Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 188b-193a

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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 LA GRANDE-BRETAGNE ET SES ROIS (1ère partie)

Des origines lointaines à l'arrivée des Romains

Texte et traduction


 

Introduction générale

 

Transition

A. Les origines lointaines de la Grande-Bretagne jusqu'à Brutus qui en devient le premier roi

B. Les successeurs légendaires de Brutus jusqu'à l'arrivée des Romains (de Locrinus, le 2e roi, à Lud, le 52e)

 

C. La période romaine et la christianisation (de Cassibellan, 53e roi, à Gratien, le 74e) (fichier suivant)

D. La période anglo-saxonne : L'invasion de la Grande-Bretagne par les Angles - Merlin, Arthur et la « matière de Bretagne » - Les rois de Constantin II, 75e roi, à Guillaume le Conquérant, 101e roi) (fichier suivant)

Brève introduction historique sur la période anglo-saxonne (fichier suivant)

a. L'invasion par les Angles - Constantin II (75e roi), Constant (le 76e), Vortegirn (le 77e), Aurèle (le 78e) (fichier suivant)

b. Uther (79e roi) - Merlin (fichier suivant)

c. Arthur (80e roi), les chevaliers de la Table Ronde et Constantin III  (81e roi) (fichier suivant)

d. Les successeurs de Constantin III jusqu'à Guillaume le Conquérant (101e roi) (fichier suivant)

E. De Guillaume le Conquérant (101e roi) au roi Henri qui régnait en 1440 (117e roi) (fichier suivant)

 


 

 

Introduction générale

 

Une longue digression sur les rois de Bretagne

Les deux fichiers qui vont suivre (II, p. 188-193 et II, p. 193-203) peuvent être considérés comme une longue digression dans un récit qui se présente comme une chronique, c'est-à-dire une suite d'informations historiques placées dans l'ordre chronologique.

Dans le système de Jean, le fichier qui précédait (II, p. 181-188, cfr aussi la brève bibliographie correspondante) couvrait les années 494 à 504 de l'Incarnation, date de la mort d'Uther Pendragon. Il comprenait deux parties. La première était centrée sur le grand tournoi organisé à Caerleon (Carlisle) en Grande-Bretagne où Paris, le jeune héritier du trône franc chassé par le roi Clotaire, entrait en contact avec quelques-uns des héros de la « matière de Bretagne » pour leur demander de l'aide. La seconde partie, décrivant ce qui se passait à cette époque dans le royaume franc, rapportait successivement les réactions de Clotaire devant cette attitude de Paris, la mort du roi, le partage du royaume entre ses quatre fils (Caribert, Chilpéric, Gontran et Sigebert) et le destin matrimonial de chacun d'eux.

Le temps va désormais être arrêté par une très longue présentation consacrée à la Grande-Bretagne, moins à son histoire comme telle qu'à l'énumération de ses rois, depuis le premier d'entre eux jusqu'à celui qui régnait sur le pays en 1440. L'exposé chronologique des faits ne reprendra qu'avec le fichier II, p. 203-218 rapportant les événements de l'année 504 de l'Incarnation, qui vont remettre en contact le monde franc et le monde breton.

 

Cette digression  s'explique par le souci de Jean de fusionner ce qu'on appellerait la « matière de France » avec la « matière de Bretagne »

La présence de cette longue digression sur la Grande-Bretagne s'explique assez facilement. Dans l'esprit du chroniqueur, les deux mondes sont connectés en profondeur. Or, jusqu'ici, dans son Myreur, il n'avait pas encore dit grand-chose à ses lecteurs sur la Grande-Bretagne et ses rois. C'est une lacune qu'il doit combler. Et on aperçoit très vite le centre de son intérêt : le célèbre roi Arthur, dont la place dans la littérature médiévale est extrêmement importante, surtout pour un auteur, comme Jean d'Outremeuse, passionné par les Chansons de Geste.

Bien sûr Jean aurait pu se contenter de présenter à son lecteur le cas du seul roi Arthur ; il aurait pu lui épargner cette longue et ennuyeuse énumération de plus de cent rois bretons, les uns précédant le héros central, les autres le suivant. Mais on sait que la mesure et l'équilibre ne sont pas ses caractéristiques premières. Il a choisi d'en dire beaucoup sur la question, sans trop se préoccuper d'harmoniser et d'équilibrer la présentation de son sujet. En fait il  ne va pas seulement parler d'Arthur et de son époque, mais essayer de tout dire sur l'ensemble des rois de Bretagne.

 

Il était traducteur et il avait sous la main du matériel intéressant

D'autant plus qu'il était traducteur et que son but déclaré était de mettre des oeuvres latines à la disposition d'un public qui ne lisait pas le latin (cfr, I, p. 1-2). Et effectivement il a présenté à plusieurs reprises dans le Myreur ce que l'on peut considérer comme des traductions d'oeuvres latines (cfr notre article sur la Typologie des structures narratives dans le Myreur, paru dans les FEC, t. 35, 2018, p. 12-21). Comme exemples de traités entiers ou de fragments importants de traités dont Jean a intégré la traduction dans son œuvre, pratiquement sans modifier l'original, on citera les cas des Mirabilia urbis Romae, des Indulgentiae ecclesiarum urbis Romae, de la Mappemonde de Brunetto Latini ou encore de la Vie d'Adam et d'Ève, d'autant plus intéressants à étudier qu'on en possède les originaux latins.

La situation, dans le cas qui nous occupe, est un peu différente. La source que Jean a utilisée pour une grande partie de son travail est l'Historia Regum Britanniae (« Histoire des rois de Bretagne »), une oeuvre rédigée entre 1135 et 1138, en 12 livres et en latin par Geoffroy de Monmouth. Elle raconte l'histoire des rois bretons depuis l'origine, c'est-à-dire Brutus, arrière-petit-fils d'Énée [...], jusqu'à Cadvalladr, un roi de la fin du VIIe siècle, en passant par l'illustre roi Arthur et l'enchanteur Merlin. Cet ouvrage de Geoffroy nous a été intégralement conservé, et nous savons, sans l'ombre d'un doute, qu'il a très largement nourri l'auteur du Myreur. Notre chroniqueur a aussi utilisé l'Historia ecclesiastica gentis Anglorum de Bède le Vénérable (mort en 735), rédigée en 5 livres et en latin vers 731. Elle commençait au débarquement de César en Bretagne et le dernier nom de roi qu'elle citait était celui de Ethelbald, roi du Kent en 731. À en juger d'après le nombre de manuscrits conservés, ces deux oeuvres étaient très connues au Moyen-Âge. Mais elles ne pouvaient évidemment plus lui être utiles pour les rois postérieurs à 731 de notre ère.

