Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 202b-211a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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 Judée et Rome : Salomé Alexandra et ses fils, Antipater, SCAURUS, POMPée, Mithridate [Myreur, p. 202b-211a]

Ans 523-525 de la transmigration = 66-64 a.C.n.

 

Introduction [sommaire] [texte]

Avec le récit des affaires de Judée et de l'intervention romaine dans la région, le terrain devient plus sûr, grâce notamment aux témoignages détaillés de Flavius Josèphe et aux sources romaines. Comme cela a été dit (p. 193), à la mort d'Alexandre Jannée, la régence échoit à son épouse Salomé Alexandra. Mais cette dernière se heurte très vite aux ambitions de ses deux fils, appuyés, Hyrcan II, par les Pharisiens, et Aristobule II, par les Sadducéens. Ils veulent tous les deux le pouvoir royal, et on est au bord de la guerre civile. Leur mère ne parviendra à aucun moment à trouver une solution acceptée par les deux parties. Elle en mourra de tristesse et de dépit en 67 avant notre ère. Voici l'affaire avec quelques détails.

À la mort de Salomé Alexandra, Hyrcan II, grand-prêtre depuis 76 avant notre ère, tentant un coup de force, ajoute à cette fonction la couronne de roi, un geste violemment contesté par son frère Aristobule II. Celui-ci écrase les partisans de son frère près de Jéricho, puis prend possession de Jérusalem. Hyrcan II, assiégé dans le Temple avec ses partisans, retient en otage la famille d'Aristobule II mais hésite à s'en servir. Les deux frères finissent par se rencontrer dans le Temple et passer une alliance : Aristobule II sera roi et Hyrcan II restera grand-prêtre. En 66 avant notre ère, les choses semblent donc réglées. Mais c'était compter sans les ambitions d'Hyrcan II, toujours intactes, sans l'intervention d'Antipater, conseiller d'Hyran, et sans Rome.

Appartenant à la famille royale de l'Idumée, son pays, Antipater est un personnage réputé sage et subtil dont Hyrcan II suit en tout les conseils. Sous son influence, Hyrcan II décide de rompre son accord avec Aristobule II et d’exiger le titre royal en lieu et place de ce dernier, officiellement roi, rappelons-le.

Ce dernier pressent le danger et décide d'agir pour le contrer. Se sentant alors directement menacés, Hyrcan II et Antipater s’enfuient à Pétra auprès d'Arétas III, roi des Nabatéens, dont ils obtiennent l'appui contre Aristobule II, en promettant de lui rendre plusieurs des villes qu'Alexandre Jannée lui avait prises quelques décennies auparavant. Arétas III entre alors en guerre contre Aristobule II et détruit une partie de son armée. Aristobule II se réfugie à Jérusalem et, pendant la Pâque 64 avant notre ère, il se retrouve assiégé dans le Temple par Hyrcan II et Antipater qui ont l'appui d'Arétas et de son armée. Le pays est divisé : aux yeux du peuple et des Pharisiens, Hyrcan, l'aîné, est perçu comme le souverain légitime, tandis que la puissante caste des Sadducéens se range dans l'ensemble du côté d'Aristobule.

C'est dans ce contexte que se place le début de l'intervention romaine. Au cours de la troisième guerre contre Mithridate (cfr plus loin), Pompée avait réduit la Syrie en province romaine et y avait installé comme gouverneur (legatus) un de ses officiers supérieurs Marcus Aemilius Scaurus. Flavius Josèphe (Guerre des Juifs, I, 6, 2-3) raconte que Scaurus « apprenant les événements de Judée, se rendit en toute hâte dans ce pays [avec son armée] pour profiter d'une telle aubaine ». On était à l'époque de l'expansion romaine en Orient, et on peut penser que Scaurus espérait par son intervention installer l'influence romaine également dans cette région. Quoi qu'il en soit, continue Flavius Josèphe, « quand il arriva sur sur le territoire juif, les deux frères lui adressèrent aussitôt des députés, chacun d'eux implorant son secours. Trois cents talents offerts par Aristobule l’emportèrent sur la justice ; à peine Scaurus les eut-il reçus qu’il envoya un héraut à Hyrcan et aux Arabes, les menaçant, s’ils ne levaient pas le siège, de la colère des Romains et de Pompée. Arétas, frappé de terreur, évacua la Judée et se retira [...], pendant que Scaurus retournait à Damas. Aristobule, non content de son propre salut, ramassa toutes ses troupes, poursuivit les ennemis, les attaqua [...] et en tua plus de six mille ; parmi les morts se trouvait le frère d'Antipater. »

Privés du secours des Arabes, Hyrcan et Antipater n'en restèrent pas là. Ils se tournèrent vers Pompée lui-même, rentré à Damas, et demandèrent son artibrage, ne réalisant manifestement pas que demander l'arbitrage de Rome, c'était introduire, pour longtemps, « le loup romain dans la bergerie juive ».

Mais poursuivons la présentation de Flavius Josèphe (Guerre des Juifs, I, 6, 4-5), un peu différente de la vision de Jean d'Outremeuse. Elle aboutira toutefois au même résultat, à savoir l'exaspération de Pompée à l'égard du roi Aristobule II.

« Hyrcan et Antipater cherchèrent un refuge auprès de [Pompée] ; outre des présents, ils apportaient encore pour leur défense les mêmes raisons dont ils s'étaient servis auprès d’Arétas, suppliant Pompée de détester la violence d'Aristobule et de ramener sur le trône celui que son caractère et son âge en rendaient digne. Cependant Aristobule ne montra pas moins d'empressement ; l'effet de ses dons à Scaurus lui donnait confiance, et il parut devant Pompée dans l'appareil le plus magnifiquement royal. Toutefois, méprisant la bassesse et ne souffrant pas de se laisser imposer, même par intérêt, une servilité indigne de son rang, il quitta » Pompée et se retira noblement « à Alexandrion, place somptueusement fortifiée et située sur une haute montagne », laissant ainsi entendre, probablement, que c'était à Pompée de venir l'y rejoindre pour discuter de la question. « Irrité de cette conduite et cédant aux supplications d'Hyrcan et de ses amis », Pompée s'y rendit, mais « avec des troupes romaines et un fort contingent d'auxiliaires syriens ». Arrivé sur place, Pompée lui envoya par des messagers l'ordre d'en descendre. « Aristobule, devant cette invitation trop impérieuse, était disposé à risquer le combat plutôt que d'obéir, mais il voyait la multitude effarée et ses amis le pressant de considérer la puissance invincible des Romains. Il se laissa persuader et descendit auprès de Pompée ; puis, après avoir justifié longuement devant lui son titre royal, il remonta dans son château. Il en sortit une seconde fois sur l'invitation de son frère [Hyrcan II], plaida sa cause contradictoirement avec lui, puis repartit sans que Pompée y mît obstacle. Balancé entre l'espérance et la crainte, tantôt il descendait dans l'espoir d'émouvoir Pompée et de le décider à lui livrer le pouvoir, tantôt il remontait dans sa citadelle, craignant de ruiner son propre prestige. Enfin Pompée lui intima l'ordre d'évacuer ses forteresses, et comme il savait qu'Aristobule avait enjoint aux gouverneurs de n'obéir qu'à des instructions écrites de sa main, il le contraignit de signifier à chacun d'eux un ordre d'évacuation ; Aristobule exécuta ce qui lui était prescrit, mais, pris d'indignation, il se retira a Jérusalem pour préparer la guerre contre Pompée. » On comprend l'exaspération de Pompée.

Passons sur d'autres détails donnés par Flavius Josèphe dans sa Guerre des Juifs, et avant d'en venir au siège de Jérusalem, notons encore que selon le Flavius Josèphe des Antiquités judaïques (XIV, 14), Pompée aurait reçu à Damas trois délégations juives : une d'Hyrcan II, une d'Aristobule II, et une troisième du peuple juif qui « n'était d'accord ni avec l'un ni avec l'autre, et qui demandait à ne pas avoir de rois ». Nous n'essayerons pas de concilier ces deux versions.

