FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 20 - juillet-décembre 2010


Poema ultimum : présentation générale

par

Anne-Marie Boxus et Jacques Poucet


Vers : Texte latin et traduction françaiseNotes de commentaire

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L'oeuvre

     Poème de 255 hexamètres, le Poema ultimum (appelé parfois Carmen ultimum) n'est connu que par deux témoins : le manuscrit A (Mediolanensis Ambrosianus C 74 sup., du IXe siècle) et le manuscrit D (Monacensis lat. 64, 12 [anciennement Frisingensis 212], du Xe siècle).

     Le manuscrit A fut découvert par L.A. Muratori à la fin du XVIIème siècle, et comme le poème en question suivait des carmina de saint Paulin de Nole, le même Muratori, dans son editio princeps (Milan 1697) l'attribua à cet auteur et lui donna le titre de Poema ultimum, parce qu'il était le dernier du groupe. Le second manuscrit (D) apparut seulement à la fin du XIXe siècle : d'après les analyses, les deux manuscrits remontent, indépendamment l'un de l'autre, à un même exemplaire perdu.

     L'attribution à Paulin de Nole (353-431) fut assez rapidement contestée, pour des raisons de ton, de style et surtout de conformité avec la biographie du personnage. Rares aujourd'hui sont ceux qui défendent encore son authenticité. Cela dit, la pièce qui nous occupe se trouve encore régulièrement publiée avec les carmina de saint Paulin, où elle occupe le n° XXXII, et elle continue généralement à être datée de la fin du IVème ou du début du Vème siècle (plus de détails infra).

     C'est un texte chrétien, de propagande antipaïenne, qui n'est pas sans rapports avec deux autres poèmes, également anonymes et rattachés souvent eux aussi à la fin du IVème siècle, à savoir le Carmen contra paganos, et le Carmen ad quendam senatorem, que nous avons présentés ailleurs. L'auteur du Poema ultimum affirme son attachement à la foi chrétienne, qu'il dit avoir découverte après avoir étudié différentes doctrines philosophiques et religieuses. Après un développement polémique contre les cultes païens, le judaïsme, les philosophes et le polythéisme, l'auteur fait l'éloge de la doctrine chrétienne, en insistant sur l'oeuvre du Dieu unique, créateur et maître de l'univers, mais en même temps rédempteur miséricordieux de tous les pécheurs.

Les éditions et traductions

     En ce qui concerne les éditions du Poema ultimum, on citera, pour le XIXe siècle, celle de W. von Hartel, dans le CSEL (30, 2, 1894, p. 329-338 ; réimpression 1999). Le XXème siècle en a connu plusieurs, mais il s'agit (à l'exception du travail de Kornprobst) de publications reprenant l'ensemble des carmina de Paulin de Nole :

- J. Kornprobst, Das Carmen XXXII des Paulinus von Nola. Mit Übersetzung, Einleitung und Kommentar, Innsbruck 1947. [C'est une dissertation dactylographiée difficile d'accès que nous n'avons pas pu obtenir].

- P.G. Walsh, The Poems of St. Paulinus of Nola. Translated and annotated, New York 1975, p. 330-339 et p. 415-419 [avec traduction anglaise ; pas de texte latin].

- A. Ruggiero, Paolino di Nola, I Carmi. Introduzione, traduzione, note e indici a cura di A. Ruggiero, Roma, 1990 (Collana di testi patristici, 85) [traduction italienne ; édition complète dans le titre suivant].

- A. Ruggiero, Paolino di Nola, I Carmi. Testo latino con introduzione, traduzione italiana, note e indici a cura di A. Ruggiero, I-II, Marigliano 1996 (Strenae Nolanae, 6-7) [en I, p. 79-89, abondante bibliographie sur Paulin de Nole en général ; en II, p. 375-399, texte et traduction italienne].