Comme il écrivait entre 1135 et 1138, Geoffroy a également eu connaissance des travaux de deux de ses contemporains dont il donne le nom à la fin de son Historia Regum Britaniae.

Le premier est Guilllaume de Malmesbury (ca. 1090-1143), dont les ouvrages Gesta regum Anglorum (2 vol., texte et traduction, Oxford, 1998-1999) et Historia novella (texte et traduction, Oxford, 1998), retracent à eux deux l'histoire de l'Angleterre de 449 à 1142.  Le second est Henri de Huntingdon (ca. 1088-1160). Son livre (Historia Anglorum, texte et traduction, Oxford, 1996) couvre la période allant de l’invasion romaine de 43 a.C. à l’accession au trône d’Henri II en 1154. Comme ceux de Guillaume de Malmesbury, celui de Henri de Huntingdon est publié dans la collection Oxford Medieval Texts.

 

Quelques précisions complémentaires sur les sources

Mais si l'on veut donner une vue plus précise et plus complète sur les sources (réelles ou potentielles) de Jean dans ces pages, il faudrait également mentionner d'autres ouvrages.

Il y a ceux qui sont connus pour avoir influencé l'Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth. C'est le cas du De excidio et conquestu Britanniae de Gildas, une violente diatribe contre les Bretons qui fut composée vers 547 et que nous avons conservée. C'est le cas aussi de l'Historia Brittonum anonyme, dite de Nennius, qui nous est également parvenue et qui a trait à l'histoire de l'île de Bretagne (notamment à celle du pays de Galles). L'ouvrage est très difficile à dater, car il consiste en une juxtaposition de textes d'époques différentes (du IXe au XIe siècle).

Geoffroy reconnaît l'utilisation de Gildas mais ne dit rien explicitement de Nennius. Par contre il peut être piquant de relever qu'il présente lui-même l'ensemble de son livre comme la simple traduction d'une source bretonne unique, à laquelle il donne le nom de Britannici sermonis liber vetustissimus (cfr M, p. 13-14). En réalité, l'existence de cette source bretonne est loin d'être acceptée par tous les spécialistes. Elle « semble bien relever de l'artifice littéraire » (cfr M, p. 296, n. 62).

 

Il y a ensuite les traductions/adaptations médiévales françaises de l'Historia regum Britanniae de Geoffroy. Et il en existe plusieurs.

La plus ancienne en vers (1155), intitulée Roman de Brut (1155), est due au poète normand Robert Wace. Elle a été éditée notamment par Le Roux de Lincy (Rouen, 1836-1838, en 2 vol.) et par Ivor Arnold (Paris, 1938-1940, SATF, en 2 vol. également). La plus ancienne en prose (XIIIe siècle), intitulée L’Estoire de Brutus, a été éditée pour la première fois par Géraldine Veysseyre (2014, Paris, Garnier). « Elle se singularise de son illustre prédécesseur, le Roman de Brut de Wace, par les liens génériques, esthétiques et matériels qui l’unissent à l’Histoire ancienne jusqu’à César ». Mais il existe encore d'autres traductions/adaptations, comme par exemple les Croniques des Bretons (début XVe) ou le Roman de Brut de Jehan Wauquelin (milieu XVe). On pourra voir sur cette question le dossier d'ARLIMA sur Geoffroy de Monmouth, mis à jour en août 2022.

Un dernier mot, assez plaisant, concernant les sources dont il vient d'être question. Jean a abondamment utilisé l'Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth, mais il ne le dit nulle part, ni dans le déroulé des notices sur les 117 règnes qu'on peut lire dans les présents fichiers, ni dans les pages de son introduction au Myreur, où il énumère longuement ses sources (I, p. 2-4). Mais on sait combien cette énumération, au début du Myreur, est peu fiable.

 

Quelques caractéristiques de notre travail

Qu'allons-nous faire avec cette liste de rois de Bretagne, qui ne consiste pas dans une simple traduction du modèle qu'il suit ? Ce que Jean nous donne à lire, c'est un résumé, généralement très succinct d'ailleurs, parce qu'il se limite fondamentalement à des noms, des durées de règnes et quelques faits, souvent d'ordre militaire ou religieux. Dans le présent travail, Il nous serait impossible, pour chaque  notice, d'en rechercher la source exacte et, si nous la trouvions, de la comparer avec le texte du Myreur. Il nous serait tout aussi impossible d'aborder la question de l'historicité de chacun des rois cités. Beaucoup d'entre eux d'ailleurs sont légendaires.

La liste de Jean d'ailleurs est incomplète. Il laisse tomber des noms bien présents dans sa source. Nous ne prendrons que deux exemples évoqués plus haut. Ainsi, nous avons dit que la liste royale chez Geoffroy se terminait par Cadvalladr, un roi du Gwynedd, mort en 682. Jean n'en dit pas un mot, pas plus d'ailleurs qu'il ne parle de ses deux prédécesseurs directs sur le trône du Gwynedd, à savoir Cadvallo et Cadvan, dont traite pourtant Geoffroy. Nous avons également dit que le dernier roi cité par Bède était Ethelbald, qui régnait sur le Kent en 731. Ce roi n'apparaît pas non plus chez Jean. On ignore totalement la raison des coupures qu'il a opérées dans ses sources.

De ces sources, nous avons donné une liste plus haut. Il ne faudrait toutefois pas croire qu'elle était complète. À la période anglo-saxonne par exemple, ‒ une période difficile à appréhender avec précision et que certains historiens modernes présentent parfois comme des Dark Ages ‒, la Bretagne était morcelée en de nombreux petits états différents avec à leur tête des chefs dont certains portaient le titre de rois.  Les ouvrages des historiens modernes qui ont travaillé sur le sujet avec des sources plus complètes recensent beaucoup plus de rois que ceux qui apparaissent dans les textes littéraires du Moyen Âge.

Une autre difficulté est que la liste de Jean est d'autant plus difficile à utiliser, historiquement parlant, que les différentes périodes ne sont pas très clairement présentées. Nous nous efforcerons d'introduire des divisions et d'expliquer, dans les notes de lecture, les éléments historiques indispensables.

