Bibliotheca Classica Selecta - Autres traductions françaises dans la BCS - Notice d'introduction
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1. Quavaient été des prêtres autrefois ceux qui furent plus tard les magistrats de lÉtat romain, voilà un fait dont absolument personne nest resté ignorant : Tyrrhenus, qui, à partir de la Lydie, avait émigré à lOuest, avait enseigné à ceux qui sappelaient alors les Étrusques -- cétait un peuple sicule -- les rites mystiques des Lydiens. Cest à leur haruspicine [thuoskopia] que les Étrusques doivent davoir pris le nom de Tusci. Voilà des points que nous avons mentionnés en long et en large, nous le savons, dans le premier livre du traité écrit par nos soins Sur les mois. 2. Quant aux insignes des magistrats, cest aux Tusci que les avait empruntés le roi Numa pour les introduire dans la constitution. Il avait fait de même pour linvincibilité en matière darmes vis-à-vis des Gaulois. 3. Témoins Capiton et Fonteius, ainsi que le très savant Varron, tous des Romains et, après eux, le fameux Salluste, lhistorien, qui nous offre des renseignements clairs dans le premier livre de son Histoire. 4. Il reste donc à fournir un exposé sur les pouvoirs civils et à montrer que, fondés sur un ordre sacerdotal, ils se sont développés sous la forme dun corps civil. On ne nous taxera donc pas dêtre étranger aux données de lAntiquité, sauf peut-être à les trouver en discordance avec une assurance rationnelle et à changer léloge en jalousie. Un certain Gracchanus avait traité autrefois de ces questions par écrit : nous savons que des juristes le rapportent; mais ses écrits eux-mêmes ne sont sans doute plus en circulation nulle part; de toute façon, pour eux aussi, le temps est celui qui les a engendrés et soustraits aux regards en même temps.
CHAPITRES DU LIVRE I
1. Combien de temps sest passé entre larrivée dÉnée en Italie et la fondation de Rome; combien de temps a duré la période des rois depuis celle-ci, combien celle des consuls jusquà César et depuis, combien sest passé jusquà Constantin et, depuis celui-ci, combien de temps sest écoulé jusquà la mort de lempereur Anastase.
2. Quelle est la différence entre le rex, le tyran et le roi ; et que signifient la dignité de César et dempereur ainsi que le mot Quirinus.
3. Que Romulus et ses contemporains parlaient léolien; quil ne faut point appeler "maîtres" les rois des Romains; sur les insignes du rex; quest-ce que la toga et la trabea; pourquoi les Romains nommaient le siège du roi solium.
4. Pourquoi ils appellent les crinières des tufae.
5. Pourquoi les Romains appellent les boucliers scuta, clipea et parmae, et quelle est la différence entre eux; que larmée romaine a reçu son équipage dÉnée, comme de nos jours encore, ceux que lon appelle les excubitores. Pourquoi ils appellent accensio le transport du roi par bête de somme.
6. Première institution, le commandant de cavalerie, et que lon promut à sa place le préfet du prétoire.
7. Deuxième institution, les patriciens, et la raison pour laquelle lAntiquité les a appelés patres conscripti; quelle sorte de tunique est celle que lon nomme paragauda; où figurent aussi des notes sur ce que lon nomme les campagia; ce que signifient ce que lon nomme les tituli; et que les sénateurs dautrefois recherchaient les honneurs; doù vient que les Anciens portaient deux ou trois noms.
8. Troisième institution, les questeurs et quautre chose est un quaestor, autre chose un quaesitor; du consulat, et de ses insignes.
9. Quatrième institution, le pouvoir que lon appelle décemviral.
10. Cinquième institution, celle que lon appelle dictatura, et ce que signifie ce nom; combien de dictatores il y eut au total et jusquà quand.
11. Sixième institution, celle que lon appelle censura; où figure aussi un exposé sur la comédie et la tragédie, et le moment où elles furent connues des Romains; pourquoi les Romains appellent, dans leur langue, nepotes à la fois les prodigues et les petits-fils, par homonymie.
12. Septième institution, le tribunat; quand furent donnés aux soldats ce que lon appelle les capita et pourquoi on les appelle capita; des unités sous les armes, de leurs noms et des grades et de ce que lon appelle les tirones.
13. Huitième institution, les praetores, et que le Préfet de la Ville daujourdhui était un des praetores dautrefois, en sa qualité de gardien de la cité.