      Dans les premières années du XXIe siècle, la collection Poeti Cristiani a proposé un ouvrage de grande valeur, avec édition critique approfondie, traduction italienne et commentaire détaillé. Il remplace et intègre pratiquement tout ce qui l'a précédé. Nous l'avons très largement suivi et utilisé :

M. Corsano e R. Palla, Ps.-Paolino Nolano <POEMA ULTIMUM> [carm. 32]. Introduzione di Marinella Corsano (I-V) e Roberto Palla (VI-IX). Testo critico di Roberto Palla. Traduzione e commento di Marinella Corsano, Pise, ETS, 2003, 180 p. (Poeti Cristiani, 5) [cité Corsano, 2003, ou Palla, 2003, selon l'auteur du passage auquel on renvoie]

     Dans son compte rendu, G. Viard (Revue des études latines, t. 84, 2004, p. 308-309), écrit notamment : « Le commentaire [...], très dense, fournit des notes éclairantes et bien documentées sur l'arrière-plan religieux foisonnant du Poema ultimum, ainsi que sur l'intertextualité qui unit ce texte à la fois aux grandes oeuvres classiques et à celles de la littérature contemporaine ». Elle aurait malgré tout souhaité trouver plus de rapprochements avec la poésie chrétienne de l'époque, et notamment avec les oeuvres de Paulin de Nole et de Prudence.
    Pour sa part R. Uglione, dans sa recension (Atene e Roma, t. 50, 2005, p. 105-107), vante « la richesse, l'exhaustivité et la sensibilité de leur commentaire », qui ne « néglige aucun problème de quelque importance (historique, philosophique, théologique, linguistique, stylistique) » et « met le lecteur en mesure de pénétrer un texte pas toujours facile et peu connu ».
    Mais on pourra aussi se référer à d'autres comptes rendus, également élogieux, comme par exemple celui de F. Corsaro dans Orpheus, t. 24, 2003, p. 337-339, et de J. Den Boeft, dans Vigiliae Christianae, t. 58, 2004, p. 459-462.

      Pour ce qui est des traductions, le Poema ultimum a été traduit en allemand, en anglais, en italien. À la liste donnée ci-dessus, on ajoutera la traduction anglaise qui a été publiée dans la collection de documents de B. Croke - J. Harries, Religious Conflicts in Fourth-Century Rome, Sydney, 1982. À notre connaissance, notre traduction française est la première à avoir vu le jour.

L'identification de l'auteur

      Le mot Antonius du vers 1 a suscité de nombreuses discussions. Interprété tantôt comme un nominatif apposé au sujet de fateor, tantôt comme un nominatif équivalant un vocatif et désignant l'interlocuteur de l'auteur, il est à l'origine de tentatives d'identification avec divers Antonius, dont le nombre même pousse à considérer le problème comme insoluble. Antonius est un nom très répandu, et, en fin de compte, qu'il désigne l'auteur ou son interlocuteur ne change rien à la compréhension du poème. Sur ce problème difficile, voir Corsano, 2003, p. 27-28 : pour elle, Antonius est le destinataire, mais ce nom, très répandu, interdit une identification assurée ; elle a heureusement conservé à l'oeuvre son titre de Poema ultimum. Certains modernes n'ont pas eu cette sagesse, ce qui explique que la pièce apparaisse parfois sous le nom de Carmen ad Antonium, une appellation à éviter soigneusement.

La date de la composition

      Concernant la datation du Poema ultimum, les hypothèses actuelles proposent des dates comprises entre 384 et 436, la majorité des commentateurs étant toutefois enclins à rattacher la pièce à la fin du IVème siècle, l'époque du Carmen contra paganos et du Carmen ad quendam senatorem. Mais les tentatives d'avancer une date précise reposent souvent sur de simples hypothèses suggérées tantôt par la thèse défendue, tantôt par les identifications retenues comme valables, tantôt par des rapprochements hâtifs et discutables entre les trois œuvres antipaïennes. On trouvera un exposé détaillé de la question, avec des noms et des exemples, chez Corsano, 2003, p. 28-30.

      La commentatrice, qui conseille en la matière une grande prudence, se borne à constater « l'appartenance des trois œuvres antipaïennes à un même contexte culturel et historique, à une école de rhétorique commune » (p. 31). Il ne serait d'ailleurs pas exclu pour elle que le Poema ultimum soit à considérer comme « une déclamation poétique, nourrie de préceptes rhétoriques ou directement née d'une école de rhétorique, où un magister chrétien aurait pu suggérer à ses élèves des thèmes contre les païens ». (p. 31, citant A. Bartalucci, 1998, p. 46). En d'autres termes, le poema pourrait être  un « exercice d'école ».

