FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 4 - juillet-décembre 2002


Le Conte de Psyché chez Apulée et La Fontaine. IV. La géographie et les lieux de l'action

par

Maud André

Licenciée en langues et littératures classiques
Professeur au Collège du Christ-Roi (Ottignies)

<andremaud@hotmail.com>


Un mot de l'éditeur

En 2001, Maud André, étudiante en langues et littératures classiques à l'Université de Louvain, a présenté, sous la direction du Prof. Paul-Augustin Deproost, un mémoire de licence intitulé Le Conte de Psyché. Étude comparée d'Apulée et de Jean de La Fontaine, 134 p. de texte + un dossier de 80 p. contenant diverses illustrations.

Après une introduction comprenant une biographie comparée, le résumé du conte et un exposé de la transmission du conte dans l'histoire littéraire jusqu'à La Fontaine, le mémoire se développe en trois parties. La première présente Les Amours de Psyché et de Cupidon de Jean de La Fontaine, mettant particulièrement en lumière la source, la structure et la nature du conte. La deuxième partie, la plus importante, compare la version d'Apulée et celle de La Fontaine sur cinq points retenus comme significatifs : la géographie et les lieux de l'action, les personnages, les sentiments, les épreuves et enfin la rhétorique. La troisième partie met en parallèle le conte de La Fontaine et les idées du XVIIe siècle : elle analyse la morale et la philosophie, la mythologie et la société aristocratique de Versailles.

Nous avons pensé que quelques extraits de ce mémoire pourraient intéresser les lecteurs des Folia Electronica Classica. On trouvera ainsi successivement :

Apulée est cité d'après l'édition de la Collection des Universités de France (Les Métamorphoses. Livres IV-VI. Texte établi par D.S. Robertson et traduit par P. Vallette, Paris, Les Belles Lettres, 1972), et La Fontaine, Les amours de Psyché et de Cupidon, d'après le texte de l'édition de la Bibliotheca Magna, 176, dir. C. Castera, Paris, 1939.

 

Jacques Poucet


Plan

Les descriptions communes aux deux versions

Les particularités de La Fontaine


La géographie, chez Apulée est assez vague et imprécise, seul le palais de l'Amour est décrit avec plus de détails. Chez La Fontaine, les descriptions sont abondantes et longues pour les lieux de l'action et surtout pour les oeuvres d'art ; ces descriptions sont tantôt en prose, tantôt en vers. Le cadre, chez la Fontaine est souvent champêtre et campagnard, conformément à la nature de notre auteur. En effet, La Fontaine affectionne tout particulièrement les cadres agréables et propices à la poésie ; quel lieu plus opportun que Versailles et ses jardins pour nous faire découvrir son conte. Ajoutons encore que dans les descriptions de La Fontaine, le merveilleux, caractéristique de son oeuvre se fait ressentir ; il ajoutera par exemple un dragon au rocher de l'exposition de Psyché. La Fontaine est donc empreint de magie et de merveilleux, du merveilleux du conte jusque dans ses descriptions de lieux ou de statues.


Les descriptions communes aux deux versions

 

La ville où vit Psyché 

Chez Apulée, cette ville n'est pas précisée, on trouve ciuitas, dans le sens de cité, ville.

Chez La Fontaine, la ville n'est pas précisée non plus. C'est une ville de Grèce.

Les temples de Vénus [2]

Chez Apulée, on trouve Paphos, Cnide et Cythère : les trois grands sanctuaires d'Aphrodite, lieux de pélerinage où la déesse était censée résider. A noter que l'on trouve un renversement paradoxal de la description chez Ovide (Mét., X, 529-31) d'une Vénus négligeant ses propres sanctuaires à cause de son amour pour Adonis (capta uiri forma non iam Cytheria curat/litora, non alto repetit Paphon aequore cinctam/ piscosamue Cnidon grauidamue Amathunta metallis). Apulée a omis Amathus et a modifié la liste pour qu'elle culmine sur Cythère, le lieu de naissance de la déesse (d'où le surnom le plus courant de Vénus dans le latin littéraire : Cytherea).

Chez La Fontaine, on ne trouve que Cythère ; les autres domaines de Vénus sont évoqués comme ses îles à l'exception de Paphos qui est décrite un peu plus longuement :

« Paphos n'est plus qu'un séjour importun :
Des Grâces et des Ris la troupe m'abandonne ;
Tous les Amours, sans en excepter un,
S'en vont servir cette personne.
Si Psyché veut notre couronne,
Il faut la lui donner ; elle seule aussi bien
Fait en Grèce à présent votre office et le mien. » (p. 29)

L'oracle d'Apollon 

Chez Apulée, c'est à Milet que le père de Psyché va consulter l'oracle d'Apollon.

« Montis in excelsi scopulo, rex, siste puellam ornatam mundo funerei thalami. Nec speres generum mortali stirpe creatum, sed saeuum atque ferum uipereumque malum, quod pinnis uolitans super aethera cuncta fatigat flammaque et ferro singula debilitat, quod tremit ipse Iouis quo numina terrificantur, fluminaque horrescunt et Stygiae tenebrae.  » [3] (Mét., IV, 33, 1-2)

Chez La Fontaine, le lieu n'est pas clairement prononcé mais on suppose que c'est Milet, comme chez Apulée. Cet oracle est en quelque sorte le noeud de l'histoire, ce présage d'un mari affreux, à qui Psyché est destinée, signe du malheur constant des parents et chance pour les soeurs de Psyché de corrompre et d'influencer les actes de celle-ci.

« L'époux que les Destins gardent à votre fille
Est un monstre cruel qui déchire les coeurs,
Qui trouble maint Etat, détruit mainte famille,
Se nourrit de soupirs, se baigne dans les pleurs.