Quoi qu'il en soit, Pompée finit par faire jeter Aristobule II en prison, marcha sur Jérusalem et s'empara de la ville sans réelles difficultés. Le Temple, lui, ne céda qu'après un siège de trois mois, très coûteux en vies humaines (12.000 hommes selon Flavius Josèphe). Le saccage du Temple et l'entrée des Romains et de Pompée jusque dans « le saint des saints » furent perçus par les Juifs, tous camps confondus, comme une profanation sacrilège inexpiable, même si Flavius Josèphe note (Antiquités judaïques, XIV, 72) que « Pompée lui-même ne toucha à rien par piété » (même version chez Cicéron, ami de Pompée, dans le Pro Flacco, 67).

Le siège, Jean d'Outremeuse ne le précise pas, comporta des épisodes étonnants. Ainsi, « les scrupules religieux des assiégés facilitèrent sa victoire [= de Pompée] : ces hommes pieux ne s'autorisaient qu'une guerre défensive pendant le sabbat ; ils laissèrent donc tous les sept jours s'élever des remblais et des tours sans y opposer de résistance » (M. Hadas-Lebel, Rome, la Judée et les Juifs, Paris, 2009, p. 24).

Quoi qu'il en soit, après la prise de Jérusalem et du Temple, Pompée est désormais le maître absolu du jeu. Les décisions prises conduisirent à une situation qui peut se résumer comme suit : c'en est fini de l'indépendance de la dynastie hasmonéenne. La Judée n'est pas encore une province romaine, mais devient dans les faits un protectorat romain. Le véritable chef de la Judée est le légat de Syrie, Scaurus, décrit par Jean comme le nouveau sires de Judée. Une garnison romaine de mille hommes stationne dans le pays. Hyrcan II conserve son titre de grand pontife, mais n'a pas le droit de porter celui de roi. Il est un simple « ethnarque [chef de la nation, du peuple] », chargé pourrait-on dire de gérer les affaires courantes et d'exécuter les décisions prises ailleurs. Antipater, présenté comme «épimélète [administateur] des Juifs », est un peu « l'homme de Rome » ; il cherche en tout cas « à se rendre indispensable aux Romains ». Quant à Arétas, il conserve son trône contre une amende de 300 talents à payer à Scaurus, gouverneur de Syrie. Lorsque Pompée rentre à Rome en 62, il emmène dans ses bagages, comme prisonniers, Aristobule II, ses fils et ses filles.

Un des fils d'Aristobule II, Alexandre, réussit toutefois à s'échapper au début du voyage et revient en Judée, où il soulève une révolte qui deviendra vite menaçante et qui sera finalement écrasée, assez difficilement d'ailleurs, s'il faut en croire le récit de Flavius Josèphe (Guerre des Juifs, I, 8, 2-5), par les forces juives d'Antipater et surtout par l'armée de Gabinius, où se distingua Marc-Antoine. Flavius fait, lui aussi, état du rôle important joué par la mère d'Alexandre dans le démantèlement des citadelles juives, écrivant textuellement que « Gabinius, sur les conseils de la mère d'Alexandre, détruisit de fond en comble toutes ces places, pour qu'elles ne pussent servir de base d'opération dans une nouvelle guerre. Cette princesse demeurait auprès de Gabinius, qu'elle cherchait à se concilier par sa douceur, craignant pour les prisonniers de Rome, son époux et ses autres enfants ».

Quant au territoire de la Judée, il est sérieusement réduit, perdant bien des régions conquises précédemment par Jean Hycan I et par Alexandre Jannée. Les villes côtières sont autonomes. La Judée est coupée de la Galilée au nord par une Samarie devenue autonome. Le territoire laissé à Hyrcan est devenu bien petit, et le pouvoir qu'il peut exercer sur lui est d'ailleurs amoindri par une division en cinq zones, contrôlées chacune par un sénat local. Toutes ces précisions figurent aussi chez Flavius Josèphe.

Ainsi la Judée redessinée par les Romains après leur intervention violente dans le conflit entre Hyrcan II et Aristobule II était toute différente de ce qu'elle était quelques dizaines d'années plus tôt à la mort d'Alexandre Jannée : territorialement très réduite, désarmée et dotée d'un pouvoir central faible. « Les Juifs, écrivit Flavius, délivrés de la domination d'un seul, accueillirent avec joie le gouvernement aristocratique ».

Jean termine son exposé sur les affaires juives en signalant le mariage d'Antipater avec Héroda, la fille du roi d’Arabie, « une dame très belle et très sage ». L'information est importante, car cette dame donnera à Antipater cinq enfants, une fille et quatre fils ; les fils avaient pour nom Phasaël, Hérode surnommé Ascalon, Joseph et Phéroras ; la fille s’appelait Salomé. Antipater était donc le père d'Hérode le Grand.

Ces événements (guerre civile entre Hyrcan II et Aristobule II, intrigues d'Antipater, intervention d'Arétas, opérations militaires, règlement imposé par Pompée, révolte d'Alexandre, intervention de Gabinius) sont racontés par Flavius Josèphe, dans les Antiquités judaïques, XIV, 1-5, et dans la Guerre des Juifs, I, 5-8, avec quelques différences qu'il serait intéressant de relever et de commenter, ce que nous ne pouvons évidemment pas faire ici.

Quelques notices sur les opérations militaires des Romains en Judée sont traitées plus loin (p. 214-215). On pourra s'y reporter.

Les dernières notices du présent fichier font état de diverses opérations militaires romaines, que nous ne commenterons pas. Il y eut notamment dans l'histoire, entre 88 et 63 avant notre ère, trois guerres entre Rome et le royaume du Pont, aux mains de Mithridate VI, d'où le nom de Guerres de Mithridate, qui servent à les désigner. Pompée y mit fin définitivement (66 à 63 avant notre ère). Certaines furent très violentes. On en trouvera quelques échos à la p. 210.

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Il n'est pas toujours facile d'identifier les noms propres donnés dans Ly Myreur, qu'il s'agisse des lieux (montagnes ou villes), ou des acteurs. On voit par exemple apparaître à la p. 210 un Vesubium la montagne. On songerait immédiatement au Vésuve, mais ce dernier est en Italie ! Ces problèmes d'identification ne se posent pas uniquement d'ailleurs pour les Guerres de Mithridate ; c'est l'ensemble des opérations extérieures de Rome que nous avons du mal à reconstituer à partir du Myreur.

Quoi qu'il en soit, on soulignera à nouveau les faibles connaissances de Jean en matière d'institutions romaines. On a parlé déjà (p. 197 et p. 200) du consulat. On relèvera aussi le caractère tout à fait fantaisiste de la notion de triumvirat sous la plume de Jean (ici p. 209 et, plus loin, p. 217). Le triumvirat de César, Pompée et Crassus (60 avant notre ère) n'a rien d'une institution romaine véritable : c'est un simple accord informel, une sorte de pacte, entre trois personnes qui leur assure une position dominante dans l'état. Il n'en sera plus tout à fait de même du triumvirat (43 avant notre ère), officiellement conclu lui, entre Octave, Antoine et Lépide, mais dont Jean ne saisira pas la portée exacte (p. 269). Cette même faiblesse terminologique apparaît chez Jean à propos de (Marcus Aemilius) Scaurus, qualifié d'abord de « duc de Rome », ce qui n'a aucun sens dans la société romaine du temps. Scaurus est un officier supérieur (techniquement un « tribun militaire ») dans l'armée de Pompée dont il est l'ami. Lorsque ce Scaurus est promu par Pompée gouverneur romain de Syrie (techniquement un legatus « légat, délégué »), Jean en fait « un bailli ». Lorsque Pompée lui accorde le pouvoir réel sur la Judée vaincue, mais pas encore province romaine, Jean en fait le sires de Judée (p. 207). On verra plus loin (p. 274-275) que le même Jean emploie le mot « princes » pour désigner les deux commandants des troupes romaines qu'Hérode reçoit des autorités romaines pour l'aider à reprendre possession de son trône : ces « princes » étaient en fait un proconsul, P. Ventidius Bassus, et son legatus, Poppaedius Silon (cfr aussi sur ce point l'introduction des p. 264-275). Le chroniqueur liégeois sort difficilement du cadre médiéval.