14. Neuvième institution, le préfet des vigiles.
<Premier livre>
1. 1. Au moment dentreprendre un exposé détaillé des institutions de lÉtat romain, il ma paru intéressant de mettre en exergue de mon ouvrage le nom du personnage le plus ancien et le plus vénérable de tous. 2. Il sagit dÉnée, dont la beauté et la force morale et physique firent croire quil était le fils dun être plus quhumain.
2. 1. Ainsi donc, depuis larrivée dÉnée en Italie jusquà la fondation de Rome, quatre cent trente-neuf ans se sont écoulés, daprès Caton lAncien et Varron, auteurs romains ; mais daprès [Jules] lAfricain, Castor et le disciple de Pamphile [Eusèbe], il y aurait eu 417 ans. 2. Et de la fondation jusquà lexpulsion des rois, deux cent quarante-trois ans ont passé. 3. Des consuls au premier César, il y a eu 465 ans -- ou, daprès certains, 466. 4. De César à Constantin, il y a un intervalle de trois cent soixante-quinze ans ; de celui-ci à la mort de lempereur Anastase, 224 ans et sept mois, dont il faudrait retrancher neuf années pendant lesquelles Constantin fut empereur dans la sainte Rome [Constantinople]. 5. Depuis la fondation de cette bienheureuse cité, cest désormais un total de deux cent quinze ans et sept mois qui sest écoulé. 6. Donc, en additionnant les années depuis Énée jusquà la mort du noble Anastase, on arrive à un chiffre de mille sept cent quarante-six ans et sept mois : cest lavis des Grecs, daprès tous les auteurs des deux langues. 7. Après avoir établi ces faits dune manière conforme à la vérité, le moment est venu, comme nous lavons dit, dexposer en détail les institutions de notre système politique.
3. 1. Donc, Romulus, à lâge de dix-huit ans, bâtit avec son frère Rémus la mère de lEmpire -- Rome. 2. La charge quils exerçaient sappelle en latin "royale", cest-à-dire tyrannique. Le nom de "royal" [regius], en effet, ne correspond pas, comme certains limaginent, à une royauté [basileia] romaine légitime : cest pour cela que depuis lexpulsion des rois [reges], les Romains, quoique vivant sous un régime monarchique [basileuomenoi], nont plus eu recours à ce terme. 3. Cest une chose que la royauté légitime ; cen est une autre que la tyrannie, et une autre encore que la dignité impériale. Je vais essayer de montrer brièvement en quoi elles diffèrent. 4. Le roi [basileus] est celui que ses sujets ont élu pour être le premier dentre eux et mis sur un trône comme sur un piédestal : le sort lui a donné une fortune supérieure aux autres. Ainsi Sophocle dit dAjax quil a "le trône de Salamine au milieu des flots". 5. Le propre du roi est de ne toucher à aucune des lois de la cité, mais de préserver fermement, grâce à son pouvoir royal, la forme de son régime politique ; de ne rien faire en dehors des lois ni suivant son bon plaisir ; de sanctionner par son propre vote les décisions des meilleurs de la cité. Il témoigne à ses sujets laffection à la fois dun père et dun guide ; il ressemble ainsi à celui dont nous avons été gratifiés par Dieu et par une heureuse fortune. 6. Ce nest pas ainsi que le tyran réglera le sort de ceux qui sont tombés sous sa coupe. Il usera de sa puissance de manière irréfléchie, afin daccomplir toutes ses volontés ; sans daigner respecter les lois ni supporter de recourir, pour les rédiger, à lavis du Conseil, il se laissera guider par ses propres impulsions. 7. Le comportement du roi est régi par la loi ; lui na dautre loi que son propre comportement.
