FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 12 - juillet-décembre 2006


Les épigrammes de l’Anthologie latine attribuées à Sénèque

© Stéphane Mercier, 2006


Praefatio Introduction
Carmina
1-13, 14-23, 24, 25-34, 35-47, 48-60, 61-72
Annexe

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1. Introduction

L’Anthologie latine et les épigrammes attribuées à Sénèque

En 42 ap. J.-C, depuis l’île de Corse où il se trouve relégué sur ordre de l’empereur Claude, Sénèque[1] adresse à sa mère Helvia une consolation, lui représentant sa situation sous un jour favorable pour atténuer la peine que lui cause l’exil de son fils. Au moment de conclure sa lettre, il évoque les loisirs dont sa condition lui permet de jouir et demande à Helvia de songer qu’il se trouve bien où il est, joyeux et allègre, comme on l’est lorsque tout va très bien :

 « Et n’est-ce pas le cas, puisque mon âme, dégagée de tout vain embarras, suit sa vocation véritable, et tantôt se récrée à de menus travaux, tantôt s’élève, passionnée de vérité, à la contemplation de sa nature et de la nature de l’univers[2] ».

La postérité se souvient essentiellement de Sénèque comme homme d’état, philosophe et tragédien. Elle connaît moins le naturaliste et souvent ne songe pas qu’il fut aussi poète à ses heures. C’est que omnia tempus edax depascitur, comme nous le lirons bientôt dans l’une des épigrammes aux accent ovidiens et attribuée à notre auteur. Sans doute, une part importante de l’œuvre de Sénèque nous est parvenue et est passée outre les mailles du filet de ce temps dévoreur, mais nous savons par ailleurs que beaucoup s’est perdu, sans pouvoir toutefois mesurer l’ampleur de ce naufrage. En philosophie, la dernière partie de son grand oeuvre, les Lettres à Lucilius, n’a pas survécu ; d’autres traités ont été moins épargnés encore : une Philosophie morale n’est plus pour nous qu’un nom, un De matrimonio subsiste sous la forme de maigres fragments, un De superstitione est évoqué par saint Augustin[3],… Des discours qui faisaient de Sénèque un orateur en vue et avaient vraisemblablement excité la jalousie de Gaius, l’empereur Caligula, il ne nous reste rien[4]. Parmi les diverses œuvres de sciences naturelles, nous n’avons plus guère que – par bonheur toutefois, ce n’est pas peu que ce traité – les Naturales quaestiones, tandis que ses autres ouvrages du même ordre sont pour nous à peine plus que des titres[5].

Mais qu’en est-il de ces leuioria studia évoquées dans le passage de la Consolation à Helvia que nous avons lu ci-dessus ? Des poèmes, selon toute vraisemblance. Car nous savons par ailleurs que Sénèque a composé de la poésie : Quintilien nous l’apprend, Tacite et Pline le confirment. Le premier nous dit en effet que « des discours, des poèmes, des lettres et des dialogues de lui circulent »[6] ; Tacite nous révèle de même que Sénèque « s’était mis à composer des poèmes plus fréquemment, depuis que Néron y avait pris goût »[7], ce qui indique tout à la fois qu’il en composait déjà auparavant, et qu’il a assez longuement pratiqué ce genre. Quant au témoignage de Pline le Jeune, il est d’autant plus intéressant qu’il nous apprend à quel genre d’activité poétique Sénèque a pu se livrer. Or, nous le verrons, il faudra en tenir compte au moment de proposer quelques éléments en vue de s’interroger sur l’authenticité du corpus d’épigrammes attribuées à Sénèque. Dans une lettre adressée à son ami Ariston, Pline le Jeune parle de ses « petits vers peu sévères » dont il estime n’avoir pas à rougir, car, écrit-il, « je suis un homme » et « les plus doctes, les plus sérieux et les plus saints personnages ont écrit de tels vers » eux aussi[8]. Et de citer en exemple plusieurs noms, parmi lesquels celui de Sénèque.

Des poésies donc, des pièces légères en tous cas, d’autres peut-être. Or il se trouve qu’un certain nombre de poèmes, édités depuis la Renaissance, circulent sous le nom de Sénèque. Quelques dizaines de pièces totalisant un peu plus de six cents vers publiés au sein de l’ensemble connu sous le nom d’Anthologie latine.

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L’Anthologie latine est une vaste collection riche de plus de mille poèmes, dont le plus grand nombre est fourni par trois manuscrits : le Salmasianus Paris. 10318 du VIIIe siècle, le Thuaneus Paris. 8071 du IXe ou Xe siècle, et le Vossianus Leidensis Q. 86 du IXe siècle, respectivement désignés comme A, B et V[9]. L’ensemble de la production couverte par ces manuscrits et plusieurs autres qui leur sont liés remonte selon toute vraisemblance à une compilation réalisée au début des années 530 à Carthage, soit à l’extrême fin de la période Vandale (439-533).

En 1573, l’humaniste Joseph-Juste Scaliger[10] publiait des Catalecta ueterum poetarum, la première édition moderne de l’Anthologie latine. Quelques années plus tard, Pierre Pithou[11] (latinisé en Pithoeus) reprenait la collection en l’accroissant dans ses Epigrammata et poemata e codicibus et lapidibus collecta publiés en 1590. Avec le temps, la collection continuait de s’amplifier jusqu’à la monumentale Anthologia ueterum latinorum epigrammatum et poematum de Pierre Burmann le Jeune[12], publiée entre 1759 et 1763. Une centaine d’années plus tard, Alexandre Riese entreprit de réviser l’ensemble de la collection, supprimant nombre de pièces insérées à tort par Burmann dans son édition et abandonnant le classement qui avait prévalu jusque là pour s’en tenir à l’ordre des manuscrits. Ainsi parut à Leipzig dans la Teubneriana en 1869 un premier fascicule, complété l’année suivante par un second avec lequel il formait le premier tome de l’Anthologie latine (textes fournis par la tradition manuscrite) que nous connaissons aujourd’hui sous le titre de Anthologia latina sive poesis latinae supplementum. Quelques années plus tard, en 1894 et 1897, paraissaient les deux fascicules du second tome de l’Anthologie (textes épigraphiques), sous la direction de François Bücheler[13]. Une nouvelle édition du premier tome en 1894 pour le premier fascicule et en 1906 pour le second devait consituer l’édition de référence de cette collection. En 1982, David Roy Shackleton Bailey publiait dans la même collection une révision du premier fascicule du premier tome. Pour ce qui est des éléments de l’Anthologie latine fournis par la tradition manuscrite, c’est la deuxième édition de Riese, à laquelle il faut joindre celle de Shackleton Bailey pour le premier fascicule, qui fait autorité à l’heure actuelle[14].

L’Anthologie latine, ce sont, nous l’avons dit, un millier de poèmes[15]. L’ensemble est dépourvu d’unité et les différentes pièces, quand elles ne sont pas anonymes, sont attribuées à un grand nombre d’auteurs : des poètes mineurs ou inconnus, des auteurs tardifs de centons scolastiques, mais également des grandes figures de la littérature latine, ainsi Virgile, Ovide, Properce, Pétrone ou encore Sénèque.

Lorsqu’un poème est ainsi attribué à l’un des auteurs de cette stature, toute la difficulté consiste à éprouver l’authenticité de cette attribution. Dans bien des cas, et malgré la sagacité de philologues qui n’ont pas manqué de se pencher sur les différents groupes de pièces attribuées à tel ou tel homme de lettres, il est bien difficile de trancher de manière sûre et définitive. Le cas des épigrammes attribuées à Sénèque est à cet égard exemplaire.

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Ce sont en tout 72 (ou 75) poèmes[16], soit quelque 624 vers, qui sont traditionnellement attribués à Sénèque. Plusieurs cas de figure se présentent : soit l’intégralité des 72 poèmes est de Sénèque, soit aucun n’est de lui, soit quelques-uns le sont mais non pas tous. Les trois opinions ont trouvé des défenseurs, et Henri Bardon concluait sagement en écrivant que, « dans l’état actuel de notre documentation, cette question, où tant de bons esprits ont soutenu et soutiennent des points de vue si parfaitement opposés, ne comporte pas de solution »[17].