 

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Sommaire

Salomé Alexandra, régente, influencée par les Pharisiens, favorise son fils aîné Hyrcan et exile son cadet Aristobule, qui rassemble une troupe de partisans et revendique le trône, puis y renonce sous la menace de sa mère qui meurt de dépit trois jours plus tard - Aristobule remporte une bataille contre Hyrcan et assiège Jérusalem - Accord de paix précaire entre les deux partis (vers 66 a.C.n. ; dates non précisées)

Entrée en scène d'Antipater et des Romains (Scaurus) : Sur le conseil d'Antipater, Hyrcan se fait le vassal d'Arétas III d'Arabie, pour contrer Aristobule - Arétas part à la reconquête de la Judée et assiège Jérusalem - Le romain Scaurus intervient, choisit le parti d'Aristobule et repousse Arétas et Hyrcan (vers 66 a.C.n.)

* Pompée intervient à Jérusalem : Pompée choisit Hyrcan comme roi légitime - Impossible entente entre Pompée et Aristobule, retranché dans la forteresse d'Alexandrion - Ruse vaine d'Aristobule contre Pompée, qui finit par assiéger Jérusalem et par pénétrer dans le Temple, grâce au clan d'Hyrcan (66 a.C.n., sans précisions)

* Mesures de Pompée : Hyrcan est nommé grand-prêtre - Scaurus devient le « seigneur de Judée » - Aristobule II, fait prisonnier avec sa famille, est emmené par Pompée qui retourne à Rome - Au début du voyage, Alexandre, un des fils d'Aristobule II, s'échappe et retourne en Judée - Il la soulève mais la révolte est écrasée par l'armée de Gabinius, le général de Scaurus - Hyrcan a la charge des affaires courantes dans une Judée désarmée et partagée en cinq - Antipater épouse la fille du roi Arétas

Rome : Triumvirat de Pompée, César et Crassus - Guerres en Espagne, Grèce, Macédoine, Proche-Orient - Campagnes victorieuses contre Mithridate et contre Tigrane (64 a.C.n.)

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Salomé Alexandra, régente, influencée par les Pharisiens, favorise son fils aîné Hyrcan et exile son cadet Aristobule, qui rassemble une troupe de partisans et revendique le trône, puis y renonce sous la menace de sa mère, qui meurt de dépit trois jours plus tard - Aristobule remporte une bataille contre Hyrcan et assiège Jérusalem - Accord de paix précaire entre les deux partis (vers 66 a.C.n.)

 

[p. 202] [De Hircanus et Aristobolus] En chi temps movit grant guere entre la royne Salite de Judée et de ses II fis, por la terre de Judée tenir apres la mort de leur mere qui ancors visquoit ; car cascons voloit eistre roy, assavoir : Hircanus voloit eistre roy portant qu'ilh astoit anneis, et Aristobolos portant qu'ilh astoit hardis et chevalereux. Et Salite, la mere, amoit plus Hircanus qu'ilh ne faisoit le jovene. Partant le fist-elle evesque de la loy, car il estoit anneis et plus debonnars et mies attempreis que li aultre ; et li promist que ilh seroit roy apres sa mort. Et ly peuple astoit favorauble à Aristobolus por sa proieche ; si voloit entirement que ilh fust roy.

[p. 202] [Hyrcan et Aristobule] À cette époque [vers 66 a.C.n.] éclata une grande guerre entre la reine Salomé Alexandra de Judée et ses deux fils à propos de celui qui règnerait en Judée, après la mort de leur mère. Chacun voulait le pouvoir : Hyrcan (II) était l'aîné ; Aristobule (II) était vaillant et courageux. Salomé, leur mère, préférait Hyrcan à son cadet. C'est pourquoi elle désigna Hyrcan comme grand-prêtre, car il était l’aîné, plus généreux et plus modéré que son cadet. Elle lui promit aussi le trône après sa propre mort. Mais le peuple était plus favorable à Aristobule à cause de ses prouesses ; aussi voulait-il absolument qu'Aristobule devienne le roi.

[Pharisiens] Quant la damme chu aparchut, si encachat son fis Aristoble fours de la terre ; et puis fuit aux Juys mult fel et contraire, ortant qu'elle oit esteit debonnaire al temps le roy Alixandre son marit ; et affin que la royne fust plus fort encontre le peuple, elle fist alianche à une nation de gens qui à cheli temps habitoient en son pays, qui astoient nomeis Phariseiiens, qui est à dire gens desevreis, car ilh astoient desevreis des aultres Juys, partant qu'ilh [p. 203] ne creioient nient bien la loy. Par le conselhe de celle gens ovroit la royne en toutes chouses, et se tenoient li unc l'autre, affin que les Juys le dobtassent plus. Et quant la royne savoit unc homme qui avoit esteit amis le roy Alixandre, elle le faisoit pendre ou morir. Quant les Juys veirent chu, si furent esmaiés, et tant que li pluseurs s'enfuirent à Aristoible, por avoir ayde de luy. Quant Aristoble entendit ses barons, si vient à grant compagnie de gens, tant de la terre com de strangnirs, par-dedens la terre de Judée por la terre prendre ; et dest qu'ilh se feroit coronneir.

[Pharisiens] Quand Salomé Alexandra s’en aperçut, elle chassa du pays son fils Aristobule et se montra ensuite très fourbe et hostile envers les Juifs, autant qu'elle leur avait été favorable au temps de son mari, le roi Alexandre Jannée. Afin de s'opposer plus fortement au peuple, la reine s'allia à des habitants de son pays, nommés Pharisiens, c’est-à-dire « gens à part », car ils se distinguaient des autres Juifs, [p. 203] en ne respectant pas bien la loi (p. 390). En toutes choses la reine agissait sur leur conseil et ils se soutenaient mutuellement, afin de se faire davantage craindre par les Juifs. Ainsi, si la reine apprenait que quelqu'un avait été l'ami du roi Alexandre, elle le faisait pendre ou mettre à mort. En voyant cela, les Juifs prirent peur, au point que beaucoup d'entre eux s’enfuirent auprès d’Aristobule pour obtenir son aide. Après avoir entendu ses barons, Aristobule arriva (en Judée) avec une troupe nombreuse venant du pays même et de l’étranger, pour conquérir la Judée et il déclara qu’il se ferait couronner.

[La royne Salite mourut de grant despit] Quant Hircains le frere Aristoble soit la venue de son frere, se vint à Salite sa meire la royne, et ly criat merchi, en disant que son frere li voloit tollir sa terre, dont ilh devoit eistre roy sicom ly anneis. De chu prist la royne si grant despit que del yreur elle en chayt en une grant maladie, de chu que Aristoble oisoit faire teile chouse. Sique de celle maladie el en morut cel année meismes ; mais en sa maladie fist prendre Gephas la femme Aristoble et ses enfans qui astoient en la citeit, et metre en prison, en jurant que ilh ne ysteront jamais sens mort, se Aristoble ne lassoit son frere la droiture de la terre qui astoit siene com anneis heure. Dont Aristoble fut mult corochiés por sa femme et ses enfans, car ilh doubtoit mult que sa mere ne les fesist ochire ; et lassat la guere, et donnat sa mere bons ostagiers que jamais ilh ne clamerait riens à la terre de Judée, se son frere ne moroit devant luy sens heure. Apres chesti accorde ne demorat que III jours que la royne morit, et morut en septembre l'an Vc et XXIIII.

 [La reine Salomé/Alexandra meurt de dépit] Quand Hyrcan apprit la venue de son frère Aristobule, il se rendit chez sa mère la reine Salomé Alexandra, l’appelant à l’aide et disant que son frère voulait lui enlever la terre dont il devait être roi en tant qu’aîné. La reine conçut un si grand dépit de voir Aristobule capable d’une telle audace qu’elle en tomba gravement malade et en mourut dans l'année. Dans l'intervalle, elle avait fait capturer et emprisonner Géphas, l'épouse d’Aristobule, et ses enfants, présents dans la ville, et elle jura que jamais ils n’en sortiraient vivants, si Aristobule ne laissait à son frère Hyrcan son droit sur la terre dont il était l'héritier en tant qu'aîné. Aristobule fut très affligé du sort réservé à sa femme et à ses enfants. Comme il redoutait fort de les voir exécutés par sa mère, il renonça à combattre, fournit de bons otages et s'engagea à ne rien réclamer du pays de Judée, sauf si son frère mourait avant lui sans héritier. Moins de trois jours après cet accord, la reine mourut, en septembre 523 [66 a.C.n.].