A l'univers entier il déclare la guerre,
Courant de bout en bout un flambeau dans la main :
On le craint dans les cieux, on le craint sur terre ;
Le Styx n'a pu borner son pouvoir souverain
 

C'est un empoisonneur, c'est un incendiaire,
Un tyran qui de fers charge jeunes et vieux.
Qu'on lui livre Psyché ; qu'elle tâche de lui plaire
Tel est l'arrêt du Sort, de l'Amour, et des dieux.

Menez-la sur un roc, au haut d'une montagne,
En des lieux où l'attend le monstre son époux ;
Qu'une pompe funèbre en ces lieux l'accompagne,
Car elle doit mourir pour ses soeurs et pour vous. » [p. 35-36)

Le rocher où est exposée Psyché 

Dans les deux versions, il se trouve au-dessus d'une montagne. Là, Psyché sera abandonnée à son sort conformément à l'oracle. C'est sur ce rocher que Psyché sera enlevée par l'haleine douce du Zéphyre et c'est de cet endroit que les deux soeurs de Psyché seront amenées au palais.

Chez Apulée :

« Itur ad constitutum scopulum montis ardui, cuius in summo cacumine statutam puellam cuncti deserunt, taedasque nuptiales, quibus praeluxerant, ibidem lacrimis suis extinctas relinquentes deiectis capitibus domuitionem parant. » [4] (Mét., IV, 35, 2)

Chez La Fontaine :

« Après une traite de plusieurs jours, lorsque l'on commençoit à douter de la vérité de l'oracle, on fut étonné qu'en côtoyant une montagne fort élevée, les chevaux, bien qu'ils fussent frais et nouveau repus, s'arrêtèrent court, et, quoi qu'on pût faire, ils ne voulurent point passer outre. Ce fut là que se renouvelèrent les cris ; car on jugea bien que c'étoit le mont qu'entendoit l'oracle

Psyché descendit du char ; et, s'étant mise entre l'un et l'autre de ses parents, suivie de la troupe, elle passa dedans un bois assez agréable, mais qui n'étoit pas de longue étendue. A peine eurent-ils fait quelque mille pas, toujours en montant, qu'ils se trouvèrent entre des rochers habités par des dragons de toutes espèces. A ces hôtes près, le lieu se pouvoit bien dire une solitude, et la plus effroyable qu'on pût trouver : pas un seul arbre, pas un brin d'herbe, point d'autre couvert que ces rocs, dont quelques-uns avoient des pointes qui avançoient en forme de voûte, et qui, ne tenant presque à rien, faisoient appréhender à nos voyageurs qu'elles ne tombassent sur eux. D'autres se trouvoient creusés en beaucoup d'endroits par la chute des torrents ; ceux-ci servoient de retraite aux hydres, animal fort familier en cette contrée.

Chacun demeura si surpris d'horreur, que, sans la nécessité d'obéir au Sort, on s'en fût retourné tout court. Il fallut donc gagner le sommet, malgré qu'on en eût : plus on alloit en avant, plus le chemin étoit escarpé. Enfin, après beaucoup de détours, on se trouva au pied d'un rocher d'énorme grandeur, lequel étoit au faîte de la montagne, et où l'on jugea qu'il falloit laisser l'infortunée fille. » (p. 38-39)

On peut remarquer que La Fontaine a ajouté de la féerie à son récit par rapport à Apulée : les dragons près du rocher escarpé. Ce thème du dragon se retrouve dans les contes notamment dans La Belle au bois dormant. L'influence des contes est très souvent perceptible dans le conte de Psyché ; on peut retrouver notamment les éléments de Blanche Neige, de La Belle et la Bête, de Cendrillon... Nous n'entrerons pas dans les détails mais pour plus d'informations, vous pourrez vous référer aux livres de N. Fick, J. Houston, J. Rousset, A. Scobie et à l'article de S. Schoettke [3a].

Le palais de l'Amour et ses jardins 

Dans les deux versions, les descriptions de ces lieux sont exhaustives et merveilleuses. Les mots manquent, nous laissons place au texte et à votre imagination.

Chez Apulée :

« Videt lucum proceris et uastis arboribus consitum, uidet fontem uitreo latice perlucidum ; medio luci meditullio prope fontis adlapsum domus regia est aedificata non humanis manibus sed diuinis artibus. Iam scies ab introitu primo dei cuiuspiam luculentum et amoenum uidere te diuersorium. Nam summa laquearia citro et ebore curiose cauata subeunt aureae columnae, parietes omnes argenteo caelamine conteguntur bestiis et id genus pecudibus occurrentibus ob os introeuntium. Mirus prorsum (magnae artis) homo immo semideus uel certe deus, qui magnae artis suptilitate tantum efferauit argentum. Enimuero pauimenta ipsa lapide pretioso caesim deminuto in uaria picturae genera discriminantur : uehementer iterum ac saepius beatos illos qui super gemmas et monilia calcant ! Iam ceterae partes longe lateque dispositae domus sine pretio pretiosae totique parietes solidati massis aureis splendore proprio coruscant, ut diem suum sibi domi faciant licet sole nolente : sic cubicula sic porticus sic ipsae ualuae fulgurant. Nec setius opes ceterae maiestati domus respondent, ut equidem illud recte uideatur ad conuersationem humanam magno Ioui fabricatum caeleste palatium. » (Mét., V, 1, 2-7) [5]

La description du palais de Cupidon appartient à une tradition d'ekphraseis, qui remonte au récit homérique du palais et des jardins d'Alcinoos (Odyssée, VII, 84-132 ; cfr aussi le traitement beaucoup plus bref du palais de Ménélas en Odyssée, IV, 43-46), imité par Apollonius dans sa description du palais d'Aiètès (III, 215-237 ; dans l'épopée tardive, cfr par exemple le palais de Cléopâtre dans Lucain, X, 111-126).

L'installation du palais au milieu du gazon, des arbres et de l'eau est, dans la littérature un exemple type du paysage idéal, conventionnellement appelé locus amoenus. Un des plus célèbres de ces paysages formait le cadre du Phèdre de Platon, qu'Apulée a très bien pu avoir à l'esprit ici. Pour d'autres jardins chez les romanciers, cfr Longus, II, 3, 3-4 ; IV, 2-3 ; Achille Tatius, I, 1, et I, 15.

