Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 171b-183a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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Ce fichier contient trois parties :

Myreur, p. 171b-175a (A. Suite de la Geste d'Anynal - Entrée en scène de Théodogus de Barbastre)

Myreur, p. 175b-179a (B. Les fils de Jean Hyrcan en Judée : Aristobule, Antigone et Alexandre Jannée)

Myreur, p. 179b-183a (C. Fin de la Geste d'Anynal - Expansion romaine en Orient et en Occident)

 


A. Suite de la geste d'Anynal - Entrée en scène de Théodogus de Barbastre [Myreur, p. 171b-175a]

Ans 477-486 de la transmigration = 112-103 a.C.n.

 

Introduction [sommaire] [texte]

Toute la présentation par Jean des rapports entre Rome et Carthage lors des Guerres Puniques, on l'a dit, est très éloignée des réalités historiques et nécessiterait des mises au point de tout ordre, qu'il s'agisse de la chronologie, des noms des personnages ou des régions concernées. Rappelons que ce que nous avons appelé la « Geste d'Anynal » nous plonge dans le domaine de l'épopée, en pleine fantaisie.

Bornons-nous à préciser quelques points de chronologie sur les notices de cette section. Jean place la naissance de Cicéron et de Pompée, respectivement en 109 et 108 a.C.n., dans sa propre chronologie. Dans l'histoire authentique, les deux hommes sont nés en 106 avant notre ère, ce qui témoignage d'une concordance assez grande. Mais ce qui est vrai pour Cicéron et Pompée ne l'est pas pour les événements liés à l'histoire d'Anynal/Hannibal. Dans la chronologie de Jean, le protagoniste est censé s'être suicidé chez Prusias, roi de Bithynie en l'an 97 a.C.n. (p. 180) ; dans l'histoire authentique, Hannibal est mort en 183 avant notre ère. La reprise de Tarente par les Romains qui en chassent Hannibal, évoquée dans une des notices qui suivent et qui date, dans l'histoire, de 209 avant notre ère, aurait eu lieu dans la chronologie de Jean en 107-108 a.C.n.

Les récits concernant les Latins nous replongent dans la fantaisie pure. Notamment avec le personnage de Théodogus, un des fils d'un roi latin nommé Junius, lequel a donné son nom au mois de juin (!). Ce Théodogus est roi de Barbastre en Espagne et reparaîtra à propos de Jules César. Julia, la soeur de Théodogus, joue un rôle important, car elle épouse un sénateur romain, nommé César, et elle est la mère du grand Jules César. Tout cela relève de la fiction. Une fois de plus, on a l'impression de se trouver devant une sorte de chanson de geste en prose, comme pour Clétus, Franbal et... Anynal. Quant à la date de la naissance de Jules César (p. 174-175), la date de 103 a.C.n. donnée par Jean, correspond de très près à la date historique, César étant né en l'an 100 avant notre ère. La fantaisie s'inscrit, si l'on peut dire, dans une chronologie sûre.

Fantaisie aussi du côté des Gaulois, quand le duc Priam, se promenant en forêt, rencontre un savaige homme (« homme sauvage ») qui lui parle de l'avenir de la Gaule et en particulier de celui du tribut imposé aux Gaulois par les Romains.

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Sommaire

Trois armées romaines ont à combattre le même jour en quatre endroits : contre Anynal en Calabre, contre Asdrual en Espagne, contre le roi de Macédoine, contre les Sardes et Asdrual en Sardaigne - Elles l'emportent sur tous les fronts - Asdrual est capturé - La Sardaigne, l'Espagne et la Macédoine sont soumises à Rome - Anynal (Hannibal en pire), mis en fuite, arrive à Tarente (477 de la transmigration = 112 a.C.n.)

Divers, dont la naissance à Rome de Cicéron et de Pompée (477-481 de la transmigration = 112-108 a.C.n.)

Anynal, fuyant la Calabre, conquiert Tarente où il trouve un riche butin, puis, fuyant à nouveau les Romains qui ont reconquis la région, il voit la tête de son frère suspendue sur le mur du château de Taurin et gagne Brescia en Lombardie - Le consul Pompilius Cornélius l'y poursuit et, au cours d'une guerre longue de deux ou trois ans, il reprend les villes conquises par Anynal, à nouveau en fuite (477- 483 de la transmigration = 112-106 a.C.n.)

Pompilius Cornélius gagne l'Afrique et s'empare de plusieurs royaumes tributaires de Carthage - Les Carthaginois effrayés obtiennent la paix moyennant un tribut annuel, dont ils s'acquittent sur le champ, y ajoutant huit cents navires chargés de vivres - Les Romains repartent pour Rome (484 de la transmigration = 105 a.C.n.)

Fuyant la Lombardie, Anynal passe en Gaule, où il est défait par les Gaulois - Rentré à Carthage, il fait pendre les auteurs de la paix conclue avec Rome, puis revient en Italie - Pompilius Cornélius défait ses troupes près de Milan et le capture - Anynal obtient de Pompilius un accord de paix contre une somme à payer chaque année et l'abandon de toutes ses richesses, fort importantes - Pompilius rentre à Rome couvert de gloire (484 de la transmigration = 105 a.C.n.)

En Gaule, Priam rencontre dans une forêt un homme qui lui prophétise l'avenir de la Gaule, à propos du tribut dû aux Romains - Sargondus devient comte de Flandre - Le roi des Latins, Junius, qui avait donné son nom au mois de juin, meurt - Il était père de trois enfants, Janianus, Théodogus et Julia - Janianus lui succède - Théodogus devient roi de Barbastre - Julia épouse César un sénateur romain, père de Jules César (484-486 de la transmigration = 105-103 a.C.n.)

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Trois armées romaines ont à combattre le même jour en quatre endroits : contre Anynal en Calabre, contre Asdrual en Espagne, contre le roi de Macédoine, contre les Sardes et Asdrual en Sardaigne - Elles l'emportent sur tous les fronts - Asdrual est capturé - La Sardaigne, l'Espagne et la Macédoine sont soumises à Rome - Anynal (Hannibal en pire), mis en fuite, arrive à Tarente (477 de la transmigration = 112 a.C.n.)

 

[p. 171] [Asdrual d’Espangne] Tous ches trois oust orent à I jour batalhe en IIII parties, assavoir : les Romans en Calabre, contre Anynal ; en Espangne, contre Asdrual, le frere, Anynal ; en Machidone, contre le roy ; et en Sarde, contre les Sardinois, et Asdrual, frere natureil Anynal, qui astoit bon chevalier. Si avient que chis Asdrual ochioit tant dez Romans, que les Sardinois en avoient grant joie ; porquen Tyte et Mallitorquant tynrent Asdrual si pres qu'ilh l'abatirent, et le prisent à prisonnier. Adont furent les Sardinois desconfis ; si en fut mors milh et VIIc chevaliers et nobles gens, et XIIm d'aultres, et pris awec Asdrual VIIIc. Et adont fut Sardine mise en tregut dez Romans.

[p. 171] [Asdrual d’Espagne] Ces trois armées eurent toutes à se battre le même jour en quatre endroits, à savoir : les Romains en Calabre contre Anynal ; en Espagne, contre Asdrual, le frère d'Anynal ; en Macédoine, contre le roi ; et en Sardaigne, contre les Sardes et Asdrual, frère naturel de Anynal et excellent chevalier. Asdrual tua tant de Romains que les Sardes s'en réjouissaient beaucoup ; Titus et Mallitorquant serrèrent de très près Asdrual, qu'ils terrassèrent et capturèrent. Les Sardes furent défaits ; mille sept cents chevaliers et nobles, douze mille autres périrent et huit cents furent faits prisonniers avec Asdrual. La Sardaigne fut alors soumise au tribut des Romains.

Et en teile manere fisent cheauz qui astoient en Machidone, et cheaz qui astoient en Espagne ; et en Calabre orent les Romans victoir, et s'enfuit Anynal.

Ceux de Macédoine et ceux d'Espagne connurent le même sort ; en Calabre, les Romains eurent la victoire et Anynal prit la fuite.

[Anynal qui donnat grandement à fair les Romans] Chis Anynal fut uns dyable, et de mal condition piour qui ne fuist oncques. Hanibal. Et si astoit de la nation de Romme, enssi com nos avons dit deseur. Et furent les IIII devantdit victoirs l'an IIIIc LXXVII en avrilh.

[Anynal donne fort à faire aux Romains] Cet Anynal fut un diable, d'un genre abominable, pire que ne le fut jamais Hannibal. Il appartenait à la nation de Rome, comme nous l'avons dit. Les quatre victoires mentionnées ci-dessus eurent lieu en avril de l'an 477 [112 a.C.n.].

 

Divers, dont la naissance à Rome de Cicéron et de Pompée (477-481 de la transmigration = 112-108 a.C.n.)

 

[p. 171] Item, l'an IIIIc et LXXVIII, conquist li conte de Flandre la terre de Zelande, et le tient VI ans.

[p. 171] En l'an 478 [111 a.C.n.], le comte de Flandre conquit la terre de Zélande, qu'il occupa six ans.

Item, l'an IIIIc et LXXIX, morut ly roy Janyus des Latins ; si regnat apres son fis Junyus V ans.

En l'an 479 [110 a.C.n.] mourut Janius (p. 163), le roi des Latins. Son fils Junius régna après lui pendant cinq ans.

[Cicero fut neis - Pompeyus] Item, l'an IIIIc et IIIIxx le XIIIe jour de mois de novembre fut neis I gran philosophe, qui fut nommeis Cycero, et l'an IIIIc IIIIxx et I, le promier jour de may, fut neis Pompeyus, qui fut uns des grans prinches de Romme.

[Naissance de Cicéron et de Pompée] En l'an 480 [109 a.C.n.], le 13 novembre naquit un grand philosophe, qui se nommait Cicéron, et le premier jour de mai de l'an 481 [108 a.C.n.] vit la naissance de Pompée, qui fut un grand prince de Rome.

 

Anynal, fuyant la Calabre, conquiert Tarente où il trouve un riche butin, puis, fuyant à nouveau les Romains qui ont reconquis la région, il voit la tête de son frère suspendue sur le mur du château de Taurin et gagne Brescia en Lombardie - Le consul Pompilius Cornélius l'y poursuit et, au cours d'une guerre longue de deux ou trois ans, il reprend les villes conquises par Anynal, à nouveau en fuite (481-483 de la transmigration = 108-106 a.C.n.)

