Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 275b-280a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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dernière partie de la biographie de Virgile - Judée [Myreur, p. 275b-280a]

Ans 568-571 de la transmigration = 20-18 a.C.n.

 

Introduction [sommaire] [texte]

Cette section est essentiellement consacrée à la dernière partie de la biographie de Virgile. Ce dernier sait maintenant qu'il ne lui reste plus que vingt-deux mois à vivre. Ayant, semble-t-il, définitivement renoncé à la magie, il prophétise une fois encore, en chrétien, l'annonce d'un rédempteur, Dieu et homme, à naître d'une vierge, réaffirme sa croyance indéfectible en ce Dieu, consigne par écrit toute la foi catholique, et se prépare concrètement à la mort. Les préparatifs funèbres auxquels il se livre, peu ordinaires d'ailleurs, sont décrits avec précision. Il meurt seul, à sa table de travail, sur sa chaire, « embaumé » si l'on peut dire, et son cadavre reste dans cette position, extérieurement intact. L'entrée de sa maison est protégée par deux automates, armés de fléaux et frappant continuellement pour interdire tout passage. Saint Paul, de passage à Naples 59 ans plus tard, retrouve Virgile et pénètre dans sa maison après avoir, « au nom de Dieu », arrêté le mécanisme des fléaux. Il touche son cadavre (qui tombe en cendres), brûle les livres de magie qu'il trouve, mais il constate par ailleurs qu'il peut proclamer Virgile digne d'être chrétien. Il prend ensuite ses ossements, les enferme dans un coffre avec ses écrits et confie celui-ci aux Napolitains avec ordre de le conserver et interdiction de l'ouvrir. Le tout est déposé dans la dernière maison que Virgile avait construite comme un château sur la mer. C'est là que reposent ses ossements. Le simple fait d'y toucher a de dangereux effets sur les mouvements de la mer.

Le reste traite des affaires de la Judée. La section précédente montrait un Hérode fort mécontent du manque d'aide concrète que lui apportaient les forces romaines chargées de l'aider à s'attribuer le trône de Judée. Il avait même décidé d'aller se plaindre à Rome. Nous le retrouvons à Athènes, auprès d'Antoine, qui écoute ses doléances et lui attache, avec des forces romaines importantes, Caius Sosius, son « sénéchal », entendez le « proconsul de Syrie et de Judée ». La troupe regagne la Judée, où, pendant l'absence d'Hérode, Joseph, son frère, avait déjà rassemblé des forces et affronté Antigone Mattathias. Mais il avait été défait, capturé et tué. Revenant d'Athènes avec des forces romaines, Hérode va venger son frère, reprendre Jérusalem et éliminer Antigone. Lors de la reconquête de la ville, Hérode paie même de sa personne pour empêcher les soldats romains de s'emparer du trésor du Temple. Au final, la position d'Hérode comme roi de Judée est confirmée, et Antigone Mattathias est livré à Antoine, qui le fait tuer. Son règne se termine ainsi en 37 avant notre ère, et sa mort met fin à la dynastie hasmonéenne. Avec Hérode, désigné roi de Juifs par le Sénat romain, c'est une nouvelle dynastie qui commence. Sur les épisodes de la reconquête de la Judée par Hérode avec l'aide des troupes romaines de Sosius, on pourra voir Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques (XIV, 13, 3-10).

 

Sommaire [texte]

Mort de Virgile : Virgile apprend sa mort prochaine - Il professe sa foi catholique, prophétise l'incarnation et procède aux préparatifs de sa mort - Il annonce sa mort à ses convives, fait diverses prophéties et d'autres recommandations concernant le baptême avant de les renvoyer - Il meurt solitaire sur sa chaire, où son cadavre est conservé durant cinquante-neuf jusqu'à la visite de saint Paul (20-18 a.C.n.)

