroncae, chenturiones, praechones : usage qui a donné lieu à une épigramme fort connue de Catulle.

 (21) C'est ainsi que sont venus jusqu'à nous uehementer, comprehendere, mihi. On trouve même dans les vieux livres des anciens écrivains, et surtout des poètes tragiques, mehe pour me.

 (22) Des fautes plus difficiles encore à remarquer sont celles qui se font contre les tons, tenores, que je trouve appelés tonores par les anciens, sans doute par dérivation du mot grec GRECtovnou" ou contre les accents, que les Grecs appellent GRECprosw/diva", lorsqu'on met une syllabe aiguë pour une syllabe grave, et réciproquement, comme si l'on faisait aiguë la première syllabe de Camillus; ou quand on emploie l'accent grave au lieu de l'accent circonflexe,

 (23) comme si l'on plaçait l'accent aigu sur la première syllabe de Cethegus, car alors celle du milieu changerait de nature; ou bien lorsqu'on met un accent circonflexe pour un grave, en confondant les deux dernières syllabes en une, au moyen d'un signe: en quoi on pèche doublement.

 (24) Mais cela ne se fait guère que dans les noms grecs, comme Atreus. Dans ma jeunesse, des vieillards fort savants prononçaient ce mot avec un accent aigu sur la première syllabe en sorte que la seconde était nécessairement grave: il en était de même des mots Terei et Nerei.

 (25) Telles étaient les règles des accents. Je sais au reste qu'aujourd'hui des savants, et même quelques grammairiens, recommandent et observent de donner quelquefois un ton aigu à la dernière syllabe d'un mot, pour le distinguer d'un autre avec lequel on pourrait le confondre, comme dans ce passage de Virgile:

 'quae circum litora, circum
piscosos scopulos'

 (26) de peur que, si l'on faisait grave la dernière syllabe, on ne confondît circum, préposition, avec l'accusatif de circus. C'est par la même raison qu'ils prononcent quantum, quale, avec la dernière syllabe grave, lorsque ces mots sont interrogatifs; et qu'ils font cette même syllabe aiguë, lorsque ces mêmes mots servent de termes de comparaison. Ce n'est, au surplus, que pour les adverbes et les pronoms qu'ils tiennent à cette distinction; dans tout le reste, ils suivent l'ancienne règle.

 (27) Pour moi, je crois que l'exception vient de ce que, dans l'exemple tiré de Virgile, nous lions les mots entre eux. Car lorsque je dis circum litora, j'ai l'air de ne prononcer qu'un seul mot sans division; et alors, ainsi que dans un seul mot, il n'y a qu'une syllabe aiguë: ce qui a lieu dans cet hémistiche:

 Troiae qui primus ab oris.

 (28) Il arrive aussi que la loi de la mesure change l'accent: par exemple,

 pecudes pictaeque uolúcres;

 car il faut mettre l'accent aigu sur la seconde syllabe de uolucres, parce que, bien que cette syllabe soit brève de sa nature, elle devient longue par position, ou autrement serait un ïambe, sorte de mesure que ne comporte pas le vers héroïque.

 (29) Mais, pris séparément, les mots dont nous parlions rentrent dans la règle; ou, si la coutume l'emporte, il faut abolir les anciennes lois du langage. Ces lois sont plus difficiles à observer chez les Grecs, à cause de la diversité des dialectes, et parce que ce qui est vicieux dans l'un est quelquefois correct dans l'autre. Chez nous, au contraire, les règles de l'accentuation sont très simples.

 (30) Dans tout mot, sur trois syllabes qui le composent ou qui le terminent, il y en a une d'aiguë, et de ces trois, c'est toujours la pénultième ou l'antépénultième. Si celle du milieu est longue, elle aura l'accent aigu ou circonflexe; si elle est brève, elle aura toujours un accent grave, et alors l'accent aigu passera sur la syllabe qui la précède, c'est-à-dire l'antépénultième.

 (31) Dans tous les mots donc il y a une syllabe aiguë, mais jamais plus d'une, et ce n'est jamais la dernière; en sorte que dans les mots de deux syllabes c'est toujours la première. En outre, le même mot ne peut pas avoir un accent circonflexe et un accent aigu, puisque le circonflexe se forme du grave et de l'aigu: aussi ni l'un ni l'autre ne peut terminer un mot latin: je dis un mot de plusieurs syllabes, car pour ceux qui n'ont qu'une syllabe, ils reçoivent l'accent aigu ou circonflexe, afin qu'il soit vrai de dire qu'il n'est pas un mot qui n'ait l'accent aigu.