 

[p. 171] En cel an meismes, revient Anynal en Tarenche, en Ytaile, et le prist, en laqueile ilh trovat tant d'avoir qu'ilh n'est mie à nombreir. Se ochist Cartalon, le duc de Taranche, et prist bien Xm prisonnirs, qu'ilh vendit ; s'en oit grans argens, [p. 172] de quoy ilh paiat ses sodoiiers. Et là vinrent les Romans, et y quidarent troveir Anynal ; mains ilh en astoit fuys, quant ilh entendit la venue des Romans.

[p. 171] En cette même année [108 a.C.n.], Anynal revint à Tarente en Italie, en fit la conquête et y trouva une quantité de richesses impossibles à dénombrer. Il tua Cartalon, le duc de Tarente, et fit au moins dix mille prisonniers qu'il vendit. Il en retira beaucoup d'argent, [p. 172], de quoi payer ses soldats. Alors survinrent les Romains qui croyaient y trouver Anynal ; mais il s'était enfui, dès qu'il avait appris l'arrivée des Romains.

Adont reconquisent les Romans toutes les citeis qui soy astoient rendue par paour à Anynal, et misent gens dedens, et vinrent à Taurin, le castel où Asdrual, ly frere Anynal, astoit en prison ; se li trencharent le chief, et le pendirent à casteal defours. Ons le racomptat à son frere Anynal, et quant ilh l'oit entendut, et ilh soit que les Romans astoient partis, se chevalchat devant le casteal, et veit le chief son frere, dont ilh fut mult confus ; et se s'enfuit, car ilh n'avoit point la volenteit del combattre aux Romans ; car ilh n'avoit point d'esperanche d'avoir victoir contre eaux.

Alors les Romains reconquirent toutes les cités qui, par peur, s'étaient rendues à Anynal, et ils y installèrent des habitants. Ils arrivèrent à Taurin, le château-fort où était emprisonné Asdrual, le frère d'Anynal. Ils lui tranchèrent la tête et la suspendirent à l'extérieur du château. On raconta ce fait à son frère Anynal, qui, quand il l'apprit et sut que les Romains étaient partis, chevaucha jusqu'au château et vit la tête de son frère. Il en fut effondré et s'enfuit, car il ne voulait pas combattre contre les Romains, n'ayant pas l'espoir de remporter sur eux la victoire.

Adont s'enfuit Anynal et ses gens awec ly en Drisse, en Lombardie. Ceste deraine guerre durat II ans ou III, car ilh durat jusques al an IIIIc et IIIIxx et III, et encor en la fin.

Alors Anynal s'enfuit avec ses gens (dans la région) de Brescia, en Lombardie. Cette dernière guerre dura deux ou trois ans : elle se prolongea en effet jusqu'à la fin de l'an 483 [106 a.C.n.].

[De consul Pompilius Cornelius] Se vous disons que les Romans, qui astoient poissans, prisent adont fortement à regneir ; et avoient unc consul qui astoit nommeis Pompilium Cornelium, qui à grant gens alat en Bresse apres Anynal, qui s'en astoit fuis. Se reconquist toutes les citeis qu'ilh avoit conquis en Bresse ; et faisoit tant de mervelhes d'armes que ons disoit commonement qu'ilh parloit aux dieux.

[Le consul Pompilius Cornélius] Et sachez que les Romains, qui étaient puissants, commencèrent à exercer une forte domination ; un des consuls, Pompilius Cornélius, avec de nombreuses troupes se rendit dans la région de Brescia à la recherche d'Anynal, qui s'était enfui. Le consul reprit toutes les cités conquises par Anynal dans la région de Brescia : il accomplissait tant d'exploits qu'on disait souvent qu'il parlait aux dieux.

 

Pompilius Cornélius gagne l'Afrique et s'empare de plusieurs royaumes tributaires de Carthage - Les Carthaginois effrayés obtiennent la paix moyennant un tribut annuel, dont ils s'acquittent sur le champ, y ajoutant huit cents navires chargés de vivres - Les Romains repartent pour Rome (484 de la transmigration = 105 a.C.n.)

 

[p. 172] Chis Pompilius Cornelius passat mere, et alat en Cartaige ; et vous deveis savoir que Cartaige est I royalme en Affrique (qui) est une ysle, enssi qui est Europe de chà et Asie de là ; et, enssi com nous avons desus deviseit, enssi com Romme est chief de tout l'isle d'Europe, enssi est Cartage chief de toute l'isle d'Affrique, et com Babylone le grant est chief de tout Asie ; mains ilh at pluseurs citeis es royalmes d'Asie, d'Affrique et d'Europe, sens le chief et principals. Si qu'en concludant ilh avoit mult de royalmes en Affrique, altres que Cartaige, qui toutes astoient tributairs à Cartage par tregut.

[p. 172] Ce Pompilius Cornelius traversa la mer et se rendit à Carthage. Vous devez savoir que Carthage est un royaume en Afrique, une partie du monde, comme le sont l'Europe de ce côté-ci, et l'Asie, de l'autre. Et, comme nous l'avons dit ci-dessus, de même que Rome est la principale ville d'Europe, Carthage l'est de toute l'Afrique, et la grande Babylone de toute l'Asie ; mais il existe beaucoup de cités dans les royaumes d'Asie, d'Afrique et d'Europe, en dehors des capitales et des villes importantes. En conclusion, l'Afrique comptait beaucoup de royaumes autres que Carthage, qui toutefois étaient tous ses tributaires.

Si arivat Pompilius en la royalme de Carsodo en Affrique, dont ilh astoit roy Adacolo, qui son pays defendit sicom chevalier hardis ; mains ilh n'avoit de comparison à Pompilium ne aux Romans, qui astoit uns grans et fort peuple. Si fut ly roy Adacolo ochis et ses gens oussi, et son pays ars et destruis ; et puis revinrent les Romans par-decha vers Cartaige, car ilh astoient ariveis plus haulte [p. 173] vers Egypte. Si soy combatirent al duc Annone de Brisquelhem en Affrique, et l'ochist Pompilius et XIm hommes awec luy ; et si en prisent XXIIIIm, entre lesquels li fis Agilfo, li roy de Munyda en Affrique, et destruit et pilhat tout son pays.

Pompilius arriva dans le royaume de Carsodo, en Afrique, dont le roi Adacolo défendit son pays en hardi chevalier ; mais il ne soutenait la comparaison ni avec Pompilius ni avec le peuple des Romains, grand et puissant. Le roi Adacolo et ses gens furent tués ; son pays fut incendié et détruit. Les Romains revinrent ensuite se rapprochant de Carthage, car ils s'étaient avancés plus loin [p. 173] en direction de l'Égypte. Ils se battirent contre le duc Annon de Brisquelhem en Afrique. Pompilius le tua et onze mille hommes avec lui ; il fit vingt-quatre mille prisonniers, dont le fils d'Agilfo, roi de Numidie1 en Afrique, dont il ravagea et pilla le pays entier.

[Cheaux de Cartaige demandent paix] Adont orent paour cheaux de Carlaige ; si envoiarent à Pompilion por avoir pais, et li noble consule leur donat XV jour de triwe et repleit, si en allassent à Romme pour faire al volonteit des senateurs ; cheaux y alarent, mains les senateurs les revoiarent à la volonteit de Pompilion.

[Les Carthaginois demandent la paix] Alors les Carthaginois prirent peur. Ils envoyèrent (des messagers) à Pompilius pour obtenir la paix. Le noble consul leur accorda quinze jours de trève et de répit pour aller à Rome, selon la volonté des sénateurs. Ils y allèrent, mais les sénateurs les renvoyèrent à la décision de Pompilius.

Quant Pompilion oiit le response des Romans, ilh donnat pais à cheauz de Cartaige, sour teile condition qu'ilh devoient donneir cascon [an] L milh pesans de fin argent, assavoir por unc pesans I libre comptant por tregut ; si en paieroient tantost I paiement, et le paiont, et donnarent oultre VIIIc naves toutes chargiés de vitalhes ; et enssi se sont les Romans partis et revenus vers Romme.

Quand Pompilius eut la réponse des Romains, il accorda la paix aux Carthaginois à la condition suivante : chaque année, ils devraient donner comme tribut cinquante mille besants d'argent fin - un besant valant une livre - et ils devraient faire immédiatement un premier versement. Ils s'exécutèrent et en outre fournirent huit cents navires chargés de ressources vitales. Puis les Romains repartirent pour Rome.

 

1 La Numidie est un royaume d'Afrique du Nord, dans le Maghreb central, aux frontières floues, regroupant un nombre variable de tribus. « Massinissa fut le premier à avoir réussi à s'imposer et à regrouper sous son autorité la quasi-totalité du Maghreb, à l'exception de Carthage. Après la destruction de Carthage, en 146 avant notre ère, la Numidie se heurta à la puissance romaine. Jugurtha, descendant de Massinissa, tenta de reconstituer le royaume de son aïeul. Il infligea aux Romains de sévères défaites, avant d'être fait prisonnier au terme d'une guerre dure et longue de 111 à 105 » (d'après J. Leclant, Dictionnaire de l'Antiquité, Paris, 2005, p. 1546-1547). Il sera encore question de la Numidie p. 181 (son roi Massinissa et ses 50 fils), p. 190 et 191 (invasion romaine et mort de Jugurtha), p. 295 (ses montagnes) et p. 298 (dans la Mappemonde pour ses montagnes et son contexte géographique).

 

Fuyant la Lombardie, Anynal passe en Gaule, où il est défait par les Gaulois - Rentré à Carthage, il fait pendre les auteurs de la paix conclue avec Rome, puis revient en Italie - Pompilius Cornélius défait ses troupes près de Milan et le capture - Anynal obtient de Pompilius un accord de paix contre une somme à payer chaque année et l'abandon de toutes ses richesses, fort importantes - Pompilius rentre à Rome couvert de gloire (484 de la transmigration = 105 a.C.n.)

 

[p. 173] A cel temps astoit Anynal fuys en Galle, et ly dus de Galle et les Sycambiens l'avoient rechut honorablement, car ilh li ochirent XXm hommes et le rechacerent en voie tout desconfis. Si s'en ralat en Cartaige, et quant ilh soit qu'ilh avoient faite pais aux Romans, si fist pendre tous cheaux qui l'avoient faite, et en fut bien pendus jusqu'à VIc hommes.