Reste un problème, beaucoup plus compliqué à résoudre : les noms des rois. L'éditeur Borgnet avait noté que Geoffroy présentait, dans la graphie des noms, de grandes différences par rapport au texte du Myreur, et qu'il se bornerait pour sa part à reproduire le texte de Jean. Pour une question de meilleure lisibilité pour le lecteur, nous ne procéderons pas de cette manière. En ce qui concerne les noms propres (de personnes ou de lieux), nous donnerons le texte original de Jean, celui qui figure dans le manuscrit, mais, dans toute la mesure du possible, dans notre traduction et nos notes, nous adopterons l'orthographe proposée par les auteurs modernes, éventuellement par l'éditeur Borgnet, mais surtout par Laurence Mathey-Maille dans son édition de 1992 (Geoffroy de Monmouth. Histoire des rois de Bretagne. Traduit et commenté par Laurence Mathey-Maille, Paris, Les Belles Lettres, 1992, 360 p. [La Roue à Livres], qui traduit le texte de l'édition Neil Wright, The Historia regum Britannie of Geoffrey of Monmouth. I. Bern, Burgerbibliothek, MS. 568. Edited by Neil Wright, Cambridge, 1985, 174 p.

Cet ouvrage nous a été d'une très grande aide et nous y renverrons dans la suite par la lettre majuscule M précédée de l'indication du paragraphe (§) ou de la page (p). Quand nous n'aurons pas de graphie moderne à proposer, car certains noms donnent l'impression d'avoir été inventés par Jean, nous conserverons telles quelles les formes fournies par le Myreur.

Résumons les choses. Un commentaire approfondi d'une pareille liste est pratiquement impossible ici. Il nécessiterait d'abord une confrontation systématique entre le texte de Jean et celui de sa source (quand il est possible de l'identifier), ensuite une analyse de l'historicité de la notice fournie. Les notes de lecture que nous proposerons à l'occasion consisteront simplement tantôt en des informations historiques, tantôt en des rapprochements possibles entre la liste royale et d'autres passages du Myreur, tantôt encore en des observations générales qui nous ont paru intéressantes. Pour plus d'informations, on renverra à la traduction de Laurence Mathey-Maille, et on signalera le très long et très précieux chapitre intitulé Le Monde de Geoffroi de Monmouth dans le gros volume de M. Aurell, La légende du roi Arthur, Paris, 2018, p. 135-217.

Quelques mots encore avant de passer au texte et à la traduction.

 


 

Transition

 

La présence du roi Uther Pendragon dans l'introduction de la liste royale sert en quelque sorte à faciliter la transition avec le fichier précédent qui évoquait le grand tournoi où s'étaient rencontrés à Carlisle (Caerleon) en Grande-Bretagne Tristan, roi de Léonois dans les Cornouailles, Uther Pendragon, roi de Grande-Bretagne, et son fils Arthur, ainsi que Paris, jeune héritier du trône de France, chassé par Clotaire et venu demander de l'aide à la cour d'Uther. La liste des rois de Bretagne (conduisant jusqu'au début du XVe siècle) va être insérée très artificiellement dans les événements (ici sa mort) du règne d'Uther Pendrangon, qu'on retrouvera plus loin à sa place chronologique en II, p. 197, au n° 79 de la liste des rois. On est ici dans un rupture nette de la chronologie.

Une autre remarque concerne la conception que se fait Jean de la chronique. Il en avait déjà fait état précédemment (cfr p. 181), dans une formulation peut-être un peu différente et plus explicite : à son sens les récits détaillés ne sont pas à leur place dans une chronique universelle comme la sienne. La chronique n'a pas à raconter toutes les belles histoires qu'on trouve dans les ouvrages consacrés spécifiquement aux différents peuples. Jean semble bien réaliser le caractère peu attirant de la longue liste de rois qu'il a laborieusement concoctée. Ceux qui veulent de belles histoires doivent aller voir ailleurs !

On notera aussi la nouvelle allusion au roi Arthur. Jean d'Outremeuse s'intéresse  à ce personnage, mais le lecteur devra attendre jusqu'en II, p. 198, pour avoir sur lui les premières informations complémentaires, et jusqu'en II, p. 203ss, pour en avoir d'autres. La matière est morcelée.

 

[II, p. 188b] [De roy de Bretangne] Item, l'an Vc et IIII, morut en la Grande Bretangne ly roy Uterpandragon qui avoit regneit valhamment, et, quenque ons en pusse compteir, ilh morut par une plaie que ilh avait rechuit de une espiel envinemeis, contre les Saynes en une batalhe qu'ilh avoit oyut en cel an meismes et les avoit desconfis : chis roy Uterpandragon fut mult bon chevalier, et issit del droit sanc de Bretangne ou de Longre, car ons nomoit sa terre Bretangne, et oussi le nomoit-ons Longre apres les noms des roys qui promiers regnont en la terre.

[II, p. 188b] [Le roi de Bretagne] En l’an 504, en Grande-Bretagne, mourut le roi Uther Pendragon, qui avait régné vaillamment. Quoi qu'on ait pu raconter, il mourut d’une plaie causée par un coup d’épieu empoisonné, dans une bataille menée cette année-là contre les Saxons qu’il avait vaincus. Ce roi Uther Pendragon fut un excellent chevalier, directement issu du sang de Bretagne ou de Londres, car son pays était appelé Bretagne, mais aussi Londres, d’après les noms des rois qui les premiers régnèrent sur ce territoire.

Et portant que les histoirs de ches pays dont je parolle sont mult belles et sont longes, elles sont par elles acopuleez, sique chis present croniques n'en fait nient si expresse mention, et oussi ilh ne fait de pluseurs altres qui sont acopuleez par elles.

Les histoires des pays dont je parle sont très belles, elles sont longues et liées entre elles. Mais la présente chronique n’en fait pas expressément mention, pas plus que de beaucoup d’autres récits qui se rattachent à elles. [pour la même idée, cfr II, p. 181]

[Des roys d’Engleterre] Mains totvoie je vos feray mention des roys qui regnont en la Grant-Bretangne, et comment ilh y avient jusques al roy Artus où nos summes maintenant. Et qui plus avant en wet savoir, se le prende-ons en l'histoir de Engleterre, en queiles ons puet troveir mult de belles aventures.

[Les rois d’Angleterre] Néanmoins, je mentionnerai les rois qui régnèrent en Grande-Bretagne, et comment on en arrive au roi Arthur, qui nous occupera maintenant. Si quelqu'un veut en savoir davantage, qu’il aille le chercher dans les histoires d’Angleterre, où on peut trouver quantité de belles aventures.

 

 

A. Les origines lointaines de la Grande-Bretagne jusqu'à Brutus qui en devient le premier roi

 

On trouve ici un passage où Jean d'Outremeuse fait le lien avec d'autres textes du Myreur. Il y rappelle même que sa chronique commence par la destruction de Troie. Et effectivement, au début du Myreur,  il avait déjà été question d'Énée, des Latins, de Lavinie, de Didon, d'Ascagne, d'Énéoc, de Didaine devenue Carthage, voire même de Silvius, fils d'Énée. Mais là s'arrêtent les correspondances.