Pour beaucoup de détails, donc, Apulée est redevable non seulement à Homère, mais aussi à Ovide, plus spécialement à la description ovidienne du palais du Soleil au début du deuxième livre des Métamorphoses. Les descriptions de belles demeures constituaient presque un genre particulier dans la tradition rhétorique de l'ekphrasis.

Chez La Fontaine :

Psyché est émerveillée par toutes les magnificences du palais de l'Amour, elle ne sait où donner de la tête pour tout admirer : balcons, statues, architecture, tapisseries, galeries aux précieux tableaux, meubles... ; elle court en tous sens tellement ses yeux sont avides de goûter toutes ces beautés.

« On fit ses murs d'un marbre aussi blanc que l'albâtre ;
Les dedans sont ornés d'un porphyre luisant.
Ces ordres dont les Grecs nous ont fait présent,
Le dorique sans fard, l'élégant ionique,
Et le corinthien superbe et magnifique,
L'un sur l'autre placés, élèvent jusqu'aux cieux
Ce pompeux édifice où tout charme les yeux.
Pour servir d'ornement à ses divers étages,
L'architecte y posa les vivantes images
De ces objets divins, Cléopâtres, Phrynés,
Par qui sont les héros en triomphe menés.

Ces fameuses beautés dont la Grèce se vante,
Celles que le Parnasse en ses fables nous chante,
Ou de qui nos romans font de si beaux portraits,
A l'envi sur le marbre étaloient leurs attraits.
On y voyoit surtout Hélène au coeur léger,
Qui causa tant de maux pour un prince berger ;
Psyché dans le milieu voit aussi sa statue,
De ces reines des coeurs pour reine reconnue :
La belle à cet aspect s'applaudit en secret,
Et n'en peut détacher ses beaux yeux qu'à regret
Mais on lui montre encor d'autres marques de gloire :
Là ses traits sont de marbre, ailleurs ils sont d'ivoire.
Les disciples d'Arachne, à l'envi des pinceaux,
En ont aussi formé de différents tableaux.
Dans l'un on voit les Ris divertir cette belle ;
Dans l'autre, les amours dansent à l'entour d'elle ;
Et, sur cette autre toile, Euphrosine et ses soeurs
Ornent ses blonds cheveux de guirlandes de fleurs.
Enfin, soit aux couleurs, ou bien dans la sculpture.
Psyché dans mille endroits rencontre sa figure ;
Sans parler des miroirs et du cristal des eaux,
Que ses traits imprimés font paraître plus beaux. » (p. 46-47

Psyché découvre également les jardins pleins de statues, fontaines, rochers, arbres, petits recoins...

« Assemblez, sans aller si loin,
Vaux, Liancourt, et leurs naïades
Y joignant, en cas de besoin,
Rueil, avecque ses cascades.
Cela fait, de tous les côtés,
Placez en ces lieux enchantés
Force jets affrontant la nue,
Des canaux à perte de vue,
Bordez-les d'orangers, de myrtes, de jasmins,
Qui soient aussi géants que les nôtres sont nains ;
Entassez-en des pépinières ;
Plantez-en des forêts entières,
Des forêts, où chante en tout temps
Philomène, honneur des bocages,
De qui le règne, en nos ombrages,
Naît et meurt avec le printemps.
Mêlez-y les sons éclatants
De tout ce que les bois ont d'agréables chantres.
Chassez de ces forêts les sinistres oiseaux ;
Que les fleurs bordent leurs ruisseaux ;
Que l'amour habite leurs antres.
N'y laissez entrer toutefois
Aucune hôtesse de ces bois
Qu'avec un paisible Zéphyre,
Et jamais avec un Satyre :
Point de tels amants dans ces lieux ;
Psyché s'en tiendroit offensée.
ne les offrez point à ses yeux,
Et moins encore à sa pensée
Qu'en ce canton délicieux
Flore et Pomone, à qui mieux mieux,
Fassent montre de leurs richesses ;
Et que ce couple de déesses
Y renouvelle ses présents
Quatre fois au moins tous les ans.
Que tout naisse sans culture ;
Toujours fraîcheur, toujours verdure,
Toujours l'haleine et les soupirs
D'une brigade de zéphyrs. » (p. 53-54)

La chambre de Psyché et de Cupidon 

Lieu important dans les deux versions car c'est là que les deux amants se rencontrent et peuvent s'aimer. C'est dans ce lieu que les avertissements et les mises en garde du mari seront proférés à Psyché. Dans les deux versions, le décor de cette chambre n'est pas évoqué mais nous pouvons très bien imaginer qu'il ressemble aux autres pièces du palais : une chambre couverte de tapisseries évoquant l'amour, somptueuse donc et accueillante pour nos deux héros.

Le Ciel et les demeures des dieux

Le Ciel est la demeure des dieux mais plus spécialement celle de Jupiter, Vénus ayant l'Océan ou divers temples ; Cérès, Junon, Diane et Pallas ont leur temple propre et Zéphyre n'a pas de maison fixe. On peut trouver ces différents lieux dans les deux versions.

Divers lieux : le fleuve, la tour...

Psyché veut se tuer dans un fleuve que l'on associe au Styx. La tour de laquelle Psyché veut se jeter pour mourir et atteindre les enfers, est présente dans les deux versions. Autres lieux secondaires qui nous sont présentés autant chez Apulée que chez La Fontaine : les lieux des diverses épreuves. Ces lieux ne sont pas exactement pareils dans les deux versions. Nous les analyserons en détails dans la comparaison des épreuves.