 [p. 173] À cette époque, Anynal avait fui en Gaule, et le duc de Gaule et les Sicambres l'avaient reçu conformément à l'honneur, car ils tuèrent vingt mille de ses hommes et le repoussèrent, complètement anéanti. Rentré à Carthage, il apprit la paix conclue avec les Romains et fit pendre tous les auteurs de l'accord. Environ six cents hommes furent ainsi pendus.

[Anynal encore en Itale] Et se rasemblat gens, et se revient en Ytaile l'an IIIIc IIIIxx IIII. Quant Pompilion le soit, si assemblat gens, et soy combattit à ly à Melant et le desconfit, et ochist toutes ses gens, et luy-meismes fut pris.

[Anynal en Italie] Anynal rassembla ses hommes et revint en Italie en 484 [105 a.C.n.]. Quand Pompilius le sut, il rassembla ses troupes, le combattit à Milan et le vainquit. Ses gens furent tués et Anynal lui-même fut fait prisonnier.

[Conditions de la paix] Si demandat adont avoir pais, et Pompilion li dest que awec les L milh libres d'argent ilh pairoit aux Romans cascon an C milh libres d'argent por chesti novelle trahison qu'ilh avoit faite aux Romans, et le grant despit qu'ilh avoit fait à ses gens qu'ilh avoit pendut, ilh seroit enssi pendut ou ilh paieroit tant, et awec chu lairoit à eaux tout l'avoir qu'ilh avoit pilhiet en Ytaile, qui sieroit en ses casteals troveit de present, et renderoit tous les casteals à cheaux à cuy ilh devoient estre.

[Conditions de la paix] Il demanda alors la paix. Pompilius lui dit qu'en plus des cinquante mille livres d'argent, il paierait chaque année aux Romains cent mille livres d'argent, pour la nouvelle trahison commise envers les Romains et le grand tort causé à ses concitoyens qu'il avait fait pendre. Il serait lui aussi pendu s'il ne payait pas cette somme. En outre, il abandonnerait tout ce qu'il avait pillé en Italie et entreposé dans ses châteaux ; il rendrait aussi tous ces châteaux à ceux à qui ils devaient revenir.

Adont dest Anynal qu'ilh le feroit enssi, puisqu'ilh leur plaisoit ; enssi en furent faites lettres fortes et saieléez de Anynal, en rendant les clefs des [p. 174] casteals.

Anynal dit qu'il s'exécuterait puisque telle était leur décision. Ainsi furent rédigées des lettres catégoriques et scellées par Anynal, qui rendit les clefs des [p. 174] châteaux.

A tant soy partit et s'en ralat en Cartaige ; et fut troveis ens es casteals cent et XXm libres d'argent et XLm libres d'or, sens les joweals, dont ilh astoit tant et de si grant valoir que chu astoi, sens extimation. Adont revient Pompilion à grant gloire et mult ensauchiés.

Pompilius retourna à Carthage où il trouva dans les châteaux d'Anynal cent vingt mille livres d'argent et quarante mille livres d'or, sans compter les joyaux, très nombreux et d'une valeur inestimable. Alors Pompilius rentra à Rome couvert de gloire et de louanges.

 

En Gaule, Priam rencontre dans une forêt un homme qui lui prophétise l'avenir de la Gaule, à propos du tribut dû aux Romains - Sargondus devient comte de Flandre - Le roi des Latins, Junius, qui avait donné son nom au mois de juin, meurt - Il était père de trois enfants, Janianus, Théodogus et Julia - Janianus lui succède - Théodogus devient roi de Barbastre - Julia épouse César un sénateur romain, père de Jules César (484-486 de la transmigration = 105-104 a.C.n.)

 

[p. 174] [Mervelhe d’un savaige homme] En cel an meismes astoit aleis li dus de Galle voleir en bois de Lutesse ; si trovat unc savaige homme, qui li criat et dest : « Dus Prian, tant com tu viveras, ne rendront les Sycambiens tregut auz Romans ; mains ilh isserat de toy teil fruit, à cuy temps li tregut serat reconquis sor ton pays par les Romans ; et le paieront tes gens tant et si longement qu'ilh aurat I duc en Galle qui sierat nommeis Prian, sicom tu es, à cuy temps ilh serat abatus à tousjursmais ; et croiserat dedont en avant ly honneur de Galle, tant qu'ilh seront les plus grans de toutes les nations de monde. » Quant ly dus entendit chu, si fut mult enpenseis ; si vot encor parleir à savage homme, mains ilh envanuit. Si en ralat ly dus Priant à Lutesse tout enpenseis.

[p. 174] [Prodige d’un homme sauvage] En cette même année [484 = 105 a.C.n.], le duc de Gaule était allé chasser le faucon dans la forêt de Lutèce ; il y trouva un homme sauvage, qui cria : « Duc Priam, tant que tu vivras, les Sicambres ne paieront pas le tribut aux Romains ; mais de toi sortira un fruit qui de son vivant verra les Romains reconquérir le tribut imposé à ton pays ; et ton peuple le paiera longtemps, jusqu'au moment où régnera en Gaule un duc nommé Priam comme toi, sous le règne duquel le tribut sera supprimé à jamais ; et ensuite l'honneur de la Gaule croîtra et deviendra la plus grande nation du monde. » Quand le duc entendit cela, il fut tout pensif ; il voulut encore parler à ce sauvage, mais celui-ci s'était évanoui. Le duc Priam retourna à Lutèce, plongé dans ses pensées.

[Le Ve conte de Flandre] En cel an meismes morut ly IIIIe conte de Flandre, Lydoneus ; si fut conte apres luy son fis ly anneis, Lydrel. Mains ilh morut en cel année meismes ; si fut conte son altre frere qui oit nom Sargondus, qui regnat XXXII ans.

[Le cinquième comte de Flandre] En cette même année, mourut le quatrième comte de Flandre, Lydoneus (p. 162) ; son fils aîné, Lydrel, fut comte après lui, mais il mourut dans l'année ; son autre frère, Sargondus, devint comte et régna trente-deux ans.

En cel an morut Junyus, ly roy des Latins ; si fut roy apres son anneis fis Janyanus, qui regnat XL ans. Chis roy Janyanus oit II fis et une filhe : ly anneis oit à nom Janyanus, et fut roy apres son pere ; et li altre oit nom Theodegus. Chis fut roy de Barbaste ; et la filhe oit nom Julia, et fut mariée à unc grant senateur de Romme, qui fut nommeis Cesaire.

Cette même année mourut Junius, le roi des Latins ; son fils aîné Janianus devint roi et régna quarante ans. Ce roi Junius avait deux fils et une fille : l'aîné, qui s'appelait Janianus, succéda comme roi à son père ; l'autre, Théodogus, fut roi de Barbastre (p. 213ss). La fille, appelée Julia, épousa un grand sénateur de Rome, du nom de César.

[De mois Junyus] Vos deveis savoir que ly roy Junyus morut le promier jour de mois que ons nomoit adont quartel, portant que ch'astoit le quarte mois de l'an, le promeir mois compteit à marche ; car li monde fut fais en marche, le XVIIIe jour. Ly roy Junyus rostat à chi mois son nom, et le nommat Junyus, apres son nom ; c'est resalh mois.

[Le mois de juin] Vous devez savoir que le roi Junius mourut le premier jour du mois qu'on nommait alors quartel, parce que c'était le quatrième mois de l'année, le premier mois étant mars ; car le monde fut fait le dix-huitième jour de mars. Le roi Junius enleva à ce mois son nom, et le nomma Junius, d'après le sien ; c'est le mois resalh (mois des roses, rosalia).

[Julius Cesar fut neis] Item, l'an IIIIc IIIIxx et VI, [p. 175] fut neis Julius Cesar : chis fut nommeis Julius portant que sa mere fut nommée Julia, qui astoit filhe à roy des Latins Junyus, et soreur à roy Junyanus et Theodogus de Barbaste ; et oit nom Cesaire, apres son pere Cesaire deseurdit.

[Naissance de Jules César] En l'an 486 [103 a.C.n.] [p. 175] naquit Jules César ; il fut appelé Julius parce que sa mère s'appelait Julia. Elle était fille du roi Junius des Latins, soeur de Janianus, roi des Latins et de Théodogus, roi de Barbastre. Le nom César lui vient du sénateur César, son père cité ci-dessus.

 


 

B. Les fils de Jean Hyrcan en Judée : Aristobule, Antigone et Alexandre Jannée  [Myreur, p. 175b-179a]

Ans 488-489 de la transmigration = 101-100 a.C.n.

 

 

Introduction [sommaire] [texte]

Après les récits fantaisistes sur Junius, Théodogus et Priam, les événements de Judée, en l'occurrence la succession de Jean Hyrcan et le sort de sa famille, se rapprochent davantage de l'histoire, celle en tout cas que présente Flavius Josèphe, source directe ou indirecte du chroniqueur.

Jean Hyrcan Ier, dont il a été abondamment question plus haut (p. 163ss), règne sur la Judée, mais sans porter le titre de roi, de 134 à 104 avant notre ère. À sa mort, il laisse une veuve et cinq fils. C'est le début de leur histoire qui commence ici, toujours à travers les yeux et le prisme, parfois déformant, du chroniqueur liégeois.

L'histoire commence mal parce que l'aîné des fils, Aristobule, époux de la reine Jona, rejette la décision d'Hyrcan de confier la régence à sa veuve. Il s'empare du pouvoir par la violence et est d'ailleurs le premier de la dynastie hasmonéenne à se proclamer roi, au mépris de la tradition juive qui répugnait à cumuler les titres de grand-prêtre et de roi. Il emprisonne sa mère et ses trois plus jeunes frères, laissant en liberté son frère Antigone, qui le suit par l'âge, en lui proposant de partager le pouvoir avec lui. Mais Antigone refuse, préférant partir conquérir la Galilée. Revenu à Jérusalem, le malheureux Antigone meurt assassiné, victime de l'opposition de sa belle-soeur Jona. Aristobule I, qui n'avait pas voulu cela, en est très affecté. Il meurt bientôt, n'ayant régné qu'une année (de 104 à 103 avant notre ère) et conscient de ses cruautés et de son impopularité. Les trois autres frères sont alors libérés de la prison, où  leur mère d'ailleurs était morte. Deux d'entre eux, Alexandre et Jamien sont couronnés rois, mais Alexandre tue très vite son frère et règne seul, pendant près de trente ans (de 103 à 76 avant notre ère), sous le nom d'Alexandre Jannée. La Salite que Jean lui donne comme épouse, est davantage connue sous le nom de Salomé Alexandra. La suite, c'est-à-dire le règne d'Alexandre Jannée, sera traitée plus loin en plusieurs parties (p. 193ss). Sur cet Aristobule I, on verra Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XIII, 11, 1-3, et Guerre des Juifs, I, 3, 1-6.

