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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


 

QUINTILIEN
L'INSTITUTION ORATOIRE
LIVRE PREMIER

 Chapitre X

La connaissance de plusieurs arts est-elle nécessaire à l'orateur?


 (1) Voilà ce que j'avais à dire sur la grammaire. Je l'ai fait le plus brièvement possible, n'ayant pas prétendu épuiser la matière, ce qui serait infini, mais seulement exposer ce qu'il y a de plus essentiel. Je vais maintenant ajouter un mot sur les autres arts dont je crois la connaissance utile aux enfants avant qu'ils ne passent entre les mains du rhéteur, afin de parcourir le cercle de science que les Grecs appellent encyclopédie, GRECejgkuvklion paideivan.

 (2) C'est en effet, à peu près dans le même temps qu'on associe d'autres études à celle des lettres; et comme ces études ont pour objet des arts particuliers, qui ne peuvent être perfectionnés sans l'art oratoire, et que d'un autre côté ces arts ne peuvent suffire seuls à former l'orateur, on demande si l'étude de ces arts lui est nécessaire, en tant qu'il s'agit de l'orateur.

 (3) À quoi sert, dit-on, pour plaider une cause ou pour exprimer son avis, de savoir comment dans une ligne donnée on peut tracer des triangles équilatéraux? En quoi défendra-t-on mieux un accusé, ou traitera-t-on mieux une délibération, parce qu'on saura distinguer les noms d'un instrument par leurs noms et leurs intervalles?

 (4) On citera même des orateurs, et peut-être en grand nombre, qui ont été très utiles au barreau sans avoir jamais entendu parler de géométrie, ni connu la musique autrement que par le plaisir sensible qu'elle cause à tout le monde. À cela je répondrai d'abord ce que Cicéron déclare si souvent dans le traité qu'il a adressé à Brutus, que je ne prétends pas former un orateur sur le modèle de ceux qui existent ou qui ont existé, mais d'après le type idéal d'un orateur parfait et accompli sous tous les rapports.

 (5) Quand les philosophes veulent former un sage, destiné à être un jour le type de la perfection, et qui soit, comme ils le disent, un dieu revêtu d'un corps mortel; non contents de l'initier aux sciences divines et humaines, ils le font passer par certaines épreuves intellectuelles qui, considérées en elles-mêmes, sont assez misérables, telles, par exemple, que les cératines et les crocodilines. Ce n'est pas que ces arguments d'une ambiguïté recherchée puissent jamais faire un sage; mais c'est qu'un sage doit être infaillible jusque dans les plus petites choses.

 (6) De même l'orateur, qui, lui aussi, doit être un sage, ne deviendra pas tel parce qu'il saura la géométrie ou la musique, ou parce qu'il possédera les autres connaissances dont je parlerai après celle-ci; mais tout cela ne laissera pas de l'aider à s'élever à la perfection. C'est ainsi que l'antidote et les autres remèdes préparés contre les maladies et les blessures se composent de plusieurs substances, qui même, prises séparément, produisent des effets contraires, dont la variété forme une mixtion qui n'a plus de rapport avec aucun de ses éléments, et qui tire une vertu particulière de leur ensemble;

 (7) c'est ainsi que des insectes dépourvus d'intelligence composent du suc de différentes fleurs un miel dont toute l'industrie humaine ne saurait imiter la saveur. Et nous nous étonnerons que l'éloquence, ce don par excellence que la Providence a fait à l'homme, réclame l'assistance de plusieurs arts, qui, sans se manifester ouvertement dans le discours, lui communiquent cependant une force secrète, qui ne laisse pas de se faire sentir confusément!

 (8) Un tel, dira-t-on, est devenu disert sans tout cela? Mais c'est un orateur que je demande. Cela n'ajoute pas beaucoup à l'art. Mais un tout n'est complet qu'autant qu'il n'y manque pas la moindre partie, et il est certain qu'il n'y a de perfection qu'à cette condition. Que si cette perfection est placée à une hauteur qui semble inaccessible, nous n'en devons pas moins demander tout, pour en obtenir le plus possible. Mais pourquoi nous découragerions-nous? La nature ne s'oppose pas à ce qu'il y ait un orateur parfait, et il est honteux de désespérer de ce qui est possible.