* Cinquante-neuf ans plus tard, saint Paul à Naples, touche le cadavre apparemment intact de Virgile, qui se réduit en cendres - Il brûle ses livres de magie et, à l'examen de ses autres écrits, le décrète digne d'être chrétien - Il fait déposer ses ossements dans un coffre, où ils continuent à produire des effets sur la mer

* Hérode, qui ne s'est pas rendu à Rome mais simplement à Athènes, se plaint à Antoine, qui lui accorde des troupes commandées par Sosius - En Judée, Hérode apprend que son frère Joseph a été capturé et tué par Antigone - Il défait et tue le sénéchal d'Antigone - Il s'empare de Jérusalem et, en payant de sa propre personne et de ses propres deniers, empêche les Romains de Sosius de toucher au trésor du Temple - Sosius installe officiellement Hérode sur le trône de Judée et livre Antigone à Antoine qui le tue (20-19 a.C.n.)

* Un rappel : Mort de Virgile (18 a.C.n.)

***

Mort de Virgile : Virgile apprend sa mort prochaine - Il professe sa foi catholique, prophétise l'incarnation et procède aux préparatifs de sa mort - Il annonce sa mort à ses convives, fait diverses prophéties et d'autres recommandations concernant le baptême avant de les renvoyer - Il meurt solitaire sur sa chaire, où son cadavre est conservé durant cinquante-neuf ans, jusqu'à la visite de Saint-Paul (20-18 a.C.n.)

 

[p. 275] [Virgile fut mult malaide] Item, en cel année meisme, prist la grande maladie à Virgile, quant ilh oit son cervel enchaffeit, sicom j'ay dit pardeseurs. Et ilh est veriteit que nuls ne meurt volentiers, et si astarge cascon cel heure tant qu'ilh puet. Adont commenchat Virgile fort à estudier, por savoir se ilh poroit troveir remeide al encontre ; mains ilh trovat, par le jugement d'astronomie, chu que la tieste ly avoit dit qu'ilh ne viveroit plus II ans, mains viveroit tout à point XXII mois, et puis se rederoit l'espir.

[p. 275] [Grave maladie de Virgile] En cette même année 569 [20 a.C.n.], une maladie grave frappa Virgile, lorsqu'il eut le cerveau échauffé, comme je l’ai dit ci-dessus. Il est bien vrai que nul ne meurt volontiers et que chacun retarde cette heure autant qu’il le peut. Ainsi Virgile se mit à chercher, espérant pouvoir trouver un remède contre son mal ; mais, sur base de l’astronomie, il découvrit ce que la tête lui avait dit, c’est-à-dire qu’il ne vivrait plus deux ans, mais exactement vingt-deux mois, et qu'ensuite, il rendrait l’esprit.

[p. 275] [L’orison Virgile] [Virgile creit tot la foid catholique] Adont reprent Virgile cuer en ly, si dest : « Vraie Dieu, qui fist le monde et le firmarnent et tout chu qui est dedens, et fourmas Adan et Evain de sa costeit, qui brisarent obedienche ; si en furent-ilhs condampneis eaux et leurs semenches aux enfers, dont tu aras piteit jà bien tempre, car ilh est certains que la Virge, qui toy porterat, si nascerat apres mon trespas [p. 276] IIII ans IIII mois et II jours ; et quant elle enfanterat, si chierat l'ymaige que j'ay fait à Romme, meire sierat de Dieu et d'homme. Chis est ly Dieu en cuy je croy, et ay creiiut et creray, et moray en cel creanche ; et si vraiement ait-ilh piteit et merchi de mon arme. » Apres, Virgile escript tout la foid catholique entirement ; si l'at enfermeit en une armaire, et si apparelhat de jour en jour chu que mestier li fut, si que al terme qu'il duit morir ilh astoit tout apparelhiés.

[p. 275] [La prière de Virgile] [Virgile croit tout le credo catholique] Alors Virgile reprend courage et dit : « Vrai Dieu, qui fis le monde et le firmament et tout ce qui s’y trouve, toi qui formas Adam et Ève, tirée de sa côte. Ils désobéirent. Aussi furent-ils, eux et leurs descendants condamnés aux enfers, eux dont tu auras bientôt pitié. C'est un fait certain que la Vierge qui te portera naîtra quatre ans, quatre mois et deux jours après mon trépas. [p. 276] Quand elle enfantera, la statue que j’ai faite à Rome s’écroulera ; elle sera mère de Dieu et d’homme. C'est le Dieu en qui je crois, ai cru et croirai, et dans cette croyance je mourrai. Puisse-t-il en vérité montrer de la pitié et de la miséricorde pour mon âme. » Après cela Virgile mit entièrement par écrit toute la foi catholique et enferma le texte dans une armoire. Jour après jour, il prépara le nécessaire pour être tout-à-fait prêt, au moment où il devrait mourir.