En I, p. 31-32, Jean avait bien mentionné un Silvius (Postumus), fils d'Énée. Mais celui-ci épouse une certaine Odela, qui lui donne deux fils, dont un certain Broncus, présenté comme le « futur fondateur de la Grande-Bretagne ». Il n'est pas question d'un quelconque Brutus, et des réalisations de celui-ci dans son nouveau pays : guerres contre les Grecs (en Grande-Bretagne !), mariage avec la fille de l'empereur grec Pandrasus (toujours en Grande-Bretagne !), fondation de nombreuses cités dont Troie-la-Neuve.

Pour obtenir un bilan précis des ressemblances et des diffférences, il faudrait confronter dans le détail la version de Jean avec celle de Geoffroy (très longue, 24 pages dans la traduction de L. Mathey-Maille sont consacrées à l'histoire de Brutus). Jean ne suit pas fidèlement Geoffroy, sauf sur quelques points précis, comme l'existence de trois fils de Brutus, Locrinus, Kamber et Albanactus (II, p. 189). Un simple exemple de modification : chez Geoffroy, la fille de Pandrasus que Brutus épouse s'appelle Innogen, Jean lui donne le nom de Drymegon.

 

[Des heures Eneas de Troie fut fondée Engleterre] Vos aveis bien oiit, al commenchement de chi present croniques, qui commenche droit à la destruction de la Grande Troie qui fuit destruite par les Grigois, sicom est escript par deseur, comment ilh s'en partirent pluseurs prinches qui s'en alèrent habiteir en pluseurs parties de monde ; et specialment ilh soy partit entres les aultres unc valhans dus fut nomeis Eneas, qui vient habiteir en la royalme des Latins, car en toute l'isle de Europe ilh n'avoit adont terre qui fust habitée de gens, se la royalme nom, que je dis.

[Les héritiers d’Énée de Troie ont fondé l’Angleterre] Au début de la présente chronique, qui commence directement par la destruction de la Grande Troie par les Grecs, vous avez entendu que beaucoup de princes s’en allèrent habiter différentes parties du monde. Parmi eux, en particulier, un vaillant duc nommé Énée vint s'installer dans le royaume des Latins, car à cette époque, l’Europe ne comptait aucun pays habité, sinon le royaume dont je parle.

Chis Eneas y vient, et prist à femme une pucelle qui fut nomée Lavine, qui astoit filhe à roy des Latins ; et fondat une citeit qui fut nomée apres luy Eneoc, en droit lieu où Romme siet, et fut roy de Ytaile li et ses heures, et monteplirent si bien, que chu fut empire et encor est-ilh empire de Romme.

Cet Énée y vint et épousa une pucelle, nommée Lavinie, fille du roi des Latins. Il fonda une cité appelée Enéoc, d’après son nom à lui, à l’endroit exact où se trouve Rome. Lui et ses descendants régnèrent en Italie, se multipliant au point de devenir un empire, qui maintenant encore est l’empire romain.

Chis Eneas avoit devant oyut une altre femme, qui mort astoit, qui oit nom Dydo : chu fut celle qui fondat le vilhe Dydaine, qui puis fut mult bien redifié et engrendie de roy de Cartaige d'Affrique, qui solonc son nom le nomat Cartaige. Chis Eneas oit unc fis de sa promier femme Dydo qui fut nomeis Ascanus ; qui fut roy après son peire Eneas de la royne des Latins et de Ytaile.

Cet Énée avait eu précédemment une autre femme, du nom de Didon : c’est elle qui fonda la ville de Didaine, qui par la suite fut très bien reconstruite et agrandie par le roi de Carthage en Afrique ; il l’appela Carthage, d’après son nom. Énée eut de sa première femme Didon un fils, qui porta le nom d’Ascagne ; après son père Énée, il devint roi du royaume des Latins et de l’Italie.

Et si oit encor [II, p. 189] unc altre fis de Lavine, la seconde femme, qui fut nomeis Silvius, liqueis Silvius oit unc fis qui oit nom Broutus. Chis fut bon chevalier, et puissans, et entreprendans ; ilh ne vot onques tenir riens de la terre son peire, et s'en allat en Gresse et assemblat chu de gens qu'ilh pot avoir, porqu'en ilh oit près conquesteit toute Gresse ; et toutvoie ilh ochist l'emperere en batalhe, et se desconfist pluseurs fois les Grigois.

Énée eut aussi [II, p. 189] de Lavinie, sa seconde femme, un autre fils, nommé Silvius. Ce Silvius eut un fils appelé Brutus. Celui-ci fut un bon chevalier, puissant et entreprenant. Ne voulant tenir aucune terre de son père, il s'en alla en Grèce après avoir rassemblé ce qu’il put avoir de troupes. Il conquit presque toute la Grèce, tua l’empereur dans un combat et défit les Grecs à plusieurs reprises.

Al derain, assavoir sour l'an de origination de monde IIIIm et IIIIxx ans, qui astoit ly an de la Nativiteit Joseph, le fis Jacob, VIc et XLVI -- car adont astoit li droit daute de temps, et le prendoit-ons à la Nativiteit Joseph -- adont montat Broutus sour mere awec ses gens, lyqueis Broutus avoit adont XX ans d'eaige tant seulement, et se ne poioit nuls dureir contre luy en batalhe ; ilh nagat tant, que la mere al derain le jettat en paiis où Engleterre siet maintenant, et là ilh fist fondeir et edifier pluseurs citeis, et commenchat les Grigois à guerroyer. Mains al derain ilh prist à femme Drymegon, le filhe Pandras l'emperere de Gresse, et, al IIIe année de sa regnation, il fist edifiier une citeit, que ilh nomat Troie-nove.

Finalement, c’est-à-dire en l’an 4080 de l’origine du monde, correspondant à l’an 646 de la Nativité de Joseph, le fils de Jacob -- c’était à l'époque la date exacte, basée sur la Nativité de Joseph -- Brutus monta sur mer avec ses gens. Il n’avait que vingt ans et personne ne pouvait lui résister dans un combat. Il navigua jusqu’à ce que la mer le fasse aborder dans le pays où se trouve maintenant l’Angleterre. Il y fit construire de nombreuses cités et commença à guerroyer contre les Grecs. Finalement, il prit pour femme Drymegon, fille de Pandrasus, empereur de Grèce, et, à la troisième année de son règne, il édifia une cité qu’il nomma Troie-la-Neuve.

[De Bretangne] Chis Broutus appellat son pays Brutangne et ses gens Bretons, apres son nom ; et apres luy le nomat-ons la Grant-Brutangne, portant que apres che fut fondée dechà mere une petit terre que ons nomat Bretangne, sicom dit est par deseur.