 (9) Je pourrais m'en tenir ici au jugement des anciens. Qui ignore, en effet, que la musique, pour parler d'abord de cet art, était, dans l'antiquité, non seulement cultivée, mais en si haute vénération qu'Orphée et Linus entre autres étaient indistinctement appelés musiciens, poètes et sages? N'a-t-on pas cru qu'ils étaient tous deux de la race des dieux, et que le premier attirait à lui non seulement les bêtes féroces, mais jusqu'aux rochers et aux forêts, parce qu'il adoucissait les moeurs d'une multitude ignorante et sauvage?

 (10) Timagène avance que de tous les arts littéraires, la musique est le plus ancien; et si nous en croyons le témoignage des poètes les plus célèbres, c'était l'usage de chanter sur la lyre, à la table des rois, les louanges des héros et des dieux. Iopas, dans Virgile, ne chante-t-il pas la lune errante et les phases laborieuses du soleil ? Par où ce grand poète nous confirme manifestement que la musique est inséparable de la connaissance des choses divines,

 (11) ce qu'on ne peut admettre sans reconnaître en même temps qu'elle est nécessaire à l'orateur, puisque, ainsi que nous l'avons dit, cette partie, abandonnée par les orateurs, et dont les philosophes se sont emparés, fut toujours de notre ressort, et que l'éloquence ne saurait être parfaite sans elle.

 (12) Qui peut douter que les hommes les plus renommés par leur sagesse n'aient été passionnés pour la musique, lorsqu'on voit Pythagore et ses disciples répandre l'opinion, accréditée sans doute de toute antiquité, que le monde lui-même avait été créé selon les lois de la musique, et que la lyre avait été depuis formée à l'imitation du système planétaire? Et même, non contents de l'idée de cette concorde entre des choses contraires, qu'ils appellent harmonie, ils prêtaient encore des sons aux mouvements des sphères célestes.

 (13) Platon lui-même, dans quelques-uns de ses écrits, et notamment dans le Timée, n'est intelligible que pour ceux qui ont fait une étude approfondie de cette partie de la science. Mais que parlé-je des philosophes? Le père de la philosophie, Socrate, a-t-il rougi, dans sa vieillesse, de prendre des leçons de lyre?

 (14) L'histoire nous apprend que les plus grands capitaines jouaient de la lyre et de la flûte, et que les armées des Lacédémoniens s'enflammaient aux accents de la musique. Les clairons et les trompettes de nos légions ne produisent-ils pas le même effet? La supériorité des armes romaines semble être en rapport avec la véhémence de leurs accents.

 (15) C'est donc avec raison que Platon a cru que la musique était nécessaire à l'homme public que les Grecs appellent GRECpolitikovn. Les chefs mêmes de cette secte, qui paraît aux uns si sévère, aux autres si dure, ont été d'avis que quelques sages pouvaient accorder quelque chose à cette étude; et Lycurgue, cet austère législateur de Sparte, a approuvé l'enseignement de la musique.

 (16) La nature elle-même semble nous en avoir fait présent pour nous aider à supporter plus facilement nos peines. C'est le chant qui encourage le rameur; et non seulement le chant d'une voix agréable anime un travail commun et semble y présider, mais chacun isolément charme son labeur en modulant quelque air de sa façon.

(17) Mais je m'oublie dans l'éloge d'un très bel art, sans en démontrer les rapports avec l'éloquence. Je passe donc rapidement aussi sur l'alliance qui existait autrefois entre la grammaire et la musique. Elle était telle qu'Archytas et Euenus considéraient la grammaire comme une partie de la musique. C'étaient aussi les mêmes maîtres qui enseignaient l'une et l'autre, comme on le voit dans Sophron, ce poète mimique si goûté de Platon, qu'on trouva, dit-on, ses livres sous le chevet du lit de ce philosophe lorsqu'il mourut.