[p. 276] [Virgile cusit unc pot] [Des herbes qui sont toudis vertes] Item, Virgile cuisit un gran terrien de terre et de cendre, et mist dedens del terre apparelhié à son manire, puis plantat dedens des herbes à fuison que nos ne savons nommeir, fours tant qu'ilh y oit balme ; et y avoit des altres herbes de si fresse nature que ilh ne les fairoit jamais rafressier, car sens aighe sieront toudis verdes.

[p. 276] [Virgile fait un pot de terre cuite] [Des herbes toujours vertes] Il modela un grand pot de terre mêlée de cendres, le fit cuire au four, puis le remplit d'une terre préparée à sa façon. Il y planta quantité d'herbes impossibles à nommer : il s'agissait de plantes odorantes et d’autres encore, de nature très vivace, ne nécessitant jamais d'être arrosées, toujours vertes, même sans eau.

[Del chaiier Virgile] [Virgile oit cognisanche del annunciation de l’angle al Virge et de salut] [Virgile del visitation Elizabeth] Et puis fist une belle chaiier tout de cypresse, à pires prechieux : saphirs, rubis, medes, achates, enches, dyadicos, paridos, jacincte, bleux, esmerades et pirophilos ; si astoient dedens sculpteit les hauls noms de Dieu, et le salut que Gabriel fist à la Vierge Marie, en disant : Ave, gratia plena. Et astoient là l'ymaige de la Virge et del angele entalhiés et figurées, sicom ilh stesoient puis en temple des Juys. Apres fut ly ymaige deI Virge tenant une verge en sa main, et comment elle alat visenteir Elizabeth en temps future. Et finablement, de greit en greit, tout enssi qu'ilh avienet apres jusques al Assumption Nostre-Damme.

[La chaise de Virgile] [Virgile connaissait l’annonce de l’ange à la vierge et son salut] [Il connaissait aussi la visitation à Élisabeth] Ensuite il fabriqua un beau siège à dossier, tout en bois de cyprès, orné de pierres précieuses : saphirs, rubis, agates, pierreries, béryl, péridot, hyacinthe, bleus, émeraude et pirophilos. Les hauts noms de Dieu y étaient sculptés, ainsi que le salut de Gabriel à la Vierge Marie, lui disant : Ave, gratia plena. On y voyait les images de la Vierge et de l’ange, sculptées et représentées comme elles l'étaient plus tard dans les temples des Juifs (des chrétiens ?). On voyait aussi la Vierge tenant une baguette à la main, et lors de sa visite à Élisabeth, un peu plus tard. Et enfin, toutes les scènes qui eurent lieu dans la suite jusqu’à l’Assomption de Notre-Dame.

[p. 276] [An -18]. Virgile figurat tout chu en sa cheier, et puis fist I grant mangnier en sa maison ; car ilh fist estargier les vilains de batre de leurs flaieis ; et astoit le Ve jour de may, l'an Vc et LXXI. IIh n'avoit à vivre que I jour, ch'astoit jusques à VIe jour de may ; ly mangnier fut mult gratieux et plantiveux, et at fait des jeux asseis.

[p. 276] Virgile représenta tout cela sur sa chaire et puis il donna un grand dîner dans sa maison. Il dit aux vilains d’arrêter d'agiter leurs fléaux. C’était le cinquième jour de mai de l’an 571 [18 a.C.n.] : il n’avait plus qu’un jour à vivre, jusqu’au 6 mai. Le repas fut très agréable et somptueux, agrémenté de nombreux jeux.

[Virgile soi recommandat à ses amis devant sa mort] Et quant ilhs orent mangniet, tantoist Virgile leur dest : « Barons, je vos ay assembleit por dire unc secreit, et chist est que demain à none je devieray et plus ne viveray ; je vos commande tous à Dieu, qui toist venrat tenir le lieu de monde com vray Dieu et hons ; sa mere, la Virge, demorat sens corruption de nature.