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Sommaire

* À sa mort, Jean Hyrcan, père d'Aristobule, d'Antigone et de trois autres enfants plus jeunes, avait confié à sa femme la régence du royaume - Aristobule, l'aîné, n'acceptant pas cette situation, emprisonne ses trois jeunes frères et sa mère, laquelle meurt de mauvais traitements - Antigone refuse une partie du royaume et préfère s'illustrer en partant à la conquête de la Galilée (488 de la transmigration = 101 a.C.n.)

Aristobule I, premier roi de Judée depuis le retour de Babylone, haï par le peuple pour sa fourberie et sa cruauté, tombe gravement malade au bout d'un an - Le brave Antigone, revenu à Jérusalem où il parade auréolé de ses prouesses chevaleresques en Galilée, est victime d'une ruse tendue par la reine Jona, sa belle-soeur, qui s'arrange pour le faire assassiner, en dépit de la volonté du roi - Épisode de Judas le devin

Antigone, s'étant présenté en armes au palais, est tué, à la satisfaction de la reine et de Judas le devin, ce qui cause la colère et l'aggravation de l'état de santé du roi - Aristobule I meurt bientôt, ayant pris conscience de son impopularité et de ses cruautés - Il est enseveli comme un roi

Les trois frères d'Aristobule I sont libérés de prison par Jona, la veuve du roi - Alexandre [Jannée], qui épouse Salite, et Jamien, qui épouse Alexandrine, sont couronnés rois, tandis que Hyrcan reste auprès de Jona - Après un an de règne commun, Alexandre Jannée tue son frère et gouverne seul, fourbe, cruel et haï du peuple

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À sa mort, Jean Hyrcan, père d'Aristobule, d'Antigone et de trois autres enfants plus jeunes, avait confié à sa femme la régence du royaume - Aristobule, l'aîné, n'acceptant pas cette situation, emprisonne ses trois jeunes frères et sa mère, laquelle meurt de mauvais traitements - Son frère Antigone refuse une partie du royaume et préfère s'illustrer en partant à la conquête de la Galilée (488 de la transmigration = 101 a.C.n.)

 

[p. 175] [Johans Hircans morut] Item, l'an IIIIc IIIIxx et VIII, morut Johans Hircaine, li dus de Judée. Chis Johans, quant ilh morut, avoit V fis de sa femme : ly anneis avoit nom Aristobolus ; li secons Anthigonus ; cheaz astoient chevaliers, mains les aultres trois astoient jovenes. Portant ordinat Johans que sa femme, qui astoit mult saige, tenroit toute sa terre en sa main jusqu'à tant que les enfans sieroient tous en eaige del tenir leurs terres.

[p. 175] [Mort de Jean Hyrcan] En l'an 488 [101 a.C.n.] mourut Jean Hyrcan, le duc de Judée. Ce Jean, quand il mourut, avait cinq fils de sa femme : l'aîné s'appelait Aristobule ; le second Antigone ; c'étaient des chevaliers, mais les trois autres étaient jeunes. C'est pourquoi Jean ordonna que sa femme, qui était très sage, garde la main sur le pays en attendant que les enfants soient tous en âge de diriger leurs territoires.

[Aristobolus] Mains de chu oit grant despit Aristobolus, de chu que son pere les laisoit desous la sengnorie de sa mere. Adont trahit de sa part grant compangnie de gens, et vient à sa mere ; se le prist awec ses III moiens fis, et les mist en sa prison ; et là morut sa mere de mesaise.

[Aristobule] Mais Aristobule conçut un grand dépit du fait que son père les laissait sous la souveraineté de sa mère. Entouré d'un grand nombre de gens, il vint vers sa mère, s'empara d'elle et de ses trois cadets et les jeta en prison, où la reine mourut de mauvais traitements.

[Des enfans Johan Hircaine - Aristobolus - Anthigonus] Quant Aristobolus oit chu fait, si donnat à son frere Anthigonus une partie de sa terre ; mains ilh n'en volt riens, ains en alat en Galilée por conquerre proieche d'armes : car ilh astoit beal chevalier et bons. Si que la terre demorat entirement à Aristobolus, son frere, qui fel astoit et crueux.

[Les enfants de Jean Hyrcan - Aristobule - Antigone] Après cela, Aristobule donna à son frère Antigone une partie de son pays ; mais celui-ci n'en voulut pas. Il se rendit en Galilée, pour la conquérir par ses faits d'armes, car c'était un beau et bon chevalier. Ainsi, le pays resta entièrement aux mains d'Aristobule, son frère, qui était fourbe et cruel.

Et se soy fist coroneir à roy et nommeir roy de Judée, revenue en royalme, qui astoit cheyue del royalteit en ducheit longtemps devant, assavoir puis la transmigration de Babilone, quant Sedechias fut pris et mis en la prison Nabugodonosor.

Aristobule se fit couronner et nommer roi de la Judée, redevenue un royaume. Longtemps auparavant, après la transmigration de Babylone, lorsque Sédéchias fut pris et mis en prison par Nabuchodonosor, la Judée était tombée du rang de royaume au rang de duché.

 

Aristobule I, premier roi de Judée depuis le retour de Babylone, haï par le peuple pour sa fourberie et sa cruauté, tombe gravement malade au bout d'un an - Le brave Antigone, revenu à Jérusalem où il parade auréolé de ses prouesses chevaleresques en Galilée, est victime d'une ruse tendue par la reine Jona, sa belle-soeur, qui s'arrange pour le faire assassiner, en dépit de la volonté du roi - Épisode de Judas le devin

 

[p. 175] Enssi fut Aristobolus ly promier roy de Judée, puis la revenue del captiviteit de Babyloyne. Et nientmoins Aristobolus ne fut roy que une an tant seulement, por la grant malvaisteit qu'ilh avoit fait à sa mere, quant ilh le fist morir en sa prison, dont ilh astoit mult hays de ses gens et ablasmeis ; mains oncques por chu ne soy amendat, et toudis devenoit plus malvais que devant.

[p. 175] Ainsi Aristobule I fut le premier roi de Judée, après le retour de la captivité de Babylone. Toutefois il régna seulement durant une année, à cause de la méchanceté extrême qu'il avait manifestée envers sa mère, quand il la fit mourir en prison. Cela lui valut d'être haï et blâmé par son peuple. Mais, malgré cela, il ne s'amenda jamais et devint toujours de plus en plus mauvais.

[Ly roy Aristobule chait en maladie] Et, quant ly roy Aristobolus oit regneit une an, ilh chaït en une grant maladie. Se soy fist porteir en la tour David por mies repoiseir, portant qu'ilh ne voloit mie oiir chu que ses gens disoient de li, car ilh savoit bien qu'ilh astoient asseis liies et joians de son maul.

[Le roi Aristobule tombe malade] Après un an de règne, le roi Aristobule tomba gravement malade. Il se fit transporter dans la tour de David, pour mieux se reposer, ne voulant pas entendre ce qu'on disait de lui, car il savait que les gens étaient très contents de le voir malade et s'en réjouissaient.

[Anthigonus revient en Jherusalem] Enssi qu'ilh gisoit malaide, revient en Jherusalem Anthigonus, son anneis frere, de la terre de [p. 176] Galylée, où ilh avoit esteit IX mois. Et sy avoit fait mult de proeches, com valhant chevalier. Si entrat en Jherusalem le jour d'onne grant fieste de la loy, armeis d'onnes armes tout noires mult avenantes ; et venoit enssi armeis, portant qu'ilh voloit faire honneur et plaisier à son frere le roy ; car ilh ne savoit rien de sa grant maladie, et voloit que li peuple veist la bealteit de ses armes.

[Antigone revient à Jérusalem] Tandis qu'Aristobule était malade et alité, Antigone, le plus âgé de ses frères, revint à Jérusalem de [p. 176] la Galilée, où il était resté neuf mois. En vaillant chevalier, il y avait accompli de nombreuses prouesses. Il entra dans Jérusalem le jour d'une grande fête religieuse, vêtu d'une armure toute noire, très belle à voir. Il venait ainsi tout armé, parce qu'il voulait faire honneur et plaisir au roi son frère. Il ignorait tout de sa grave maladie et voulait que le peuple voie la beauté de ses armes.

Adont avient que les envieux, qui avoient sour luy envie por sa proieche et hardileche, en furent dolans de chu qu'ilh revenoit en teile estat ; puis alarent à la royne Jona, femme de son frere, et ly racontarent comment Anthigonus astoit rentreis en Jherusalem tout armés.

Alors il advint que les jaloux, qui l'enviaient pour ses prouesses et pour sa hardiesse, furent contrariés de le voir revenir dans cette tenue. Ils allèrent alors raconter à Jona, la femme de son frère, qu'Antigone était rentré dans Jérusalem tout armé.

[Malisce de femme] Et cel qui mult le hayoit, portant que ilh l'avoit ameit le temps devant et requis d'amour, et qu'ilh gesist awec ly ; et ilh ly avoit respondut vilainement et escondit awec en jurant, se jamais l'en arasonoit, que ilh le diroit à son frere ; et por esquiweir le fait, ilh astoit enssi aleit en Galilée ; de chu qu'elle l'avoit refuseit avoit-ilh teile duelh la royne, qu'elle se pennoit en toutes les maneres qu'elle poioit de sa mort porchachier.

[Ruse de femme] Jona le haïssait beaucoup parce que précédemment elle l'avait aimé et par amour lui avait demandé de coucher avec elle. Il lui avait répondu rudement et l'avait repoussée en jurant que, si jamais elle revenait à la charge, il le dirait à son frère. C'est pour éviter cela qu'il était parti pour la Galilée. Ce refus avait provoqué chez la reine une souffrance si grande qu'elle recherchait toutes les manières possibles de le faire mourir.