 [Hircains desconfis] Et quant la royne fut morte, enssi com dit est, se mandat Aristoble toutes ses gens qu'ilh pot avoir, et en assemblat plus que l'autre fois ; si allat contre son frere vigereusement ; mains, quant Hircains le soit, se dest que ilh avoit mentit sa loy des convens qu'ilh avoit à sa mere. Adont mandat Hircains toutes ses gens ; si oit batalhe à son frere, qui fut dure et pesante ; si oit des mors et des navreis d'onne partie et d'autre. En chesti estour oit Aristoble plus de gens et plus crueux que Hircains, et portant fut Hircains al derain desconfis ; si s'en fuit ly et ses gens en la citeit de Jherusalem, et Aristoble l'assegat tout entour.

 [Hyrcan est défait] Comme on l’a dit, dès la mort de la reine, Aristobule rassembla tous les partisans qu’il put, plus nombreux encore que la fois précédente, et marcha en force contre son frère. En apprenant cela, Hyrcan dit qu’Aristobule n’avait pas respecté les accords conclus avec sa mère et convoqua tous ses partisans. Une bataille dure et éprouvante opposa les deux frères, faisant des morts et des blessés de part et d’autre. Dans cette bataille, Aristobule avait des hommes plus nombreux et plus féroces qu'Hyrcan, lequel finalement fut vaincu et se réfugia avec ses partisans dans Jérusalem, où Aristobule l’assiégea et l'encercla.

Mains les barons d'onne part et d'altre ne [p. 204] porent plus souffrir le discorde ; si soy mellarent de faire pais par le consentement dez dois rois en teile manière. Ihl fut promirs ordineit en la pais que les II freres seroient ambdois roys, et tenroient ensemble la terre sens departir, mains Aristoble sieroit coronneis et porteroit la coronne com roy, portant que ilh astoit hardis ; et Hircains demoroit evesque de la loy, et auroit les rentes de tout le royalme, et sieroient despendues par son conselhe que Aristoble ne poroit prendre por I denier, se chu n'astoit par le consentement de Hircaine ; et n'aroit Hircain nulle sengnorie par tout la terre, citeis, casteals ne fortereches.

Mais les barons des deux camps [p. 204] ne purent plus supporter cette discorde et intervinrent pour obtenir l’accord des deux rois sur une paix aux conditions suivantes : en premier lieu, les deux frères seraient tous les deux rois, et posséderaient la terre sans la partager ; Aristobule serait couronné et porterait la couronne royale, parce qu'il était le plus vaillant, Hyrcan serait grand prêtre de la loi et disposerait des revenus de l'ensemble du royaume, qui seraient utilisés sur son conseil, et Aristobule ne pourrait en prendre un denier sans le consentement de son frère ; Hyrcan enfin ne posséderait dans tout le territoire ni seigneurie, ni cités, ni châteaux ni forteresses.

En teile manere fut la pais ordinée entre les dois freres, qui mult pau durat ; car ilh ne durat pais dois mois, enssi com vos oreis.

 Tels furent les termes de la paix conclue entre les deux frères. En fait, elle ne dura même pas deux mois, comme vous allez l’apprendre.

 

Entrée en scène d'Antipater et des Romains : sur le conseil d'Antipater, Hyrcan se fait le vassal d'Arétas III d'Arabie, pour contrer Aristobule - Arétas part à la reconquête de la Judée et assiège Jérusalem - Le romain Scaurus intervient, choisit le parti d'Aristobule et repousse Arétas et Hyrcan (vers 66 a.C.n.)

 

[p. 204] [De Antipater] Hircains ly evesque avoit en sa court I chevalier, qui astoit nommeis Antipater, par cuy conselhe il faisoit tous ses affaires, portant qu'ilh astoit saige et subtils. Si avient que Aristoble soy aperchuit de son conselhe, et comment son frere soy mentenoit tres-saigement par le conselhe de chely chevalier ; si fut en grant doubtanche que li chevalier ne donnast aqueile conselhe par lequeile ilh posist eistre desavanchis de son regne ; si queriste volentirs ocquison de li ochire ou de cachier fours de la terre ; siqu'ilh fust de la compangnie son frere osteis. Mains Antipater astoit tant saige de luy gardeir qu'ilh n'en poioit à chief venir ; et tant monstrat Aristoble de manieres que Antipater s'en est apercheus ; si est venus à Hircains, et ly dest : « Sires, vos esteis mors, se de cel pays n'en fuyés, car vostre frere porcache vostre mort. »

[p. 204] [Antipater] Le grand prêtre Hyrcan avait à sa cour un chevalier, nommé Antipater, dont il suivait les conseils dans toutes ses affaires, car cet homme était sage et subtil. Aristobule s’aperçut de cette influence. Il vit que le sage comportement de son frère était dû aux conseils de ce chevalier et il eut très peur que ce dernier ne donnât des avis susceptibles de lui faire perdre ses avantages dans le royaume. Aristobule aurait volontiers cherché l’occasion de tuer Antipater ou de le chasser du territoire, pour l'éloigner de son frère. Mais Antipater montrait tant de sagesse à se protéger qu’Aristobule ne put atteindre son but. Cependant, les manoeuvres d'Aristobule devinrent si fréquentes qu’Antipater les remarqua et vint trouver Hyrcan et lui dit : « Sire, vous êtes un homme mort si vous ne fuyez pas loin de ce pays, car votre frère recherche votre mort. »

[Malisce] Quant Hircain l'entent, si fut mult esbahis, et demandat conselhe que ilh poroit faire ; et ilh ly dest : « Sires, nos en yrons entre vos et moy à roy Ereche d'Arabe, qui marchist pres de chi ; se li crieis merchi, et deveneis ses homs par teile condition que ilh vengne à tout son gran barnaige conquerre la regne de Judée, et vos le tenreis de luy : enssi poreis vostre royalme recovreir, car je ne puy en aultre maniere veioir vostre recovranche. »

[Ruse] Entendant cela, Hyrcan fut très étonné et lui demanda quoi faire. Antipater lui dit : « Sire, vous et moi nous nous rendrons auprès du roi Arétas d’Arabie, notre proche voisin. Vous implorerez son aide et vous vous soumettrez à lui à la condition qu’il vienne avec toutes ses forces conquérir le royaume de Judée, que vous tiendrez alors de lui. Vous pourrez ainsi recouvrer votre royaume ; je ne vois pas d'autre moyen pour vous de rentrer en possession de vos droits. »

 [De roy Ereche] Hircains pensat I pau, et puis ly semblat que chis ly avoit donneit mult bon conselhe, si respondit qu'ilh le feroit ; et le lassarent enssi jusques à meynuit en promier somme qu'ilh s'en alerent entre eaux dois, tant qu'ilh vinrent en Arabe, où ilh ont troveit le roy [p. 205] Ereche dedens I casteal qui astoit nomeis Lapire ; car chis astoit ly lieu où li roy sojournoit plus volentiers. Là sont venus sour l'an deseurdit VIII jours en mois de fevrier, et criat merchi à roy Ereche, et devient ses hons de toute la terre de Judée, dont son frere Aristoble l'avoit deshireteit. Et ly roy le rechut mult volentirs, puis assemblat ses oust et vient en Judée mult enforchiement por remettre Hircain en sa sengnorie.

 [Le roi Arétas] Hyrcan réfléchit pendant un certain temps, puis, jugeant bon le conseil d'Antipater, il accepta de le suivre. Ils attendirent ainsi minuit et le premier sommeil, puis ils se rendirent tous deux en Arabie, où ils trouvèrent le roi [p. 205] Arétas, dans une place-forte nommée Pétra. C’était l'endroit où ce roi séjournait le plus volontiers. Ils y arrivèrent le 8 février de l’an cité ci-dessus [66 a.C.n.]. Hyrcan implora l’aide du roi Arétas et plaça sous son autorité les habitants du royaume de Judée, dont son frère Aristobule l’avait dépossédé. Le roi le reçut aimablement, rassembla ses armées et se rendit en Judée avec de grandes forces pour rétablir Hyrcan en sa souveraineté.