[Virgile se recommande à ses amis avant sa mort] Aussitôt le repas terminé, Virgile dit à ses hôtes : « Barons, je vous ai réunis pour vous faire part d' un secret : demain à la neuvième heure je me retirerai et cesserai de vivre. Je vous recommande tous à Dieu, qui bientôt viendra, vrai Dieu et vrai homme, régir le monde. Sa mère restera la Vierge, sans que sa nature ne soit corrompue.

[Virgile annunchat le jour del nativiteit Jhesus-Crist] Sachiés que celle nascerat de demain en IIII ans IIII mois et Il jours, et dedens XV ans elle aurat enfant qui sierat Dieu le Peire, le Fis et le Sains-Esperit, la parfaite Triniteit de [p. 277] trois dieux en une uniteit, en laqueile je croy et croray, et toudis y ay creyut. » Adont les at monstreit sa chair, et les expoisat tout chu qui astoit ens entalhiet, et les priat tous, chevaliers et borgois, qu'ilh pensent bien à chu qu'ilh dist, et si prendent baptesme tantoist que ilh l'oront prechier ; si auront sainteit et salvement de corps et d'armes.

[Virgile annonce le jour de la nativité de Jésus-Christ] Sachez que, à compter de demain, la Vierge naîtra dans quatre ans, quatre mois et deux jours. Dans quinze ans, elle aura un enfant qui sera Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, la parfaite Trinité [p. 277] de trois dieux en une unité, en laquelle je crois, croirai et ai toujours cru. » Alors il leur montra sa chaire, expliqua toutes les scènes sculptées. Il les pria tous, chevaliers et bourgeois, de penser à ses paroles et de recevoir le baptême quand ils l'entendraient prêcher. Ainsi ils seront saints et connaîtront le salut du corps et de l’âme.

[Virgile secondement soy baptizat en nom de Pere, Fis et Sains-Esperit] « Et affin que mies vos me creieis, je me veulhe est(re) recreieis ; » puis prent del aighe en I bachin, et apres huchat Constantin, qui astoit uns proidhons chevalier, et li dest : « Prendeis cel aighe, verseis sour moy. » Et chist le fist ; et Virgile dest : « En nom de Pere, de Fis et de Saint-Espir, ch'est Triniteit, prenge-je bapteme en l'esperanche que Dieu moy rachaterat awec ses auItres amis, et moy monrat en sa glore. »

 [Virgile se baptise une seconde fois au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit] « Et afin que vous me croyiez davantage, je veux être moi-même régénéré ». Il prend de l’eau dans un bassin et appelle ensuite à voix haute Constantin, un chevalier de confiance, en lui disant : « Prenez cette eau, versez-la sur moi ». Ce qu’il fit, pendant que Virgile disait : « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, c’est-à-dire la Trinité, je reçois le baptême, dans l’espérance que Dieu me rachètera avec ses autres amis, et me mènera dans sa gloire. »

[p. 277] [Mervelhe de Virgile] Atant soy partirent cheaux de Naple, et Virgile remist ches vilains à labure qui commencharent à flaieleir ; puis prent son terrien aux herbes et le mist desus [sic] le chaire qui fut traweit en fons, puis prist une buse d'erain qui al unc de chief oit unc coviercle qui tout covroit le terien et les herbes, et l'autre chief de la buse si ranpoit desus parmy le trau de la chaire. Et Virgile s'asit sour le trau ; se li entrat la buse en trou de son fondement, si qu'ilh entrat bien dedens son ventre plus de II palmes. Apres ilh avoit pareit son lachenieres de tous libres de toutes scienches, et par-devant li at poiseit I libre de theologie. Si astoit noblement vestus d'onne bleu robe. Si avoit à son seniestre bras une grant fenestre tout ovierte, par où les gens le regardoient cascon jour, et disoient que ilh n'astoit mie mors, ains estudioit com devant, car ilh avoit son capiron sour ses eux.

[p. 277] [Miracle de Virgile] Alors les Napolitains s’en allèrent et Virgile remit en action ses vilains, qui agitèrent à nouveau leur fléau. Puis il prit son pot d’herbes et le plaça sous la chaire au fond percé. Puis il disposa un tuyau de bronze, dont un bout, muni d'un couvercle, recouvrait entièrement le pot et les herbes, tandis que l’autre bout s'élevait à travers le trou de la chaise. Virgile s’assit sur le trou. Le tuyau entra dans l’orifice de son fondement et pénétra sur plus de deux paumes dans son ventre. Il avait couvert son pupitre de tous les livres concernant toutes les sciences, et posé par devant un livre de théologie. Il était élégamment vêtu d’une robe bleue. À sa gauche, une grande fenêtre était largement ouverte, à travers laquelle les gens le voyaient tous les jours, disant qu’il n’était pas mort, mais qu'il étudiait comme avant, car il avait son capuchon sur les yeux.

