FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 14 - juillet-décembre 2007


Villas et campagnes en Gallia Belgica.

2. Des auteurs et des textes

Paul Fontaine

 

 

Avant-propos - Villa : histoire d'un mot

Vers le recueil de textes : Table des matières - I - II - III - IV - V

   

    Jusqu’à l’avènement de la société industrielle au XIXe s, l’agriculture représentait la base de l’économie. La possession de la terre constituait le première source de richesse et les activités rurales occupaient directement ou indirectement la majeure partie de la population. Que la littérature gréco-romaine offre tant de textes sur les différentes facettes du monde champêtre n’a donc rien de surprenant. Sous une forme tantôt allusive, tantôt plus développée, la campagne apparaît fréquemment dans les écrits des historiens, des orateurs, des philosophes. Et l’on ne compte pas les poètes qui ont chanté la nature ou la vie campagnarde, tels le grec Hésiode (VIIIe s. av. J.-C.) et le romain Virgile, contemporain et ami de l’empereur Auguste.

    Mais le patrimoine littéraire antique recèle aussi de nombreuses œuvres envisageant la campagne sous l’angle plus technique de l’agronomie. Dans le cadre de ce recueil, nous leur avons réservé une place prépondérante. Deux raisons nous ont en outre conduit à exploiter les ouvrages agronomiques romains plutôt que ceux du monde grec. D’abord la civilisation gallo-romaine fait partie intégrante du monde romain. Ensuite, les textes d’agronomie grecque sont, pour ce que l’on en connaît, essentiellement dus à des philosophes et à des hommes de science. Les écrits agronomiques romains tirent quant à eux leur substance de l’exercice pratique du métier de la ferme. Ils sont en somme plus concrets et historiquement plus proches de la réalité des campagnes dans le nord de la Gaule aux premiers siècles de notre ère. Cinq auteurs, tous de langue latine, sont en l’occurrence tout particulièrement importants. Nous les présentons ici brièvement.

    Caton l’Ancien ou le Censeur (234-149 av. J.-C.) est issu d’une famille paysanne des environs de Rome. Ce gros fermier, réputé pour son intransigeance et sa ténacité, mena une vie politique très active, inspirée par un patriotisme ardent et la défense d’une conception traditionnelle, et déjà dépassée à son époque, du citoyen à la fois bon soldat et bon agriculteur. Son De agricultura, considéré par les Romains eux-mêmes comme le plus ancien ouvrage d’agronomie en langue latine, nous apparaît comme un recueil de recommandations livrées avec autant de désordre que de conviction. L’usage récurrent du mode impératif donne beaucoup de force au texte qui distille par ailleurs nombre de maximes. L’ouvrage exalte l’image du modeste agriculteur vivant sur ses propres terres, à une époque où commençaient à se multiplier les grands domaines esclavagistes, dont les propriétaires résidaient en ville.

    Varron (116-27 av. J.-C), personnage d’une extraordinaire érudition, publia pas moins de 74 ouvrages sur les sujets les plus divers et fut chargé par Jules César d’organiser la première bibliothèque publique de Rome. Propriétaire d’un élevage de chevaux et de mules en Italie centrale, il signa à l’âge de 81 ans (!) un remarquable Res rusticae. Ce traité d’agronomie, comprend trois livres rédigés sous la forme de dialogues entre spécialistes des questions agricoles. Le premier livre traite de l’agriculture, agri cultura ; le second, de l’élevage des troupeaux, pastio agrestis ou pecuaria ; le troisième de la pastio uillatica, c’est-à-dire littéralement « l’élevage à la villa ». Cette dernière expression recouvre des élevages qui connaissent une grande vogue en Italie à partir du Ier s. av. J.-C, en réponse aux exigences croissantes de la gastronomie romaine. Pratiqués dans l’enceinte même de la ferme ou du moins en milieu clos, ils concernent un large éventail d’animaux : escargots, poissons, lièvres, sangliers, grives, faisans... destinés au luxe de la table. On notera par ailleurs que le traité de Varron est, au plan technique, la source principale des Géorgiques de Virgile.

    Columelle, dont on sait qu’il fut contemporain des empereurs Claude et Néron, est originaire du sud de l’Espagne mais passa la plus grande partie de son existence en Italie. Il y était propriétaire de quatre domaines et s’adonna avec zèle à l’agriculture. Désireux de pallier l’inexistence d’écoles professionnelles pour futurs agriculteurs, il rédigea, dans une langue élégante et claire, un De re rustica en douze livres. C’est le manuel d’agronomie le plus long et le plus systématique que nous ait légué l’Antiquité. L’ouvrage, conçu pour les propriétaires de vastes exploitations, révèle des connaissances pratiques nettement supérieures à celles de tous les autres auteurs.

    Pline l’Ancien (23-79 ap. J.-C.), qui mourut dans l’éruption du Vésuve, servit dans sa jeunesse comme officier en Germanie, sous le règne de l’empereur Claude. Il est l’auteur d’une monumentale encyclopédie en trente-sept livres, connue sous le nom de Naturalis historia - « Histoire naturelle ». Fruit d’un immense travail de compilation, l’ouvrage pèche certes par manque d’esprit critique mais il consigne des informations sur l’agriculture gauloise qu’on ne trouve nulle part ailleurs, et que Pline a certainement ramenées de son séjour en Germanie.