 (32) Il faut ranger parmi les fautes contre les accents ces prononciations vicieuses qu'il n'est pas possible de démontrer par écrit, et qui tiennent à des défauts d'organe. Les Grecs, plus heureux que nous à forger des mots, les appellent GRECijwtakismouv" et GREClabdakismouv", GRECijscnovthta", GRECplateiasmouv"; ils ont encore inventé le mot GRECkoilostomivan pour peindre l'effet de la voix quand elle semble sortir du fond de la gorge.

 (33) Il y a enfin certains sons particuliers et inénarrables, que nous reprochons quelquefois à toute une nation. C'est en se préservant de tous ces défauts qu'on obtiendra une prononciation pure et agréable, ce parler correct que les Grecs appellent GRECojrqoevpeia.

 (34) Tous les autres vices sont ceux qui affectent un assemblage de mots. De ce nombre est le solécisme. Cependant on n'est pas d'accord sur ce point. Car ceux même qui reconnaissent que le solécisme gît dans la contexture du discours induisent, de ce qu'on peut le faire disparaître en corrigeant un seul mot, que c'est un vice qui est dans le mot, et non dans le tissu du discours.

 (35) Ainsi, par exemple, amarae corticis ou medio cortice font un solécisme de genre. Je ne blâme ni l'un ni l'autre, parce qu'ils sont de Virgile; mais supposons que l'un des deux soit mal dit, et qu'en corrigeant le mot où il y a faute, on rende la phrase correcte, ce n'en sera pas moins une mauvaise chicane; car amarae ou medio ne sont ni l'un ni l'autre vicieux, pris isolément; ils ne le deviennent que parce qu'ils sont joints à un autre mot: or cette jonction ne constitue-t-elle pas le discours?

 (36) Mais on fait une question plus savante. Peut-il y avoir solécisme dans un mot seul? si, par exemple, en appelant à soi une seule personne, on dit uenite, ou si, pour en congédier plusieurs, on dit: abi, discede? Ou bien y a-t-il solécisme, quand la réponse ne s'accorde pas avec l'interrogation, comme si à ces mots: quem uideo? on répondait: ego? Quelques-uns vont même jusqu'à penser qu'il y a solécisme dans le geste, toutes les fois que, par un mouvement de la tête ou de la main, on fait entendre le contraire de ce qu'on dit.

 (37) Je n'adopte ni ne rejette entièrement ces opinions; car j'avoue qu'il peut y avoir solécisme dans un mot seul, mais seulement en ce sens qu'il y a quelque chose de sous-entendu qui tient lieu d'un second mot, et à quoi se rapporte le premier: en sorte que le solécisme est dans l'assemblage même de ce qui sert à signifier les choses et de ce qui sert à manifester l'intention de celui qui parle.

 (38) Enfin, pour éviter toute subtilité, je dirai que le solécisme a lieu quelquefois dans un mot, mais jamais dans un mot pris absolument. Combien y a-t-il d'espèces de solécismes, et quelles sont-elles? c'est un point sur lequel on n'est guère plus d'accord. Ceux dont la division me paraît la plus complète en reconnaissent de quatre sortes, avec la même distinction que pour les barbarismes: le solécisme qui se fait par addition, comme nam enim, de susum, in Alexandriam; celui qui a lieu par retranchement, ambulo uiam, Aegypto uenio, ne hoc fecit;

 (39) celui qui résulte d'une inversion, qui détruit l'ordre, quoque ego, enim hoc uoluit, autem non habuit. Quant à igitur placé au commencement d'une phrase, on peut douter si c'est un solécisme de ce dernier genre; car je vois que les plus grands auteurs ont été partagés sur ce point, puisque les uns l'ont souvent placé ainsi, et que chez les autres on n'en trouve aucun exemple.

 (40) Quelques-uns ne considèrent pas comme solécismes ces trois vices de langage, et ils appellent l'addition pléonasme; le retranchement, ellipse; l'inversion, anastrophe; prétendant que, si ces figures sont des solécismes, on peut en dire autant de l'hyperbate.