[La royne Jona raisonne le roy son sangneur] Et par cheli cause, quant elle entendit la novelle qu'ilh astoit à sa revenue entreis en la citeit armés, elle allat à son sangneur le roy Aristobolus et l'araisonnat enssi : « Sires, mervelhe poreis oiir de vostre frere Anthigonus, qui at entendut que vos deveis morir. Si est retourneis de la terre de Galilée, et est entreis en vostre citeit de Jherusalem tous armeis à grant compangnie de gens awec ly por vos ochire, portant qu'ilh veult avoir la rengne apres vos mort, et se vos le voleis esproveir, je vos aprenderay comment vos le poreis savoir : vos le mandereis qu'ilh vengne parleir à vous tous desarmés, puis metteis en ceste chambre de vos servans armeis, à cuy vos commandereis, se vostre frere vient armeis, que ilh l'ochient tantoist sens nul excussanche, et s'ilh vient desarmeis, se le lassent passeir oultre et venir à vos parleir. En teile manire poreis mult bien savoir queile volenteit vostre frere at, et la veriteit de ly. »

[La reine Jona discute avec le roi son seigneur] Et c'est pourquoi, quand elle apprit qu'Antigone, lors de son retour, était rentré tout armé dans la cité, elle se rendit auprès de son seigneur le roi Aristobule et lui parla ainsi : « Sire, vous allez apprendre une chose étonnante sur votre frère, qui a su que vous alliez mourir. Il est revenu de Galilée et est rentré tout armé, en grande compagnie, dans votre cité de Jérusalem, afin de vous tuer, parce qu'il veut diriger votre royaume après votre mort. Si vous voulez une preuve, je vous dirai comment vous pourrez l'avoir. Vous lui demanderez de venir complètement désarmé pour vous parler. Et vous posterez dans cette chambre quelques serviteurs en armes, à qui vous donnerez l'ordre de tuer immédiatement, sans nulle excuse, votre frère, s'il arrive armé, mais de le laisser passer, s'il vient sans armes. Ainsi, vous pourrez être très bien au courant de la volonté de votre frère et apprendre la vérité sur lui. »

Adont, por le conselhe et l'amonestement de la royne, furent les gardes mises en la chambre tous armeis, par où li bons Anthigonus devoit passeir ; et sy leur fut [p. 177] commandeit de part le roy que, s'ilh venoit armés, que ilhs l'ochissent. Apres chu ly roy apellat uns sien siervan, et li dest : « Va-t-en à mon frere Anthygonus, et li dis qu'ilh vengne tantoist parleir à moy, et se soy garde bien qu'ilh ne vengne point armeit, car ilh en moroit. » Et chis soy partit.

Sur le conseil et la recommandation de la reine, les gardes en armes furent ainsi placés dans la chambre par où le brave Antigone devait passer. Ils reçurent [p. 177], de la part du roi, l'ordre de tuer Antigone s'il se présentait armé. Mais ensuite, le roi appela un de ses serviteurs et lui dit : « Va trouver mon frère Antigone et dis-lui de venir me parler tout de suite, mais qu'il se garde bien de venir armé, car il en mourrait ». Et le serviteur s'en alla.

Mains la maile royne s'en vat apres le servan, se le retrait en une chambre et li dest : « Amis, dis à Anthygonus qu'ilh vengne tous armeis, car ly roy son frere voloit veioir comment les armes li avenoient ; » et elle ly donroit tant qu'ilh seroit riche hons à tous jours mais, et ses heures apres luy. Et chis fut mult convoiteux, si oit en convent à la royne de faire sa volenteit del tout, sicom ilh fist. Car ilh alat à Anthigonus, et li fist le messaige enssi que la royne voloit. Lyqueis Anthigonus s'armat tous sus al mies qu'ilh pot, et s'en vat vers le tour David, où son frere gisoit.

Mais la mauvaise reine le suivit, l'attira dans une chambre et lui dit : « Mon ami, dis à Antigone de venir tout armé, car le roi voudrait voir comment lui vont les armes ». Elle ajouta qu'elle lui donnerait une somme d'argent qui les rendrait, lui et ses héritiers après lui, riches à tout jamais. Le messager se montra très avide et décida de faire en tout la volonté de la reine, ce qu'il fit. Il alla vers Antigone et lui transmit le message émanant de la reine. Antigone s'arma complètement, du mieux qu'il put, et se dirigea vers la Tour de David, où son frère était alité.

[De Judas ly divineur] Mains à cel temps avoit demorant en la citeit de Jherusalem unc divineur qui astoit nomeis Judas, qui avoit sortit et dit que Anthigonus seroit ochis le XIIIe jour de jenvier, à heure de medis, sour l'an IIIIc IIllxx et VIII ; et astoit adont la propre journée et ly heure de medis. Si veit Anthigonus aleir vers son frere si noblement armeis que chu sembloit I angle. Quant Judas le veit, si fut tout enbahis ; si entrat en sa maison, puis s'escriat com forsenneis : « Hahay, las ! chaitis, d'ors en avant je ayme mies morir que vivre, quant ma veriteit est tournée à menchongne, que oncques mais plus ne m'avient, ne mesdis ne furent esproveis en fauseteit qu'à chesti fois : car je voy là Anthigonus tout vis, et j'avoie devineit qu'ilh seroit ajourd'huy ochis, al heure de medis, qui ja est entrée. »

[Judas le devin] À cette époque habitait à Jérusalem un devin, nommé Judas, qui avait interrogé les sorts et avait prédit que Antigone serait tué le treizième jour de janvier, à l'heure de midi, en l'an 488 [101 a.C.n.]. C'était exactement ce jour dit et il était midi. Le devin vit Antigone se rendant chez son frère si noblement armé qu'il ressemblait à un ange. Quand Judas le vit, il fut tout ébahi. Il rentra chez lui, puis s'écria comme un forcené : « Hélas ! malheur à moi ! Désormais je préfère la mort à la vie, puisque ma vérité se révèle un mensonge. Je veux que cela ne m'arrive plus jamais, et que mes prédictions n'apparaissent fausses que cette unique fois : car je vois là Antigone bien vivant alors que j'avais prédit qu'il serait tué aujourd'hui à l'heure de midi, qui est déjà commencée. »

 

Antigone, s'étant présenté en armes au palais, est tué, à la satisfaction de la reine et de Judas le devin, ce qui cause la colère et l'aggravation de l'état de santé du roi - Aristobule I meurt bientôt, ayant pris conscience de son impopularité et de ses cruautés - Il est enseveli comme un roi

 

[p. 177] [Antigonus fut ocis] Et Anthigonus s'en aloit entrant en la thour, et passat devant la chambre où les servans astoient, qui le veirent armeis, si l'ont ochis ; et la novelle s'en vat par la citeit. Quant Judas l'entendit, si fut mult lyes et menat grant fieste. Et la royne le dest à roy que son frere astoit mors, car ilh astoit venus armeis, oultre le forcommandement de luy.

[p. 177] [Antigone est tué] Et Antigone se mit en route, entra dans la tour, et passa devant la chambre où se trouvaient les serviteurs, qui le virent tout armé et le tuèrent ; la nouvelle se répandit dans la cité. Quand Judas l'entendit, il en fut tout content, et fit grande fête. Et la reine dit au roi que son frère qui était venu en armes et avait violé son ordre, était mort.

Quant ly roy Aristobolus soit que son frere astoit mors, si en fut dolans et reforchat son maile mult fortement, car les entralhes ly rompirent de coroche, si qu'ilh rendoit sang par le boche et le neis. Et quant ilh oit tant sangneis qu'ilh fut [p. 178] enssi com mors, ly uns des servans recolhit son sang et le jettat d'aventure en lieu où li sang Anthigonus astoit espandus, si que ons poioit bien cognostre l’unc envers l'aulre ; et chu fut al entrée deldit chambre.

Quand le roi Aristobule sut que son frère était mort, il en fut très affecté et sa maladie s'aggrava fortement. La colère fit se rompre ses entrailles et il rendit du sang par la bouche et le nez. Et après avoir tellement saigné au point d'avoir l'air mort [p. 178], un des serviteurs recueillit son sang et le jeta au hasard à l'endroit où le sang d'Antigone avait été répandu. On pouvait facilement les distinguer l'un de l'autre. Cela se passa à l'entrée de la chambre en question.

Quant ly peuple veit chu, si commenchat à crieir en disant que Dieu prendoit de roy droit venganche, quant par le sang de son frere avoit esteit ly sien espandut. Ly roy oiit le cri des gens, mains ilh ne l'entendit mye ; si demandat que chu astoit ; mains nuls ne li oisoit dire le veriteit. Adont les commenchat ly roy à manechier, s'ilh ne ly disoient de quoy li peuple faisoit teile cry. Se ne ly oiserent les servans plus celeir, se li ont dit chu que ly peuple disoit de ly.

Le peuple voyant cela, se mit à crier, disant que Dieu prenait sur le roi une juste vengeance, puisque son sang avait été répandu à cause de celui de son frère. Le roi entendit le cri des gens mais sans le comprendre. Il demanda ce que c'était, mais personne n'osait lui dire la vérité. Alors il commença à menacer ses serviteurs s'ils ne lui disaient pas pourquoi le peuple poussait de tels cris. Ils n'osèrent plus le lui cacher et racontèrent ce que le peuple disait de lui.

Quant ly roy l'entent, sy commenchat fortement à ploreir, et dest enssi : « Hahay ! beal sire Dieu, vos ne voleis mie que ma desloialteit et felonie soit longement cellée ; ains l'aveis descovert en dureche et en venganche, quant vos faite le mien sang despandre en la venganche del sang mon freire, que je ay fait ochire com trahitre. Si est bien raison que je mure à doleur, car j'ay fait ma mere morir en mon prison par mesaise et famyn, et mon frere par moy est mort. Et chu sont les dois pechiés porquoy ma fin doit eistre laide et honteuse ; mains encor me seroit bien avenus, se je rendoie mon sang à une seule fois, si que je posisse morir tantoist, car li sangneir unc pou et à tant de fois me redouble ma doleur. »

Quand le roi entendit cela, il commença à pleurer abondamment et dit : « Hahay ! beau sire Dieu, vous ne voulez donc pas que ma déloyauté et ma félonie soient longtemps cachées. Vous les avez révélées avec dureté et vengeance, quand vous avez fait répandre mon sang pour venger celui de mon frère, que j'ai fait tuer comme traître. Il est bien normal que je meure dans la douleur, moi qui ai fait mourir ma mère de chagrin et de faim en prison ; et mon frère aussi est mort, à cause de moi. Ce sont les deux péchés pour lesquels ma fin doit être affreuse et honteuse. Mais ce serait bien pour moi, si je rendais mon sang en une seule fois et si je pouvais mourir immédiatement, car saigner un peu et tant de fois redouble ma douleur. »

[Del mort Alixandre (sic)] Quant ilh oit fineit son dit, si palmat, et les servons qui erent entour luy le corurent releveir hastiement ; si trovarent qu'ilh astoit mors. Adont fut-ilh noblement apparelhies selonc leur loy, et fut ensevelis enssi qu'ilh afferoit à luy.