Et chis roy et ses gens prisent une grant partie de la terre de Judée, et assegat la citeit de Jherusalem altour, et l'euwist prise, si ne fust Taurus, I duc de Romme, qui fist leveir le siege par sa forche.

Ce roi et ses hommes conquirent une grande partie de la Judée et assiégèrent la ville de Jérusalem. Ils l’auraient prise, si Scaurus, un duc de Rome, n'en avait fait lever le siège par la force.

[p. 205] [De Taurus bailhiers de Surie] Chis Taurus astoit balhiers de Surie par le commandement des Romans ; car Pompeyus li consule li avoit intaublit depart les Romans, à cuy la terre de Surie astoit adont par tregut, et avoit jà esteit par l'espause de XXVI ans que les Romans l'avoient conquiese, sicom dit est deseur. Chis Taurus choisat la guerre qui astoit entres les freres roys de Judée ; si s'avisat que ors astoit-ilh temps del conquere la terre en nom des Romans ; portant fist-ilh le siege departir des Arabiens, et puis commenchat al chevalchier à grant gens sour la terre.

[p. 205] [Scaurus bailli de Syrie] Ce Scaurus était bailli de Syrie. C'était en effet le consul Pompée qui l’y avait installé au nom des Romains, dont la Syrie était alors tributaire. Comme cela a été dit précédemment, la Syrie avait ce statut depuis vingt-six ans, depuis sa conquête par les Romains. Constatant la guerre qui sévissait entre les deux frères, tous deux rois de Judée, Scaurus décida que le temps était venu de conquérir ce pays pour le compte des Romains. Il fit donc lever le siège des Arabes, puis se mit à chevaucher avec une grande armée à travers le pays.

Quant les dois freres sorent la venue de cel Taurus, si envoiat cascons d'eaux à ly qu'ilh ly vosist aydier ; mains portant que Aristoble enviat à Taurus awec les messagiers IIIc besans d'or, et Hircain ne ly envoiat riens, se demorat de la partie de Aristoble, et chantat à Hircain : « Beais sire, niquet, niquet, point d'argent, point de valoir, ne point de varlet. »

Quand les deux frères apprirent l’arrivée de Scaurus, ils lui firent savoir que chacun d'eux désirait l’aider. Mais comme Aristobule avait envoyé à Scaurus des messagers avec trois cents besants d’or et que Hyrcan ne lui avait rien fait parvenir, Scaurus prit le parti d'Aristobule et chanta à Hyrcan : « Beau Sire, nique, nique, ni argent, ni valeur ni valet. »

Et chu fut adont que ly balhiers Taurus mandat par ses lettres al roy Ereche qu'ilh soy partist del siege, car, s'il ne s'en partoit, ilh manderait son sangnour Pompeyus qui astoit en Armenie ; se ne ly lairoit plain piet de terre à destruire. Adont soy partit ly roy Ereche de siege por le doubtanche des Romans, et emynat awec ly Hircains et Antipater, et les donnat terres por eaux.

Le bailli Scaurus envoya une lettre au roi Arétas, lui ordonnant de lever le siège. Sinon, Scaurus en avertirait son seigneur Pompée qui se trouvait en Arménie : il ne lui permettrait de ravager aucun endroit accessible du territoire. Alors Arétas, craignant les Romains, leva le siège et s'en alla, emmenant avec lui Hyrcan et Antipater, à qui il donna des terres.

 

Pompée intervient à Jérusalem : Pompée choisit Hyrcan comme roi légitime - Impossible entente entre Pompée et Aristobule, retranché dans la forteresse d'Alexandrion - Ruse vaine d'Aristobule contre Pompée, qui finit par assiéger Jérusalem et par pénétrer dans le Temple, grâce au clan d'Hyrcan

 

Apres avient que Pompeyus revient d'Armenie, et vient à Damas. Et quant cheaux de pays soirent sa venue, se vinrent contre luy, et ly priarent merchi que ilh vosist aidier Hircain encontre son masneit frere Aristoble, qui ly avoit tolue sa terre par trahison ; et si astoit Hircains anneit de luy, et li avait sa mere lassiet à lit [p. 206] morteile qui l'avoit tenuit IX ans apres la mort Alixandre son marit, qui à lée l'avoit lassié. Grandes proiers et requestes oit Pompeyus depart Hircain qu'ilh le remetist en sa terre.

Pompée alors revint d’Arménie à Damas. Quand les habitants du pays apprirent sa venue, ils vinrent le trouver et lui demandèrent d'accepter d'aider Hyrcan contre son cadet Aristobule, qui l’avait traîtreusement dépouillé de sa terre. Ils dirent qu'Hyrcan était l'aîné et que sa mère, sur son lit de mort, lui avait légué ce pays [p. 206] qu'elle avait dirigé pendant neuf ans, après la mort de son mari Alexandre, qui le lui avait laissé. Pompée entendit les prières et les requêtes insistantes de Hyrcan et il le rétablit sur son trône.

[Crueuse reponse de Aristoble à Pompeyus] Et Aristoble ne s'obliat mie, ains vient à Damas, et fist à Pompeyus grant honneur ; mains Pompeyus ne ly fist mie belle chier, car ilh ne le tient mie à roy de Judée. De quoy ilh anoiat mult fort à Aristoble, et le tient à grant desdengne. Et s'est partis sens congiers prendre, et puis se mist en Alixandre portant que chu astoit la plus fort fortereche de son pays ; se quidat que Pompeyus ne le prenderoit jà par forche.

[Violente réponse d’Aristobule à Pompée] Aristobule ne se laissa pas oublier. Il vint à Damas et fit grand honneur à Pompée. Mais ce dernier ne lui prêta guère d’attention, ne le considérant pas comme roi de Judée. En cela il irrita fortement Aristobule et le traita avec grand mépris. Aristobule s’en alla sans prendre congé, puis s’installa à Alexandrion, la forteresse la plus puissante du pays. Il croyait que Pompée ne la prendrait jamais par la force.

[p. 206] Et quant Pompeyus oyt dire que Aristoble voloit contre luy tenir fortereche, si rasemblat ses oust et alat apres luy pour prendre luy et le casteal. Et envoiat devant I messagiers en Alixandre à Aristoble, se li mandat par ses lettres que ilh venist parleir à ly ; et Aristoble ly remandat qu'ilh n'ysteroit pais de son casteal, ne s'y n'yroit point parleir à luy. Quant les barons Aristoble meismes entendirent la crueuse reponse que Aristoble respondoit à prinche de Romme, se li blamerent mult, et ly dessent qu'ilh issist de son casteal et si alast parleir à luy ; car Pompeyus astoit trop fors et crueux, et s'ilh le prendoit par norche ilh l'ochiroit tantoist, portant qu'ilh seroit remeis sour chu qu'ilh avoit defendut.

[p. 206] Lorsque Pompée apprit qu’Aristobule voulait lui résister en occupant une forteresse, il rassembla ses troupes et le poursuivit pour le capturer, lui et le château-fort. Il envoya d'abord à Alexandrion un messager, ordonnant par lettre à Aristobule de venir lui parler. Aristobule dit qu’il ne sortirait pas du château et n’irait pas s'entretenir avec lui. Quand les barons d’Aristobule entendirent la réponse violente qu’il avait faite au prince de Rome, ils le blâmèrent fortement et lui dirent de sortir du château-fort pour aller lui parler. Pompée, lui disaient-ils, était très fort et très cruel : s’il s'emparait de lui par la force, il le tuerait aussitôt, parce qu'il aurait persisté dans ce qu'il avait défendu.

Par le conselhe de ses barons issit Aristoble de son casteal, et laissat ens mult bonnes gardes por ly defendre, auxqueis ilh fist faire seriment que le castel ne renderont à nulle homme, se ilh ne le disoit de sa bouche, ou le mandast par son seaul. Et quant Aristoble fut issus de son casteal, si n'alat mie parleir à Pompeyus ; anchois s'en alat vers Jherusalem, et garnit la citeit sicom por defendre. Mains quant Pompeyus le soit, si tournat cel part son chemyen. Quant Aristoble le soit, si en oit mult grant paiour.