 (41) Pour la quatrième espèce, qui consiste à mettre un mot pour un autre, c'est, de l'aveu de tous, un solécisme. Toutes les parties du discours sont susceptibles de ce genre de solécisme, mais particulièrement le verbe, à cause de ses nombreuses modifications. Aussi donne-t-il lieu à des solécismes de genres, de temps, de personnes et de modes, que d'autres appellent état, ou qualités, et qui sont au nombre de six ou de huit; car il y aura autant de formes de solécismes qu'il y aura d'espèces de modifications.

 (42) Ajoutons encore les nombres. Nous en avons deux, le singulier et le pluriel; les Grecs ont de plus le duel. Quelques-uns, cependant, ont voulu voir un duel dans scripsere, legere; mais la terminaison de ces mots n'a d'autre raison que l'euphonie, comme male merere pour male mereris, qu'on trouve chez les anciens; de sorte que ce qu'on appelle duel, en latin, n'occupe que ces deux places tandis que chez les Grecs, le duel existe dans presque toute la conjugaison du verbe et dans les noms, quoique pourtant ils s'en servent très rarement.

 (43) Mais pour le nôtre, aucun de nos auteurs ne s'est avisé d'en faire la distinction; au contraire, ces locutions,

deuenere locos,
conticuere omnes,
consedere duces,

prouvent évidemment qu'elles ne s'appliquent nullement à deux personnes. Il en est de même de dixere, quoique Antonius Rufus cite cet exemple comme une preuve du contraire; car il est certain que l'huissier prononce ce mot après les plaidoiries des avocats, quel qu'en soit le nombre.

 (44) Mais quoi! Tite-Live, dès le début de son histoire, ne dit-il pas: tenuere arcem Sabini; et peu après: in aduersum Romani subiere? Enfin quelle autorité préférerai-je à celle de Cicéron, qui s'exprime ainsi dans son Orateur: 'Je ne blâme pas scripsere, mais je crois que scripserunt est plus vrai?'

 (45) Le solécisme a lieu dans les noms appellatifs et dans les noms proprement dits, en genre, en nombre, comme dans les verbes, et en cas. On peut étendre aux comparatifs et aux superlatifs le solécisme qui consiste à mettre une de ces trois choses à la place d'une autre; il faut en dire autant de l'emploi du nom patronymique au lieu du nom possessif, et réciproquement.

 (46) À l'égard du vice qui affecte la quantité, comme dans magnum peculiolum, il y en a qui pourront y voir un solécisme, parce que le diminutif est mis au lieu du mot intégral. Pour moi, j'y vois plutôt une impropriété; car c'est dans la signification qu'est l'erreur: or, le solécisme n'est jamais dans le sens, mais dans l'union des mots.

 (47) Le participe peut pécher en genre et en cas, comme le nom appellatif; en temps, comme le verbe; et en nombre, comme tous les deux. Le pronom comporte aussi le genre, le nombre, et les cas; et ces diverses propriétés sont susceptibles de cette espèce de faute.

 (48) Enfin on fait des solécismes, et en grand nombre, dans les parties des discours; mais il ne suffit pas de faire cette observation générale, de peur que l'enfant ne s'imagine qu'il n'y a faute que lorsqu'on emploie une partie pour une autre, un verbe au lieu d'un nom, un adverbe au lieu d'un pronom, et autres substitutions semblables.

 (49) Car il y a des mots qui ont une sorte de parenté, c'est-à-dire qui appartiennent au même genre, et à l'égard desquels on ne pèche pas moins par le changement d'espèce que par le changement de genre.

 (50) Ainsi, an et aut sont des conjonctions, et cependant ce serait mal parler que de dire dans la forme interrogative: hic, aut ille, sit? ne et non sont des adverbes; et cependant celui qui dirait non feceris pour ne feceris, tomberait dans la même faute, parce que non est un adverbe de négation, et ne un adverbe de prohibition. Un autre exemple: intro et intus sont des adverbes de lieu: cependant eo intus, intro sum, sont des solécismes.

 (51) Les mêmes fautes peuvent avoir lieu dans les différentes espèces de pronoms, d'interjections, et de prépositions. Il y a aussi solécisme, lorsque, dans une phrase sans division, les mots qui précèdent et ceux qui suivent ne s'accordent pas entre eux.