Lorsque Carlo Prato, après une première édition provisoire en 1955, publiait neuf ans plus tard son édition définitive qui est aujourd’hui encore l’édition de référence des Epigrammi attribuiti a L. Anneo Seneca, il choisissait à son tour de s’en tenir à une réserve semblable[18], tout en veillant à invalider des arguments insuffisants ou trop ténus dont on aurait tort de tirer des conclusions hâtives. Mais voyons les choses de plus près.

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Si l’on met de côté l’épigramme 71, la fameuse épitaphe de Sénèque, contenue dans vingt-cinq manuscrits environ[19], le plus grand nombre des pièces qui constituent notre corpus sont transmises par le Vossianus Leidensis Q. 86 déjà évoqué ci-dessus, qui est bien souvent l’unique témoin… et un témoin anonyme puisqu’il n’attribue explicitement aucune épigramme à Sénèque ! Nous allons y revenir. La répartition manuscrite des poèmes du corpus sénéquien se présente comme suit :

— le ms. A contient seulement les épigrammes 1-5 ;
— le ms. B contient seulement les épigrammes 1-3 ;
— le ms. V contient les pièces 2-3, immédiatement suivies de 6-22, 23 et 24-70.

Cet ensemble est complété par un Bellovacensis (ms. S) d’époque incertaine et aujourd’hui perdu : grâce aux premiers éditeurs, ce manuscrit nous a transmis les pièces 1 et 23-23a[20]. Le Fuerstenfeldensis Monac. lat. 6911 (ms. M) du XIII-XIVe siècles nous livre l’épigramme 72, à la suite des pièces 45, 46, 48 et 55. De leur côté, l’Erlangensis 380 (ms. E) du XIe siècle et le Vindobonensis 2521 (ms. Vind) du XIIe siècle présentent également les épigrammes 45, 46 et 55. Enfin, le Reginensis 1414 (ms. R) du XIe siècle a les épigrammes 7-9.

Il est remarquable de noter que, dans ces différents manuscrits, seuls sont explicitement attribués à Sénèque (nous laissons toujours de côté le cas de l’épitaphe) les poèmes 1 et 2-3[21]. L’épigramme 1 est formellement attribuée à Sénèque dans les trois manuscrits qui la proposent : A, B et S (encore que nous ne soyons pas en mesure de vérifier dans le cas de S puisque ce manuscrit est perdu, ainsi que nous l’avons dit) lui donnent pour titre Senecae de qualitate (qualita dans B) temporis. Le groupe constitué dans les manuscrits par les épigrammes 2 et 3 est précédé du titre Senecae en A, Saenecae en B, mais De Corsica sans indication d’auteur en V. Pour le reste, aucune épigramme n’est formellement attribuée à Sénèque par aucun manuscrit. À ce titre et à ne considérer que cet aspect des choses, l’ensemble est attribué à Sénèque parce que le manuscrit principal pour notre collection (le Vossianus) propose une septantaine d’épigrammes anonymes dont les deux premières (les pièces 2 et 3) se trouvent être attribuées à Sénèque dans deux autres manuscrits[22].

Cependant, si les éditeurs à la suite de Scaliger ont retenu l’idée d’une attribution au moins possible de l’ensemble du corpus à Sénèque, ce n’est pas seulement sur cette base ténue, mais parce qu’un certain nombre au moins des épigrammes présentent « d’étonnantes analogies de pensée comme de forme avec l’œuvre de Sénèque et que le contenu ou les personnages de ces poèmes ne peuvent être dissociés de l’environnement dans lequel a vécu et agi le grand philosophe »[23]. Pour le contenu, il s’agit au premier chef des épigrammes dans lesquelles le poète évoque son exil en Corse (carm. 2 et 3), sa patrie (carm. 18), la naissance d’un neveu[24] (carm. 49) ou encore son ami Passiénus Crispus (carm. 14 et 53). Pour la forme, il est difficile de juger étant donné les contraintes imposées par une structure métrique dont l’œuvre certainement authentique de Sénèque ne présente qu’un nombre de vers insuffisant pour asseoir la possibilité d’une comparaison vraiment pertinente[25], mais on retrouve régulièrement dans les épigrammes des idées qui sont celles de Sénèque, voire des expressions dont il s’est servi par ailleurs. Le cas de l’épigramme 1 est particulièrement frappant si on le compare[26] avec un passage de la Consolation à Marcia.

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Dans le débat qui a occupé et continue d’occuper les philologues qui se sont penchés sur le petit groupe d’épigrammes attribuées à Sénèque, ce sont moins des critères externes qu’une étude attentive des textes mêmes qui peut se révéler décisive. Sans entrer dans des détails techniques qui exigeraient des compétences qui sont très au-delà des nôtres, quels éléments pouvons-nous faire valoir dans un sens ou dans l’autre ? Pour tenter de répondre à cette question, nous prendrons en considération un argument tendant à faire valoir que les épigrammes ne sont pas de Sénèque, et un autre en sens contraire[27].

Tout d’abord, la présence de pièces légères, érotiques ou à contenu explicite (ainsi les carm. 67 ou 35, mutilés en raison de leur contenu) n’est pas, comme on pourrait peut-être le penser au premier abord[28], un critère susceptible de contrarier la paternité sénéquienne du recueil ou, à tout le moins, de l’ensemble des carmina non seuera qui s’y trouvent. Nous l’avons vu en rapportant le témoignage de Pline le Jeune, il n’y a pas d’incompatibilité entre la sévérité, l’intégrité de vie, les lettres d’un auteur et le fait qu’il puisse se divertir sans honte en s’autorisant des pièces légères. Ainsi ne doit-on pas rejeter comme ne pouvant être de Sénèque l’épigramme 42 par exemple, dans laquelle le poète se dit possédé d’une passion amoureuse dont il souhaite que la folie ne le quitte jamais : hic furor, hic, superi, sit mihi perpetuus ! Sans doute sommes-nous tentés de faire valoir que les Stoïciens (et d’ailleurs aussi les Épicuriens[29]) se méfiaient du sentiment amoureux, à telle enseigne que l’on se représente mal Sénèque publier que « sa passion lui donne l’apparence d’un fou ». Mais pourquoi le poète ne pourrait-il pas se laisser aller tout simplement au plaisir d’écrire des vers, sans que son « je » soit autre chose qu’une manière de donner au poème un accent de sincérité que n’aurait pas une pièce simplement descriptive ? Si le poète était tenu de ne parler à la première personne que pour exprimer fidèlement la vérité de ses sentiments ou de son comportement individuels, Catulle n’aurait sans doute pas écrit :

Un poète pieux doit être chaste dans sa personne ;
pour ses petits vers, ce n’est pas nécessaire ;
ils n’ont de sel et de grâce
qu’à la condition d’être licencieux et dévergondés[30].

De même chez Ovide :

Crois-moi, mon comportement est loin de ressembler à mes poèmes,
ma vie est réservée, ma Muse badine ;
pour une large part mes compositions sont œuvre mensongère et fictive
qui s’est accordée plus de libertés que son auteur.
Mes livres ne révèlent pas mon état d’esprit, mais sont un honnête divertissement :
on y trouvera une ample matière pour charmer l’oreille [31].

Ajoutons encore que, au témoignage d’Apulée, Zénon de Cittium, le fondateur de l’école stoïcienne, avait composé des vers lascifs et qu’il n’en était pas moins un homme sérieux pour cela[32]. Rien donc ne s’oppose à ce que Sénèque ait lui aussi écrit des poèmes de cette nature.

À l’inverse, nous avons déjà eu l’occasion de le signaler, un certain nombre d’épigrammes sont incontestablement liées à des épisodes de la vie de Sénèque, ainsi les poèmes d’exil consacrés à la Corse (et rappelons que les mss. AB attribuent à Sénèque les épigrammes 2-3), l’adresse à Cordoue dans l’épigramme 18, ou la touchante pièce 49 dans laquelle le poète formule des vœux à l’occasion de la naissance de son neveu Marcus. Mais, pas plus que la présence de carmina non seuera ne devait nous donner à penser que de telles compositions ne sauraient être de Sénèque, celles liées à des événements de la vie de notre auteur ne doivent nous porter à conclure trop hâtivement en faveur de l’authenticité. Pourquoi en effet un admirateur ne pourrait-il pas imaginer un poème qu’il placerait dans la bouche de son héros ?