Les temples de Cérès et de Junon

Dans les deux versions, Psyché vient y prier pour essayer de trouver quelque appui et soutien auprès de ces deux déesses. Le temple de Cérès ressemble à la personnalité de la déesse qui représente le pouvoir générateur de la nature, c'est un asile où affluent le blé et d'autres produits campagnards. Le temple de Junon chez Apulée est construit avec un art savant, comme la déesse qui n'est pas dupe des aventures de son mari. Chez La Fontaine, Psyché ne rencontre pas Junon dans un temple mais en personne ; en effet, Junon a l'habitude de venir sur terre pour interroger les mortels sur les amours de son mari, comme nous l'explique La Fontaine.

Chez Apulée :

« Iamque nauiter emensis celsoribus iugis puluinaribus sese proximam intulit. Videt spicas frumentarias in aceruo et alias flexiles in corona et spicas hordei uidet. Erant et falces et operae messoriae mundus omnis, sed cuncta passim iacentia et incuria confusa et, ut solet aestu, laborantium manibus proiecta. » (Mét., VI, 1, 3-4) [6]

« Contra spem suam repulsa Psyche et afflicta duplici maestitia iter retrorsum porrigens inter subsitae conuallis sublucidum lucum prospicit fanum sollerti fabrica structum, nec ullam uel dubiam spei melioris uiam uolens omittere sed adire cuiuscumque dei ueniam sacratis foribus proximat. » (Mét., VI, 4) [7]

Chez La Fontaine :

« Un jour qu'elle eut une telle alarme qu'elle se jeta dans une chapelle de Cérès, comme en asile qui de bonne fortune se présentoit. Cette chapelle étoit près d'un champ dont on venoit de couper les blés. Là les laboureurs des environs offroient tous les ans les prémices de leur récolte. Il y avoit un grand monceau de javelles à l'entrée du temple. Notre bergère se prosterna devant l'image de la déesse : puis lui mit au bras un chapeau de fleurs, lesquelles elle venoit de cueillir en courant et sans aucun choix : c'étoit de ces fleurs qui croissent parmi les blés. Psyché avoit ouï dire aux sacrificateurs de son pays qu'elles plaisoient à Cérès, et qu'une personne qui vouloit obtenir des dieux quelque chose ne devoit point entrer dans leur maison les mains vides. » (p. 176)

Les Enfers

Dans les deux versions, les enfers sont décrits comme un lieu affreux. Chez Apulée, la partie réservée à Proserpine est décrite et chez La Fontaine, c'est le tribunal de Pluton et Proserpine, et la salle d'audience de celui-ci qui sont décrits.

Chez Apulée :

« Nec offerentis hospitae sedile delicatum uel cibum beatum amplexa sed ante pedes eius residens humilis cibario pane contenta Veneriam pertulit legationem. » (Mét., VI, 20, 3) [8]

Chez La Fontaine :

« Le royaume des morts a plus d'une avenue :
Il n'est route qui soit aux humains si connue.
Des quatre coins du monde on se rend aux enfers ;
Tisiphone les tient incessament ouverts.
La faim, le désespoir, les douleurs, le long âge,
Mènent par tous endroits à ce triste passage ;
Et, quand il est franchi, les filles du Destin
Filent aux habitants une nuit sans matin.
Orphée a toutefois mérité par sa lyre
De voir impunément le ténébreux empire...  » (p. 220-222)

L'Olympe

L'Olympe est le lieu de rendez-vous final où l'on fêtera l'accession à la divinité et à l'immortalité de Psyché et sa réconciliation avec Vénus. Et enfin, c'est le lieu où naîtra Volupté, fille de Cupidon et Psyché.


Les particularités de La Fontaine

 

Versailles 

« Versailles est la plus somptueuse résidence royale de l'Europe des XVIIe et XVIIIe siècles. Cette réussite est due principalement à la volonté du roi Louis XIV. Pour célébrer sa puissance absolue de Roi-Soleil, il a su faire qu'en un seul lieu se donne en spectacle tout ce que les arts et métiers français produisent alors de plus beau... Matérialisation fastueuse de la gloire monarchique, équilibrant harmonieusement goût baroque (européen) et goût classique (plus spécifiquement français), Versailles est tout à la fois une oeuvre de l'art et une grande machinerie politico-économique » [9]

Si d'un point de vue littéraire, les descriptions de Versailles semblent un peu gauches et risquent vite de devenir fastidieuses, en dépit du charme des détails, grâce à leur précision, elles offrent un grand intérêt documentaire pour l'histoire de l'art : en les confrontant avec celles du professionnel Félibien, on peut constater leur rigoureuse exactitude ; d'autre part, elles posent des problèmes passionnants pour les historiens : La Fontaine a situé son évocation de Versailles pendant l'automne 1668 ; comme à cette époque de nombreuse parties du parc étaient encore à peine esquissées, le poète a moins décrit un état présent du parc qu'il ne l'a imaginé tel qu'il devait être deux ans plus tard ; or, dans l'intervalle, des projets, alors en cours d'exécution, se sont trouvés modifiés.

La Fontaine a choisi ce cadre pour sa fable, pour faire sa cour et pour créer une ambiance favorable à son récit. La vue des volatiles et de quadrupèdes rares ou exotiques, les parfums des orangers, la compagnie des divinités païennes rendues présentes par l'art, dans la grotte et les jardins, ce palais si beau, voilà pour les auditeurs et les lecteurs le meilleur prélude, l'avant-propos qui les met en état d'écouter et de croire les aventures, les félicités merveilleuses de Psyché, reine du domaine somptueux de l'Amour.

Il en va de même pour la seconde partie : la description des endroits les plus agréables du jardin, la conversation avec les arbres et les fontaines, le contact de l'herbe menue : les conditions sont réunies pour disposer l'âme :

« Nous plaindrons les peines et les infortunes de l'héroïne avec une tendresse d'autant plus grande que la présence de ces objets nous remplira l'âme d'une douce mélancolie. » (p. 127)

Les descriptions et les promenades du livre premier amènent La Fontaine à inventer, au second livre, la description du temple de Vénus et à prolonger les promenades vagabondes de l'infortunée. La composition en est plus symétrique, selon le goût implacable de l'époque et par là l'auteur sacrifie à la hantise de la beauté grecque qu'il poursuit d'instinct.