    Parmi les éléments les plus intéressants du dossier chronologique figurent deux témoignages épigraphiques (ICUR 11435 et 13355). Le second est le plus important. C'est l'inscription de Maximilla, datée de 389 et qui contient deux vers du Poema ultimum (en fait un vers et demi [v. 233-234] et un demi-vers [v. 222]. M. Corsano en fait assez longuement état (p. 35-38) sans toutefois oser affirmer comme certain que l'épitaphe a utilisé le poème, les deux pièces pouvant remonter à une source commune perdue. Reste qu'on est orienté vers la fin du IVe siècle.

Valeur littéraire

    La critique moderne n'a pas toujours été très positive sur la valeur littéraire du Poema ultimum. À tort, semble-t-il. M. Corsano (2003, p. 45) voit dans le poème « une honnête production » due à un auteur bien au fait des modèles et des schémas littéraires, et par ailleurs familier des auteurs classiques, des écrivains chrétiens et de la Bible. Plusieurs études récentes et approfondies (par exemple M. Cutino et J.-M. Poinsotte) ont été consacrées aux aspects métriques et prosodiques. Quant aux éléments strictement rhétoriques, ils abondent dans l'oeuvre  : antithèses, anaphores, chiasmes, polyptotes, effets phoniques, le lecteur n'a que l'embarras du choix.

Une bibliographie sélective

      Comme on l'a dit plus haut, l'édition Corsano-Palla est aujourd'hui devenue l'ouvrage de référence.

      À côté de cette édition récente et de celles signalées plus haut, on citera, parmi les travaux plus spécialement consacrés au Poema ultimum :

Bartalucci A., Alcune considerazioni sul « Poema ultimum » del pseudo-Paolino e sui motivi polemici contra Orfici, Gnostici e filosofi, dans Koinonia, t. 17, 1993, p. 125-142.

Chastagnol A., La conversion d'une famille de l'aristocratie romaine sous le Bas-Empire [résumé d'une conférence], dans Revue des études latines, t. 33, 1955, p. 50-53.

Corsano M., Un incontro problematico : pagani e cristiani in tre carmi adespoti, dans Orpheus, t. 21, 2000, p. 26-43.

Cracco Ruggini L., Il paganesimo romano tra religione e politica (384-394 d.C.). Per una interpretazione del « Carmen contra paganos », dans Memorie della Accademia nazionale dei Lincei. Classe di scienze morali, storiche e filologiche, t. 23, 1979, p. 3-141. Le travail est essentiellement consacré au Carmen contra paganos, mais l'Appendice 3 (p. 124-130) est intitulé : Per una datazione del « Poema ultimum » pseudo-Paoliniano e del Carmen ad senatorem pseudo-cipriano.

Cutino M., Per una interpretazione del « Poema ultimum », dans Bollettino di studi latini, t. 31, 1, 2001, p. 73-101.

Fabre P., Essai sur la chronologie de l'oeuvre de saint Paulin de Nole, Paris, 1948, 144 p. (Thèse complémentaire de la Faculté des Lettres) : p. 124-131 pour le Poema ultimum.

Morelli C., L'autore del cosidetto « Poema ultimum » attribuito a Paolino di Nola (Hartel 32), dans Didaskaleion, t. 1, 1912, p. 481-498.

Moroni A., « Leni describere versu ». Appunti sul « Poema ultimum » attributo a Paolino di Nola, dans Acme, t. 57, 2004, p. 117-159.

Opelt I., Die « Volcanalia » in der Spätantike, dans Vigiliae Christianae, t. 24, 1970, p. 59-65.

Palla R., Rivisitando il « Poema ultimum » : l'« editio princeps » di Ludovico Antonio Muratori, dans Luongo G. [Éd.], Anchora vitae. Atti del II Convegno Paoliniano nel XVI centenario del ritiro di Paolino a Nola (Nola-Cimitile 18-20 maggio 1995), Naples, Rome, 1998, p. 407-429.

Poinsotte J.-M., Le consul de 382 Fl. Claudius Antonius fut-il un auteur antipaïen ?, dans Revue des études latines, t. 60, 1982, p. 298-312.

Sirna F.G., Sul cosiddetto « Poema ultimum » Ps-Paoliniano, dans Aevum, t. 35, 1961, p. 87-107.

      Et on terminera en attirant aussi l'attention sur d'autres titres plus généraux cités dans les bibliographies du Carmen contra paganos et de l'Ad senatorem.


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