[La Bretagne] Ce Brutus appela son pays Bretagne et ses habitants Bretons, d’après son nom. Plus tard, on l'appela Grande-Bretagne, parce que, comme on l'a dit plus haut, de l'autre côté de la mer avait été fondé un petit territoire nommé Bretagne.

Chis Broutus fut ly promier roy de chu sien pays, et governat mult bien ses gens par l'espause de XXXIIII ans qu'il regnat ; ilh conquist entour luy grant terre, et oit trois fis de sa femme, assavoir : Longrinus, Camberius et Albastanus. Et quant Broutus oit regneit son terme, ilh morut : si fut mult noblement ensevelis en la synagoge Apolin, solonc la loy serasine.

Ce Brutus fut le premier roi de ce pays qui était devenu le sien. Il gouverna très bien ses sujets durant les trente-quatre ans de son règne, conquit tout autour de grands territoires et eut de sa femme trois fils : Locrinus, Kamber et Albanactus. Et quand Brutus arriva au terme de son règne, il mourut et fut solennellement enseveli dans le temple d'Apollon, selon la loi païenne.

 

 

B. Les successeurs légendaires de Brutus jusqu'à l'arrivée des Romains

 (de Locrinus, le 2e roi, à Lud, le 52e)

 

Comme pour les papes et les empereurs, Jean a numéroté les rois de Grande-Bretagne. Geoffroy ne le faisait pas, pas plus d'ailleurs que Bède le Vénérable. On observera aussi que, contrairement à ses habitudes, Jean, un obsédé pourtant de la chronologie, ne propose pas systématiquement des dates précises. Il se borne à reprendre à son modèle les durées de règne. Les concordances (parfois accompagnées d'une date précise) existent, mais sont exceptionnelles.

C'est le cas pour le onzième roi de Grande-Bretagne (Ruallus chez Jean, Rivallo chez Geoffroy), où le Myreur (II, p. 191) précise textuellement : « en l’an 4483 de la Création du monde, correspondant à l’an 26 du règne de Ruallus, la grande Rome fut fondée et fermée (d’un mur) par Romulus. Romulus devint le premier empereur de Rome, lui qui n'était auparavant que roi d’Italie et des Latins ». En fait, Jean a transformé le texte de sa source qui disait (Mathey § 32) : « à cette époque (= celle du père de Ruallus), Isaïe prophétisait et Rome fut fondée le onzième jour des calendes de mai par deux frères jumeaux, Romulus et Rémus ». Chronologiquement, cela ne veut pas dire la même chose. Jean a mis du sien, recherchant une précision qui ne figurait pas dans son modèle.

Autre innovation d'ordre chronologique qu'on peut attribuer à Jean (II, p. 193) dans la notice consacrée au 55e roi, Kimbelin. Le chroniqueur liégeois écrit : « en l’an 5199 de l’origine du monde, correspondant à l’an 6 du règne du roi Kimbelin, Jésus-Christ s’incarna dans la Vierge Marie lors de l’Incarnation », alors que Geoffroy notait (Mathey § 64) : « C'est à cette époque [celle de Kimbelin] que naquit notre Seigneur Jésus-Christ, qui a versé son sang pour la rédemption de l'humanité, une humanité soumise jusque-là à l'emprise des démons ». Jean a du mal à se défaire complètement de l'obsession chronologique qui est la sienne, mais il n'a guère l'occasion de la manifester.

Nous rencontrerons au fil des notices d'autres exemples qui montreront que la simple confrontation entre la version de Jean et celle de Geoffroy peut entraîner le commentateur assez loin. Que serait l'analyse détaillée de la tradition sur l'histoire primitive de la Grande-Bretagne et de son historicité !

On peut toutefois dire déjà ici, en très bref, que si Jean s'est indiscutablement inspiré de Geoffroy, c'est avec une grande liberté : tantôt il résume, tantôt il choisit d'une manière plutôt arbitraire d'ailleurs, tantôt il modifie, sans qu'on puisse déceler des constances. Dans certains cas, on ne relève pas de correspondance entre les versions de Jean et de Geoffroy, même pour des séries, de rois par exemple, en II, p. 191, pas de correspondance avec Geoffroy pour Lagomes, Rumant, Godobrage et ses fils, du 12e au 16e roi ; ou des séries de noms, par exemple, ceux des fils et filles du 4e roi, Ebrauc (cfr Geoffroy M § 27) et Jean (II, p. 190). Il est aussi très difficile de comparer la série des rois n° 24 à 45 de Jean (II, p. 192) avec les passages de Geoffroy, censés leur correspondre.

 

[II, p. 189b] [Longrinus, ly IIe roy] Apres la mort Broutus fut fais roy Longrinus, son anneis fis, qui nomat son pays Longres ; mains après sa mort fut li pays renomeis Brutangne com devant. Chis Longrinus nomat la citeit de [II, p. 190] Troie-nueve Longrinovant, et regnat X ans ; et, apres le X ans, ilh fut ochis par les parens et amis de sa femme Gordenuel, filh de roy Cornail del ysle de Sydre.

[II, p. 189b] [Locrinus, 2e roi] Après la mort de Brutus, son fils aîné Locrinus devint roi et appela son pays Loegrie ; mais, après sa mort, le pays retrouva son nom ancien de Bretagne. La cité de Troie-la-Neuve [II, p. 190], Locrinus l'appela Longrinovant. Il régna dix ans ; après quoi il fut tué par les parents et les amis de sa femme Guendoloena, fille du roi Cornail du pays de Sydre.

[De Cornual] Chis Cornail apellat son pays après son nom Cornualhe, qui devant estoit nomeis Sydre ; et fut chis roy de Brutangne ochis, portant que ilh avoit lassiet sadit femme et voloit avoir Estrilhe, la filhe d'on chevalier, qui mult estoit belle de corps et de visaige

[Cornouailles] Ce Cornail avait donné son nom à son pays, ainsi devenu Cornouailles alors qu'il s'appelait précédemment Sydre. Quant au roi de Bretagne, Locrinus, il avait été tué parce qu’il avait abandonné sa femme dont on vient de parler et qu'il voulait avoir Estrildis, la fille d’un chevalier, très belle de corps et de visage.

Chis Longrinus avoit II frères, Camberius et Albastanus, sicom dit est, qui furent les fis le roy Broutus.

Ce Locrinus avait deux frères, Kamber et Albanactus, comme on l'a dit. C'étaient les fils du roi Brutus.

Camberius oit après son peire la terre que ons nomoit Saverine, si le nommat Cambrie après son nom.