Sur le conseil de ses barons, Aristobule sortit du château en y laissant pour le défendre des gardes nombreux et vaillants, à qui il fit jurer sous serment de ne se rendre à personne, à moins qu'il ne le leur dise lui-même de sa propre bouche ou ne l'ordonne par un message marqué de son sceau. Cependant, quand Aristobule sortit du château, il n’alla pas vers Pompée mais se rendit à Jérusalem, où il arma la ville comme pour la défendre. Quand Pompée apprit cela, il se dirigea sur Jérusalem. Aristobule le sut et eut très peur.

[Aristoble crie merchis à Pompeyus] Grant paiour at Aristoble de la venue Pompeyus ; si issit de la citeit, se vient contre ly, et awec luy ses plus nobles barons, et de si long qu'ilh veit Pompeyus, ilh ly chaiit aux pies, et ly criat merchis, en promettant qu'ilh ly donroit mervelheux tresoir qu'ilh avoit lassiet en Alixandre. Quant Pompeyus, qui astoit convoiteux, entent chu, ilh soy laissat apaisier, puis envoiat en Alexandre quiere le tresoir par Gabiens, unc sien chevalier. Et quant ilh vient devant Alixandre, si voult ens entreir, mains, par [p. 207] chouse qu'ilh posist oncques dire ne faire, ne pot entreir dedens. Adont soy retournat Gabiens, et vient à Pompeyus ; se li comptat tout yreis comment Aristoble l'avoit gabeit.

[Aristobule demande pardon à Pompée] Aristobule a très peur de l’arrivée de Pompée ; il sort de la ville, accompagné de ses plus nobles barons et vient vers lui. D’aussi loin qu’il aperçut Pompée, il tomba à ses pieds et lui demanda pardon, promettant de lui donner le merveilleux trésor qu’il avait laissé à Alexandrion. En entendant cela, Pompée, qui était très cupide, se laissa apaiser et envoya Gabinius, un de ses chevaliers, chercher le trésor à Alexandrion. Une fois devant la forteresse, Gabinius voulut y entrer, mais quoi [p. 207] qu’il pût dire ou faire, il ne put y pénétrer. Alors il retourna très en colère auprès de Pompée, à qui il raconta comment Aristobule l’avait berné.

[Jherusalem fut assegié] [Discors] Quant Pompeyus l'entent, se mist le siege altour de Jherusalem, et jurat que jamais ne s'en partiroit se l'auroit conquesteit. Pompeyus n'oit gaire siet devant la citeit, que ilh montat grant discorde entre cheaux de la citeit ; car ly une partie soit tenoit à Aristoble, et ches voloient defendre la citeit, et l'autre soy tenoit à Hircains, et cheaux voloient rendre la citeit à Pompeyus et à Hircain ; et tant qu'ilh se cororent sus.

[Siège de Jérusalem] [Discorde] Quand Pompée apprit cela, il fit le siège de Jérusalem, jurant de ne pas s’en aller avant de l’avoir conquise. Pompée n'était pas depuis longtemps devant la cité qu'une grande discorde divisa les habitants de la ville. Certains étaient acquis à Aristobule et voulaient défendre la ville ; les autres, partisans d’Hyrcan, voulaient rendre la ville à Pompée et à Hyrcan ; et en fin de compte les deux groupes s’affrontèrent.

[Victoire à Hircain] Si oit la victoire li partie Hircaine ; si encacharent la partie Aristoble de la plache, lesqueis fuirent en temple. Et les aultres alerent ovrir la porte et donnarent les cleis à Pompeyus, qui les rechut à mult grant joie.

[Victoire d’Hyrcan] Les partisans d’Hyrcan l'emportèrent ; ils chassèrent de la place ceux d’Aristobule, qui se réfugièrent dans le Temple. Les autres ouvrirent la porte et donnèrent les clefs à Pompée, qui les reçut avec grande joie.

[p. 207] Si entrat en la citeit ly et ses gens, et fist assalhir le temple ; mains cheaux qui astoient dedens soy defendirent teilement qu'ilh y oit grant planteit d'ochis, anchois qu'ilh fust pris. Et puis fut depechiés, et entrarent dedens les Romans, et prisent tous cheaz qui astoient dedens sique oncques I seul n'en escapat que ilh ne fuist pris ou ochis. En apres quant les Romans les orent tous trais hours de temple, se fisent-ilh de temple stabulerie de leurs chevals.

[p. 207] Pompée entra dans la ville avec ses hommes et fit assiéger le Temple, mais ceux qui étaient à l’intérieur se défendirent tellement qu’une foule de personnes furent tuées avant sa prise. Les occupants furent défaits. Les Romains entrèrent et s'emparèrent de tous ceux qui étaient à l’intérieur ; pas un seul n’en réchappa : tous furent arrêtés ou tués. Puis, après les avoir jetés dehors, les Romains firent du Temple l’écurie de leurs chevaux.

Ors nos tesmongne li escripture que oncques puis celle journée Pompeyus sy n'entrat en batalhe, où ilh posist avoir victoire, et que tous jours ne fus desconfis, qui devant ne l'avoit oncques esteit ; ains avoit esteit uns des aventureux chevaliers qui portaist oncques armes le temps devant.

Le texte affirme comme certain que plus jamais après cette date, Pompée ne mena une bataille victorieuse. Il fut toujours vaincu, lui qui ne l’avait jamais été auparavant. Mais il avait été dans le passé un des hardis chevaliers à avoir jamais porté les armes.

 

Mesures de Pompée après la prise du Temple : Hyrcan est nommé grand-prêtre - Scaurus est nommé « seigneur de Judée » - Aristobule II, fait prisonnier avec sa famille, est emmené par Pompée qui retourne à Rome - Au début du voyage, Alexandre, un des fils d'Aristobule II, s'échappe et retourne en Judée - Il la soulève mais la révolte est écrasée par l'armée de Gabinius, le général de Scaurus - Hyrcan a la charge des affaires courantes dans une Judée désarmée et partagée en cinq - Antipater épouse la fille du roi Arétas

 

[p. 207] [Pompeyus entre en temple] Lendemain entrat Pompeyus en temple, et regardat les beaux aournemens qui ly plaisirent mult bien, ne onques riens n'en voult enporteir fours ; ains commandat que li temple fuist netoiés et cureis. Apres apelat Hircain et le fist evesque, sicom devant al vivant de sa mère. Et puis ilh prist Aristoble, et l'emmenat awec luy loyet com uns chaitif, et oussi ses II fis Alixandre et Anthigonus, et II filhes oussi qu'ilh avoit. Et instablit que Taurus deseurdit fust sires de Judée, et li laisat milh hommes por gardeir la terre. Enssi furent les II heures deshireteis de la royalme de Judée.

[p. 207] [Pompée entre dans le Temple] Le lendemain, Pompée entra dans le Temple, examinant les beaux ornements qui lui plurent énormément, mais il ne voulut rien emporter. Il ordonna de faire nettoyer le Temple et de le remettre en ordre. Ensuite il appela Hyrcan et le nomma grand prêtre, comme du vivant de sa mère. Après cela, il se saisit d'Aristobule et l’emmena enchaîné comme un captif, lui, ses deux fils Alexandre et Antigone, et aussi deux filles. Il nomma Scaurus, cité ci-dessus, seigneur de Judée, lui laissant mille hommes pour surveiller le pays. Ainsi furent déshérités les deux héritiers du royaume de Judée.

 [De Alixandre, ly fis Aristoble] Apres tout chu soy partit Pompeyus, et s'en ralat devers Romme dont ilh astoit consul ; mains ilh ne fut gaire eslongiet la terre, quant Alixandre, ly anneis fis Aristoble, escappa par grant aventure. Si soy [p. 208] retournat, et puis porcachat et assemblat tant de gens que chu en fut mervelhes, et les menat en la terre de Judée ; si commenchat à ardre la terre ; et tant fist-ilh, qu'ilh trahit à ly les plus fors casteals del regne.

 [Alexandre, fils d’Aristobule] Après quoi, Pompée repartit pour Rome, dont il était consul. Mais il venait à peine de s'éloigner de la terre ferme que le fils aîné d’Aristobule, Alexandre, eut la grande chance de s’échapper. Il [p. 208] retourna dans son pays, rechercha et rassembla des forces en quantité incroyable et les mena en Judée. Il commença par brûler la terre et fit tant et si bien qu’il rallia à son camp les forteresses les plus puissantes du royaume.