 (52) Cependant il y a des locutions qui ont l'apparence de solécismes, et qui pourtant ne peuvent pas être regardées comme vicieuses, telles que tragoedia Thyestes, ludi Floralia ac Megalesia, quoiqu'elles soient aujourd'hui tombées en désuétude, les anciens ne parlaient pas autrement. Nous appellerons donc figures ces locutions, plus fréquentes, à la vérité, chez les poètes, mais permises aussi aux orateurs.

 (53) Au reste, une figure est ordinairement fondée sur une raison quelconque, comme je le démontrerai en son lieu, ainsi que je l'ai promis tout à l'heure. Mais ces locutions, qu'on appelle figures, ne laissent pas d'être des solécismes, si celui qui les a employées n'a pas cru parler en style figuré.

 (54) Il faut ranger dans la même espèce, quoiqu'ils n'aient rien de figuré, ces noms dont j'ai parlé plus haut, qui sont masculins avec la forme du genre féminin, ou féminins avec celle du genre neutre. Je n'en dirai pas davantage sur le solécisme, car je n'ai pas prétendu composer un traité de grammaire; mais comme cet art s'est rencontré dans mon chemin, je n'ai pas voulu le laisser passer sans lui faire honneur.

 (55) Maintenant, pour suivre l'ordre que je me suis prescrit, les mots, comme je l'ai dit, sont ou latins ou étrangers. Or, par mots étrangers, j'entends ceux qui nous sont venus de presque toutes les nations, comme il nous en est venu beaucoup d'hommes et beaucoup d'institutions.

 (56) Je passe sous silence les Toscans, les Sabins et même les Prénestins; car quoique Lucilius reproche à Vettius de se servir de leur langage, de même que Pollion a cru remarquer dans Tite-Live quelque chose qui sent le terroir de Padoue, je puis considérer comme Romains tous les peuples de l'Italie.

 (57) Plusieurs mots gaulois ont prévalu, tels que raeda et petorritum, qu'on trouve l'un dans Cicéron, l'autre dans Horace. Les Carthaginois revendiquent mappa, usité dans le cirque; et j'ai entendu dire que gurdus, dont le peuple se sert pour désigner un niais, a une origine espagnole.

 (58) Au surplus, dans ma division, j'ai particulièrement en vue la langue grecque, parce que c'est d'elle que la nôtre s'est formée en grande partie, et que même nous nous servons au besoin de mots purement grecs, comme aussi quelquefois les Grecs nous font des emprunts. De là naît une question, si ces mots étrangers doivent se décliner de la même manière que les nôtres.

 (59) D'abord un grammairien, zélateur de l'antiquité, ne manquera pas de vous dire qu'il ne faut rien changer à la manière latine, attendu que, les Latins ayant un ablatif que les Grecs n'ont pas, il serait peu convenable de se servir de leurs cinq cas, et de n'en apporter qu'un seul pour notre part.

 (60) Il louera même le zèle de ceux qui, jaloux d'accroître la puissance de la langue latine, ne voulaient pas avouer qu'elle eût besoin de recourir à des lois étrangères. C'est pour cela qu'ils prononçaient Castorem, en faisant longue la syllabe du milieu, parce que c'est ainsi que se prononce notre accusatif dans tous les noms qui ont le nominatif terminé en or. C'est par la même raison qu'ils persistaient à dire Palaemo, Telamo, Plato (Cicéron même appelle ainsi ce dernier), parce qu'ils ne trouvaient pas de nom latin terminé en on.

 (61) Ils répugnaient même à la terminaison en as au nominatif des noms grecs masculins: aussi lisons-nous dans Caelius Pelia Cincinnatus, et dans Messala bene fecit Euthia, et dans Cicéron Hermagora. Ne nous étonnons donc plus si la plupart des anciens ont dit Aenea et Anchisa.

 (62) Leur raison était que, si l'on eût écrit ces noms comme Maecenas, Sufenas, Asprenas, il aurait fallu que le génitif, au lieu de finir en ae, se terminât par la syllabe tis. De là vient qu'ils mettaient l'accent aigu sur la pénultième des mots Olympus, tyrannus, parce que le génie de notre langue s'oppose à ce qu'on mette l'accent aigu sur la première syllabe, quand c'est une brève suivie de deux longues.