Après la mort de son père, Kamber obtint la terre nommée Saverine, et l'appela Cambrie, d’après son nom.

[Escoche] Et li jovene Albastanus oit la terre que ons nomoit Liscarne, se le nomat Albastaine ; mains puis fuit-ilh et encor est nommée Escoche.

[Écosse] Le jeune Albanactus, quant à lui, obtint la terre qu’on nommait Liscarne et qu'il appela Albastaine. Par après cependant, ce pays fut et est encore appelé Écosse.

[Le IIIe roy Madain] Apres la mort le roy Longrinus, fut roy son fis qu'ilh avoit de sa femme Gordenuel, lyqueis oit nom Madain et regnat XL ans. Chis roy Madain oit II fis, Malin et Membris ; mains quant leur peire fut mors, si ochist Membris son anneit frère Melin en trahison, et soy fist coroneir roy et regnat XX ans. Chis fut drois sodomitte, et encachat sa femme de son royalme ; mains Dieu ly rendit solonc chu, car ilh en morut de male mort : car, al derain ilh avint qu'ilh avoit cachier en unc bois, si l'estranglarent les leux et les altres biestes eragiés.

[Le 3e roi Maddan] Après la mort du roi Locrinus, le fils qu’il avait eu de sa femme Guendoloena fut nommé Maddan et régna quarante ans. Ce roi Maddan eut deux fils, Malim et Mempricius. Quand leur père mourut, Mempricius tua son frère aîné par traîtrise, se fit couronner roi et régna vingt ans. Il fut un véritable sodomite et chassa sa femme de son royaume. Mais Dieu le lui fit payer, car il mourut d’une mauvaise mort. Finalement il lui arriva d’aller chasser dans un bois, où il fut étranglé par les loups et d’autres bêtes enragées.

[Ebraut, le IIIIe roy] Apres luy fut roy son fis, qui oit nom Ebraut et astoit de sa femme Ebroel, lyqueis regnat LXX ans. Chis fut proidhons et loial roy, solonc sa loy sarasine : ilh edifiat en la terre de Scoche II citeis, assavoir Caherebant et Aclude. Chis roy Ebraut oit XX fis et XXXI filles de XX femmes ; et vos nomeray les fis en ordenes promirs : Bruncus, Werstu, Margadud, Silvius, Regineus, Braduc, Monit, Lagon, Ebolaam, Richars, Spauden, Gaudodan, Eydal, Kery, Gangu, Ivordus, Rudus, Assacar, Ruer et Ector. Item les nommes des filhes furent teiles : Clangine, Occidaine, Omaarue, Muogine, Guardine, Radame, Gueliane, Agaradine, Gueloid, Meliane, Marlianid, Ecubas, Sagrotine, Scanduline, Campreda, Melael, Gad, Echem, Nestrane, Gorgone, Gladrine, Ebroyne, Gladas, Egron, Abalagine, Edrog, Augnes, Anor, Scadraldine, Galoeline et Cachayene : desqueis enfans li anneis fis fut Bruncus, qui regnat apres son pere XII ans.

[Ebrauc, 4e roi] Il fut remplacé par son fils, qui avait pour nom Ebrauc et était né de sa femme Ebroel. Il régna soixante-dix ans, en roi sage et loyal, selon la loi des païens. Il édifia deux cités en terre d’Écosse : Kaerbrauc et Alclud. Il eut vingt fils et trente et une filles de vingt femmes. Je vous citerai d'abord les fils : Bruncus [Brutus au Vert Écu], Werstu, Margadud, Silvius, Regineus, Braduc, Monit, Lagon, Ebolaam, Richars, Spauden, Gaudodan, Eydal, Kery, Gangu, Ivordus, Rudus, Assacar, Ruer et Ector. Quant aux noms des filles, les voici : Clangine, Occidaine, Omaarue, Muogine, Guardine, Radame, Gueliane, Agaradine, Gueloid, Meliane, Marlianid, Ecubas, Sagrotine, Scanduline, Campreda, Melael, Gad, Echem, Nestrane, Gorgone, Gladrine, Ebroyne, Gladas, Egron, Abalagine, Edrog, Augnes, Anor, Scadraldine, Galoeline et Cachayene. Le fils aîné de ces enfants était Bruncus [Brutus au Vert Écu], qui régna après son père durant douze ans.

[Bruncus, le Ve roy - Belidas VIe] Chis Bruncus oit une fis qui fut nommeis Belidas, liqueis fut roy apres son peire et regnat XXV ans. Chis Belidas edifiat la citeit de CaerIuel, qui puis fut nommée Carlon.

[Brutus au Vert Écu, 5e roi - Leil, 6e] Brutus au Vert Écu eut un fils, nommé Leil, qui devint roi après son père et régna vingt-cinq ans. Ce Leil édifia la cité de Kaerleil, qui fut ensuite appelée Caerleon (cfr II, p. 171 et p. 182).

[Ruhundibras VIIe] Apres Belidas fut roy Ruhundribras, son fis, qui regnat XXXIX ans, et edifiat la citeit de Cantorbie et le casteal de Cestrebien. [II, p. 191]

[Rud Hudibras, 7e] Après Leil, le roi fut Rud Hudibras, son fils, qui régna trente-neuf ans. Il construisit la cité de Cantorbéry et la place forte de Cestrebien [Shaftesbury]. [II, p. 191]

[Blandu VIIIe - Le roy qui volat] Apres regnat son fis Blandu XX ans. Chis roy Blandu fut unc poissans chevalier, et fut mult grans nygromanchier ; chu fut chis qui edifiat la citeit de Bada, où ilh fist venir par art magique les bangnes de chaude aighe, et les apellat bangnes apres li.

[Bladud, 8e - Le roi qui vola] Après lui, son fils Bladud régna durant vingt ans. Bladud fut un puissant chevalier et un grand magicien. Ce fut lui qui édifia la ville de [Kaerbadum, aujourd'hui] Bath, où il fit venir par l’art de la magie des bains d’eau chaude, auxquels il donna son nom.

Chis roy Blandus fut chis qui vot voleir com I oiseal et volat. Si avait pennes et eyles afaitiés mult subtilment ; mains enssi qu'ilh voloit en l'aire, si chaiit sus le temple Apolin, si morut, car li soleal ly fondit le gomme de quoy ses pennes astoient atachiés.

Ce roi Bladud voulut voler comme un oiseau et tenta de le faire. Il s’était équipé très habilement de plumes et d’ailes ; mais tandis qu’il volait dans l’air, il tomba sur le temple d’Apollon et mourut : le soleil avait fait fondre la résine avec laquelle ses plumes étaient attachées.