Les jardins de Versailles, le château, l'Orangerie, la grotte de Téthys, les bassins et le grand canal sont décrits avec brio par La Fontaine, tantôt en prose, souvent en vers.

« Nos quatre amis, étant arrivés à Versailles de fort bonne heure, voulurent voir, avant le dîner, la Ménagerie : c'est un lieu rempli de plusieurs sortes de volatiles et de quadrupèdes, la plupart très rares et de pays éloignés. Ils admirèrent en combien d'espèces une seule espèce d'oiseaux se multiplioit, et louèrent l'artifice et les diverses imaginations de la nature, qui se joue dans les animaux comme elle fait dans les fleurs. Ce qui leur plut davantage, ce furent les demoiselles de Numidie, et certains oiseaux pêcheurs qui ont un bec extrêmement long, avec une peau au-dessous qui leur sert de poche ; leur plumage est blanc, mais d'un blanc plus clair que celui des cygnes ; même de près il paroît carné, et tire sur la couleur de rose vers la racine. On ne peut rien voir de plus beau : ce sont espèce de cormorans. Comme nos gens avoient encore du loisir, ils firent un tour à l'Orangerie. La beauté et le nombre des orangers et des autres plantes qu'on y conserve ne se sauroient exprimer. Il y a tel de ces arbres qui a résisté aux attaques de cent hivers. Acanthe, ne voyant personne autour de lui que ces trois amis (celui qui les conduisoit étoit éloigné), Acanthe, dis-je, ne put tenir de réciter certains couplets de poésie que les autres se souvinrent d'avoir vus dans un ouvrage de sa façon.

Sommes-nous, dit-il, en Provence ?
Quel amas d'arbres toujours verts
Triomphe ici de l'inclémence
Des aquilons et des hivers !

Jasmins dont un air doux s'exhale,
Fleurs que les vents n'ont pu ternir,
Aminte en blancheur vous égale,
Et vous m'en faites souvenir.

Orangers,arbres que j'adore,
Que vos parfums me semblent doux !
Est-il dans l'empire de Flore
Rien d'agréable que vous ?

Vos fruits aux écorces solides
Sont un véritable trésor ;
Et le jardin des hespérides
N'avoit point d'autres pommes d'or.

Lorsque votre automne s'avance,
On voit encor votre printemps ;
L'espoir avec la jouissance
Logent chez vous en même temps.

Vos fleurs ont embaumé tout l'air que je respire :
Toujours un aimable zéphyre
Autour de vous se va jouant.
Vous êtes nains ; mais tel arbre géant,
Qui déclare au soleil la guerre,
Ne vous vaut pas,
Bien qu'il couvre un arpent de terre
Avec ses bras.

... Ils retournèrent au château, virent les dedans, que je ne décrirai point : ce seroit une oeuvre infinie. Entre autres beautés, ils s'arrêtèrent longtemps à considérer le lit, la tapisserie et les sièges dont on a meublé la chambre et le cabinet du Roi. C'est un tissu de la Chine, plein de figures qui contiennent toute la religion de ce pays-là. Faute de brachmane, nos quatre amis n'y comprirent rien. Du château ils passèrent dans les jardins, et prièrent celui qui les conduisoit de les laisser dans la grotte jusqu'à ce que la chaleur fût adoucie ; ils avoient fait apporter des sièges... même afin de rendre le lieu plus frais, on en fit jouer les eaux. La face de cette grotte est composée, en dehors, de trois arcades, qui font autant de portes grillées. Au milieu d'une des arcades est un soleil, de qui les rayons servent de barreaux aux portes : il ne s'est jamais rien inventé de si à propos, ni de si plein d'art. Au-dessus sont trois bas-reliefs. » (p. 19-22) [10]

Notons encore que le cadre des jardins, le spectacle de leurs arbres et de leurs fontaines conviennent au pathétique du récit dans la mesure leur douceur soutient chez l'auditeur la transformation de la compassion en plaisir. Curieusement, La Fontaine retrouve l'image initiale du psaume Super flumina Babylonis [11], mais c'est pour ôter la souffrance des pleurs grâce à une sorte de catharsis [12]. Le jardin, lieu du bonheur de la retraite épicurienne, apparaît comme le lieu où le trouble des passions se change en jouissance, comme le lieu de la distance nécessaire au plaisir esthétique. Le «  tempérament  » propre à l'oeuvre ne se réduit pas au mélange dont Polyphile est le maître d'oeuvre ; il réside profondément dans le rapport qui s'établit entre le récit et la mise en scène de sa propre réception, entre adhésion émotive et délectation distanciée. Par là-même, la poétique de l'oeuvre s'accorde à la leçon morale qu'elle dessine d'un geste nonchalant.

 Les jardins

La Fontaine publie son récit de Psyché enveloppé dans une évocation circonstanciée de Versailles et de magnifiques jardins. L'emblème que constitue l'image du jardin familial de Château-Thierry, sans que l'on puisse rien savoir avec exactitude ni veuille rien supposer de l'influence réelle qu'il dut exercer sur la sensibilité de La Fontaine, offre néanmoins un adéquat de l'imprégnation de la culture du poète par la nature qui colore sa vision savante du monde végétal et animal.

Le domaine où l'Amour accueille sa promise, les jardins où elle rêve, joue ou s'attriste, la grotte où ils se retrouvent, puis, après la disgrâce de l'héroïne, le lopin solitaire que cultive le sage vieillard recueillant la proscrite, le jardin secret où Vénus la fait comparaître devant elle et la transfiguration de la Grèce en un jardin de songe où chaque monument fait étape d'un parcours mystagogique, approfondissent en le justifiant le programme allégorique et la variété pittoresque du domaine royal où se déroule la narration du conte. Le jardin excède ici le rôle de cadre ou d'agent, il devient acteur d'une métamorphose de la réalité en fiction et d'une accréditation de la fiction par la réalité.