[Virgile morut] Enssi morut Virgile, li gran clers, et demorat enssi en sa chaire LIX ans, assavoir jusques al temps que saint Poul aloit prechier, apres chu que ilh fut convertis.

[Mort de Virgile] Ainsi mourut Virgile, le grand clerc, et il resta ainsi sur sa chaire durant cinquante-neuf ans, jusqu’au moment où saint Paul alla prêcher, après sa conversion.

 

Cinquante-neuf ans plus tard, Saint Paul à Naples, touche le cadavre apparemment intact de Virgile, qui se réduit en cendres - Il brûle ses livres de magie et, à l'examen de ses autres écrits, le décrète digne d'être chrétien - Il fait déposer ses ossements dans un coffre, où ils continuent à produire des effets sur la mer

 

[p. 277] [De sains Poul qui parloit à Virgile] Et ilh avoit devant veyut en Halappe, unc libre d'epistes que ons disoit que Virgile avoit fait. Chu le fist venir par-devers Naple, où ons ly assengnat la maison ; si vient là, si regardat à la fenestre, et voit Virgile qui estudioit fort, chu li sembloit. Si le huchat mult douchement, et dist : « Maistre Virgile, beal amis, lais-moy entreir là-dedens por parleir à toy. » Et ilh ne respondoit rien, car ilh astoit mors. Apres vient sains [p. 278] Poul à la porte ; si at de part Dieu commandeit aux vilains qu'ilhs cessent del flaieleir, et vient à Virgile qui seioit là. Si l'at tireit par le chapiron, et tantost li corps est tous cheiiut en cendre, demorant là sens plus les oussiauz. Quant sains Paul le veit, si en fut tout enbahis ; si at regardeit le terrien enssi vers et, bien odorant que à promier jour que ilh y fut mys, puis at regardeit les escriptures Virgile d'astronomie et de nature, et cheaux de nygromanche et de teils ars ilh ardit tantoist.

[p. 277] [Saint Paul parle à Virgile] Précédemment, saint Paul avait vu, à Alep, un recueil de lettres que l’on disait écrites par Virgile. Cela l’avait amené à Naples, où on lui montra la maison de Virgile. Il s'y rendit, regarda par la fenêtre et vit Virgile qui lui semblait absorbé par l'étude. Il l’appela très doucement, en disant : « Maître Virgile, bel ami, laisse-moi entrer chez toi ; je voudrais te parler. » Mais Virgile ne répondit rien, car il était mort. Saint Paul [p. 278] vint alors à la porte et, au nom de Dieu, ordonna aux vilains de cesser d’agiter leurs fléaux (p. 261, 276). Il s'approcha de Virgile assis et le tira par le capuchon ; aussitôt tout le corps tomba en cendres, ne laissant plus que des os. Quand saint Paul vit cela, il fut tout étonné. Il regarda le pot de terre aussi vert et odoriférant qu’au premier jour. Il examina les écrits de Virgile sur l’astronomie et la nature, et brûla immédiatement les traités de nécromancie et des arts de ce genre.

[p. 278] [Sains Pol parolle à Virgile] Et voit devant luy I libre de thiologie où ilh estudioit quant ilh morit, et regardat la talhe de la cheire qui ly semblat tres-bonne. Ilh regardat tout et dest en criant : « Tres gratieux maistre Virgile, qui fus li fis à roy Gorgile, se en vie t'awisse troveit, tant que merchi awisse robeit à Dieu et ton corps baptisiet, et Dieu creyut et deproiet, queile homme awisse à Dieu rendut ! Vray Dieu, par le vostre vertut aiez de luy misericorde, car à nostre loy fortement s'acorde son escripture et tous ses dis, ilh n'y at de riens contraible. » Enssi disoit sains Poul, car ilh quidoit qu'ilh ne fuist mie creant en nostre loy, combien qu'ilh avoit troveit en escript comment ilh avoit prophetisiet pluseurs fois.