[Leridas, li IXe roy] Apres luy regnat son fis Leridas LXX ans : chis edifiat à son temps la citeit de Karler, que ons nom maintenant Lencastre. Chis oit III fis : Ganorilhe, Regain et Cordelle ; mains ilhs morurent tos anchois leur peire, sique ilh morut sens heures.

[Leir, 9e roi] Après lui, son fils Leir régna durant soixante-dix ans. Il construisit la cité de Kaerleir, qu’on appelle maintenant Leicester. Il eut trois fils : Gonorilla, Regau et Cordeilla, qui moururent tous avant leur père, qui disparut ainsi sans héritiers.

[Encudes, ly Xe roy d’Engleterre - Ruallus, ly XIe] Si avient que Encudes, ly fis Regain le moien fis le roy Leridas, fut roy, et regnat XXXVIII ans, et apres sa mort regnat son fis Ruallus XL ans. A son temps pluit-ilh sanc par III jours, et fut mult grant planteit de moxhes. Chis roy Ruallus regnoit al temps Romulus et Remus, qui furent freres et les enfans Amilius le roy d'Ytaile.

[Encudes, 10e roi d’Angleterre - Ruallus [Rivallo ?], 11e] C'est ainsi que devint roi Encudes, le fils de Regau, le second fils du roi Leir. Il régna trente-huit ans. Son fils Ruallus [Rivallo ?] lui succéda et régna quarante ans. De son temps, il plut du sang pendant trois jours et il y eut une grande quantité de mouches. Ruallus [Rivallo ?] régnait à l'époque des frères Romulus et Rémus, qui étaient les enfants d’Amulius, le roi d’Italie.

[A chis temps fut Romme fondée] Et à cel temps, assavoir l'an del origination de monde IIIIm IIIIc IIIIxx et III, qui astoit ly an del regnation le roy Ruallus deseurdit XXVIe, fut la grant Romme fondée et fermée depart Romulus deseurdit. Et fut Romulus fais ly promirs emperere de Romme, qui astoit devant nommeis roy d'Ytale et des Latins.

[À cette époque-là, Rome fut fondée] C'est à cette époque-là, c’est-à-dire en l’an 4483 de la Création du monde, correspondant à l’an 26 du règne du susdit roi Ruallus [Rivallo?] que la grande Rome fut fondée et fermée (d’un mur) par le susdit Romulus. Romulus devint le premier empereur de Rome, lui qui n'était auparavant que roi d’Italie et des Latins.

[Grugutinus, le XIIe roy - Sysillius, le XIIIe - Lagomes, le XIIIIe - Rumant, le XVe - Gobodrage, le XVIe] Apres Ruallus regnat li XIIIe roy de Brutangne dois ans, et oit nom Gurgutinus, li fis Ruallus. - Apres regnat Sysillius X ans, et puis regnat Lagomes Gurgusti XVII ans, et puis regnat Rumant XIII ans. Apres regnat Godobrage, li XVIIIe (plutôt XVIe) roy, XXIII ans : chis oit II fis, Ferox et Porex, lesqueis soy combatirent li unc à l'autre al vivant de leur peire, et ochist Porex son frere Ferox. Mains Londine sa mere le soit, qui mult amoit Ferox ; sy fut mult corochié et ochist Porex, son fis, sique quant li roy fut mors ilh n'avoit nule heures de ly, et demorat la terre sens roy, sique li plus fors deroboit le plus fleve.

[Gurgustius, 12e roi - Sysillius, 13e - Lagomes, 14e - Rumant, 15e - Gobodrage, 16e] Après Rivallo, le treizième roi de Bretagne régna deux ans : il s’appelait Gurgustius et était fils de Rivallo. Régnèrent ensuite Sisillius pendant dix ans, Lagomes Gurgusti pendant dix-sept ans et Rumant pendant treize ans. Ensuite, Godobrage, le dix-huitième roi, régna vingt-trois ans. Celui-ci eut deux fils, Ferox et Porex, qui combattirent l’un contre l’autre du vivant de leur père. Porex tua son frère Ferox, mais Londine, leur mère, qui aimait beaucoup Ferox, l'apprit. Elle fut très courroucée et tua son fils Porex, si bien qu'à la mort du roi, il n’avait pas d’héritier. Le pays resta sans roi et le plus fort dévalisait le plus faible.

[Dualdus, li XVIIe roy, liqueis fut le promier qui fut coroneis d’oir] Et quant chut oit dire Dualdus, le fis le roy Clotaire de Scoche, se vient sour eaux et conquestat la terre, si en fut roy par sa chevalerie. Et soy fist coronneir de coronne d'oir, et fut li promier qui fut coronneis de coronne d'oir : et fut ly XVIIe roy, et regnat XL ans.

[Dunvallo, 17e roi, fut le premier à recevoir une couronne d'or] Quand Dunvallo, fils du roi Clotaire d’Écosse, apprit cela, il marcha contre eux, conquit le pays et en devint roi par ses qualités de chevalier. Il se fit couronner d’une couronne d’or et il fut le premier à l'être. Il fut le dix-septième roi et régna quarante ans.

[Belin, le XVIIIe roy] Chis roy oit dois fis, Belin et Brengne, qui mult soy combatirent por leur [II, p. 192] terre, apres le mort de leur pere ; mains li anneis, Belin, fut roy et regnat XX ans, et li altre qui fut nommeis Brengne, oit à femme la filhe le duc de Borgongne, et fut roy de Scoche.

[Belin, 18e roi] Ce roi eut deux fils, Belin et Brenne, qui, après la mort de leur père, combattirent beaucoup entre eux pour la possession de leur [II, p. 192] terre. C'est Belin, l’aîné, qui devint roi et régna vingt ans ; l’autre, nommé Brenne, épousa la fille du duc de Bourgogne et devint roi d’Écosse.

Item, le roy Belin de Bretangne governat mult bien ses gens et tant fut valhans que quant ilh fut mors, ilh l'ardirent et en missent les poures en unc barilh de fine oir, sour une thour qu'ilh avoit edifiet en la citeit de Londre. Et enssi fut fait apres de la royne sa femme, qui oit nom Londine.

Le roi Belin de Bretagne gouverna très bien ses sujets. Il fut si brave que, après sa mort, ils l’incinérèrent et mirent ses cendres dans un petit récipient d’or fin, sur une tour qu’il avait édifiée dans la ville de Londres. Et il en fut fait de même par après pour la reine sa femme, qui s’appelait Londine.

[Gragiot, le XIXe roy de Bretangne] Apres regnat Gragiot, li fis Belin, VI ans, liqueis mist les Danois en sa subjection.

[Gurguint, 19e roi de Bretagne] Ensuite, le fils de Belin, Gurguint, régna pendant six ans. Il soumit les Danois.