Chez La Fontaine, les jardins expriment un idéal de sagesse. Entre le parc offert aux voluptés amoureuses, l'enclos frugal du vieux philosophe, les déserts hostiles où la fait errer Vénus et les temples, grottes, antres infernaux et autres fabriques caractéristiques des jardins du songe dont elle reçoit révélation et instruction, son itinéraire initiatique, promène Psyché à travers les diverses formes de l'imaginaire horticole propres à l'oeuvre du poète.

La grotte de l'Amour

Psyché, au fil de ses promenades, s'approche d'une grotte, dans laquelle elle va retrouver son mari, le dieu Amour. Chez Apulée, Psyché ne rencontre l'Amour que pendant la nuit ; chez La Fontaine, elle le rencontrera donc en pleine journée mais dans une grotte sombre.

On pourrait peut-être y voir un parallèle avec la grotte de Téthys, lieu où les quatre amis se retrouvent pour écouter l'histoire de Psyché.

« Un jour que la beauté d'un ruisseau l'avoit attirée, elle se laissa conduire insensiblement aux replis de l'onde. Après bien des tours, elle parvint à sa source. C'étoit une grotte spacieuse, où, dans un bassin taillé par les seules mains de la Nature, couloit le long d'un rocher une eau argentée, et qui, par son bruit, invitoit à un doux sommel. Psyché ne put se tenir d'entrer dans la grotte. Comme elle en visitoit les recoins, la clarté, qui alloit toujours en diminuant, lui fallit enfin tout à coup. Il y avoit certainement de quoi faire peur ; mais elle n'en eut pas le loisir. Une voix qui lui étoit familière l'assura d'abord : c'étoit celle de son époux. Il s'approcha d'elle, la fit asseoir sur un siège couvert de mousse... » (p. 54)

La maison du vieillard

Pour échapper à Vénus, Psyché va se réfugier quelque temps chez un vieillard et ses deux petites-filles, qui habitent une maison éloignée de tous lieux accessibles, en pleine nature. En effet, pour y accéder, il faut traverser ronces, torrents, ruisseaux, passer au-dessus de troncs d'arbres... Psyché arrivera à vaincre ses peurs en suivant les conseils du vieillard et poussée par une nouvelle force en elle.

Maison de campagne, dans laquelle le vieillard se plaît à philosopher et à protéger ses petites-filles du monde extérieur ; seule la nature règne sur cet endroit et sur cette petite famille. Psyché y apprendra beaucoup et ensuite prendra la décision de rechercher son mari, puis de se rendre à Vénus. Pour définir le site habité par le vieillard, La Fontaine procède à une curieuse combinaison du locus terribilis et du locus amoenus. Ainsi, le torrent barre le chemin à Psyché en même temps que le nombre infini de sources qui s'y jettent forment un gazouillement. La demeure du vieillard, de même, tient le milieu entre les séductions de la convention idyllique et une certaine rudesse primitive : « rien de sauvage, tout était à l'entour mais on y vivait à peu près comme chez les premiers humains ». Or, loin de l'âge d'or en état d'apesenteur, les habitants vertueux de ces lieux n'ignorent pas le travail : les deux bergères s'occupent effectivement de leurs chèvres et filent la laine, tandis que leur grand-père, nouveau vieillard de Tarente, s'adonne au jardinage et à la pêche. Cette configuration mêlée est délicate à interpréter. Ce charme de l'affreux est-il seulement de nature esthétique ou bien manifeste-t-il la position morale de la solitude ? Sans doute, en est-il un peu des deux.

« De nouveaux obstacles se présentèrent. Il falloit encore grimper, et grimper par dedans un bois si touffu, que l'ombre éternelle n'est pas plus noire. Psyché suivoit le vieillard, et le tenoit par l'habit. Après bien des peines, ils arrivèrent à une petite esplanade assez découverte et employée à divers offices ; c'étoit les jardins, la cour principale, les avant-cours, et les avenues de cette demeure. Elle fournissoit des fleurs à son maître, et un peu de fruits, et d'autres richesses du jardinage.

De là ils montèrent à l'habitation du vieillard par des degrés et par des perrons qui n'avoient point eu d'autre architecte que la nature : aussi tenoient-ils un peu du toscan, pour en dire la vérité. Ce palais n'avoit pour toit que cinq ou six arbres d'une prodigieuse hauteur, dont les racines cherchoient passage entre les voûtes de ces rochers.... Le vieillard couchoit en une enfonçure du rocher, sans autre tapis de pied qu'un peu de mousse étendue, et sur cette mousse l'équipage du dieu Morphée. Un autre rocher plus spacieux et plus richement meublé étoit l'appartement des deux jeunes filles. Mille petits ouvrages de jonc et d'écorce tendre y tenoient lieu de tapisserie, de plumes d'oiseaux, des festons, balcons, des corbeilles remplies de fleurs. La porte du roc servoit aussi de fenêtre, comme celles de nos balcons ; et, par le moyen de l'esplanade, elle découvroit un pays fort grand, diversifié, agréable : le vieillard avoit abattu les arbres qui pouvoient nuire à la vue. » (p. 136, 139, 140)

Les temples de Diane et de Pallas 

Ces deux déesses, non présentes chez Apulée, ont leur temple dans la forêt. C'est le temple de Diane qui est surtout évoqué. Le temple a une allure champêtre et est d'ailleurs situé en pleine nature, dans un lieu propice à la chasse, ce qui est normal pour Diane, la déesse de la chasse. Psyché va voir Diane et Pallas pour trouver refuge dans leur temple et leur demander qu'elles apaisent le courroux de Vénus. Comme on le sait, cela ne servira à rien.