Mains quant Taurus le soit, si envoiat contre luy Gabin, son eskeniscal et li commandat qu'ilh ne retournast nient, se l'ait mort ou pris, ou cachiet fours de la terre. Adont s'en alat Gabin, et le cachat en casteal d'Alixandre, et puis mist le siege tout entour ; et fist tant que Alixandre et ses gens afamarent tous, et si en morut asseis. Et quant la mere Alixandre veit le mechief, se dest à son fis qu'ilh s'en alaist à Gabin, et se soy metist en son merchis ; car chu ly conselhoit-elle, et Alixandre le fist et rendit son casteal à luy.

Quand Scaurus apprit cela, il envoya son sénéchal Gabinius contre Alexandre, avec ordre de ne pas revenir sans l’avoir mis à mort ou capturé ou chassé du territoire. Gabinius s’exécuta et le poursuivit jusqu’au château d’Alexandrion, qu'il assiégea complètement. Il s'acharna tellement qu'il affama Alexandre et ses gens, et en fit périr un grand nombre. La mère d’Alexandre, voyant cette calamité, dit à son fils de se rendre à Gabinius. Il suivit ce conseil et remit la forteresse dans les mains du Romain.

[Tout les fortereches de Judée furent abattues por une femme] Adont fist abatre Gabin toutes les fortereches del regne de Judée par le conselhe de la mere Alixandre, affin que nuls ne recommenchast jamais la guere sor le fianche des casteals. Celle damme servoit Gabin mult bien, et li faisoit grant honneur por le raison qu'ilh li aidaist à ravoir son marit Aristoble, et les aultres chaitifz que Pompeyus avoit emeneit à Romme, anssi que dit est.

[Toutes les forteresses de Judée détruites à cause d'une femme] Alors Gabinius fit abattre toutes les forteresses du royaume de Judée, sur le conseil de la mère d’Alexandre, afin que personne ne reprenne la guerre, en se fiant aux châteaux forts. Cette dame servait très bien [les intérêts de] Gabinius et lui faisait grand honneur, pour qu'il l’aide à récupérer son mari Aristobule II et les autres prisonniers emmenés à Rome par Pompée, comme on l'a dit (p. 207).

[p. 208] [Les juys furent departis en V] Apres chu soy partit Gabin de la terre, et commandat à Hircain la terre et le temple del gardeir, et tout chu que à temple apertenoit. Et puis departit le peuple des Juys à V signories, siqu'ilh oit en la terre V saingnours. Et chu faisoit-ilh por abattre l'orguelh des Juys.

[p. 208] [Les Juifs répartis en cinq seigneuries] Après cela Gabinius quitta le pays et confia à Hyrcan la garde du pays, du Temple et de tout ce qui appartenait au Temple. Alors Hyrcan répartit le peuple juif en cinq parties ; il y eut dès lors cinq seigneurs dans le pays. Il voulait ainsi abattre l’orgueil des Juifs.

[Antipater oit à femme Heroda] Apres chu repara Alixandre, et Gabin s'en ralat en Arabe où Antipater demoroit et tenoit grant terre de roy Ereche, qui avoit une filhe qui astoit nommée Heroda. Quant Antipater veit Gabin, se li fist grant fiest et mult grant honneur, et tant qu'ilh fut si amyable à Gabin que Gabin l'amoit mult fortement, et qu'ilh li porcachat d'avoir à femme Heroda, la filhe le roy d'Arabe, qui mult fut belle damme et saige. Et oit de cel damme Antipater IIII fis et une fille ; et furent nommeis les fis« : Faciaux, Herode qui fut en sornom appelleis Ascalonien, Josipes et Ferolas, et la filhe Salome.

[Antipater épouse Héroda] Après cela, Alexandre fut remis à sa place et Gabinius retourna en Arabie où se trouvait Antipater : il y occupait une vaste terre que lui avait donnée le roi Arétas. Ce dernier avait une fille, nommée Héroda. Dès qu'Antipater vit Gabinius, il lui fit fête et grand honneur, et fut si aimable avec lui que celui-ci l’apprécia beaucoup. Il le poussa à prendre pour épouse Héroda, la fille du roi d’Arabie, une dame très belle et très sage. Antipater eut d'elle quatre fils et une fille ; les fils avaient pour nom Phasaël, Hérode surnommé Ascalon, Joseph et Phéroras ; la fille s’appelait Salomé.

 

Rome : Triumvirat de Pompée, César et Crassus - Guerres en Espagne, Grèce, Macédoine, Proche-Orient - Campagnes victorieuses contre Mithridate et contre Tigrane (64 a.C.n.)

 

[p. 208] [Julius Cesar fut fais consul] [Des III prinches de Rome] A cel temps, assavoir sour l'an Vc XXV, morurent dois des consules de Romme, assavoir Ceciliien et Macelliicen, en guere qu'ilh avoient li unc en Espangne, et li aultre en Machidone, enssi com je diray chy apres en retournant à la mateire. Enssi demorat Pompeyus tout seul, mains les Romans en eslirent II aultres, assavoir Juliens Cesare et Carsus [p. 209] uns des senateur de Romme.

[p. 208] [Jules César est nommé consul] [Les trois chefs de Rome] En ce temps-là, c'est-à-dire en l’an 525 [64 a.C.n.], deux des consuls de Rome, Cécilius [Quintus Metellus Caecilius Pius] et Marcellus moururent dans la guerre qu’ils menaient, l’un en Espagne et l’autre en Macédoine, comme je vous le dirai ci-après en revenant à mon sujet. Ainsi Pompée resta seul consul, mais les Romains en élurent deux autres : Jules César et Crassus, [p. 209] un des sénateurs de Rome.

Car à cel temps avoit à Romme III prinches qui regnoient com empereurs, II consules et I tribuniien. Si astoit ly tribuniien deseur les II consules, et l'astoit toudis ly plus anneis ; si aloient tousjours les II consules conquerre terre et pays, et ly tribuniien demoroit à Romme sens partir, se chu n'estoit par necessiteit. Et astoit ordineis que nuls d'eaux ne poioit demoreir que V ans sens revenir à Romme, et prendre novelle commission et congiet. Et, quant ilh demoroit plus de V ans, ilh perdoit son honneur, et li cloioit-ons les portes quant ilh revenoit. Et por celle constumme fut la guere entre Pompeyus et Julius Cesaire, enssi com vos oreis chi-apres. Celle constumme fut instaublie en temps passeit XX ans ; se le tinrent mult fermement sens embrisier portant qu'ilh astoit novelle, car les novelles chouses sont volentiers plaisant jusqu'à tant que ons en est plains.

En effet, en ce temps-là, trois princes, deux consuls et un tribun, exerçaient le pouvoir impérial. Le tribun était supérieur aux deux consuls et toujours plus âgé qu'eux. C'était toujours les consuls qui partaient à la conquête de territoires et de pays, tandis que le tribun restait à Rome, sans jamais la quitter, sauf en cas de nécessité. Les règles stipulaient que personne ne pouvait rester plus de cinq ans en poste sans rentrer à Rome, afin d'y recevoir son congé et une nouvelle mission. Si quelqu’un restait plus de cinq ans en mission, il perdait sa charge et, à son retour, on lui fermait les portes. Cette règle provoqua la guerre entre Pompée et César, comme vous l’apprendrez ci-après. Cette coutume avait été instaurée vingt ans plus tôt ; on la respectait strictement sans l’enfreindre, car elle était nouvelle. Et les choses nouvelles paraissent volontiers plaisantes, jusqu’à ce que l’on s’en plaigne.

[p. 209] En cel an morit Ector, ly roy de Bil ; si lassat tout sa terre aux Romans de sa propre volenteit.

[p. 209] Cette même année mourut Hector, roi de Bil, laissant de son plein gré sa terre aux Romains.