4. 1. Quant au nom des Césars, ou empereurs [autokratores], il ne désigne ni une royauté, ni une tyrannie, mais plutôt un pouvoir absolu, une capacité toute personnelle de tirer parti, afin de laméliorer, des troubles qui menacent lÉtat, ainsi que de donner des instructions à larmée sur la façon dont il faudrait quelle affronte ses adversaires. 2. Imperare, en effet, signifie en latin "donner des ordres" ; de là imperator. 3. Que le nom dempereur ou de César ne désigne pas un pouvoir royal, cest ce qui ressort clairement du fait que les consuls, et après eux les Césars, ont repris pour titre la dignité de ceux quon appelle les imperatores. 4. On voit bien que le pouvoir des Césars ne fait pas usage des emblèmes des tyrans ; cest revêtus de la seule pourpre quils montent à la tribune du Sénat romain et quils dirigent en maîtres, comme je lai dit, les troupes en armes. 5. Voilà pourquoi les Romains les ont appelés principes, cest-à-dire premiers personnages de lÉtat. 6. Le nom de "César", lui, est indicatif dune origine ; il vient du premier César, comme celui des Fabii, des Cornelii, des Flavii et des Anicii (ce dernier étant de provenance barbare). 7. Les Égyptiens ont de même appelé leurs rois "Pharaons" daprès le premier Pharaon, et "Ptolémées" daprès le premier de ce nom. 8. Cette modération des Césars se maintint chez les Romains jusquà Dioclétien. Le premier, il se ceignit la tête dune couronne faite de pierres précieuses et se couvrit de pierreries les vêtements et les pieds ; il fit de son pouvoir quelque chose de royal, ou, pour dire vrai, de tyrannique ; il fit faire un recensement de la terre ferme et laccabla dimpôts.
5. 1. Si bien que Romulus était tyran : dabord, il fit disparaître son frère -- qui était laîné, qui plus est --, et il traitait sans discernement les affaires qui se présentaient. 2. Cest pourquoi il fut surnommé Quirinus, cest-à-dire "maître" [kurios] -- même si le lexicographe Diogénianos est dun autre avis. Il est clair que Romulus ou ses contemporains, à cette époque, nignoraient pas le grec (léolien, sentend), comme le disent Caton dans son ouvrage sur les antiquités romaines et le très érudit Varron dans le prologue de son ouvrage adressé à Pompée ; Évandre et les Arcadiens étaient venus en Italie et avaient acclimaté chez les Barbares la langue éolienne. 3. Lautre étymologie que les grammairiens proposent pour ce terme me paraît, sauf leur respect, tirée par les cheveux. 4. Ils soutiennent que Quirinus tire son nom de Cures, une petite ville de Sabine, alors quil nest pas originaire de là, mais bien du mont Palatin, quil est né sur les rives du Tibre et quil a été élevé là. 5. En fait, les tyrans aiment être appelés "seigneurs" [kurioi] et "maîtres" [despotai], et non "rois" [basileis].
6. 1. La dignité de César est supérieure à la royauté, parce quelle avait autrefois parmi ses prérogatives celle de donner des rois aux peuples. 2. Ce fut quelque chose de détestable et détranger à la liberté romaine que dappeler "maîtres" et non "rois" ceux qui ont le pouvoir, dans la mesure où le nom de maître est commun à ceux-ci et à ceux qui ont acheté un fugitif [cest-à-dire un esclave], tandis que le nom de roi appartient aux rois seuls. 3. Il est bien connu que lhabitude romaine était de réserver le nom de domini à ceux qui exerçaient un pouvoir tyrannique, comme Sylla ou Marius, et de donner à la tyrannie elle-même le nom de dominatio : ainsi les vils flatteurs font bon marché de la grandeur des rois quand, dans leur ignorance, ils accréditent lidée que ceux-ci sont les premiers parmi des esclaves. 4. La vérité de cette assertion ressort du fait suivant. Un jour, Auguste (ou peut-être sagissait-il de Tibère, qui lui succéda) fut appelé "maître" par un flatteur. Il se leva aussitôt et congédia lassemblée, dédaignant, dit-il, de discuter avec des esclaves. Mais puisque cette appellation insultante avait été introduite auparavant, dune manière en quelque sorte honorifique, notre très bienveillant empereur, dans sa bonté, et bien quil surpasse en modération tous ceux qui ont jamais régné, souffre quon lappelle "maître", comme on dirait "notre bon père" ; ce nest pas quil y prenne plaisir, mais il aurait honte de sembler refuser une faveur à ceux qui croient lhonorer.