[La mort d'Aristobule] Quand il eut fini de parler, il s'évanouit, et les serviteurs qui l'entouraient coururent le relever avec empressement ; ils le trouvèrent mort. Alors il fut noblement paré, selon les règles de leur religion, et enseveli, comme cela convenait pour un roi.

 

Les trois frères d'Aristobule sont libérés de prison par Jona, la veuve du roi - Alexandre Jannée, qui épouse Salite, et Jamien, qui épouse Alexandrine, sont couronnés rois, tandis que Hyrcan, le cadet, reste auprès de Jona - Après un an de règne commun, Alexandre Jannée tue son frère et gouverne seul, fourbe, cruel et haï du peuple

 

[p. 178] [Alixandre et Jamicus] Mult fut dolante la royne de la mort son saingnour, portant maiement qu'elle n'en avoit nulle enfant de li por tenir la terre, et l'avoit mult ameit ; et por son amour elle delivrat ses trois freres que ils avoit tenus en sa prison, sicom dit est par-deseurs. Si en coronat les dois anneis, Alixandre et Jamiens ; et Hircaine, qui astoit ly thirs, portant qu'ilh astoit trop jovenes, mist-elle demoreir awec lée ; et les II roys soy mariarent dedens les promirs trois mois. Alixandre prist à molhier femme de mult grant lynaige qui fut nomée Salite, et Jamien prist une altre de grant nation, qui oit nom Alixandrine.

[p. 178] [Alexandre et Jamien] La reine fut très peinée de la mort de son seigneur, en particulier parce qu'elle n'avait aucun enfant de lui pour diriger le pays et parce qu'elle l'avait beaucoup aimé. Par amour pour lui, elle libéra ses trois frères qu'il avait mis en prison, comme dit ci-dessus. Elle couronna les deux aînés, Alexandre [Jannée] et Jamien. Quant à Hyrcan, le troisième, parce qu'il était trop jeune, elle le fit demeurer avec elle. Les deux rois se marièrent endéans les trois mois. Alexandre [Jannée] prit pour épouse une femme de très haut lignage, nommée Salite, et Jamien en prit une autre, issue d'une grande nation, et qui s'appelait Alexandrine.

Chis Alixandre fut roy de Judée ; si regnat XXVII [p. 179] ans ; mains Jamien, qui astoit rois awec ly, ne regnat que I an, car Alixandre, son frere, l'ochist le XXVlle jour de septembre tantost apres siwant, par l'oquison qu'ilh avoit dit que sa femme astoit de plus hault lynage que la femme Alixandre, son frere, et qu'ilh ochiroit Alixandre, si seroit roy tou seul.

Alexandre [Jannée] fut roi de Judée et régna pendant vingt-sept [p. 179] ans ; mais Jamien, qui était roi comme lui, ne régna qu'une année, car Alexandre le tua le dix-septième jour du mois de septembre suivant, sous prétexte que Jamien avait dit que sa femme était de plus haut lignage que celle de son frère, et qu'il tuerait Alexandre et serait le seul roi.

[Del crualteit Alixandre] Chis Alixandre fut plains de felonie et de si grant crualteit que nuls ne poloit dureir por ly ; ilh fist ochire dedens VII ans plus de Lm proidhons de tout sa terre, portant qu'ilhs ly blamoient ses folhyes et mervelhes qu'ilh faisoit ; et tant fist-ilh que ses gens le haioient mult fortement.

[La cruauté d'Alexandre] Cet Alexandre [Jannée] se montra plein de fourberie et d'une telle cruauté que personne ne pouvait lui résister. En sept ans, il fit exécuter plus de cinquante mille personnes honorables de son pays, parce qu'elles avaient blâmé ses folies et ses extravagances. Il en fit tant que son peuple le haïssait très fort.

 


 

C. Fin de la geste d'Anynal - Expansion romaine en Orient et en Occident [Myreur, p. 179b-183a]

Ans 489-501 de la transmigration = 100-88 a.C.n.

 

 

Introduction [sommaire] [texte]

Notre chroniqueur présente maintenant la suite et la fin de ce que nous avons appelé « la geste d'Anynal ». Nous ne reviendrons pas sur le sujet. Les données sur l'expansion romaine, en Orient (notamment la Macédoine et Persée) et en Occident (notamment l'Espagne et la ville de Numance, qui joua un rôle central dans la résistance des indigènes contre Rome) ont un réel fondement historique. ‒ Les guerres entre les Danois et les Hongrois n'ont évidemment pas leur place dans l'histoire de la République romaine. ‒ En ce qui concerne la Gaule, l'archéologie a révélé plusieurs ponts sur le Rhône datant de l'époque romaine. On ne peut toutefois rien dire de plus, et le Vicute, fils du duc de Gaule, dont il est question dans le texte, est un inconnu de l'Histoire, tout comme du reste l'épisode de ce pont qui inquiète les Romains et provoque leur intervention armée.

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Sommaire

Le consul romain Titus marche contre la Macédoine, alliée à Anynal, et impose à son roi Philippe un traité de paix moyennant entre autres un tribut, la libération des prisonniers romains vendus par Anynal et la limitation de leur flotte - Il soumet ensuite la Lacédémonie (le roi Nabis), les Insubres, les Boïens et les Cénomans, les villes de Crémone et de Plaisance (489-492 de la transmigration = 100-97 a.C.n.)

Tandis que des batailles fréquentes les opposent, les Hongrois sont finalement défaits par les Danois - Les Romains poursuivent leurs conquêtes en Thrace, puis s'imposent au roi Antiochus, en soumettant ses royaumes de Syrie et d'Asie - Anynal se suicide et Ptolémée IX devient roi d'Égypte (490-493 de la transmigration = 99-96 a.C.n.)

Persée, roi de Macédoine, allié aux Thraces et aux Illyriens, se révolte contre Rome, mais est sévèrement battu par les Romains aidés par Antiochus de Syrie, Ptolémée d'Égypte et Prusias de Bithynie - Les vaincus obtiennent la paix, moyennant un tribut et l'envoi comme otages à Rome des trois rois et de leurs fils - Les Romains font des conquêtes en Épire, d'où ils ramènent le navire de Persée (494 de la transmigration = 95 a.C.n.)

Le Romain Pompilius, en héros épique, conquiert de nombreuses cités en Espagne, l'année de la mort de Massinissa, roi de Numidie - Le berger Viriate, vantant ses exploits contre les Romains devant Numance, est tué par les chevaliers de son camp, jaloux de lui - Le consul Mancinus, défait devant Numance, est blâmé par Rome d'avoir accepté la paix, et humilié par les Romains et les Numanciens - Après beaucoup de tentatives vaines, les Romains, menés par Pompilius, finissent par faire tomber Numance (alias Espoy) et soumettent un grand nombre de cités en Espagne (495-498 de la transmigration = 94-91 a.C.n.)

Divers : En Sicile, guerre entre esclaves et hommes libres - Une invasion destructrice de sauterelles, née en Asie, se propage en Afrique et fait beaucoup de morts - Pollux devient roi de Hongrie - En Gaule, Vicute, le fils du duc de Gaule fait construire un pont sur le Rhône - Les Romains inquiets envoient en Gaule deux consuls et de nombreuses troupes, qui mettent fin aux travaux et emmènent Vicute à Rome (498-501 de la transmigration = 91-88 a.C.n.)

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Le consul romain Titus marche contre la Macédoine, alliée à Anynal, et impose à son roi Philippe un traité de paix moyennant entre autres un tribut, la libération des prisonniers romains vendus par Anynal et la limitation de leur flotte - Il soumet ensuite la Lacédémonie (le roi Nabis), les Insubres, les Boïens et les Cénomans, les villes de Crémone et de Plaisance (489-492 de la transmigration = 100-97 a.C.n.)

 

[p. 179] [Guerre des Romans en Machidoyne] Item, l'an IIIIc IIIIxx et IX, alat à grant gens en la terre de Machidoyne ly consul Tytus, por prendre venganche de roy Philippe, qui soy astoit par lettres aloiez à Anynal , quant ilh guerrioit les Romans. Si le desconfit en batalhe, et ly gangnat ses citeis et vilhes, et destruit son pays, et prist le roy et son fis, qui avoit nom Demetre ; mains ilh fuit fait pais par teile manire que ly roy Philippe devoit rendre aux Romans les prisonnirs que Anynal avoit pris sor les Romans, com dit est par-deseurs, et les avoit vendut aux Machidoniiens ; et que jamais ne feroit batalhe aux Grigois, car les Romans les prendoient en leur saulve-garde ; et n'aroient jamais dedont en avant que L naves sour mere, et les aultres donroient aux Romans ; et awec chu par X ans donroient aux Romans cascon an IIIIm libres d'argent.

[p. 179] [Guerre des Romains en Macédoine] En l'an 489 [100 a.C.n.], le consul Titus se rendit avec une troupe nombreuse en Macédoine, pour se venger du roi Philippe, qui par lettres s'était allié à Anynal, lorsqu'il faisait la guerre aux Romains. (Titus) les vainquit au combat, gagna sur lui des cités et des villes, et saccagea son pays ; il s'empara du roi et de son fils Démétrius. Une paix fut conclue en ces termes : le roi Philippe devait rendre aux Romains les prisonniers qu'Anynal avait pris aux Romains et vendus aux Macédoniens, comme dit plus haut (p. 124, mais il s'agissait d'Hannibal). Jamais, il ne se battrait contre les Grecs, pris par les Romains sous leur protection. Désormais les Macédoniens garderaient seulement cinquante navires sur mer et remettraient les autres aux Romains. Et, pendant dix ans, ils livreraient chaque année aux Romains quatre mille livres d'argent.

[Enssi en Lachedemonie] Atant soy partit Tytus et chevalchat en la royalme de Lachedemonie, où ilh fist maintes batalhes et destruit pluseurs beals pays ; et en la fin ilh soy combatit al roy, si le desconfist et le mist en la subjection des Romans parmy le tregut paiant de VIm mars d'argent cascon an à payer ; et astoit li roy nomeis Nabidiens.

[En Lacédémonie aussi] Alors Titus s'en alla et chevaucha à travers le royaume de Lacédémonie, où il mena maintes batailles et saccagea beaucoup de beaux territoires. Finalement, il se battit contre le roi, le défit et le soumit aux Romains, lui imposant un tribut de six mille marcs d'argent à payer chaque année. Ce roi s'appelait Nabis.