    Palladius, agronome de la fin du IVe s. ap. J.-C, possédait des domaines en Italie et en Sardaigne. On lui doit un De agricultura, traité en quinze livres dont douze (livres II à XIII) déroulent un calendrier des travaux agricoles à exécuter mois après mois. Palladius fournit des renseignements techniques originaux mais puise aussi largement chez ses prédécesseurs : un tiers de son ouvrage est constitué de passages repris tels quels à Columelle !

    Les hasards de l’histoire font qu’en dehors de quelques noms d’auteur et de quelques textes fragmentaires, rien ne subsiste de la littérature agronomique produite entre Pline l’Ancien et Palladius. Nous ne possédons par conséquent aucun texte spécialisé contemporain de la période la plus faste des uillae romaines en Gaule. Si l’on ajoute à cela le fait que les auteurs que nous venons de passer en revue sont tous, sinon italiens, du moins méditerranéens et donc familiers de l’agriculture pratiquée dans l’Europe méridionale, l’intérêt de ces auteurs pour la connaissance des villas et de l’agriculture en Gaule Belgique pourrait paraître, à première vue du moins, assez mince.

    L’apport des textes agronomiques latins est cependant loin d’être négligeable. D’abord parce que l’agriculture pratiquée avant ses transformations modernes, c’est-à-dire en tant qu’activité traditionnelle, dépendant très étroitement de la nature (qualité du sol, saisons, climat...), soulève des questions générales qui ne sont liées ni à une époque ni à une région : quand un Varron s’interroge sur la situation idéale d’une exploitation agricole ou sur le moment le plus approprié pour planter, il touche à des questions qui concernent tout autant le paysan gallo-romain deux siècles plus tard. Les textes latins, basés sur l’expérience concrète, aident en somme à appréhender l’éventail des préoccupations d’un homme de la terre. Par ailleurs, l’agriculture ancienne a certes évolué mais lentement. L’information contenue dans les traités d’agronomie ne se démodait pas en l’espace d’une génération. Columelle, on l’a vu, faisait encore largement autorité à l’époque de Palladius et l’oeuvre de Palladius était encore consultée à la Renaissance. Rien donc ne permet d’exclure que tel procédé agricole ou tel fruit mentionné par Pline pour la Gaule Belgique, y demeure connu bien plus tard que le Ier s. ap. J.-C. Enfin, la romanisation n’est pas un vain mot : elle n’introduisit pas seulement l’usage du mortier, de la brique et des tuiles dans nos campagnes mais y amena également des hommes, des écrits et des idées, des plantes aussi. Dans quelle mesure les agronomes latins ont-ils influencé l’organisation des villas en Gaule, les modes de production, le choix des cultures ? La réponse revient aux archéologues. Mais, en tout état de cause, il importe de découvrir dans le texte les principes et modèles que la conquête romaine apporta en Gaule.

   *  *  *

    Les textes et les traductions qu'on lira sont issus des meilleures éditions actuellement disponibles. Dans les rares cas où l’établissement du texte prêtait à discussion, nous avons suivi les éditeurs préférant les leçons de la tradition manuscrite aux conjectures modernes. D’autre part, les traductions ont fait l’objet de retouches, plus ou moins importantes selon le cas, en fonction de choix stylistiques personnels. Nous avons également veillé à les actualiser en intégrant les acquis des recherches récentes sur les aspects sociaux des uillae romaines (cfr en particulier J. CARLSEN, Vilici and Roman Estate Managers until AD 284, Rome, 1995). Enfin, nous proposons une traduction nouvelle d’extraits des livres I et VII de Columelle, dont les plus récentes traductions françaises publiées remontent au XIXe siècle. De ces « belles infidèles » nous avons tenté de corriger certains défauts, sans en perdre les indéniables qualités.

 

 

Orientation bibliographique

 

A. GRENIER, G. LAFAYE, Villa dans Dictionnaire des antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio, V, p. 870-891.

G. LAFAYE, Villicus dans Dictionnaire des antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio, V, p. 892-893.

G.A. MANSUELLI, Villa dans Enciclopedia dell’Arte antica, classica e orientale, VII, Roma, 1966, p. 1166-1172.

T. BECHERT, Römisches Germanien zwischen Rhein und Maas, Zürich-München, 1982.

A. FERDIÈRE, Les campagnes en Gaule romaine. 1, Les hommes et l’environnement en Gaule rurale et 2, Les techniques et les productions rurales en Gaule (52 av. J.-C.-486 ap. J.-C.), 2 vol., Paris, 1988.

L. DE LIGT, Fairs and Markets in the Roman Empire. Economic and social aspects of periodic trade in a pre-industrial society, Amsterdam, 1993.

A. PELLETIER, La femme dans la société gallo-romaine, Paris, 1984.

M. RENARD, Technique et agriculture en pays trévire et rémois dans Latomus, XVIII, 1959, p. 77-109 et 307-333.

K.D. WHITE, Agricultural Implements of the Roman World, Cambridge, 1967.

K.D. WHITE, Roman Farming, London, 1970.

 

Avant-propos - Villa : histoire d'un mot

Vers le recueil de textes : TM - I - II - III - IV - V

 


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