7. 1. Avant Romulus, les insignes de la royauté latine étaient un trône de bois et le vêtement appelé chez eux "trabée" ; je dirai un peu plus loin à quoi il ressemble. 2. Cest de là que vient, chez le poète romain [Virgile], au huitième livre de lÉnéide, quand il décrit la royauté de Latinus, la mention du trône et de la trabée. 3. Romulus, lui, avait en outre une couronne, un sceptre avec un aigle au bout et un manteau blanc descendant jusquaux pieds, rayé sur le devant, des épaules aux pieds, de bandes de pourpre (ce manteau sappelle une "toge", cest-à-dire "couverture", de tegere, par substitution de lettre ; cest ainsi que lon dit "couvrir" en latin), ainsi que des sandales pourpres ; on les appelle, daprès Cocceius [Dion Cassius], "cothurnes". 4. Cet aspect extérieur, avec ce que lon appelle la "toge", était, en temps de paix, commun à celui quon appelle rex et à ses sujets ; la trabée, elle, était la paratura (cest-à-dire le vêtement caractéristique) du rex seul. 5. Cétait un chiton, un manteau en forme de demi-cercle, inventé, dit-on, par Agathocle, le tyran de Sicile. Quant au trône, son nom local était solium, qui équivaut, daprès le Romain [Aemilius] Asper, au terme apparenté sellium ; ou bien, daprès dautres, on disait solium pour solidum, cest-à-dire massif. 6. Cest en creusant un tronc épais pour lui donner la forme dune boîte et dun siège quon fabriquait un trône pour le pouvoir royal, afin que la personne du roi fût en sûreté comme à lintérieur dune boîte. Par derrière comme sur les deux côtés, aucune pièce ajustée, aucune plaque de bois supplémentaire nétait appliquée à la chaire, qui était, en un mot, dune seule pièce et massive. 7. Cest pour cela que lon appelait solium le trône du roi.
8. 1. Outre cela, Romulus était précédé par douze haches, daprès le nombre des vautours quil avait vus au moment où il se disposait à fonder la ville. 2. Plus tard, après la victoire du roi Tarquin lAncien sur les Étrusques et les Sabins, on ajouta aux signes distinctifs de la royauté de longues lances, également au nombre de douze ; elles nont pas de pointes, mais des crinières y sont suspendues ; les Romains les appellent iubae et les Barbares tufae, avec une légère déformation du mot. Il y avait en outre des vexilla, cest-à-dire de longues lances auxquelles étaient fixées des pièces de tissu -- les Romains les appellent flammulae, à cause de leur couleur flamboyante ; jai suffisamment développé ce sujet dans mon livre des Mois.
9. 1. Tels étaient donc, à cette époque, les insignes de la royauté. Quant aux troupes en armes, voici textuellement ce que le Romain Paternus dit à leur sujet dans le premier livre de son Traité de tactique (je traduis) : "Romulus chargea des décurions du soin des choses sacrées ; ce sont les mêmes quil appela "centurions des unités dinfanterie". 2. Il y avait trois mille fantassins armés de boucliers ; il donna à chaque centaine dhommes un chef, que les Grecs appellent hekatontarches et les Romains centurio ; il y avait ainsi trente centurions en tout et autant de "manipules", cest-à-dire dunités pourvues denseigne [sêmeiophoroi]. Il détacha de larmée trois cents scutati " -- comme on dit en latin pour "armée de boucliers" -- "destinés à sa garde personnelle" -- je dirai un peu plus loin ce quest un soldat scutatus et ce quest un clipeatus -- "et il adjoignit à ses troupes trois cents cavaliers, en en confiant la responsabilité à un certain Celer (cétait son nom). 4. Cest ainsi que lensemble de larmée les surnomma alors, par synecdoque, celeres. Comme la cavalerie était répartie en trois centuries, il donna à celles-ci trois dénominations distinctes, les appelant Ramnes, Tities et Luceres. " Jai déjà expliqué lorigine de ces noms dans mon livre des Mois, dont jai parlé.
10. 1. Il est temps de dire en quoi le scutum diffère du clipeus. 2. Les Romains appellent scutus ce qui est à la fois robuste et compact ; cest ce que les Grecs qualifient de stiptos, cest-à-dire stibaros, comme Aristophane dans les Acharniens : "des vieillards secs et durs [stiptoi], des Marathonomaques, des hommes de chêne". 3. Cest pour cela que les Romains appellent scutlata les vêtements fins, serrés et légers. 4. Voici comment se présente le bouclier [scutum] : il est léger, puisquil est mince, mais il est très solide et ne senfonce pas facilement sous les coups. 5. Quant au thureos, les Romains lappellent clipeus, parce quil dissimule [kleptein] et recouvre [kaluptein] celui qui le porte. 6. Cest une particularité des seuls Grecs de se servir à la guerre de boucliers très légers ; les Barbares ont des boucliers longs [thureoi], et au plus fort du combat, ils les ramènent au-dessus deux et sen servent comme dun abri.