« Le lieu étoit à l'entrée d'une forêt extrêmement solitaire et propre à la chasse. Diane y avoit un temple dont elle faisoit une de ses maisons de plaisir. On faisoit environ deux mille pas dans le bois ; puis on rencontrait une clairière qui servoit comme parvis du temple. Il étoit petit, mais d'une fort belle architecture. Au milieu de la clairière, on avoit placé un obélisque de marbre blanc, à quatre faces, posé par autant de boules, et élevé sur un piedestal ayant de hauteur moitié de celle de l'obélisque. Sur chaque côté du plinthe qui regardoit directement, aussi bien que les faces de la pyramide, le midi, le septentrion, le couchant et le levant, étoient entaillés ces mots :

QUI QUE TU SOIS,
QUI AS SACRIFIE A L'AMOUR
OU A L'HYMENEE ?
GARDE-TOI D'ENTRER
DANS MON SANCTUAIRE. » (p. 181-182)

Le temple de Vénus

Chez Apulée, lorsque Psyché se rend à Vénus, elle se rend chez elle mais le lieu n'est pas très explicite tandis que chez La Fontaine, Psyché se dirige vers un temple de Vénus pour lui parler ; Vénus l'y rejoindra puis lui dira de se rendre dans ses appartements, à Paphos. Le temple de Vénus se situe dans un lieu des plus idylliques, dans une petite vallée où coule un canal entouré de prairies vertes comme de l'émeraude et bordées d'ombrages. Les nymphes et les petits amours y affluent. Avant d'arriver au temple proprement dit, Psyché passe à un lieu nommé les deux sépultures : tombeau de deux jeunes filles : Myrtis et Mégano, Myrtis ayant beaucoup d'esprit et point de beauté et Mégano l'inverse. Philocharès, roi de Lydie préféra Myrtis et voulut qu'on la nomma Aphrodisée et Mégano fut nommée, en contre partie, Anaphrodisée. On construisit un mausolée en leur mémoire, près d'un temple à Vénus. On peut lire sur celui-ci :

« Ici repose Myrtis, qui parvint à la royauté par ses charmes, et qui en acquit le surnom d'Aphrodisée. Vous qui allez visiter ce temple, arrêtez un peu, et écoutez-moi. de simple bergère que j'étois née, je me suis vue reine. Ce qui m'a procuré ce bien, ce n'est pas tant la beauté que ce sont les grâces. J'ai plu, et cela suffit. C'est ce que j'avois à vous dire. Honorez ma tombe de quelques fleurs ; et pour récompense, veuille la déesse des grâces que vous plaisiez !

Sur l'autre versant, on trouvait : Ici sont les cendres de Mégano, qui ne put gagner le coeur qu'elle contestoit, quoiqu'elle eut une beauté accomplie. Si les rois ne m'ont aimée, ce n'est pas que je ne fusse assez belle pour mériter que les dieux m'aimassent ; mais je n'étois pas, dit-on, assez jolie. Cela se peut-il ? Oui, cela se peut, et si bien qu'on me préféra ma compagne. Elle en acquit le surnom d'Aphrodisée, moi celui d'Anaphrodite. J'en suis morte de déplaisir. Adieu, passant ; je ne te retiens pas davantage. Sois plus heureux que je n'ai été, et ne te mets point en peine de donner des larmes à ma mémoire. Si je n'ai fait la joie de personne, du moins ne veux-je troubler la joie de personne aussi. » (p. 189-190)

Psyché pleura intensément sur le sort de Mégano et dit qu'elle ne comprenait pas son histoire. Ensuite, elle peut enfin considérer le temple de Vénus :

« L'architecte s'était servi de l'ordre ionique à cause de son élégance. De tout cela il résultoit que une Vénus que je ne saurois vous dépeindre. Le frontispice répondoit merveilleusement bien au corps. Sur le tympan du fronton se voyoit la naissance de Cythérée en figures de haut relief. Elle étoit assise dans une conque, en l'état d'une personne qui viendroit de se baigner, et qui ne feroit que sortir de l'eau. Une des Grâces lui épreignoit les cheveux encore tout mouillés ; une autre tenoit des habits tout prêts pour les lui vêtir dès que la troisième auroit achevé de l'essuyer. La déesse regardoit son fils, qui menaçoit déjà l'univers d'une de ses flèches. Deux sirènes tiroient la conque :amis, comme cette machine étoit grande, le Zéphyre la poussoit un peu. Des légions de Jeux et de Ris se promenoient dans les airs ; car Vénus naquit avec tout son équipage, toute grande, toute formée, toute prête à recevoir l'amour et à en donner. Les gens de Paphos se voyoient de loin sur la rive, tendant les mains, les levant au ciel, et ravis d'admiration. Les colonnes et l'entablement étoient d'un marbre plus blanc qu'albâtre. Sur la frise une table de marbre noir portoit pour inscription du temple :

A LA DEESSE DES GRACES.

Deux enfants à demi couchés sur l'architrave laissoient pendre à des cordons une médaille à deux têtes : c'étoient celles des fondateurs. A l'entour des médailles on voyoit écrit :

PHILOCHARES ET MYRTIS APHRODISEE, SON EPOUSE, ONT DEDIE CE
TEMPLE A VENUS.

Sur chaque base des deux colonnes les plus proches de la porte, étoient entaillés ces mots : OUVRAGE DE LYSIMANTE ; nom de l'architecte apparemment.