Adont revient Tytus à Romme, et se ramynat awec luy tous les prisonnirs vendus par Anynal, et Arnemen le fis Nabidyen le roy.

Titus revint à Rome, et ramena avec lui tous les prisonniers vendus par Anynal ainsi qu'Arnemen, le fils du roi Nabis.

De là s'en rallat ès regnes de Insubres et Boyens et oussi Camany ; si gangnat Cremoine et Plaisanche, et les mist el subjection des Romans por le tregut de VIm libres d'argent. Et tout chu fut fait en trois ans. Si revenrons à nostre mateire.

De là, Titus repartit vers les royaumes des Insubres, des Boïens et des Cénomans. Il gagna Crémone et Plaisance qu'il soumit aux Romains, avec un tribut de six mille livres d'argent. Tout cela fut réalisé en trois ans. Nous reviendrons maintenant à notre matière.

 

Tandis que des batailles fréquentes les opposent, les Hongrois sont finalement défaits par les Danois - Les Romains poursuivent leurs conquêtes en Thrace, puis s'imposent au roi Antiochus, en soumettant ses royaumes de Syrie et d'Asie - Anynal se suicide et Ptolémée IX devient roi d'Égypte (490-493 de la transmigration = 99-96 a.C.n.)

 

Item, l'an IIIIc IIIIxx et X, morut [p. 180] Matera, le quars roy de Hongrie ; si regnat apres Anthenoir, son fis, X ans. Chis Anthenoir fut mult fels : ilh oit grant guerre à roy de Dannemarche Nabugodonsor, et si ochist II de ses fis ; si orent pluseurs batalhes ensemble.

En 490 [99 a.C.n.], [p. 180] Matera (Natora, p. 166), quatrième roi de Hongrie, mourut ; après lui son fils Anténor régna dix ans. Cet Anténor fut très violent : une grande guerre l'opposa au roi de Danemark Nabuchodonosor, et il tua deux de ses fils. Ils s'affrontèrent dans plusieurs batailles.

Si avient que, sour l'an IIIIc IIIIxx XII, orent mult grant et orible batalhe, où les Hongrois furent desconfis ; et là fut ochis LXm Hongrois et XLm Danois, et oit li roy hongrois copeit la destre main ; se li copat Eneas, le fis le roy dannois. Et por chu demorat ly roy hongrois dedont en avant en son pays, sens faire guere aux Dannois.

En 492 [97 a.C.n.], ils se livrèrent un combat important et terrible, où les Hongrois furent vaincus. Soixante mille Hongrois et quarante mille Danois périrent. Le roi hongrois eut la main droite coupée par Éneas, le fils du roi danois. Le roi hongrois resta désormais en son pays, sans faire la guerre aux Danois.

En cel an meismes, conquisent les Romans le regne de Trachie, et le misent en la subjection des Romans, por tregut de VIm libres d'argent à payer cascon an, et les conduisoit Cycilliiens Galabiiens.

Cette même année, les Romains conquirent le royaume de Thrace, qu'ils mirent sous la sujétion des Romains, pour un tribut de six mille livres d'argent à payer tous les ans ; ils étaient menés par Cicilius Glabrius.

[Les Romans en Surie] A cel temps montarent les Romans sour mere et vinrent en Surie ; si orent mult à faire, car ly roy Anthyocus de Surie et ses gens soy defendirent valhamment ; si conduisoit les Romans Pompilion et Tytus consules. Si demorarent là III ans, car ilhs conquisent en la fin toute la terre le roy Anthyocus, les dois regne d'Asie et de Surie, et les misent el subjection des Romans, et tributaire de Xm libres de fin argent ; et de chu donnarent bon segure.

[Les Romains en Syrie] À cette époque, les Romains prirent la mer et arrivèrent en Syrie ; ils eurent beaucoup à faire, car le roi Antiochus et ses gens se défendirent vaillamment ; à la tête des Romains se trouvaient les consuls Pompilius et Titus. Ils restèrent là trois ans, car ils conquirent finalement tout le royaume d'Antiochus, soit les royaumes d'Asie et de Syrie, qu'ils soumirent aux Romains, exigeant un tribut de dix mille livres d'argent fin. De cela, ils donnèrent aux Romains de bonnes garanties.

[Del mort Anynal] En cel an meisme, Anynal, le roy de Cartaige, oit volenteit de brisiier la pais qu'ilh avoit faite aux Romans et saielée de son saieal ; si soy trahit vers Prusse à roy Brithyme, et ly requist ayde ; et chis li dest qu'ilh le delivroit as Romans, com trahitre. Anynal, qui doubtat qu'ilh ne fuist livreis aux Romans, but unc hanap tout plain de venyn, si soy tuat. Enssi fut mors Anynal, et apres luy fut coroneis son fis, qui oit à nom Anynal enssi com son pere ; et chu astoit unc vilain nom et foul.

[La mort d'Anynal] Cette même année, Anynal, roi de Carthage, voulut briser l'accord de paix qu'il avait conclu avec les Romains et scellé de son sceau ; il se tourna vers Prusias, roi de Bithynie et lui demanda son aide. Mais celui-ci lui répondit qu'il le livrerait aux Romains comme traître. Alors Anynal, redoutant d'être livré aux Romains, but un hanap rempli de venin et se suicida. Ainsi mourut Anynal. Après lui son fils fut couronné ; il était lui aussi nommé Anynal, comme son père. C'était le nom d'un homme fou et de basse condition.

Item, l'an IIIIc XCIII, morut ly VIIIe Pholomes d'Egypte ; si regnat son fis apres, qui oit nom Gezon, et fut nommeis li IXe Pholomes.

En l'an 493 [96 a.C.n.] mourut Ptolémée VIII d'Égypte ; son fils, nommé Gezon, régna après lui et fut appelé Ptolémée IX.

 

Persée, roi de Macédoine, allié aux Thraces et aux Illyriens, se révolte contre Rome, mais est sévèrement battu par les Romains aidés par Antiochus de Syrie, Ptolémée d'Égypte et Prusias de Bithynie - Les vaincus obtiennent la paix moyennant un tribut et l'envoi comme otages à Rome des trois rois et de leurs fils - Les Romains font des conquêtes en Épire, d'où ils ramènent le navire de Persée (494 de la transmigration = 95 a.C.n.)

 

[p. 180] [De Perseus] Item, l'an IIIIc XCIIII, Perseus, li fis Philippe le roy de Machidoine, qui astoit roy, car son pere astoit mors I an devant, soy rebellat aux Romans ; et avoit fait alianche à Contun le roy de Trache et à Gentien le roy de Ylirien, contre lesqueiles les Romans ont envoiet Pompilion et Lutiien Paulin awec grant gens. Et mandarent awec eaux le roy Anthiocus de Surie et [p. 181] Pholomes le roy d'Egipte, et le roy Brithymie de Prusse, et se soy combatirent ; mains le promier jour furent les Romans desconfis, mains la nuit les departit à pou de perde.

[p. 180] [Persée] En l'an 494 [95 a.C.n.] Persée, fils de Philippe, était devenu roi de Macédoine, son père étant mort un an avant ; s'étant allié à Contun, roi de Thrace, et à Gentius, roi des Illyriens, il se rebella contre les Romains qui envoyèrent contre eux Popillius Laenas et Lucius Paulus et de nombreuses troupes. Ils avaient aussi appelé à les accompagner le roi Antiochus de Syrie, [p. 181] le roi Ptolémée d'Égypte et le roi Prusias de Bithynie. Tous combattirent. Le premier jour les Romains furent vaincus, mais la nuit sépara les combattants qui n'avaient subi que peu de pertes.

Mains lendemain al matin les Romans corurent sus leurs annemis, si les desconfirent, et furent ochis XXm hommes ; si en fut pris Xllm hommes, entres lesqueiles furent pris III roys de Machedoine, de Trechie et de Ylirie, qui vorent chaioir aux piés des Romans consules ; mains ilhs ne les voirent point souffrire, ains les fisent seioir deleis eaux, non mie sicom prisonniers, mains sicom amis ; car ilhs les lassarent venir à pais, parmy le tregut qu'ilhs rendoient par devant cascon de ches III roys ; si qu'ilh apparut bien que les Romans ne soy combatoient point por avarisce, mains por justiche à faire et tenir. Et fisent tous les roys et tous leur enfans creanteir d'aleir an prison à Romme, et les envoiat là.

Le lendemain matin, les Romains foncèrent sur leurs ennemis et les battirent. Vingt mille hommes furent tués et douze mille capturés, et parmi eux trois rois, ceux de Macédoine, de Thrace et d'Illyrie. Ils se jetèrent aux pieds des consuls romains, qui ne voulurent pas supporter cela mais les firent s'asseoir à côté d'eux, non comme des prisonniers, mais comme des amis. Ils les laissèrent conclure la paix, exigeant le tribut que chacun d'eux payait précédemment. Il fut dès lors évident que les Romains ne se battaient pas par avarice, mais pour rendre la justice et la maintenir. Comme garantie, ils firent emprisonner tous les rois avec tous leurs enfants, et les envoyèrent à Rome.

Puis s'en allont sour le roy de Eperie, et conquisent LXX citeis en cel royalme et les destruirent, et puis revinrent à Romme ; si amynarent le nave Perseus, qui astoit si grant qu'ilh avoit dedens XVI ordines de rymes.

Ensuite, les Romains s'en allèrent affronter le roi d'Épire, conquirent et dévastèrent soixante-dix cités dans ce royaume, puis rentrèrent à Rome. Ils y ramenèrent le grand navire de Persée, aux seize rangs de rames.

 

Le Romain Pompilius, en héros épique, conquiert de nombreuses cités en Espagne, l'année de la mort de Massinissa, roi de Numidie - Le berger Viriate, vantant ses exploits contre les Romains devant Numance, est tué par les chevaliers de son camp, jaloux de lui - Le consul Mancinus, défait devant Numance, est blâmé par Rome d'avoir accepté la paix, et humilié par les Romains et les Numanciens - Après beaucoup de tentatives vaines, les Romains, menés par Pompilius, finissent par faire tomber Numance (alias Espoy) et soumettent un grand nombre de cités en Espagne (495-498 de la transmigration = 94-91 a.C.n.)

 

[p. 181] [Pompilius en Espangne] Item, l'an IIIIc XCV, s'en allat à grant gens Pompilion vers Espangne, où ilh conquist LXIX citeis, et ochist mult de peuple ; et tou seul contre I gran agoyan ilh soy combattit et le conquist.