Des divers arguments pro et contra, nous nous arrêterons encore un instant sur celui qui nous paraît le plus convaincant, avant de voir que, pas plus que les autres, il n’a la force probante qu’il paraît receler au premier abord. Deux épigrammes au moins, et sans doute une troisième, paraissent peser massivement en défaveur de l’authenticité sénéquienne de leur composition. Non pas qu’elles soient seulement doctrinalement dissonantes avec le mouvement général de la pensée de Sénèque – nous avons évoqué la prudence qui est de mise sur ce point avec les carmina non seuera à caractère érotique –, mais plutôt elles se heurtent à de graves difficultés psychologiques : ce sont les épigrammes 5, 50 et probablement 68. Sans discuter ici la coïncidence des trois premiers vers des carm. 5 et 50 que nous laissons pour le commentaire, ces pièces ont en commun de louer sans réserve Xerxès et d’admirer son entreprise[33]. Or Sénèque détestait Xerxès et n’en parle jamais sans être sûr de manifester d’une manière particulièrement vive le mépris qu’il éprouve pour lui. Dans un long passage du traité sur Les bienfaits, notre philosophe évoque l’entreprise de Xerxès, « cette âme enflée et oublieuse de la fragilité des appuis où elle mettait sa confiance », contre la Grèce[34]. Cette antipathie est aggravée par des motifs doctrinaux, car le Grand Roi « renverse les lois divines et humaines »[35], allusion justement au pont de bateau lancé sur l’Hellespont et au chenal du mont Athos : ce qui est loué dans l’épigramme 5 comme l’œuvre d’un nouveau Jupiter est aux yeux de Sénèque la révolte d’un fou contre l’ordre du monde, une entreprise contre nature, aberrante et promise à l’échec[36].

Ce sont là, nous semble-t-il, de fortes présomptions contre la paternité sénéquienne des pièces à la gloire de Xerxès. Mais c’est bien de présomptions, fondées sans doute mais pas décisives, qu’il s’agit ici comme ailleurs. Pourquoi en effet Sénèque n’aurait-il pas écrit de telles pièces qui seraient à mettre dans la bouche des courtisans du Grand Roi dont il évoque les discours flatteurs dans la page du traité sur Les bienfaits citée plus haut ? Rien, à vrai dire, ne s’y oppose.

La prudence, manifestement, s’impose ; et lorsque Luca Canali se range à l’avis de ceux qui voient dans les épigrammes « un exercice ou le pari d’écrire des vers ‘à la manière de Sénèque’ par des poètes mineurs inconnus de nous », il n’avance son opinion qu’avec réserve[37] et reconnaît volontiers que rien n’interdit de voir dans notre corpus une œuvre authentique de Sénèque. Et aux cas de figures déjà proposés, il ajoute une nouvelle possibilité : celle qu’un éditeur peu scrupuleux soit tombé un jour sur un « fond de tiroir » qu’il aurait édité en désordre et en y ajoutant peut-être des compositions d’un autre cru[38]

Nous n’en dirons pas davantage sur ce point, renonçant à multiplier des arguments déjà énoncés et décidément dépourvus d’une force suffisante pour emporter l’adhésion d’une manière indiscutable dans un sens ou dans l’autre. La véritable prudence, qui dessine la ligne de crête entre la pusillanimité et la témérité, recommande ici une humble suspension du jugement, et si chacun est libre d’avoir sur la question sa propre opinion, c’est sans doute à la condition de ne pas en majorer trop hâtivement la probabilité.

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L’ensemble des épigrammes attribuées à Sénèque, nous le disions à l’instant, est décousu, désordonné. Les 72 pièces du recueil dessinent plusieurs groupes apparentés par l’unité de leur thème. Toutefois, s’il arrive que les ensembles se présentent sans solution de continuité – comme c’est le cas pour les épigrammes 27-34 relatives à la conquête de la Bretagne –, ils sont généralement fragmentés : que vient faire une épitaphe de Caton (carm. 40) séparée du groupe des poèmes 7-9 consacrés au héros d’Utique et placée immédiatement après des épigrammes plus légères où le poète dit se tourner vers des sujets moins sévères et congédie allègrement la Muse austère : ludere, Musa, iuuat : Musa seuera, uale ! (carm. 37, 2 et 14) ? De même, pourquoi l’ensemble des épitaphes de Pompée est-il essentiellement séparé en deux groupes (carm. 10-13 et 61-63) dont le second intervient après une série de pièces amoureuses et humoristiques ? Tout cela fait penser au « fond de tiroir » dont parlait Canali et qu’un éditeur pressé se serait chargé de rassembler sans se donner la peine d’y mettre un peu d’ordre. Mais sur ce point encore, la prudence est de mise puisque la grande majorité des épigrammes du recueil est, nous l’avons vu, transmise par un unique témoin manuscrit.

Plusieurs tentatives de classement ont été proposées, notamment par Herfurth et Bardon[39], dont on retiendra essentiellement la distinction entre carmina seuera et carmina non seuera, suggérée par les épigrammes 37 et 39 dans lesquelles le poète lui-même marque une coupure entre deux aspects de son activité poétique. Mais si les pièces licencieuses, le badinages amoureux et les satires érotiques sont nettement annoncées par l’adieu à la Muse sévère, n’est-il pas un peu rapide[40] d’assimiler aux compositions peu sévères (ou peu sérieuses – selon la mantière dont on entend l’adjectif seuera) les poèmes aux accents horaciens sur le bonheur d’une existence tranquille ?

Tout classement risque d’être ou bien trop fastidieux par la multiplication de sous-catégories dans lesquelles viendraient s’inscrire les différentes pièces, ou trop sommaire. En tout état de cause, son arbitraire n’aurait de sens que dans la perspective d’une approche pragmatique du corpus, mais cette rationalisation n’est peut-être pas nécessaire pour qui préfère découvrir une collection dont le caractère décousu n’est pas dépourvu de charme. C’est pourquoi nous préférons conserver l’ordre des manuscrits, tel qu’il se présente dans les différentes éditions modernes.

Avant de laisser la place au texte, que nous ferons suivre d’un bref commentaire, voyons brièvement le contenu des différentes pièces. Au terme de chaque description, nous indiquerons les loci similes au sein du corpus, c’est-à-dire les épigrammes apparentées et traitant d’un sujet similaire.

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2. Bibliographie sommaire

Cette bibliographie est volontairement réduite à sa plus simple expression : les différents textes et ouvrages cités dans l’introduction, le commentaire ou l’étude critique ne sont pas repris ici, et nous indiquerons seulement quelles éditions de l’Anthologie latine en général et du corpus d’épigrammes attribuées à Sénèque le lecteur peut consulter en priorité. Pour le reste, une bibliographie très complète datant de 2004 est proposée par la Petronian Society Munich Section (PSMS) sur son site internet (http://www.psms.homepage.t-online.de) à la page http://www.psms.homepage.t-online.de/senecaepigrammbib.html.

Pour l’Anthologie latine, on se reportera à :

Franz BÜCHELER et Alexander RIESE (éds), Anthologia latina sive poesis latinae supplementum. 1.1/ Pars prior : Carmina in codicibus scripta, recensuit A. Riese. Fasciculus I : Libri Salmasiani aliorumque carmina. Edition altera denuo recognita, Leipzig, Teubner, 1894 (2ème édition [première édition : 1869]) – ce premier fascicule a été édité et revu par David Roy SHACKLETON BAILEY (éd.), Stuttgart, Teubner, 1982 ; 1.2/ Pars prior… Fasciculus II : Reliquorum librorum carmina. Editio altera denuo recognita, Leipzig, Teubner, 1906 (2ème édition [première édition : 1870]). La seconde partie de l’Anthologie présente en deux fascicules plus un supplément l’ensemble des inscriptions épigraphiques.