[p. 278] [Saint Paul parle à Virgile] Saint Paul voit alors le livre de théologie que Virgile étudiait au moment de sa mort. Il regarda le travail de sculpture de la chaire qui lui sembla impressionnant. Il examina tout et s’écria : « Très gracieux maître Virgile, fils du roi Gorgile, si je t’avais trouvé vivant, j’aurais arraché à Dieu sa miséricorde, je t’aurais baptisé, fait croire en Dieu et le prier. Quel homme eussé-je alors rendu à Dieu ! Vrai Dieu, tout puissant, ayez pour lui miséricorde, car ses écrits et tous ses dires s’accordent à notre loi ; il n’y a en eux rien de contraire. » Ainsi parlait saint Paul, pensant que Virgile ne croyait pas en notre loi, bien qu’il ait trouvé dans ses écrits ce qu’il avait prophétisé à plusieurs reprises.

[De sains Pol ce qu’ilh dest de Virgile] Apres alat sains Poul al armaire où Virgile avoit mis la lettre qu'ilh avoit escript de sa main ; si le trovat et le leisit. Adont dest sains Poul qu'ilh creioit oussi parfaitement com ons devoit croire, si en fuit bien aise ; puis prist tous ses libres, se les donnat à sa maisnies, qui les enportarent awec luy.

[Ce que saint Paul dit de Virgile] Après cela, saint Paul alla à l’armoire où Virgile avait déposé le texte écrit de sa main ; il le trouva et le lut. Alors il dit que Virgile croyait aussi parfaitement qu’on devait croire et il en fut très heureux. Ensuite il prit tous ses livres, les donna à ses compagnons qui les emportèrent avec eux.

[p. 278] [Des ossels Virgile] Puis prist ses osseals, se les enfermat en I couffre, et mis le couffre sus la chaiere et l'escripture autentique qu'ilh avoit, et commandat del gardeir à cheaux de Naple, et que nuls ne regardast dedens. Atant soy partit sains Poul, et alat à la mason Virgile, qu'ilh avoit fait derainement sour mere al manere d'on casteal ; là furent mis les osseals Virgile.

[p. 278] [Les ossements de Virgile] Puis il prit les ossements de Virgile, les enferma dans un coffre qu'il mit sur la chaire avec les écrits authentiques du magicien. Chargeant les Napolitains de le conserver, il interdit à quiconque de regarder à l’intérieur. Puis il partit vers la dernière maison que Virgile avait construite comme un château sur la mer. C'est là que furent déposés les ossements.

[Des tourmens qu’ilh font] Encors y sont-ilhs, qui font là mult de tourmens ; car quant on les soloit remueir de la chaire, la mere enfloit tantoist et venoit à casteal et se ons les levoit en hault, la mere cressoit si haultement que ly casteal noiast, se ons ne raseist le couffre. Et quant ilh astoient en leur droit lieu, la mere se rapaisoit.

[Les tempêtes qu’ils provoquent] Ils s'y trouvent encore et y provoquent de nombreuses tempêtes. Quand on les remuait sur la chaire, la mer gonflait aussitôt et atteignait le château. Quand on les soulevait, la mer grossissait au point d'inonder le château, si l'on ne remettait pas le coffre en place. Et quand ils étaient à leur juste place, la mer s’apaisait.

Enssi fut Virgile mors ; sy m'en teray à tant, et revenray à ma mateire droit chi ; se vos diray avant.

Ainsi mourut Virgile. Je m’en tiendrai là pour l'instant. Avant de revenir à ma matière, j'ai des choses à dire.

 

Hérode, qui ne s'est pas rendu à Rome mais simplement à Athènes, se plaint à Antoine, qui lui accorde des troupes commandées par Sosius - En Judée, Hérode apprend que son frère Joseph a été capturé et tué par Antigone - Il défait et tue le sénéchal d'Antigone - Il s'empare de Jérusalem et, en payant de sa propre personne et de ses propres deniers, empêche les Romains de Sosius de toucher au trésor du Temple - Sosius installe officiellement Hérode sur le trône de Judée et livre Antigone à Antoine qui le tue (20-19 a.C.n.)