[Sartorien roy d’Espangne] En cel an meismes morurent les II consules de Romme Ceciliien et Marcelliien dont nous avons desus fait mension, et morurent en teile manere. En l'année devant astoient-ilh en I mult novelle guere en Espangne contre les Romans, l'autre en Pamphile, le tirche en Machidoine, le quarte en Dalmatie ; car Sartoriien, le roy de Mariane, movit la guerre en Espagne, encontre lequeile sont envoyés Ceciliien le consule awec Monchel, son fis, qui avoit desconfis devant Jugurthain le roy. Et Marcellien fut envoiiés en Machidone, et awec luy Luciien Dominich, lyqueis Luciien fut en la promier batalhe ochis par Yrtalogon, le roy, et tous les altres s'enfuirent. Apres soy combatit en Espangne le consule Cecilien et ses gens contre le roy Sartorien ; là perdirent les Romans, car ilh en fut tant mors qu'ilh ne demorat en vie que Monchel le fis Ceciliien tou seul, qui s'enfuit à salveteit, et laisat son peire Cecilien le consule et ses gens mors à champs. Adont y fut renvoiiés par les Romans, quant ilh le soirent Pompeyus et Quinte Marcellien. Cheaux gangnarent toutes les citeis d'Espangne, et les submisent del tout auz Romans.

[Sertorius roi d’Espagne] Cette même année moururent les deux consuls Cécilius et Marcellus, mentionnés ci-dessus. Voici comment. L’année précédente, ils avaient pris part à de nouvelles guerres menées contre Rome, l’une en Espagne, l'autre en Pamphylie, la troisième en Macédoine et la quatrième en Dalmatie. En effet, Sertorius, roi de Mauritanie, avait mené la guerre en Espagne ; le consul Cécilius (Quintus Caecilius Metellus) et son fils Monchel, précédemment vainqueur de Jugurtha, furent envoyés en Espagne pour le contrer. Marcellus lui fut envoyé en Macédoine, avec Lucius Domitius, lequel fut tué au cours de la première bataille par le roi Yrtalogon, et tous les autres s’enfuirent. Ensuite le consul Cécilius et ses gens se battirent en Espagne contre le roi Sertorius. Les Romains furent vaincus, et les morts furent si nombreux que seul survécut Monchel, fils de Cécilius. Il s'était enfui pour se protéger, abandonnant Cécilius le consul, son père, et ses hommes morts sur le champ de bataille. Apprenant cela, les Romains y envoyèrent Pompée et Quintus Marcellus, qui firent la conquête de toutes les cités d’Espagne et les soumirent aux Romains.

En Machidoine fut [p. 210] envoiiet Claudien, car Marcelliien astoit mors ; si soy commencharent à combattre toute promier contre les Vaires, I maniere de gens qui habitoient en provienche de Rodop ; si fut ochis Claudien, et ses gens al derain desconfites.

Claudius fut [p. 210] envoyé en Macédoine car Marcellus était mort. Les Romains commencèrent à combattre en tout premier lieu contre les Vaires, des gens qui habitaient la province de Rhodope. Claudius fut tué et ses troupes furent finalement défaites.

Apres fut envoyés en Pamphile et Cilisse Servilius, uns hons tres noble, qui soy combattit à eaux. Et si en prist milh et les desconfist, et ochist XIIIIm hommes. Et puis assegat Hispaselidam, une forte citeit, laqueile ilh prist, et Olympie et Corache, ches grans citeis. Et en Celisse et en Asarie at gangniet et fait tributaire aux Romans ; et por cel raison Gaien Asariens fut-ilh nomeis dedont en avant. Apres alat en Dalmatie, se le conquestat tout. Et Saloine la citeit at prise, et puis revient à Romme ; si trovat que ons avoit fait de Julius Cesaire et de Carsus II consules, por les mort de Ceciliien et Marcellien.

Plus tard, Servilius (Publius Servilius Isauricus), un homme très noble, fut envoyé combattre en Pamphylie et en Cilicie. Vainqueur, il captura mille hommes et en tua quatorze mille. Ensuite, il assiégea Phasélis, une place forte, qu’il conquit, de même que les grandes cités d'Olympie et de Corycus. Il fut aussi vainqueur en Cilicie et en Isaurie, qu’il soumit aux Romains, ce qui lui valut le nom de Caius Isauricus (?). Après cela, il se rendit en Dalmatie qu’il conquit entièrement. Il s’empara de la cité de Salone et revint à Rome. On y avait nommé deux consuls, Jules César et Crassus, après la mort de Cécilius et de Marcellus.

[p. 210] [Siticon] En cel an meismes ont fait les Mytride brisant la pais aux Romans, par lequeile ilh astoient en tregut ; si ne le veulent mie payer plus avant, et grand despit ont fait aux Romans, car ilh ont prise Bithimaine en Asie. Si ont les Romans envoyés à Guadius Luciien, Marcusien et Aureliien, et en la promier batalhe ont desconfit les consules ; et les Mitride fuirent en la citeit de Sciticons, et lez consuls l'ont assegiet en pensant que se la citeit de Sciticon ilh puelent prendre, que tout Aisie sierat en leur poioir. Et portant qui avoient à I costeit Sciticon la citeit, et à l'autre Bitanchie, que ons nom maintenant Constantinoble, si astoit plus fort à prendre. Mains cheaux de la citeit issirent fours, et soy combatirent aux Romans, et furent desconfis les Mitride ; et furent mors de leurs gens LXm hommes, et en fut pris à prisonnirs Xm, où ilh oit II dus et LXXIIII chevaliers.

[p. 210] [Cyzique] Cette même année, les sujets de Mithridate violèrent la paix qui faisait d’eux les tributaires des Romains ; ils refusèrent désormais de payer l'impôt et défièrent les Romains en s’emparant de la Bithynie, en Asie. Les Romains envoyèrent alors Marcus et Aurelius à Guadius Lucius. Dès la première bataille, les consuls battirent les gens de Mithridate qui s’enfuirent à Cyzique. Les consuls assiégèrent la ville dans la pensée que s’ils pouvaient s’en emparer, toute l’Asie serait en leur pouvoir. Comme d’un côté il y avait la ville de Cyzique et de l’autre Byzance, actuellement Constantinople, ce territoire était plus difficile à prendre. Mais les habitants de la ville en sortirent et combattirent les Romains. Les gens de Mithridate furent vaincus ; on compta chez eux soixante mille morts et dix mille captifs, parmi lesquels deux ducs et soixante-dix-huit chevaliers.

[Mariciane] Et y conquestarent grant avoir, et conquestarent Vesubium la montangne, et misent tout el subjection des Romans ; et vinrent par la citeit Mariciane et le conquestont, et grant avoir awec. Et ochirent mult de peuple, et si fisent mult de inceste et de adulteires ; dont mult de femmes se tuont elles-meismes, [p. 211] car par forche furent-elles violéez.

[Mariciane] Les Romains y gagnèrent de grandes richesses et conquirent le mont Vésuve, soumettant tout à Rome. Ils passèrent par la cité de Mariciane, s'en emparèrent et firent un énorme butin. Ils tuèrent une multitude de gens et de nombreuses violences sexuelles se produisirent. Beaucoup de femmes se suicidèrent, [p. 211] car elles avaient été violées.

Apres, en revenant vers Romme, vinrent à la citeit Artiane, qui astoit tres-noble ; si assemblarent Xm sagittairs et nonante milh combatans ; si les conduisoit leur sires, qui avoit à nom Tygraine, si soy combatirent aux Romans, mains les Romans les ont tous desconfis ; si perdirent bien Lm hommes. Et si en ont pris les Romans XVm, puis s'en ralerent en Armenie, portant c'on leur dest qu'ilh y avoit mult de gens fuys ; si ont prise la citeit et tout mys à sacremanne ; et revinrent à Romme à grant honneur et gloire.

Après, en route vers Rome, ils arrivèrent dans la ville d’Artiane, une cité très connue. Dix mille archers et quatre-vingt-dix mille combattants s'y étaient rassemblés, conduits par leur seigneur, dénommé Tigrane. Ils se mesurèrent aux Romains, qui les défirent tous. Ils perdirent bien cinquante mille hommes. Les Romains en capturèrent quinze mille, puis repartirent en Arménie, parce qu’on leur avait dit que beaucoup de gens avaient fui là-bas. Ils prirent la ville et saccagèrent tout. Ils revinrent ensuite à Rome couverts d’honneur et de gloire.

 

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