Pour le texte latin et la traduction italienne, on se reportera avant tout à :

Carlo PRATO, Gli epigrammi attribuiti a L. Annaeo Seneca, Rome, Edizioni dell’Ateneo, 1964 (2ème édition [première édition (provisoire !) : 1955].

On utilisera également volontiers l’édition de poche, toujours disponible en librairie et proposant le texte latin accompagné d’une traduction italienne :

Luca CANALI & Luigi GALASSO, Lucio Anneo Seneca. Epigrammi, Milan, Biblioteca Universale Rizzoli, 1994. ISBN : 8817169609.

Pour le reste, nous renvoyons à la bibliographie de la PSMS.

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3. Sommaire des épigrammes

Carm. 1. De Sénèque sur la nature du temps[41]. — Poème philosophique dans lequel l’auteur aborde successivement les ravages du tempus edax avant de reporter son regard sur la conflagration du monde par le feu telle que se la représentent les Stoïciens. [26-27 + 1]

Carm. 2. De Sénèque / la Corse. — Avec le carm. 3, poème d’exil consacré à la Corse où Sénèque a été relégué entre 41 et 49. L’une et l’autre pièces reflètent la détestable impression que l’île a laissée au philosophe. Le carm. 2 interpelle la Corse et lui demande de ménager l’exilé. [2-3-14-18]

Carm. 3. Du même auteur / Même sujet. — Animée par le même esprit que la précédente, cette pièce est plus tardive et plus mélancolique : le poète n’attend plus rien de cette terre à laquelle il cesse de demander la clémence pour conclure sur une note de résignation triste. [2-3-14-18]

Carm. 4. Au départ d’Ovide. — Dans cette pièce descriptive où se mêlent l’inspiration d’Ovide et celle de Lucrèce, le poète évoque en termes délicats l’arrivée de la nuit avant d’ajouter une touche bucolique (dans laquelle certains ont vu un fragment isolé d’une autre épigramme).

Carm. 5. Éloge de Xerxès. — Reprenant quelques éléments bien connus de la marche de Xerxès sur la Grèce et notamment le fameux canal creusé dans le mont Athos, le poète fait du Grand Roi un éloge où perce une admiration non feinte et fort peu dans le goût de Sénèque. [5-50-68]

Carm. 6. Le misérable doit être ménagé. — Dans cette petite pièce, l’auteur parle de lui comme d’un mourant (à moins qu’il ne se mette à la place d’un véritable mourant) et invective son adversaire vainqueur pour le détourner de venir assister avec plaisir au spectacle de son agonie. [6-19]

Carm. 7. La mort de Caton. — Cette courte épigramme est un bref éloge de Caton d’Utique et de son invincibilité contre laquelle César lui-même, quoique vainqueur de toute choses, n’a rien pu faire. [7-8-9-22-23-40]

Carm. 8. Même sujet. — Le poète, avec cette épigramme et la suivante, rappelle l’épisode héroïque du suicide de Caton à Utique : le héros républicain, après avoir tenté en vain de se donner la mort avec son épée, a rouvert à mains nues sa blessure « pour que nous sachions que la main de Caton a plus de force que le fer ». [7-8-9-22-23-40]

Carm. 9. Même sujet. — Variation sur le thème du suicide de Caton, à laquelle le poète confère une plus grande force pathétique en donnant la parole au héros d’Utique s’encourageant à achever son geste après l’échec d’une première tentative. [7-8-9-22-23-40]

Carm. 10. Épitaphe de Pompée. — Ouvrant la première série des épitaphes de Pompée, cette pièce développe succinctement un thème plusieurs fois abordé dans notre corpus : Pompée et ses fils ont remporté des victoires de par le monde entier, leurs cadavres sont à leur tour répartis dans le monde entier. [10-11-12-13-22-23-46-61-62-63 + 15]

Carm. 11. Même sujet. ­— Variation sur le même thème que la pièce précédente, en ajoutant l’idée que les tombeaux de Pompée et de ses fils sont si petits qu’ils couvrent à peine la cendre des défunts qu’ils renferment. [10-11-12-13-22-23-46-61-62-63 + 15]

Carm. 12. Même sujet. — Ce distique reprend le thème des deux pièces précédentes sur la ruine de la maison de Pompée dont les cadavres sont dispersés de par le monde. [10-11-12-13-22-23-46-61-62-63 + 15]

Carm. 13. Même sujet. — Encore un distique qui reprend le motif des pièces précédentes, et particulièrement du carm. 11 : cette épitaphe pour le seul Pompée parle de la petitesse d’un tombeau qui recouvre à peine sa cendre. [10-11-12-13-22-23-61-62-63 + 15]

Carm. 14. À un excellent ami. — Dans cette épigramme d’exil, le poète s’adresse en termes très élogieux à son ami Crispus, probablement C. Passiénus Crispus, dont le seul souvenir le préserve du véritable exil. Plus loin, dans le carm. 53, l’auteur évoquera tristement la mort de cet ami bien-aimé. [2-3-14-18-53]

Carm. 15. Rituels de ceux qui invoquent l’âme de Magnus. — Le poète décrit ici en les condamnant des pratiques de nécromancie à l’occasion desquelles « l’officiant impie d’un culte immonde » convoque l’âme du Grand Pompée depuis les champs Élysées, en vain selon l’auteur, car l’âme du héros ne peut se retrouver sous la terre. [10-11-12-13-22-23 + 15]

Carm. 16. Une vie assez humble. — Le corpus des épigrammes contient plusieurs pièces où règne une ambiance toute horacienne ; ce poème et le suivant entament une réflexion sur la vie heureuse de l’homme qui se tient loin des riches. Le poète part d’une recommandation d’Ovide qu’il rectifie en l’amplifiant. [16-17-41-48-52-72]

Carm. 17. Même sujet. — Variation sur le thème déjà abordé dans la pièce précédente ; le poète recommande ici aussi d’éviter les personnages trop importants, mais étend son conseil en suggérant à son destinataire de ne pas fréquenter le monde et de vivre uniquement pour soi. [16-17-41-48-52-72]

Carm. 18. À sa patrie. — Poème d’exil dans lequel l’auteur déplore d’une manière pathétique et excessive son exil, estimant que son sort est l’événement le plus pénible auquel a été confrontée Cordoue, sa patrie ; il y parle de sa relégation comme d’un malheur plus terrible que les drames de la guerre civile ou les assauts d’un « brigand Lusitanien » qui avait causé tant de tort à la cité deux siècles plus tôt environ. [2-3-14-18]

Carm. 19. La garde du tombeau. — Dans cette épigramme funèbre, le défunt (ou s’agit-il d’un malheureux jugeant son état aussi déplorable que s’il était décédé ?) met en garde l’envieux qui s’approche de son tombeau, sans respect pour un mort qui le menace en lui rappelant que « la nature a alloué quelques forces aux morts ». [6-19]

Carm. 20. Athènes. — Dans cette pièce désabusée, le poète oppose l’ancienne gloire des cités d’Athènes et de Mycènes aux ruines qui n’en sont plus que le misérable témoin. [20-55]

Carm. 21. À un mauvais plaisant. — Le poète, piqué au vif par la malveillance d’un beau parleur, lui adresse menaces et invectives : le méchant se rend odieux et attire contre lui la haine universelle ; il blesse mais ne doit pas espérer sortir indemne de l’élan d’animosité qu’il suscite, et les prétextes dont il peut chercher à couvrir sa cruauté ne valent pas comme excuses à son attitude. [21-25-51]

Carm. 22. Les hommes illustres privés de sépulture. — Reprenant l’idée des carm. 11 et 13 sur la petitesse du tombeau, la présente épigramme déplore que Caton et Pompée gisent loin de Rome alors qu’il comptent parmi ses glorieux citoyens. [7-8-9-10-11-12-13-22-23-40-46-61-62-63 + 15]

Carm. 23-23a. De Térentius Varron Atacinus et Réponse. — À un premier distique attribué au poète Varron répond, en des termes semblables un autre distique sur la véritable nature de la gloire, qui ne se mesure pas à la taille du tombeau mais à la hauteur de sa réputation pour Caton et à l’étendue de ses titres de gloire pour Pompée. [7-8-9-10-11-12-13-22-23-46-61-62-63 + 15]

Carm. 24. L’espérance. — Cette épigramme, qui est de loin la plus longue du recueil avec un total de soixante-six vers, dénonce les illusions dont nous berce « l’espérance trompeuse ». Après une énumération des vaines flatteries et autres artifices de l’espérance, le poète multiplie les exemples particuliers (tant historiques que mythiques) ou plus généraux, accumulant les preuves de son universalité mensongère qui « s’empare des peuples, des villes et des royaumes tout entiers », à l’exception du seul Caton. L’épigramme se clôt sur un discours prêté à l’espérance, qui fait valoir la versatilité du sort pour engager les victimes de ses tromperies à ne pas renoncer aux espoirs qu’elle suscite en eux.