 (63) C'est ainsi qu'au génitif ils ont dit Vlixi, Achilli, et beaucoup d'autres. Les grammairiens modernes ont établi l'usage de donner aux noms grecs les déclinaisons grecques: ce qui pourtant n'est pas toujours possible. Pour moi, je crois qu'il vaut mieux suivre la manière latine, tant que la convenance le permet; car je ne dirai pas Calypsonem comme on dit Iunonem, quoique C. César, à l'imitation des anciens, ait adopté cette manière de décliner. Mais l'usage l'a emporté sur l'autorité.

 (64) Dans les autres mots qui pourront comporter l'une et l'autre déclinaison, celui qui préfère la forme grecque ne parlera pas latin, à la vérité, mais on n'aura pas sujet de le blâmer.

 (65) Les mots simples sont ceux qui conservent leur état primitif, c'est-à-dire ceux à la nature desquels on n'a rien ajouté. Les mots composés sont des mots simples, précédés tantôt d'une préposition, comme innocens, tantôt de deux, qui quelquefois s'accordent mal entre elles, comme imperterritus, et quelquefois sont compatibles, comme incompositus, reconditus, et comme subabsurdum, dont se sert Cicéron; ou bien ce sont pour ainsi dire deux corps en un, comme maleficus.

 (66) Car je n'accorde pas que notre langue comporte un mot composé de trois, quoique Cicéron dise que capsis est formé de cape si uis, et qu'il y ait des gens qui prétendent également que Lupercalia est composé de trois parties du discours, luere per caprum.

 (67) Car pour le mot Solitaurilia, on ne doute plus qu'il ne vienne de Suouetaurilia, et en effet ce sont les trois animaux que l'on immole dans ce sacrifice, dont on voit aussi la description dans Homère: mais ces composés sont moins trois mots que trois particules de mots. Et Pacuvius, qui a voulu joindre à deux mots, non pas un troisième, mais seulement une préposition, a fait évidemment un assemblage insupportable dans le vers suivant:

 Nérei repándirostrum incúruiceruicúm pecus.

 (68) La seconde espèce de mots, dont nous parlons, se compose soit de deux mots latins entiers, comme superfui, subterfugi (encore est-ce une question si ce sont là des mots entiers), soit d'un mot entier et d'un mot corrompu, comme maleuolus; soit d'un mot corrompu et d'un mot entier, comme noctiuagus; soit de deux mots corrompus, comme pedisecus; soit d'un mot latin et d'un mot étranger, comme biclinium, ou d'un mot étranger et d'un mot latin, comme epitogium, Anticato; soit enfin de deux mots étrangers, comme epiraedium, car dans ce dernier la préposition GRECejpi; est grecque, rheda est gaulois, et ni les Grecs ni les Gaulois ne se servent de ce composé. De ces deux mots empruntés à deux langues étrangères, les Romains en ont fait un qui leur appartient.

 (69) Souvent aussi les prépositions sont corrompues par cette alliance, comme dans abstulit, aufugit, amisit, quoique isolément la préposition soit ab; et dans coit, quoique la préposition soit con. Il en est de même dans ignaui, erepti, et autres semblables.

 (70) Mais en général cet alliage de mots différents nous réussit moins qu'aux Grecs; et cela, je crois, tient moins à la nature des deux langues qu'à notre engouement pour ce qui est étranger: ainsi nous admirons le GRECkurtauvcena des Grecs; et notre incuruiceruicum, nous avons peine à l'entendre sans rire.

 (71) Les mots propres sont ceux qui conservent leur signification primitive; les métaphoriques sont ceux qui reçoivent du lieu où ils sont placés un sens autre que celui qu'ils ont naturellement. Quant aux mots usités, ce sont ceux dont l'emploi est le plus sûr. Ce n'est pas sans quelque danger qu'on en crée de nouveaux; car s'ils sont accueillis, ils ajoutent peu de mérite au discours; et s'ils ne le sont pas, ils nous donnent même du ridicule.

 (72) Cependant il faut oser, parce que, comme le dit Cicéron, ce qui d'abord a paru dur s'adoucit par l'usage. Quant aux onomatopées, elles ne sont nullement permises à notre langue. Qui en supporterait du genre de celles qu'on admire avec raison dans la langue grecque, comme GREClijgxe biov" et GRECsivzen ojfqalmov"? On oserait à peine dire baIare et hinnire, si ces mots n'étaient consacrés par l'antiquité.

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