 

[Herode soy plaindit à Anthone] Revenant à ma mateire, sour l’an Vc LXIX, astoit en Anthennes Anthone [p. 279] deleis la royne Cleopatre, sa novelle femme, que ilh amoit sy fort que ilh lassoit la citeit de Romme, et tenoit en Athennes por l'amour de lée ; et refusat et laisat la soreur l'emperere August, qui astoit sa femme, por cel ; dont puis l'en avient mal. En cel an meismes, le XXIIIe jour de mois de julet, vient Herode en Athennes ; si trovat là Anthone, et Ii comptat comment Frillons Ii avoit falit par la grant convoitiese qu'iIh avoit d'or et d'argent. De quoy Anthone fut corochiés quant ilh entendit chu, se chargat Herode Josie, son senescal et awec grant planteit de gens qu'ilh emynat vers Judée.

[Hérode se plaint à Antoine] Je reviens maintenant à mon sujet. En l’an 569 [20 a.C.n.], Antoine se trouvait à Athènes [p. 279] auprès de sa nouvelle épouse, la reine Cléopâtre. Il en était tellement épris qu’il avait abandonné Rome et restait à Athènes par amour pour elle ; il avait répudié et délaissé son épouse, sœur de l’empereur Auguste, pour cette femme qui par la suite fit son malheur. Cette même année, le 23 juillet, Hérode arriva à Athènes. Il y trouva Antoine et lui raconta comment Silon avait manqué à ses engagements envers lui, poussé par sa grande avidité pour l’or et l’argent (p. 274-275). Quand Antoine apprit cela, il fut très en colère, attacha à Hérode son sénéchal Sosius avec des forces importantes et les envoya en Judée.

[p. 279] En chesti an meisme, enssi corn Herode porcachoit ches chouses, avient que Josippe assemblat chu de gens qu'ilh poit avoir, et soy combatit contre Antygonus. Mains ilh fut desconfis et fut pris par le senescal Antygonus qui oit nom Paiens ; si l'envoiat à son sangnour Antygonus qui le batit tant de ses esporons qu'ilh l'ochist, se Ii fut tourneit à grant crualteit.

[p. 279] Cette même année, tandis qu’Hérode faisait ces démarches, (son frère) Joseph avait rassemblé (en Judée) tous ceux qu’il avait pu enrôler et avait combattu Antigone Mattathias. Mais il avait été défait et capturé par Pappos le sénéchal d’Antigone, qui envoya Joseph à son maître Antigone ; celui-ci le frappa si fort de ses éperons qu'il le tua, ce qui lui valut un renom de grande cruauté.

[Herode oit la victoir] Item, l'an Vc et LXX, en mois d'avrilh, vient Herode en Judée atout son poioir. Mains quant Paiens, le senescal qui avoit pris Josippe, le frere Herode, le soit, se vient contre luy, et se soy combattit ; si fut Paiens desconfis et pris, se Ii coupat Herode le chief, et l'envoiat son masneit frere Ferolans por la mort de Josippe son frere.

[Hérode remporte la victoire] En l’an 570 [19 a.C.n.], en avril, Hérode arriva en Judée avec ses forces ; mais quand le sénéchal Pappos, qui avait capturé Joseph, frère d’Hérode, l’apprit, il marcha contre lui. Un combat eut lieu ; Pappos fut défait et capturé. Hérode lui coupa la tête et l’envoya à son frère cadet Phéroras, pour venger la mort de Joseph.

[p. 279] [Herode assegat Jherusalem et le prist] Apres chu Herode assegat Jherusalem tout altour; mains Ia citeit fut si bien garnie qu'ilh ne le poit avoir dedens V mois tous entiers; puis fut-ilh prise à VIe mois. Si entrarent dedens les gens Herode ; et les Romans, que Josie avoit amyneit, en astoient si corochiés de cel siege, que ilhs n'encontrerent hommes qu'ilhs ne les tuassent. Adont descendit Antygonus de la thour ; se vient à Josie, se Ii chaiit aux piés. Chis Josie ne volt oncques avoir merchi de Antygonus, ains le fist prendre et loiier piés et mains, en disant qu'ilh avoit trop regneit.