Avant que d'entrer dans le temple, je vous dirai un mot du parvis. C'étoient des portiques ou galeries basses ; et au-dessus des appartements fort superbes, chambres dorées, cabinets et bains ; enfin mille lieux où ceux qui apportoient de l'argent trouvoient de quoi l'employer ; ceux qui n'en apportoient point, on les renvoyoit. ... L'architecture du tabernacle n'étoit guère plus ornée que celle du temple, afin de garder la proportion, et de crainte aussi que la vue, étant dissipée par quantité d'ornements, ne s'arrêtât d'autant moins à considérer l'image de la déesse, laquelle étoit véritablement un chef-d'oeuvre. Quelques envieux ont dit que Praxitèle avoit pris la sienne sur le modèle de celle-là. On l'avoit placée dans une niche de marbre noir, entre des colonnes de cette même couleur ; ce qui la rendoit plus blanche, et faisoit un bel effet à la vue. » (190-192)


Notes

[1] La géographie est analysée tout en respectant le fil de l'histoire. [Retour au texte]

[2] Les temples et les sanctuaires étaient une des caractéristique du paysage antique, comme le sont aujourd'hui les églises dans les villages ou les crucifix dans les carrefours. Ils sont fréquemment représentés dans l'iconographie. [Retour au texte]

[3] Apul., Mét., IV, 33, 1-2: « Sur un rocher de la montagne élevée, roi, pose ta fille ornée par la parure d'un mariage funèbre. N'attends pas un gendre né de race mortelle, mais un monstre cruel et féroce et vipéreux, qui volant avec ses ailes au-dessus du ciel fatigue tout le monde et blesse avec la flamme et le fer chaque chose, que Jupiter lui-même redoute, par qui les divinités sont terrifiées, et à cause duquel les fleuves et les ténèbres du Styx sont horrifiés. » [Retour au texte]

[3a] N. Fick-Michel, Art et mystique dans les « Métamorphoses » d'Apulée, Paris, 1991, 667 p. (Annales littéraires de l' Université de Franche-Comté, 451. Centre de recherches d'histoire ancienne, 109. Institut Félix Gaffiot, 10) - J. Houston, Psychologie sacrée : l'union avec le bien-aimé de l'âme, Saint-Jean-de-Braye, 1990, p. 219-273 - J. Rousset, L'intérieur et l'extérieur. Essai sur la poésie et le théâtre au XVIIe siècle, Paris, 1976, 276 p. - A. Scobie, Apuleius and Foklore, Londres, 1983, 345 p. - S. Schoettke, La Fontaine et la poétique de l'amour, dans « Le Fablier », n° 8, Château-Thierry, 1996, p. 137-143. [Retour au texte]

[4] Apul., Mét., IV, 35, 2: « On va vers le rocher établi du mont élevé ; après avoir placé la jeune fille sur le sommet le plus élevé, tous l'abandonnèrent, laissant les torches nuptiales, dont ils s'étaient éclairés, là même éteintes par leurs larmes. » [Retour au texte]

[5] Apul., Mét., V, 1, 2-7 : « Elle voit un bois planté d'arbres hauts et larges, elle voit une fontaine transparente d'une eau à l'eau de verre ; au milieu du bois, près de l'arrivée de la source, un palais royal est édifié non pas par mains d'homme mais par techniques divines. Tu sauras déjà dès la première entrée, que tu vois la résidence distinguée et agréable d'un quelconque dieu. Des colonnes en or vont en-dessous des caissons tout en haut creusés avec soin, en tuya et ivoire ; toutes les parois sont couvertes par une ciselure en argent, des bêtes et des animaux de ce type se présentant devant le visage de ceux qui entrent. Absolument étonnant, l'homme au contraire, le demi-dieu ou peut-être même un dieu qui par la subtilité d'un grand art a animé tant d'argent. Et en plus les pavements eux-mêmes sont divisés en différents types de peinture, de la pierre précieuse ayant été réduite en petits morceaux. Vivement heureux à plusieurs reprises ceux qui piétinent des gemmes et des bijoux! Déjà les parties restantes de la maison disposées en longueur et en largeur sont d'un prix sans valeur et tous les murs consolidés avec des masses d'or resplendissent de leur propre éclat, de sorte qu'ils font leur propre jour à leur maison, sans le vouloir du soleil : ainsi les chambres ainsi les portiques ainsi les battants mêmes des portes lancent des éclairs. Les autres richesses de la maison répondent pareillement à sa grandeur, de sorte que assurément à bon droit cela est vu comme un palais fabriqué par le grand Jupiter céleste pour une fréquentation humaine. » [Retour au texte]

[6] Apul., Mét., VI, 1, 3-4: « Et les hauteurs vaillament gravies, elle se porte proche des sièges de la divinité. Elle voit des épis de blé en tas et les autres tressés en couronne et des épis d'orge. Il y avait aussi des faux et tout un attirail des oeuvres des moissons, mais tout cela jeté çà et là et tout confus comme il est habituel en été, jetés par les mains des laboureurs. » [Retour au texte]

[7] Apul., Mét., VI, 4: « Repoussée contre son espoir et affligée par le double chagrin, Psyché revenant en arrière, à travers le demi-jour d'un bois sacré, elle aperçoit au-dessous d'elle un temple construit avec un art savant, ne voulant omettre aucune chose, même douteuse d'espoir meilleur mais aller vers n'importe quel dieu, elle s'approche de l'entrée aux portes sacrées. » [Retour au texte]

[8] Apul., Mét., VI, 20, 3: « N'acceptant ni le siège délicat de son hôtesse ni la nourriture heureuse mais s'asseyant devant ses pieds, sur le sol, satisfaite d'un pain grossier, elle expose sa mission venant de Vénus. » [Retour au texte]

[9] Extrait d'un article très intéressant sur Versailles paru dans le magazine: « Notre Monde encyclopédie » et reproduit dans le dossier d'annexes [non repris ici]. [Retour au texte]

[10] La Fontaine, Les Amours..., pp. 19, 20, 21, 22. Quelques représentations de Versailles, de la grotte et de ses jardins tels qu'ils étaient à l'époque de La Fontaine figurent dans le dossier d'annexes [non repris ici]. [Retour au texte]

[11] « Nous nous sommes assis sur le bord des fleuves de Babylone, et là nous avons pleuré en nous souvenant de Sion. » cfr Psaumes, CXXXVI, 1, trad. Lemaître de Sacy. [Retour au texte]

[12] La « douce mélancolie » de La Fontaine évoque la « douce terreur », compagne de la « pitié charmante » dans la définition que Boileau donne de la tragédie (Art Poétique, III, v. 18-19). Mais Ariste, célébrant le sublime de la tragédie, parlait quant à lui de la « douceur » de ses « charmes ». [Retour au texte]


FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 4 - juillet-décembre 2002

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