11. 1. Il y a une autre sorte de bouclier plus petit, que les gens dau-delà du Danube, qui ne sont pas capables de combattre à pied, emportent avec eux à cheval. Les Italiens lappellent parma et les Scythes peltè. 2. Outre ces anciennes sortes de boucliers, il y a eu -- mais cela nexiste plus actuellement -- lancile, une espèce de bouclier minuscule, doù vient le nom de esclaves prisonnières de guerre ou ancillae. 3. Quand, en effet, un soldat avait trouvé, daventure, une femme qui lui plaisait, il la couvrait de son bouclier au cours du combat, afin quil ne lui soit fait aucun mal, montrant ainsi quelle était réservée à celui qui lavait sauvée. 4. Cest ainsi que les esclaves sappellent en latin serui, parce quils ont été sauvés [seruare] de la guerre : le sort les avait faits libres, mais la misère les a rendus esclaves : ceux-là sont appelés famuli, parce que la faim se dit fames. 5. Le nom des ancilia vient du grec, et plus précisément de léolien ; il signifie "lisse des deux côtés", comme les boucliers des Amazones.
12. 1. A cette époque, toute larmée romaine avait un type déquipement unique : un casque de bronze, une cotte de mailles, une épée large et courte, pendant contre la cuisse gauche, et à droite, deux javelots à pointe large, des jambières noires tissées, et, aux pieds, des sandales que les Grecs appellent arbulai et les Romains garbula ou crepidae. Cette appellation nest ni naïve ni dépourvue de sens. Dans ses Portraits, Terentius, surnommé Varron (ce surnom, daprès Herennius, signifie "courageux" en celtique ; chez les Phéniciens, il désigne le Juif), rapporte quÉnée arriva autrefois en famille accoutré de la sorte ; il a vu, dit-il, sa statue en marbre blanc poli sur une fontaine dAlbe. 2. Et cela est tout à fait vrai : le poète romain [Virgile] la représenté vêtu de cette manière dans le premier livre de lÉnéide, quand il errait en Libye avec Achate. 3. En temps de paix, ils senveloppaient dans des casaques de peau pendant des épaules jusquaux mollets ; ils en décoraient ce quon appelle les podeônes [lemplacement des pattes]. Ils appelaient ces casaques globae, cest-à-dire "dépouilles", car "dépouiller" se dit en latin globare. 4. La coutume était que non seulement les soldats en armes, mais aussi les généraux shabillent de cette manière. 5. Les soldats daujourdhui imitent les Barbares, qui en retour cherchent eux-mêmes à les imiter ; seuls font exception les gardes du palais - on les appelle en latin excubitores, cest-à-dire "gardes éveillés" ; Tibère César fut le premier après Romulus à utiliser ce système -- cet équipement sest maintenu, comme je lai dit, depuis Romulus, son origine remontant à Énée. 6. Il nétait pas permis, en effet, aux Romains de revêtir une tenue barbare ; et cela, Tranquillus [Suétone] le mentionne dans sa Vie dAuguste. 7. Il rapporte quAuguste, ayant vu dans le public du cirque des Romains vêtus à la mode barbare, fut saisi dune telle indignation que, bien que ceux quil visait se fussent aussitôt dépouillés de leur vêtement barbare, ils ne se firent reconnaître de lempereur quà grand-peine. Voilà donc ce quétait larmée de Romulus.
13. 1. Quant à ceux quon appelle les accensiones, jimagine quils ont été créés pour servir les rois, pour le transport et lacheminement du ravitaillement, tout comme les nocturni sont chargés des meubles et en général de tout ce qui est nécessaire au sommeil. 2. Cicéron, orateur plein dabondance, emploie ce mot dans les Verrines : il appelle accensi les serviteurs particuliers des rois, parce quils sont attachés à leur maître et obéissants. Accendere, en latin, signifie en effet "rivaliser defforts".