Carm. 25. À un envieux. — Le poète, dans cette invective méchante et satirique, s’adresse à un homme avec lequel il s’est brouillé et qui a tenté de nuire à sa réputation ; il l’assure de sa haine et veille à lui exprimer la satisfaction que lui cause ce sentiment. [21-25-51]

Carm. 26. Le souvenir des belles lettres demeure. — Après avoir énuméré la vanité des tombeaux et des grands édifices funèbres, le poète dénonce dans cette épigramme et la suivante la vanité de telles entreprises, qui seront immanquablement la proie du temps. S’adressant ensuite à Homère, il assure que seule est à même de résister aux assauts du temps la gloire littéraire. [26-27 + 1]

Carm. 27. Même sujet. — Variation sur le sujet de la pièce précédente, mais qui ne s’adresse plus à Homère en particulier. [26-27 + 1]

Carm. 28. Éloge de César. — Première d’une série de pièces formant un cycle consacré à la conquête de la Bretagne par l’empereur Claude. Le caractère inédit de cette conquête, dont tout le mérite est attribué à la personne de l’Empereur, est ici mis en avant, de même que l’intégration de l’Océan au sein de l’Empire. [28-29-30-31-32-33-34]

Carm. 29. Même sujet. — Variation sur le même thème : la configuration du monde se trouve radicalement modifiée par la conquête de la Bretagne, qui fait éclater les frontières de l’Empire et va jusqu’à rendre obsolète le concept même de frontière. [28-29-30-31-32-33-34]

Carm. 30. Même sujet. — Dans cette autre épigramme relative à la conquête de la Bretagne, l’accent est mis sur le caractère tout particulier de la domination romaine qui laisse libre la nation vaincue et partage avec le reste de l’Empire ce bienfait qu’est César. [28-29-30-31-32-33-34]

Carm. 31. Même sujet. — Le poète, dans la suite des épigrammes précédentes, montre l’extension graduelle du pouvoir de Rome depuis le temps de Romulus et Numa jusqu’à l’époque de Claude en passant par celle d’Auguste, de façon à montrer la dilatation à l’infini de l’Empire grâce à la conquête de la Bretagne. [28-29-30-31-32-33-34]

Carm. 32. Même sujet. — Prenant à témoin les dieux Mars et Quirinus ainsi que les Césars divinisés, le poète propose une nouvelle formulation d’une idée toujours identique : l’Océan n’est plus une frontière depuis son intégration à l’Empire grâce à la conquête de la Bretagne. [28-29-30-31-32-33-34]

Carm. 33. Même sujet. — Toujours à propos du même sujet, le poète revient une fois encore sur l’intégration de l’Océan au territoire de Rome et en souligne les conséquences politiques : ni les Parthes ni les Germains ne sont plus en sécurité derrière leurs frontières naturelles. [28-29-30-31-32-33-34]

Carm. 34. Même sujet. — Dernière pièce du cycle consacré à la conquête de la Bretagne, cette épigramme décrit plus au long l’île vaincue avant de se clore une nouvelle fois sur le thème de l’Océan qui, sous la domination de Rome, cesse d’être le lieu de la séparation des peuples pour devenir celui de leur réunion. [28-29-30-31-32-33-34]

Carm. 35. Une nuit de plaisirs ininterrompus. — Épigramme érotique qui, en raison de son contenu probablement explicite, a été détériorée et ne nous est plus accessible qu’en partie. Un homme s’adresse à son amie et formule des vœux pour que leur amour dure toujours. [35-37-47-67][42]

Carm. 36. Trois bons amis. — Dans cette aimable composition, le poète rend hommage à trois de ses amis (dont les noms cependant n’évoquent pas de personnages que nous puissions identifier par ailleurs), qui forment un inséparable trio de « chers Géryons ».

Carm. 37. Pas de vers austères. — Cette épigramme a des allures de manifeste et annonce une série de pièces légères, auxquelles il faut rattacher le carm. 35. Légèreté au sens ici d’érotisme, puisque le poète y doit vouloir laisser à d’autres les sujets sérieux – il ne dira pas autre chose dans le carm. 39 – pour s’occuper d’évoquer les plaisirs dont il pourra jouir en compagnie de son amie. [35-37-47-67]

Carm. 38. Un jeune garçon aimé. — Le poète vante la beauté d’un jeune homme et le bonheur de la femme qui peut partager avec lui des moments d’intimité. [38-42-56-59-65-66]

Carm. 39. Excuses pour la légèreté des sujets abordés. — Proche du carm. 37, cette épigramme développe avec force exemples la volonté qu’a le poète de laisser à d’autres les compositions sérieuses pour s’occuper de sujets moins imposants et plus tranquilles. [37-39]

Carm. 40. Le tombeau de Caton. — Une épitaphe pour le héros républicain, dans laquelle le poète choisit de mettre, une fois encore, l’accent sur la petitesse du tombeau (un thème développé dans les carm. 11, 13 et 22) d’un si grand homme. [7-8-9-22-23-40]

Carm. 41. Le bonheur d’une vie humble. — Dans cette pièce, le poète renoue avec l’ambiance toute horacienne de carm. 16-17 et déclare ne pas concevoir de désir pour les hautes fonctions, porteuses de trouble, mais préférer une vie tranquille où il sera lui-même maître de son temps. [16-17-41-48-52-72]

Carm. 42. Excuses pour être un esclave de l’amour. — Avec cette petite épigramme amoureuse, le poète revient au genre auquel il a déclaré vouloir se consacrer en laissant de côté les sujets graves et sévères : l’amour lui donne l’air d’un fou ? à la bonne heure, cela peut continuer. [38-42-56-59-65-66]

Carm. 43. Même sujet. — Il s’agit toujours d’amour, mais cette fois le poète est poursuivi par une femme dont il n’est pas lui-même amoureux et à qui il entend bien le prouver ; le ton est résolument satirique. [43-44-54-57-58-60]

Carm. 44. Le visage blanchi à la craie. — Exploitant la veine satirique, le poète adresse à une femme une pique méchante à propos de sa beauté factice qui s’évanouit sitôt qu’elle ôte son fard. [43-44-54-57-58-60]

Carm. 45. La mort rend toutes choses égales. — Brève réflexion sur l’instabilité de la fortune et le destin des grands hommes, avec l’exemple d’Alexandre le Grand qui repose sans gloire sous le sable. [45-46]

Carm. 46. Même sujet. — Variation sur le thème de la précédente épigramme avec une reprise de l’idée des carm. 11, 13, 22 et 40 sur la petitesse (ou même l’absence pure et simple) des tombeaux des grands hommes défunts. [45-46 et 10-11-12-13-22-23-46-61-62-63]

Carm. 47. Un jeune garçon aimé. — Dans cette pièce imagée, le poète invite son ou sa destinataire à faire preuve de patience en ménageant le jeune homme dont il est épris plutôt que de le soumettre à ses désirs lascifs avant l’âge. [35-37-47-67]

Carm. 48. Le bonheur d’une vie tranquille. — L’impossible (et d’énumérer une série d’adunata) se réalisera bien avant que le poète décide de renoncer à sa vie tranquille : tel est le contenu de cette épigramme sur laquelle plane encore une fois l’ombre paisible d’Horace. [16-17-41-48-52-72]

Carm. 49. Le petit garçon du frère. — Le poète formule ici, dans cette composition familiale, des vœux à l’occasion de la naissance de son neveu et évoque les doux liens d’affection qui l’unissent à ses deux frères.