[p. 181] [Pompilius en Espagne] En l'an 495 [94 a.C.n.], Pompilius partit pour l'Espagne avec de nombreuses troupes. Il conquit soixante-neuf cités et tua beaucoup de gens. Il se battit seul contre un énorme géant, qu'il défit.

En cel an morut ly roy de Munidar, qui astoit nomeis Maximien, qui avoit L fis.

Cette année-là mourut le roi de Numidie, nommé Massinissa, père de cinquante fils.

Item, l'an IIIIc XCVI, uns pasteur, qui avoit nom Viriatus, se combattit en Espangne contre les Romans awec leur anemis devant la citeit de Munanchie ; mains ilh fist tant de fais d'armes que ch'estoit grant mervelhe. Et si n'astoit mie I gran hons, mains tant astoit fors qu'ilh talhoit une homme en dois tronchons ; ilh ochist les consules et tant de chevaliers de Romme tant que trop ; et astoit uns gardeur de berbis. Si avient que I jour par envie qu'ilh fut ochis par les chevaliers meismes de sa partie, à tauble où ilh mangnoient ; se les blasmoit durement et se soy prisoit ; chu fut la cause de sa mort.

En l'an 496 [93 a.C.n.], un berger, nommé Viriate, se battit contre les Romains el leurs ennemis, en Espagne devant la cité de Numance ; il accomplit des faits d'armes en nombre incroyable. Ce n'était pas un homme de grande taille, mais il était fort, capable de couper un homme en deux. Il tua les consuls et d'innombrables chevaliers romains, lui un gardien de moutons. Un jour, tandis qu'ils mangeaient à table, les chevaliers de son camp, mus par l'envie, en vinrent à le tuer, car il les blâmait durement et vantait ses propres exploits : cela causa sa mort.

[Del citeit d’Espoy en Espangne] Item, l'an IlIlc XCVII, chevalchat ly consule Manchius à grant gens vers la citeit d'Espoy en Espangne, et l'assegat ; si yssirent fours les [p. 182] villains qui desconfirent les Romans. Se leur convient une villain pais faire à eauz, laqueile pais les senateurs et li peuple de Romme rompirent, et commandarent que Manchius, qui celle pais avoit fait, funst livreis auz Numanchirs, et fut enssi fait ; car ilh devestirent Manchius, et li loiarent les mains et les piés, et le misent devant la porte de la citeit, où ilh demorat jusques à la nuit que les Numanchins ne l'ostarent oncques ; mains soy moquoient de luy les Romans et Munanchiens.

[Numance en Espagne] En l'an 497 [92 a.C.n.], le consul (Cnéius Hostilius) Mancinus chevaucha vers Numance avec une troupe importante et assiégea la cité ; les [p. 182] habitants sortirent de la ville et défirent les Romains. Un simple particulier vint leur proposer de faire la paix ; mais les sénateurs et le peuple de Rome rompirent cette paix et ordonnèrent de livrer aux Numanciens Mancinus qui l'avait conclue. Il en fut ainsi. Les Romains déshabillèrent Mancinus, lui lièrent les mains et les pieds et le mirent devant la porte de la ville, où il resta jusqu'à la nuit, sans que les Numanciens viennent jamais le chercher. Les Romains et les Numanciens se moquaient de lui.

Adont se sont les Romans aux Munanchiens combatus plus de X fois que les Romans fuoient toudis ches fortes gens. Et al derain vient Pompilius en l'oust des Romans, et soy combatit aux Munanchiens dedens VIII jours ; si les disconfist si entirement, que les plus fors et puissans furent tous ochis, et ly remanant soy retrairent en la citeit, et l'ont clouse, et se sont ochis, ly uns d'espéez ou de glaves, les altres de venien, et les aultres de feux. Et enssi fut la citeit gangnié, et en furent pris IIIm prisonnirs, entres lesqueils ilh avoit I qui fut nomeis Tyresi, qui astoit I prinche mult saige et valhant.

Romains et Numanciens s'affrontèrent à plus de dix reprises, et à chaque fois les Romains étaient mis en fuite par ces hommes si forts. Finalement Pompilius, arrivé dans l'armée romaine, combattit les Numanciens huit jours durant ; il les vainquit totalement, et les plus forts et les plus puissants furent tous tués. Les rescapés se retirèrent dans la cité, la fermèrent et se suicidèrent, les uns par l'épée ou le glaive, d'autres par le poison, d'autres encore par le feu. La cité fut conquise et trois mille hommes furent faits prisonniers, parmi lesquels un dénommé Tyresi, un prince très sage et vaillant.

[De concorde et discorde] Chis Tyresi fut enquis par Pompilion por queile cause les Munanchins n'avoient leur citeit perdue aux promirs fois, et al derain, porquoy fut-elle gangnie. Et Tyresi à chu respondit briefement : « Je vos dy que concorde donne victoire et discorde donne la mort. »

[Concorde et discorde] Pompilius demanda à ce Tyresi pourquoi les premières fois les Numanciens n'avaient pas perdu leur cité, et pourquoi finalement elle avait été vaincue. À cela Tyresi répondit brièvement : « Je vous dis que la concorde apporte la victoire et la discorde la mort ».

Et fut priese cel citeit de Munanche l'an IIIIc XCVIII, le IIIe jour de may, qui astoit une de plus fort citeit de monde, et altrement ostoit nomée d'Espoy. A chest fois Pompilion at destruite mult de citeis en Espangne, et oussi en at pluseurs mises en la subjection des Romans par tregut.

Numance fut prise en l'an 498 [91 a.C.n.], le 3 mai ; c'était une des cités les plus fortifiées au monde. Elle portait aussi le nom d'Espoy. Cette fois-là, Pompilius détruisit de nombreuses cités en Espagne ; il en mit aussi beaucoup sous la sujétion des Romains, en leur imposant un tribut.

 

Divers : En Sicile, guerre entre esclaves et hommes libres - Une invasion destructrice de sauterelles, née en Asie, se propage en Afrique et cause de nombreux morts - Pollux devient roi de Hongrie - En Gaule, Vicute, le fils du duc de Gaule, fait construire un pont sur le Rhône - Les Romains inquiets envoient en Gaule deux consuls et de nombreuses troupes, qui mettent fin aux travaux et emmènent Vicute à Rome (498-501 de la transmigration = 91-88)

 

[p. 182] En cel an meisme oit une grant batalhe en Sezile entres les serfs et les lieges ; si fut là envoiet Campfulminiens, li consule, à grant planteit de Romans, li queis en at ochis XXm hommes et s'en at cinquant mis en crois.

[p. 182] En cette même année [91 a.C.n.] eut lieu en Sicile une grande bataille entre les esclaves et les hommes libres ; on y envoya le consul Calpurnius Piso (?), avec un grand nombre de Romains ; il tua vingt mille hommes et en crucifia cinquante.

[Des lewestes] Item, l'an IIIIc XCIX, oit en Aisie et par tout le pays entor si grant multitude de lewestes qui [p. 183] devoront tous les biens ; nient tant seulement les bleis, mains enssi les herbes et foulhes, et les tenres rains ont tout mangniet et consummeit ; et enssi les ameires scorches et arbres sechoient et rongoient.

[Des sauterelles] En l'an 499 [90 a.C.n.], en Asie et dans toute la région à l'entour, des sauterelles en très grande quantité [p. 183] dévorèrent tout : les blés mais aussi les herbes, les feuilles et les tendres racines ; elles mangeaient et consommaient tout ; elles desséchaient et rongeaient même les écorces amères et les arbres.

[Mortaliteit] Si vient iIIuc I vent qui les portat en Affrique, et là se sont jettéez par le mere et par les riviers desparse de quoy ilh vient une si grant mortaliteit de gens qu'ilh moroient subitement par les voies ; et en la citeit de Cartage en sont mors VIIIm hommes.

[Mortalité] Arriva alors un vent qui les transporta en Afrique, où elles furent jetées et dispersées par la mer et les rivières, ce qui provoqua une importante mortalité : les gens mouraient subitement sur les routes et, à Carthage, huit mille hommes périrent.

[Le VIe roi de Hongrie] Item, l'an del transmigration de Babylone Vc morut Anthinoir, ly Ve roy de Hongrie ; si regnat apres luy son fis Pollux XVII ans.

[Le sixième roi de Hongrie] L'an 500 [89 a.C.n.] de la transmigration de Babylone mourut Anténor, le cinquième roi de Hongrie ; son fils Pollux lui succéda durant dix-sept ans.

En cel an fist faire Vicute, li fis le duc de Galle, unc pont de naves sor la riviere del Roine, et le faisoit mult ferme ; et avoit bien en son pays cent et LXXm hommes d'armes eslus sens les altres, et sens les prinches qui avoient leur terres qu'ilhs tenoient de luy, qu'ilh devoient servir, porquen les Romans avoient grant desplaisanches d'eaux de leur poioir. Si envoiarent où ilh edifioient leur pont Galliiens et Dometiens, II consules, à grant gens.

Cette année-là, Vicute, le fils du duc de Gaule, fit construire un pont de bateaux sur le Rhône, pont qu'il voulut très solide. Il disposait dans son pays de cent soixante-dix mille hommes d'armes d'élite, sans compter les autres, ni les princes qui, tenant de lui leurs terres, devaient le servir. Les Romains voyaient avec grand déplaisir le pouvoir des Gaulois et envoyèrent Gallus et Domitius les consuls et de nombreuses troupes à l'endroit où les Gaulois construisaient leur pont.

Si avient que sour l'an Vc et I, qui fut li an del edification de Romme VIc et XXVII, que ilh vinrent entres les ovriers sus le Roine, là ons faisoit le point ; chu fut le promier jour de septembre. Si avoient cent et LX hommes d'armes, qui les devoient tenseir et wardeir ; mains les Romans les ont sus corut, et en ont ochis C et L hommes, et noiés tous les ovriers ; et se prisent Vicuite, le fis le duc, qui les gens d'armes gardoit, se l'eminarent à Romme.

En l'an 501 [88 a.C.n.], correspondant à l'an 627 de la fondation de Rome, les Romains arrivèrent parmi les ouvriers, à l'endroit du Rhône,  où on construisait le pont ; c'était le premier septembre. Cent soixante hommes d'armes devaient les protéger et les défendre. Les Romains attaquèrent les défenseurs, en tuèrent cent cinquante et noyèrent tous les ouvriers. Ils s'emparèrent aussi de Vicute, le fils du duc, qui surveillait les soldats, et l'emmenèrent à Rome.

 

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