14. 1. Donc, comme je lai dit, Romulus confia linfanterie aux centurions et la cavalerie à Celer, qui commandait auparavant lensemble de larmée ; il lencouragea à se saisir de pouvoirs étendus, des dons de la fortune, de ladministration du pays, si bien que, hormis la couronne, la royauté, un pouvoir qui na aucun contrôle par lui-même, ne détenait plus rien des maîtres de cavalerie. 2. Cette charge fut maintenue par les rois, par tous les dictateurs sans exception et ensuite par les rois, par tous les dictateurs sans exception et ensuite par les Césars, qui changèrent le nom du maître de cavalerie [hipparchos] et lappelèrent "préfet" [eparchos]. Le juriste Aurelius latteste, qui dit textuellement (je traduis) : "il est nécessaire dexposer brièvement doù le préfet du prétoire tient sa charge. 3. Elle vient très probablement du maître de cavalerie : de fait, tous les anciens rapportent que cest à sa place que le préfet a été nommé. Il arrivait en effet, chez les anciens, que les pleins pouvoirs fussent confiés, de façon momentanée, à des dictateurs. 4. Chacun de ceux-ci se choisissait un maître de cavalerie, pour partager avec lui sa charge ainsi que ladministration des affaires. 5. Le pouvoir étant ensuite passé aux empereurs, on introduisit le préfet du prétoire, à limage du maître de cavalerie. Il a une puissance plus grande que son prédécesseur pour ladministration des affaires, pour létablissement et lentraînement des armées et pour le redressement en général ; il est parvenu à un tel niveau dautorité que nul ne peut aller en appel contre lui ni contester son jugement."
15. 1. Voilà ce que dit le jurisconsulte. Quant à moi, même si la préfecture du prétoire se trouve être la plus ancienne et la plus importante de toutes les magistratures, et même sil serait à la fois nécessaire et convenable den développer ici lorganisation et les prérogatives, 2. comme ce nest pas dès lorigine, mais à partir dAuguste quelle a, comme je lai dit, été créée pour remplacer le maître de cavalerie, il suffira pour linstant de traiter de lépoque la plus ancienne, et de dire quel fut le berceau de la préfecture ; 3. ensuite, après lexposé relatif aux magistratures plus anciennes, cest dans les préliminaires au règne dAuguste (règne où, comme je lai dit, cette magistrature connut ses débuts), que jen exposerai de manière suivie et détaillée tous les éléments, sans oublier ceux qui lui ont été enlevés petit à petit. Puis je parlerai de ladministration qui en dépend, la plus grande de toutes, en vérité, et dont jai eu la chance de faire partie (aussi sais-je tout cela non par ouï-dire, mais pour y avoir personnellement participé). 4. Cest un témoignage de reconnaissance, une offrande en quelque sorte, pleine daffection, que jadresse ainsi aux fonctionnaires de cette magistrature : ils mont entretenu comme il le fallait, et après Dieu, maître de toutes choses, ils mont accordé la récompense de mes peines, une vieillesse honorable et un sort meilleur.
16. 1. Il est bien connu que Romulus choisit cent vieillards dans lensemble des "curies" (cest-à-dire des tribus) pour quils soccupent des affaires de lÉtat. Ce fut de lui quils reçurent le nom de "Pères" ; des Italiens celui de patricii, cest-à-dire nobles [eupatridai]. 2. Après lenlèvement des Sabines, il les appela conscripti, cest-à-dire "inscrits avec" ; voilà pourquoi, encore maintenant, les gouvernants romains se font appeler patres conscripti. Il prit également dans le peuple sabin, pour les ajouter à larmée romaine, trente curies supplémentaires, le même nombre de centurions et trois cents chevaliers ; il y avait donc en tout 6000 fantassins et 600 cavaliers. 3. Ce nombre fut maintenu dans la suite par Marius, quand il créa ce quon appelle les "légions" (cest-à-dire "troupes délite") ; et lempereur Léon, qui fut le premier à préposer ceux quon appelle les excubitores à la garde des portes dérobées du palais, nen enrôla que trois cents, daprès lantiquité.