Carm. 50. Le mont Athos. — Calquée sur le carm. 5, cette épigramme reprend l’éloge de Xerxès en des termes qui, pour une bonne part, sont identiques. [5-50-68]

Carm. 51. Les richesses et l’âme d’un homme sans honneur. — Dans cette pièce satirique, le poète fait l’inventaire du faste et du luxe de la maison d’un riche propriétaite pour terminer sur une pique cinglante, faisant valoir que cet homme est lui-même l’élément le plus vil de sa propre demeure. [21-25-51]

Carm. 52. À propos du même. — Bien que cette pièce puisse en effet s’inscrire dans la suite logique de la précédente, elle n’en a pas le ton satirique mais se rapproche davantage des différents poèmes consacrés au bonheur d’une vie tranquille, avec toutefois une dimension philosophique plus marquée. Après avoir donné des exemples de ce que n’est pas le bonheur, le poète explique qu’il consiste en une forme d’impassibilité inaccessible aux caprices de la Fortune. Cette pièce est, avec les carm. 53 et 67, l’une des seules épigrammes du recueil à n’être pas composées en distiques élégiaques mais en hendécasyllabes phaléciens. [16-17-41-48-52-72]

Carm. 53. Le décès d’un ami. — Dans cette épigramme, le poète déplore la mort, survenue en 48 ap. J.-C., de son ami Crispus du carm. 14 : il souhaitait vivement de le voir vivre plus longuement, cet ami tant aimé, sans lequel la vie cesse de lui être agréable. Avec le précédent et le carm. 67, ce poème est le seul à n’être pas composé en distiques élégiaques mais en hendécasyllabes phaléciens. [14-53]

Carm. 54. Une femme riche, belle et de noble extraction mais débauchée. — Mélange de satire et d’érotisme, cette épigramme piquante dénonce dans une composition vivante et efficace les mœurs dissolues d’une femme par ailleurs favorisée par sa naissance et son physique. [43-44-54-57-58-60]

Carm. 55. La ruine de la Grèce. — Dans le même esprit qui avait présidé à la composition du carm. 20, le poète jette sur la Grèce un regard désabusé en comparant son ancienne gloire avec le misérable aspect qu’elle offre à présent que le temps de sa Fortune est passé. [20-55]

Carm. 56. Le vin et la joie. — Le poète formule des vœux pour l’une de ses connaissances, un ami désireux de se voir accorder les faveurs d’une belle. Pour l’aider à prendre son mal en patience, il lui recommande de ne pas s’endormir l’esprit troublé, mais de s’abandonner au vin pour jouir d’un sommeil paisible. [38-42-56-59-65-66]

Carm. 57. Silence d’amour. — Avec cette épigramme, le poète signe une composition plaisante et malicieuse. À une femme adultère qui lui demande le silence, le poète juge trop difficile d’imposer une loi semblable et lui accorde une exception : elle peut révéler leur relation… à son mari ! [43-44-54-57-58-60]

Carm. 58. Commencement et fin de l’amour. — Une autre pièce dans le registre de la satire amoureuse : le poète a trahi son amie et commence par dénoncer les dieux ou le destin, avant de tourner casaque et de révéler que la cause est plus simple : il a trompé son amie parce qu’il est tombé amoureux d’une autre femme. [43-44-54-57-58-60]

Carm. 59. L’oreille qui bourdonne. — Dans cette composition précieuse, le poète s’adresse à ses oreilles qui, de nuit, lui font entendre le son d’une voix. Cette voix n’est autre que celle de son amie, et le souvenir de cette femme devient une occasion d’esquisser le tableau de leurs rendez-vous et de souhaiter que continue cet agréable bourdonnement. [38-42-56-59-65-66]

Carm. 60. Une femme jalouse. — Un mari s’adresse à son épouse pour l’inviter à la modération dans la surveillance qu’elle exerce sur lui, sans quoi il ne manquera pas de prendre la fuite. [43-44-54-57-58-60]

Carm. 61. Le tombeau des Magnus. — Cette épigramme ouvre une nouvelle série de trois pièces consacrées au destin de Pompée et de ses fils. De leur vivant, ils tenaient chacun une partie du monde ; à présent qu’ils sont morts, leurs cadavres reposent à leur tour de par le monde entier. [10-11-12-13-22-23-46-61-62-63 + 15]

Carm. 62. Même sujet. — Variation sur le thème de la précédente épigramme avec une évocation de la dispersion des cadavres de Pompée et de ses fils de par le monde. [10-11-12-13-22-23-46-61-62-63 + 15]

Carm. 63. Même sujet. — Encore sur la même thème, une nouvelle composition qui propose une variation sans ajouter d’élément neuf. [10-11-12-13-22-23-46-61-62-63 + 15]

Carm. 64. Les frères Casca. — Un éloge (satirique ? tout dépend de l’interprétation du dernier vers) des frères Casca, qui ont été unis dans la vie et le sont restés en se donnant ensemble la mort, témoignant de leur amour fraternel.

Carm. 65. Parfois, même une beauté négligée est séduisante. — Dans cette épigramme amoureuse, le poète s’adresse à son amie et l’invite à ne pas multiplier les ornements et les fards qui lui sont moins agréables que son charme naturel. [38-42-56-59-65-66]

Carm. 66. À la même. — Le poète reproche à son amie de différer toujours leurs rendez-vous et fait valoir (un avertissement qui sonne peut-être comme une menace) qu’une rencontre improvisée peut aboutir à une conclusion plus rapide. [38-42-56-59-65-66]

Carm. 67. Même sujet. — Dans cette pièce adressée à la même femme, l’impatience du poète se ressent dans la crudité du propos ; le reproche est le même : pourquoi différer une rencontre, d’autant que l’improvisation est ce qu’il y a de mieux en matière de rendez-vous ? De même que les épigrammes 52 et 53, ce poème est composé en hendécasyllabes phaléciens et non en distiques élégiaques. [35-37-47-67]

Carm. 68. Le mont Athos. — Dans ce nouvel éloge de Xerxès, le poète consacre un plus long développement au creusement de l’Athos et au pont jeté entre les deux rives de l’Hellespont pour livrer passage aux troupes du Grand Roi. [5-50-68]

Carm. 69. Les maux de la guerre civile. — Avec cette épigramme (la seconde du recueil en étendue, avec trente-cinq vers), le poète dresse un tableau général des circonstances de la guerre civile et des horreurs qui l’ont accompagnée. Puis, l’exemple du soldat Maevius, découvrant après l’avoir tué le cadavre de son frère et décidant alors de se donner la mort à son tour, résume de façon pathétique la situation d’une guerre où l’on devient son propre ennemi après avoir été celui des siens. [69-70]

Carm. 70. Même sujet. — Variation sur le même thème, cette épigramme omet largement l’entrée en matière de la pièce précédente pour aborder sans attendre l’épisode du même soldat Maevius qui, découvrant son geste fratricide en ramassant les armes de son adversaire, décide de mettre fin à ses jours. [69-70]

Carm. 71. Épitaphe de Sénèque. — L’âme délivrée du corps et des soucis est appelée par un dieu à une vie meilleure, tandis que le cadavre du défunt est livré à la terre avide.

Carm. 72. Une vie tranquille. — Composée sous la forme d’une prière à Phébus, cette dernière épigramme rejoint les préoccupations d’Horace sur le bonheur d’une vie tranquille (avec en plus une dimension familiale), loin des soucis et des vaines entreprises que le poète abandonne volontiers à d’autres. [16-17-41-48-52-72]

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 *

Remarques

1/ Dans la partie suivante, où nous proposons le texte latin accompagné de notre traduction française, la mention R. x, signifie que cette épigramme est la pièce x dans l’édition de l’Anthologie latine de Riese.