 (18) Dans les comédies d'Eupolis, un certain Prodamus enseigne à la fois la musique et les lettres; et Maricas, c'est-à-dire Hyperbolus, avoue que de toutes les parties de la musique, il ne connaît que la grammaire. Aristophane témoigne en plus d'un endroit qu'autrefois la musique faisait partie de l'éducation des enfants; et dans l'Hypobolomaeos de Ménandre, un vieillard opposant à un père, qui lui redemande son fils, le remboursement de ses dépenses, dit qu'il lui en a coûté beaucoup en maîtres de musique et en géomètres.

 (19) C'est de là qu'était venu l'usage de se passer la lyre à la fin des repas. Thémistocle, ayant confessé qu'il n'en savait pas jouer, passa pour ignorant, suivant les propres expressions de Cicéron.

 (20) La lyre et la flûte égayaient aussi les repas des anciens Romains. Les vers des Saliens n'ont-ils pas leur chant? Or ces vers et leur musique remontent au roi Numa: ce qui fait voir que nos ancêtres, quoique grossiers et uniquement adonnés à la guerre, ne laissaient pas de cultiver la musique, autant que le comportaient ces premiers temps.

 (21) Enfin il est passé en proverbe chez les Grecs que les ignorants n'ont commerce ni avec les Muses ni avec les Grâces.

 (22) Examinons maintenant l'utilité particulière que l'orateur peut retirer de la musique. La musique a deux sortes de nombres, les uns pour la voix, les autres pour le corps: car il faut que les mouvements de l'une et de l'autre soient réglés. Le musicien Aristoxène divise ce qui regarde la voix en rythme et en mélodie cadencée. Le premier consiste dans la modulation, l'autre dans le chant et les sons. Or, tout cela n'est-il pas nécessaire à l'orateur? Le rythme du corps se rapporte au geste, le rythme de la voix à l'arrangement des mots, la mélodie aux inflexions de la voix, qui varient à l'infini dans le discours,

 (23) à moins qu'on ne s'imagine qu'il n'y a que les vers et les chansons qui soient susceptibles de rythme et d'harmonie, et que tout cela est superflu pour l'orateur; ou que celui-ci ne varie pas sa diction et sa prononciation, suivant les sujets qu'il traite, aussi bien que le musicien.

 (24) Car de même que le musicien, fidèle aux lois du chant et de la modulation, exprime tour à tour avec élévation, avec douceur, avec calme, les sentiments nobles, agréables ou modérés, et s'applique à bien peindre les sentiments renfermés dans les paroles;

 (25) de même l'orateur, selon qu'il élève ou abaisse la voix, suivant les inflexions qu'il lui donne, remue différemment l'âme des auditeurs; et, pour me servir des mots de la définition qui précède, nous varions la modulation de la phrase et de la voix selon que nous voulons exciter l'indignation ou la pitié des juges. Qui pourrait nier ces effets de l'éloquence, quand on voit que des instruments inanimés, qui ne peuvent exprimer la parole, produisent cependant sur l'âme des impressions si différentes?

 (26) La convenance dans les mouvements du corps, que les Grecs appellent GRECeujruqmiva, est également nécessaire; et c'est encore à la musique qu'il faut emprunter cette partie de l'action, qui n'est pas la moins importante, et dont je parlerai en son lieu.

 (27) Si enfin il est vrai que l'orateur doive prendre un soin particulier de sa voix, quoi de plus essentiel à la musique? Mais, sans anticiper sur ce sujet, contentons-nous pour le moment d'un seul exemple, de celui de C. Gracchus, le plus grand orateur de son temps. Toutes les fois qu'il parlait en public, un musicien se tenait derrière lui, et, sur une flûte appelée GRECtonavrion, lui donnait le ton qu'il devait prendre.

 (28) II eut toujours cette attention au milieu de ses harangues les plus turbulentes, alors qu'il était la terreur des patriciens, et même alors qu'il les craignait. Pour mettre certaines personnes, tout à fait étrangères au commerce des Muses, en état d'apprécier l'utilité de la musique, je veux me servir d'une preuve qui leur ôtera jusqu'au moindre doute.

 (29) Elles m'accorderont certainement que l'orateur doit lire les poètes. Or, comment le pourra-t-il sans la musique? Que si l'on est assez aveugle pour contester cette vérité à l'égard des poètes en général, au moins sera-t-on forcé de la reconnaître à l'égard des poètes lyriques. Je m'étendrais davantage sur cette matière, si c'était une nouveauté que je voulusse introduire.