[Guechelin, le XXe roy des Bretons - Silinus, le XXIe roy -  Rumars, le XXIIe roy - Morpidon, le XXIIIe roy] Apres regnat son fis Guechelin com roy XXe, par l'espause de XIIII ans. Apres regnat Silinus, son fis, V ans. Apres fut roy son fis Rumars, et regnat IX ans. Et puis regnat Morpidon, le frere Rumars, XIX ans, et puis fut devoreis en unc bois par une savaige bieste, que ons nommoit monstre velue, qui habitoit en la regne de Brutangne et faisoit grant male en chis paiis : si alat ly roy combatre à lée, et la beste le devorat, et enssi morut la beste des plaies que ly roy li avoit faites al combatre.

[Guithelin, 20e roi des Bretons - Sisillius, 21e roi - Kinarius ?, 22e roi - Morvidus, 23e roi] Ensuite son fils Guithelin, vingtième roi, régna pendant quatorze ans ; puis son fils, Sisillius, régna cinq ans. Après, son fils Kinarius (?) régna neuf ans. Ensuite Morvidus, le frère de Kinarius (?) régna dix-neuf ans. Il finit, dévoré dans un bois par une bête sauvage, qu’on nommait le monstre velu, qui vivait dans le royaume de Bretagne et qui y faisait beaucoup de mal. Le roi était allé la combattre, et la bête l'avait dévoré. La bête aussi mourut des plaies que le roi lui avait faites en combattant contre elle.

[Garboman, le XIIIIe roy - Argal, le XXVe roy - Gorbonia, le XXVIe roy - Margant, le XXVIIe roy - Peredut, le XXVIIIe roy - Rumo, le XXIXe roy - Tacillus, le XXXe roy - Tullius, le XXXIe roy - Fulgenus, le XXXIIe roy - Ebdas, le XXXIIIe roy - Angrogius, le XXXIIIIe roy - Unas, le XXXVe roy - Cledamicus, le XXXVIe roy - Dochem, le XXXVIIe roy - Gurguscans, le XXXVIIIe roy - Merians, le XXXIXe roy - Bledulo, le XLe roy - Sisillius,le XLIe roy - Blegap, le XLIIe roy - Artmal, le XLIIIe roy - Edolas, le XLIIIIe roy - Rediens, le XLVe roy] Apres regnat li fis le roy Morpidon X ans, si fut nommeis Garboman. Apres regnat Argal, le frere le roy Garboman, XVII ans, et oit nom Elydure.

[Gorbonian, 24e roi - Arthgallo, 25e roi - Gorbonia, 26e roi - Margan, 27e roi - Peredur, 28e roi - Runo, 29e roi - Tacillus, 30e roi - Tullius, 31e roi - Fulgenius, 32e roi - Edadus, 33e roi - Andragius, 34e roi - Urianus, 35e roi - Cledaucus, 36e roi - Clotenus, 37e roi - Gurgintius, 38e roi - Merianus, 39e roi - Bledudo, 40e roi - Sisillius, 41e roi - Bledgabred, 42e roi - Arthmail, 43e roi - Eldol, 44e roi - Redion, 45e roi] Après, le fils du roi Morvidus régna dix ans ; il s'appela Gorbonian. Après régna Arthgallo, frère du roi Gorbonian, pendant XVII ans. Il fut nommé Élidur.

Apres regnat Gorbonia, son fis, XXVIII ans. Apres fut roy Margant, le fis Garbonia, et regnat XIIII ans. Apres fut roy Peredut, et regnat XXIII ans. Apres fut roy Rumo, son fis, et regnat XX ans. Puis fut roy Tacillus, son fis, qui regnat XVIII ans. Et apres regnat Tullius VII ans. Apres fut roy Fulgenus, le fis Tullius, qui regnat XVIII ans. Puis fut roy Ebdas, son frere, et regnat XVII ans. Et puis regnat son frere Angrogius X ans. Et puis Unas, le fis le roy Angrogius, une an. Apres regnat Cledamicus, son frere, XXI ans. Puis regnat Dochem XXVII ans. Apres regnat son fis Gurguscans XXI ans. Puis regnat son fis Merians, XXX ans. Apres le fut son fis Bledudo, XIII ans. Puis regnat Sisillius XIIII ans. Apres regnat Blegap XX ans. Apres regnat son fis Artmal VIII ans. Puis regnat Edolas XII ans. Apres regnat son fis Rediens VIII ans.

 Gorbonia, son fils, lui succéda pendant vingt-huit ans. Après, le roi fut Margan, le fils de Garbonia, qui régna quatorze ans. Après, le roi Peredur régna vingt-trois ans. Après fut roi Runo, son fils, qui régna vingt ans. Puis son fils Tacillus régna dix-huit ans. Ensuite Tullius régna sept ans. Après, Fulgenius, le fils de Tullius, régna dix-huit ans. Puis le roi Edadus, son frère, régna dix-sept ans. Puis son frère Andragius régna dix ans. Puis Urianus, le fils du roi Andragius, un an. Puis Cledaucus, son frère, régna vingt et un ans. Puis Clotenus régna vingt-sept ans. Après régna son fils Gurgintius vingt et un an. Puis son fils Merianus régna trente ans. Après, son fils Bledudo fut roi pendant treize ans. Puis Sisillius régna quatorze ans. Après, Bledgabred régna vingt ans. Après, son fils Arthmail régna huit ans. Puis Eldol régna douze ans. Après, son fils Redion régna huit ans.

[Redechus, le XLVIe roy - Samponisal, le XLVIIe roy - Pire, le XLVIIIe - Caporus, le XLIXIe - Eligellus, le Le - Belis, le LIe roy - Ludal, le LIIe roy] Apres regnat Redechus XVI ans. Puis regnat Samponisal, son fis, XIX ans. Et apres regnat Pires VII ans. Apres fut Caporus qui regnat VII ans. Puis le fut Eligellus, qui regnat XVII ans. Apres le fut Belis [II, p. 193] XL ans. Puis le fut son fis Ludal, qui regnat XXX ans.

[Redechius, 46e roi - Samuil, 47e roi - Pir, 48e - Capoir, 49e - Cligueillus, 50e - Heli, 51e roi - Lud, 52e roi] Après lui, Redechius régna seize ans ; ensuite ce fut son fils Samuil, pendant dix-neuf ans. Et après, Pir régna sept ans. Après ce fut Capoir qui régna sept ans. Puis Cligueillus, qui régna dix-sept ans. Après, ce fut Heli [II, p. 193] durant quarante ans. Puis ce fut son fils Lud, qui régna trente ans.

 


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