2/ Divergences entre notre texte latin et celui de l’édition de Prato :

Carm. 2, 7 : solutis devient sepultis
Carm. 8, 3 : qua devient quo
Carm. 12, 1 : Magnum devient Magnos
Carm. 19, 9 : atra devient sacra
Carm. 21, 3 : fugiet devient fugiat
Carm. 24, 2 : qua devient quo
Carm. 24, 19 : foede devient feta
Carm. 24, 37 : suppar devient supra
Carm. 24, 47 : auras devient undas
Carm. 24, 60 : confessi devient defessi
Carm. 24, 66 : et semper constat devient nec semper contra est
Carm. 25, 9 : oro devient curo
Carm. 37, 5 : et modo nocturno pulsans devient ut modo nocturno pulset
Carm. 48, 3 : fontibus devient montibus
Carm. 52, 4 : [lecto] toro devient lecto [toro]
Carm. 64, 4 : affractis devient afflictis
Carm. 69, 11 : socerumue devient socerum ille.
Carm. 69, 21 : cessem devient cessas
Carm. 69, 33 : iugulatus devient maculato
Carm. 72, 6 : sollicitate devient sedulitate

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Notes

[1] Les ouvrages consacrés à la vie et à l’œuvre de Sénèque sont nombreux ; signalons-en quelques-uns : il y a pour commencer l’excellent Sénèque ou la conscience de l’Empire (Les Belles Lettres, 1978 / Fayard, 1991) de Pierre Grimal ; importante aussi malgré certains partis pris tendancieux, la Préface de Paul Veyne au volume des œuvres philosophiques complètes de Sénèque dans la collection « Bouquins » (Robert Laffont, 1993) ; Miriam Griffin est l’auteur d’un remarquable Seneca. A Philosopher in Politics (Clarendon, 1976 / réédité en 1992 avec un important Postscript) et Giovanni Reale d’un bel essai sur La filosofia di Seneca come terapia dei mali dell’anima (Tascabili Bompiani, 20044 / également en saggio introduttivo de l’édition italienne complète des oeuvres Sénèque, Bompiani, 2000).

[2] Sénèque, Cons. Helu,. 20, 1 : « (…) qualem me cogites accipe: laetum et alacrem uelut optimis rebus. Sunt enim optimae, quoniam animus omnis occupationis expers operibus suis uacat et modo se leuioribus studiis oblectat, modo ad considerandam suam uniuersique naturam ueri auidus insurgit ».

[3] Saint Augustin, De ciu. Dei, VI 11-12, où il discute les critiques adressées par Sénèque aux pratiques de la religion mosaïque.

[4] Cf. Dion Cassius, LIX 19, 7 : une plaidoirie brillante de Sénèque aurait attiré sur Sénèque la haine jalouse de Caligula ; voir l’analyse de Grimal (1991), pp. 82-83.

[5] Ainsi Servius, le commentateur de Virgile au Ve siècle, signale que Seneca scripsit de situ et de sacris Aegyptiorum (Ad Aen., VI, 154), soit un ouvrage consacré à la géographie et à la religion de l’Égypte, où nous savons que Sénèque a séjourné dans sa jeunesse.

[6] Quintilien, Instit. orat., X 1, 129 : « (…) et orationes eius et poemata et epistulae et dialogi feruntur ». On sait le jugement d’ensemble sévère porté par Quintilien sur Sénèque dans les paragraphes 125-131 de son Institution oratoire, X 1. Parmi les analyses, signalons l’une des plus récentes, chez V. Trovato, L’œuvre du philosophe Sénèque dans la culture européenne, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 69 et suiv. ; l’auteur a le souci de mettre en évidence le caractère balancé et fort peu monolithique de la notice de Quintilien, trop souvent réduite à sa seule dimension négative.

[7] Tacite, An., XIV 52 : « (…) carmina crebrius factitare, postquam Neroni amor uenisset ».

[8] Pline le Jeune, Ep., V 3, 2-3 : « (…) facio non numquam uersiculos seueros parum… homo sum… talia doctissimos grauissimos sanctissimos homines scriptitasse ». Sénèque est cité avec d’autres auteurs au paragraphe 5. Dans la lettre IV 14, Pline avait déjà formulé un jugement similaire en envoyant à l’un de ses amis un petit recueil, malheureusement perdu, d’Hendécasyllabes.

[9] Le nom Salmasianus du premier ms. est dérivé de celui de l’humaniste Claude Saumaise (1588-1653), à qui il a appartenu ; il en va de même pour le Thuaneus qui fut un temps la propriété de Jacques Auguste de Thou (1553-1617).

[10] Joseph-Juste Scaliger (1540-1609), le fils de l’humaniste et poète Jules-César Scaliger (1484-1558). Philologue et humaniste, Joseph-Juste a publié de nombreuses éditions critiques d’auteurs anciens, tant de poètes (Catulle, Tibulle, Properce) que de grammairiens (Varron, Flaccus et Festus), d’hommes de science (Hippocrate), d’historiens (Eusèbe de Césarée), etc.

[11] Pierre Pithou (1539-1596), juriste et historien du droit, a également édité un certain nombre d’auteurs anciens, notamment Quintilien, Phèdre, Perse ou Pétrone.

[12] Pierre Burmann le Jeune (1714-1778) est surtout connu pour cette édition majeure de l’Anthologie latine ainsi que pour son édition d’Aristophane ; il faut le distinguer de son oncle, le philologue Pierre Burmann (1668-1741), éditeur d’un grand nombre d’auteurs anciens : Virgile, Horace, Ovide, Lucain, Suétone, etc.

[13] En 1926, un fascicule additionnel, le Supplementum, complétait l’Anthologia latina avec une nouvelle série de carmina epigraphica.

[14] À côté de l’édition de Riese, il faut encore au moins mentionner l’entreprise de A. Bährens qui publie également les textes de l’Anthologie latine dans son recueil de Poetae latini minores en 5 volumes (Leipzig, 1879-1883) ; les épigrammes attribuées à Sénèque se trouvent dans le vol. 4. Les volumes 1, 2 et 5 de cette édition ont été réédités ensuite par F. Vollmer entre 1911 et 1935.

[15] La numérotation de Riese va de 1 à 950, mais un certain nombre de pièces sont présentées en plusieurs éléments (a, b, …) ; par ailleurs, l’unité de quelques poèmes présentés comme des pièces uniques chez Riese peut être contestée, de même que plusieurs pièces distinguées par lui peuvent être réunies. Globalement, on peut dire que l’Anthologie présente environ 1030 poèmes. Par comparaison, l’Anthologie palatine ou Anthologie grecque représente une masse autrement plus considérable (« more than 6,000 poems on a variety of subjects by some 320 authors », The Columbia Encyclopedia, 6th edition).

[16] Nous le verrons, 72 est le nombre que nous retenons à la suite de Carlo Prato, Gli epigrammi attribuiti a L. Annaeo Seneca (Edizioni dell’Ateneo, 19642 ) et de Luca Canali & Luigi Galasso, Lucio Anneoo Seneca. Epigrammi (Biblioteca Universale Rizzoli, 1994) dont nous adoptons aussi la numérotation ; mais l’unité de certains poèmes peut être mise en doute, ainsi par exemple la pièce 4 (Iam nitidum) est constituée pour Riese de deux parties indépendantes qui composent les épigrammes 238 et 238a de l’Anthologie. Le cas des épigrammes 10 (Magne premis), 29 (Victa prius) et 56 (Sic tua sit) est similaire : Prato et Canali & Galasso y voient des pièces uniques, tandis que ce sont chez Riese des poèmes distincts.

[17] Henri Bardon, art. « Les épigrammes de l’Anthologie attribuées à Sénèque le philosophe », in Revue des Études Latines 17 (1939), p. 64. L’état « actuel » dont parlait alors Bardon ne s’est pas substantiellement modifié depuis lors.

[18] Prato (1964), p. viii : « Per il resto credo ancora che il problema [le problème de l’authenticité sénéquienne du corpus], come tutti quelli dello stesso genere, sia di difficile soluzione, e che, se non interverranno elementi nuovi, sarà necessario rinunziare a porselo ».