 (30) Mais comme l'étude de la musique est consacrée de toute antiquité, depuis Chiron et Achille jusqu'à nous, par tous ceux qui tiennent compte de la tradition et de l'autorité, je dois me garder de rendre cette vérité douteuse par trop de sollicitude à la défendre.

 (31) Quoique j'aie assez fait connaître, ce me semble, par les exemples que j'ai cités, quelle est la musique que j'approuve, et jusqu'à quel point je l'approuve, je crois pourtant devoir déclarer ouvertement que je recommande, non cette musique efféminée qui ne fait entendre aujourd'hui sur nos théâtres que des sons lascifs et languissants, et qui n'a pas peu contribué à détruire ce qui pouvait nous rester de mâle vigueur, mais cette musique qui célébrait les louanges des héros, et que les héros eux-mêmes chantaient; non ces instruments, tels que le luth et le spadix, que les jeunes filles elles-mêmes devraient s'interdire; mais la connaissance des moyens que la musique emploie pour émouvoir ou apaiser les passions.

 (32) C'est ainsi que Pythagore, dit-on, voyant des jeunes gens prêts à forcer une maison respectable, calma leur fureur en ordonnant à la musicienne de jouer sur un ton plus grave. Chrysippe assigne un air particulier aux nourrices pour allaiter les enfants;

 (33) il y a dans les écoles un sujet de déclamation assez ingénieux. On suppose qu'un joueur de flûte a fait entendre le mode phrygien pendant un sacrifice; le prêtre devient fou, et s'élance dans un précipice; le musicien est accusé comme auteur de sa mort. Que si un orateur, ayant à plaider une cause de cette espèce, ne peut le faire sans connaître la musique, comment donc ne pas demeurer d'accord que cet art entre nécessairement dans mon dessein, quelque prévenu qu'on soit du contraire?

 (34) On convient qu'il y a une partie de la géométrie qui est utile à l'enfance; qu'elle donne de l'activité à l'esprit, qu'elle l'aiguise, et qu'elle rend par là la conception plus prompte; mais on veut qu'à la différence des autres sciences qui sont utiles quand on les a acquises, la géométrie ne serve à quelque chose que dans le temps qu'on l'apprend.

 (35) Voilà l'opinion du vulgaire. Mais ce n'est pas sans raison que de grands hommes ont fait une étude particulière de cette science. En effet, la géométrie traite des nombres et des dimensions: or la connaissance des nombres n'est pas seulement nécessaire à l'orateur, mais à quiconque a la moindre teinture des lettres. Elle trouve très fréquemment sa place dans les plaidoiries; et un avocat qui hésite sur un produit, ou qui seulement montre de l'incertitude ou de la gaucherie en comptant sur ses doigts, donne une mauvaise idée de son habileté.

 (36) Quant à la partie linéaire, souvent aussi elle trouve son application dans les causes, car on a tous les jours des procès sur les limites et sur les mesures; mais la géométrie a, sous un autre rapport, une affinité plus intime avec l'art oratoire.

 (37) Et d'abord, l'ordre est de l'essence de la géométrie: n'en est-il pas de même de l'éloquence? La géométrie prouve les conséquences par les prémisses, et l'incertain par le certain: n'est-ce pas ce que nous faisons dans le discours? La plupart des problèmes, en géométrie, ne se résolvent-ils pas uniquement par le syllogisme, ce qui fait qu'en général on lui trouve plus d'analogie avec la dialectique qu'avec la rhétorique? Il est vrai que l'orateur se sert peu de la dialectique;

 (38) mais il en use pourtant; car il emploie, au besoin, le syllogisme, ou, à coup sûr, l'enthymème, qui est le syllogisme de la rhétorique. Enfin, les preuves les plus puissantes sont celles qu'on appelle vulgairement preuves géométriques, GRECgrammikai; ajpodeivxi": et quelle est la fin principale de l'éloquence, si ce n'est de prouver?