[p. 279] [Hérode assiège Jérusalem et s'en empare] Ensuite, Hérode mit le siège autour de Jérusalem. Mais la cité était si puissamment défendue qu’il ne put la conquérir qu'au bout de cinq longs mois. Elle fut prise durant le sixième mois. Les troupes d’Hérode y pénétrèrent. Les Romains, menés par Sosius, étaient si irrités par ce siège qu’ils tuaient tous ceux qu’ils rencontraient. Alors Antigone Mattathias descendit de la tour ; il vint vers Sosius et tomba à ses pieds. Mais Sosius ne voulut pas avoir pitié de lui ; il le fit prendre, lui lier les pieds et les mains, en disant qu’il avait régné trop longtemps.

 [Herode defendit le temple] [Herode fut mult preux et hardis] Adont vinrent les chevaliers et les sergans qui astoient venus en son ayde, et voulrent perchoier le temple por le tressoir à avoir ; mains Herode ne le voult point souffrir. Anchois soy mist al entrée, l'espée en sa main toute nue, defendant à forche l'entrée. Si fut vilainement traitiés et ferus tant, que grandement fut navreis dedens le corps ; dont les novelles vinrent [p. 280] à Josie qui tantost alat là, si les departit. Et cheaux dessent que la gangne devoit eistre leur. Adont dest Herode qu'ilh les paieroit bien del sien, e tant qu'ilhs en sieroient bien contens. Mains quant Josie veit les plaies que Herode avoit, et comment son escut et son hayme Ii cheioient par pieches, se le tient à grant proieche de chu qu'ilh avoit tant soufflet. Item, lendemain departit Herode tout J'or et l'argent que ilh poit avoir aux gens Josie, et tant qu'ilhs s'en loiarent grandement à Josie.

[Hérode défend le Temple] [Hérode est très preux et vaillant] Alors les chevaliers et les sergents venus à son aide se présentèrent. Ils auraient voulu percer un trou dans le Temple pour s’emparer du trésor, mais Hérode ne le toléra pas. Dès lors il se mit à l’entrée, son épée dégainée à la main, et défendit le passage avec force. Il fut vilainement traité, frappé, et même grièvement blessé. La nouvelle parvint [p. 280] à Joseph, qui aussitôt se rendit sur place et sépara les adversaires. Ces hommes dirent que le trésor devait leur revenir. Alors Hérode leur répondit qu’il les paierait de ses propres deniers et qu’ils en seraient très satisfaits. Quand Sosius eut vu les plaies d’Hérode, son bouclier et son heaume en morceaux, il comprit qu'Hérode avait accompli un grand exploit. Le lendemain Hérode distribua tout l’or et l’argent qu’il put se procurer aux hommes de Sosius, qui dès lors s’attachèrent très fort à leur chef.

[Herode fut vengiés de ses anemis] Adont l'asseit Josie en la grant chaiere, et Iy rendit tout sa terre, puis s'en partit. Et retourna à Anthone en Athennes, et livrat Antygonus à Anthone, qui Ii chaiit aux piés, et Ii priat merchi. Mains Anthone le haioit tant qu'ilh ne le poioi veioir ; si prist une hanche qui unc garchon tenoit ; si en ferit teil cop Antygonus qu'ilh le trenchat jusqu'en la poitrine. Ehssi fut Herode vengiés de ses anemis, et se remanit roy de Judée.

[Hérode est vengé de ses ennemis] Alors Sosius installa Hérode sur le trône, lui rendit toute sa terre et s’en alla. Il retourna auprès d’Antoine à Athènes et lui livra Antigone ; celui-ci tomba à ses pieds et implora sa pitié. Mais Antoine le haïssait tellement qu’il ne pouvait le voir ; il prit une hache que tenait un valet ; il en asséna un tel coup à Antigone qu’il le trancha jusqu’à la poitrine. Ainsi Hérode fut vengé de ses ennemis et il resta roi de Judée.

 

Un rappel : mort de Virgile en 18 a.C.n.

 

[p. 280] Item, l’an Vc LXXI en mois de may le VIe jour fut ly jour que ly subtil cler Virgile morut, sicom j’ay dit desus.

[p. 280] En l’an 571 [18 a.C.n.], le 6 mai fut le jour où mourut Virgile le savant subtil, comme je l’ai dit ci-dessus.

 

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