[19] Signalons seulement le témoignage le plus ancien de cette épitaphe, le Valentianus 390 (ms. Va), qui date du IXe siècle. À côté de deux autres manuscrits médiévaux du XIe et du XIIIe siècles, l’épitaphe est connue par plus de vingt manuscrits vaticans, tous datés du XIVe ou du XVe siècle.

[20] Nous discuterons plus en détail la transmission de ce groupe dans le commentaire.

[21] Dans les mss. qui nous les transmettent, soit ABV, les poèmes 2 et 3 se font suite sans aucune séparation comme s’ils constituaient une pièce unique (il en va ainsi dans les manuscrits de toutes les pièces consacrées à un même sujet et qui se font suite immédiatement), ce qui n’est pas le cas de l’avis général des éditeurs.

[22] Prato (1964), p. 1 note que cette disposition est telle que « far nascere il sospetto che, nonché i due primi epigrammi, dovessero essere di Seneca anche quelli che seguivano ».

[23] Prato (1964), pp. 1-2 : « (…) molti dei carmi (…) mostrano sorprendenti analogie, di pensiero come di forme, con l’opera di Seneca, e che il contenuto o i personaggi di essi non possono essere dissociati dall’ambiente in cui visse e agì il grande filosofo ».

[24] Ce fait divers apparemment sans portée est intéressant : il y est question d’un frère aîné et d’un frère cadet du poète, ainsi que d’un neveu prénommé Marcus. Or c’était le prénom du futur poète Lucain, et Sénèque était bien le deuxième de trois fils. Quand à l’éloquence de ses deux oncles que le poète souhaite au jeune Marcus, c’est une allusion aux dons que nous savons être ceux de notre Sénèque et de son aîné Gallion.

[25] Toutes les épigrammes (à l’exception de deux pièces, nous y reviendrons) sont composées en distiques élégiaques, une structure métrique qui n’est représentée que par quelques dizaines de vers dans l’Apocolocyntose et dans une tragédie. La comparaison a été tentée par Lucia Peyrani, Gli epigrammi di Seneca (Paravia, 1938).

[26] Nous renvoyons pour cela au commentaire.

[27] Nous nous limiterons dans cette introduction à quelques considérations sommaires, pour ne pas la surcharger inutilement et sans profit. Nous étudierons plus loin (cf. Annexe) dans le détail une tentative de reconstruction pour le moins hasardeuse du « recueil original » des épigrammes.

[28] Dans l’ensemble de son œuvre certainement authentique, Sénèque ne manifeste jamais d’intérêt pour la sexualité et n’évoque le sujet que pour décrier des pratiques aberrantes ou jugées honteuses, par exemple dans ses Questions naturelles (I 16), où il rapporte l’histoire d’un homme faisant disposer des miroirs en sorte qu’il puisse être tout ensemble l’acteur et le spectateur de son inaltérable lubricité.

[29] Ainsi par exemple la charge de Lucrèce contre le sentiment amoureux au quatrième livre du De rerum natura, où ce sentiment est décrit en termes peu complaisants comme « un abcès qui s’avive et s’envenime tandis qu’on le nourrit » dans un vers vigoureux (1068) : ulcus enim uiuescit et inueterascit alendo.

[30] Catulle, 16, 5-8 : « Nam castum esse decet pium poetam / ipsum uersiculos nihil necesse est, / qui tunc denique habent salem et leporem, / si sunt molliculi et parum pudici » (trad. G. Lafaye). Ce jugement est cité et approuvé par Pline le Jeune dans ses Lettres (IV 14). Sur le texte de Catulle, voir l’article de H.D. Jocelyn, « Catullus 16.5-6 », publié dans la quatrième et dernière livraison (mai 1996) de l’éphémère revue électronique Arachnion.

[31] Ovide, Trist., II, 353-358 : « Crede mihi, distant mores a carmine nostro, / uita uerecunda est, Musa iocosa mea, / magnaque pars mendax operum est et ficta meorum : / plus sibi permisit compositore suo. / Nec liber indicium est animi, sed honesta uoluntas : / plurima mulcendis auribus apta feres ».

[32] Cf. Apulée, Apol. 9, 11 : « Vt taceam scripta Diogenis Cynici et Zenonis Stoicae sectae conditoris id genus plurima ». Le genre dont il est question est celui dont participe un vers « très lascif » (lasciuissimus) que n’a pas hésité à composer, écrit Apulée dans ce qui précède, Solon, unanimement considéré comme l’un de ces serium uirum et philosophum.

[33] Il ne nous semble pas possible de voir dans le dernier vers de l’épigramme 5 une pointe ironique : la tonalité paraît bien être intégralement laudative.

[34] Sénèque, De ben. VI 31, 1 : « (…) Xerxes, animum tumentem oblitumque quam caducis confideret ». Dans le De breu. uit., 18, 5, le souverain Perse n’est pas cité nommément, mais c’est bien lui que Sénèque vise en parlant d’un tyran fou furieux qui s’est perdu par orgueil et imité par l’empereur Caligula : « (…) furiosi et externi et infeliciter superbi regis imitatio ».

[35] Sénèque, De ben., VI 31, 11 : « (…) diuina atque humana impellentem ».

[36] Dans le De ira, III 16, 4, Sénèque écrit que Xerxès mérita sa défaite et d’être le spectateur de sa propre ruine au milieu des cadavres des siens : « Habuit itaque quem debuit exitum : uictus et late longeque fusus ac stratam ubique ruinam suam cernens medius inter suorum cadauera incessit ».

[37] « Personalmente », dit-il (Canali & Galasso [1994], pp. 6-7), et « se questo può avere qualche valore », il opte pour l’hypothèse selon laquelle « gli epigrammi sono un falso dovuto a poeti minori a noi sconosciuti, che si proponevano, per esercizio o per scommessa, di scrivere versi (…) ‘alla maniera di Seneca’ ».

[38] Canali & Galasso (1994), p. 7 : « (…) vorrei aggiungere una supposizione maligne : la silloge potrebbe essere stata confezionata da un editori di pochi scrupoli il quale, venuto in possesso di alcuni ‘fondi di cassetto’ autenticamente senecani, vi abbia aggiunto alcuni ‘temi svolti’ poetici, frutto del lavoro di una classa [et pourquoi pas d’un ‘primo della classe’ comme il le suggérera plus loin] di aspiranti poetici, vendendo poi il tutto come un libro di versi di Seneca ».

[39] Cf. spécialement Bardon (1939, p. 79 – nous traitons Herrmann en annexe), qui s’inspire de la bipartition de Herfurth entre carmina seuera et non seuera et propose un classement qui comporte presque autant de subdivisions qu’il y a de pièces dans le recueil.

[40] C’est pourtant ce que fait Bardon en esquissant l’ensemble des poèmes « élégiaques et badins ». Mais alors, que fait-il de l’enseignement de Sénèque dans le De otio ? S’agit-il d’un badinage sous prétexte qu’il y est question de mener une vie tranquille et rétirée ?

[41] Le titre des épigrammes est fourni par les manuscrits ou par les éditeurs qui séparent en plusieurs pièces consacrées à un « même sujet » ce qui se présente sans interruption dans le ou les manuscrits. Une seule fois, pour l’épigramme 55, le titre de la tradition manuscrite qui parle de la ruine de Troie ou de la mort d’Alexandre est laissé de côté parce que dépourvu de sens en regard du contenu. Nous suivons alors les éditeurs qui ont choisi de donner au poème le titre La ruine de la Grèce.

[42] Les liens proposés entre les différentes épigrammes plus légères sont assez arbitraires. De façon générale, nous proposons de distinguer les poèmes amoureux (carm. 42, 59, 65 et 66 auxquels nous associons les carm. 38 et 56) des compositions plus licencieuses ou érotiques (carm. 35, 37, 47 et 67), et de classer comme un groupe à part entière celles où le sentiment amoureux est mêlé d’ironie (carm. 43, 44, 54, 57, 58 et 60).

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Praefatio Introduction
Carmina
1-13, 14-23, 24, 25-34, 35-47, 48-60, 61-72
Annexe

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FEC - Folia Electronica Classica  (Louvain-la-Neuve) - Numéro 12 - juillet-décembre 2006

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