 (39) La géométrie découvre aussi, par le calcul, le faux dans le vraisemblable: par exemple, en fait de nombres, elle fait voir l'erreur de certaines propositions appelées GRECyeudografiva", qui, de mon temps, servaient d'amusement à l'enfance. Mais prenons pour exemples des questions plus sérieuses. Qui ne croirait à l'exactitude de cette proposition: Soient donnés deux lieux dont la circonférence est égale, ils contiendront le même espace.

 (40) Cependant cela est faux, car il importe beaucoup de savoir quelle est la forme du contour; et des historiens ont été repris par les géomètres, pour avoir cru que la dimension des îles était suffisamment indiquée par le circuit de la navigation. En effet, plus une forme est parfaite, plus elle a de capacité.

 (41) Si donc la circonférence figure un cercle, qui est la ligne plane la plus parfaite, elle contiendra un plus grand espace, que si elle formait un carré d'une égale circonférence. À son tour le carré en renfermera plus que le triangle, et le triangle équilatéral plus que le triangle à côtés inégaux.

 (42) Mais ces exemples sont peut-être un peu abstraits: je me renfermerai dans l'expérience commune. Presque personne n'ignore que la mesure d'un arpent est de deux cent quarante pieds en longueur, et de moitié en largeur; d'où il est aisé de juger quel est son contour et quelle est sa surface.

 (43) Mais supposons un carré de cent quatre-vingts pieds sur toutes ses faces: il aura la même circonférence que l'arpent, et contiendra néanmoins un espace beaucoup plus grand. Si l'on ne veut pas se donner la peine de faire ce calcul, on peut s'en convaincre en opérant sur un plus petit nombre. Dix pieds en carré font quarante pieds de tour et cent pieds de superficie; mais quinze pieds en longueur, sur cinq en largeur ont la même circonférence, et donnent un quart de moins en surface;

 (44) et dix-neuf pieds de long sur un seulement de large, n'ont pas plus en superficie qu'ils n'ont en longueur, et cependant le contour est le même que celui du carré, qui contient cent pieds. Ainsi tout ce que vous ôterez à la forme du carré sera de moins en surface:

 (45) donc il peut arriver qu'un espace soit renfermé dans un plus grand circuit. Ceci est pour les terrains planes; car pour les collines et les vallées, il est évident, même pour l'homme étranger à la géométrie, que le sol qu'elles couvrent est plus étendu que l'espace aérien qu'elles embrassent.

 (46) Mais la géométrie ne s'arrête pas là: elle s'élève jusqu'à la connaissance des lois du monde et, en nous démontrant par les nombres le cours réglé et déterminé des astres, elle nous apprend que rien n'est désordonné ni fortuit: ce qui peut quelquefois être du domaine de l'orateur.

 (47) Lorsque Périclès rassura les Athéniens, qu'effrayait une éclipse de soleil, en leur expliquant les causes de ce phénomène; quand Sulpicius Gallus, au milieu de l'armée de Paul-Émile, raisonna de même sur une éclipse de lune, afin que les soldats n'en fussent pas épouvantés comme d'un prodige surnaturel, l'un et l'autre ne firent-ils pas alors l'office d'orateurs?

 (48) Si Nicias eût eu ces connaissances, il n'eût pas perdu en Sicile la belle armée d'Athéniens qu'il y commandait, par le trouble où le jeta un pareil accident: il aurait fait comme Dion, qu'un phénomène de cette espèce n'arrêta pas, lorsqu'il vint renverser la tyrannie de Denys. Mais je veux bien admettre que la tactique soit étrangère à la question; je ne parlerai pas non plus d'Archimède, qui suffit lui seul à traîner en longueur le siège de Syracuse:

 (49) du moins m'accordera-t-on une chose qui établit pertinemment ma proposition, que ce n'est la plupart du temps qu'à l'aide des preuves linéaires que fournit cette science qu'on parvient à résoudre un grand nombre de questions qui seraient difficilement expliquées d'une autre manière, telles que la division, la section à l'infini, la puissance des progressions: de sorte que si, comme je le démontrerai dans le livre suivant, l'orateur doit être prêt à parler sur tout, on ne peut en aucune façon devenir orateur sans la géométrie.

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