17. 1. Les insignes des Pères, ou patriciens [patrikioi], étaient dune part un manteau double ou chlamyde, descendant des épaules jusquaux mollets, retenu par des agrafes dor et de la couleur dune feuille de vigne séchée ; il se distinguait par une bande de pourpre en son milieu, quon appelait "laticlave" ; ce manteau, on lappelait atrabattica, daprès sa couleur ("sombre" se dit chez eux ater). 2. Ils ont en outre des "paragaudes" : ce sont des tuniques lancéolées, pourpres aux extrémités, toutes blanches ailleurs, avec des manches ; ils les appellent manicae. Le peuple sait donner à ce genre de tunique son vrai nom de "paragaude" ; et pourtant, la paragaude est une tunique ancienne, caractéristique, comme le dit le lexicographe Diogénianos, des Perses et des Sarmates. 3. Les patriciens ont aussi des jambières blanches, qui couvrent toute la jambe, pied compris, et une chaussure noire, ressemblant à un sandale, complètement découverte mais maintenant le talon à laide dune sorte de petite languette et, au bout, les orteils ; des lanières se tirent, de part et dautre, de dessous la plante du pied, jusquaux phalanges des orteils ; elles se rejoignent sur le dessus et enserrent le pied, si bien que la sandale est très peu visible, et seulement à la partie antérieure des orteils et sur larrière, tandis quon distingue le pied grâce à la jambière. 4. On lappelle campagus, parce quon lutilise encore maintenant sur le campus, cest-à-dire la plaine. Les Romains se tenaient en effet sur la plaine quand ils procédaient à lélection de leurs magistrats; ils mettaient alors ce type de chaussures. 5. Lepidus, dans son livre sur les prêtres, dit que le campagus est dorigine étrusque.
18. 1. Les patriciens, en public, ne se déplaçaient jamais à pied ni non plus à cheval -- cela semblait commun -- mais dans des voitures armoriées et assis sur un siège surélevé. Quatre mulets tiraient la voiture, faite de bronze corinthien et couverte de ciselures représentant des scènes et des figures de type archaïque. 2. Il nétait pas permis non plus, sauf au roi, datteler des chevaux à cette voiture : le déplacement dans une voiture tirée par des chevaux avait en effet un caractère triomphal. On appelait ces chars burichallia, daprès les bufs ; à défaut de ceux-ci, comme la charge nétait pas lourde, on confiait lattelage à des mulets.
les dénominations officielles de leurs dignités
19. 1. Titus Tatius, qui était, comme je viens de le dire, le chef des Sabins, se lia aux Romains et unit si bien les deux peuples quon put dire quil ny avait plus deux États, mais un seul : lÉtat romain. 2. Et comme Titus Tatius portait ce surnom, on prit, pour désigner la noblesse, le diminutif titulus formé sur le nom du premier Titus, et lon appela Titi les gens qui avaient des ancêtres nobles, comme le dit lauteur romain Perse.
20. 1. Voilà donc ce qui concerne les dignités. Quand aux honneurs, les aristocrates romains considéraient comme le premier de tous une bonne réputation obtenue à force de bienfaits ; et plus ils avaient de gens devenus leurs familiers, plus grande était, à leur avis, la considération dont ils jouissaient auprès des moins favorisés. 2. Le Romain Juvénal en est témoin, quand il dit que la gloire acquise par les bienfaits passait, pour les anciens, avant celle que procurent les consulats, les triomphes et les exploits militaires. 3. Leurs familiers, ils les appelaient en latin clientes, au lieu de colientes, par substitution de lettre, parce que ces gens les respectaient et les aimaient ; ils leur dispensaient les présents afin de les honorer et tout en faisant preuve eux-mêmes de modération, si bien que lhonneur témoigné aux amis reçut le nom de "recherche des honneurs" [filotimia]. Aucun de ceux qui avaient obtenu lappui dun noble navait besoin dun autre homme pour le soutenir dans les diverses circonstances de la vie. Les aristocrates considéraient comme une honte et un échec personnel quun de leurs amis soit amené à avoir besoin de quelquun dautre. 5. Une trace peu claire de cet état de choses sest maintenue chez les Romains jusquà une époque récente. 6. Les membres de lélite romaine expédiaient à Ostie (ville située à lembouchure du Tibre) leurs hommes de confiance chargés de semparer avant les autres, comme dune bonne prise, des étrangers qui débarquaient et de les leur amener. Les portes extérieures de la maison dun grand personnage étaient ouvertes à tous, pour lui permettre de distribuer en abondance des largesses de toutes sortes. Il ny avait pas de gardien ni de portier pour interdire lentrée des solliciteurs, les aristocrates eux-mêmes, avec leur épouse et leurs enfants, se montraient à leurs hôtes et priaient ceux quils navaient encore jamais vus de leur faire confiance. 7. Ce type de générosité a traversé les siècles jusquà notre Rome [Constantinople], mais il na pas réussi à sy acclimater : nos grands personnages ne font bénéficier queux-mêmes de la supériorité de leur fortune.
deux, trois noms et plus
21. 1. Avant Romulus, il est possible détablir que les rois de la contrée sappelaient Silvii, daprès Silvius Énée, descendant du premier Énée. 2. Les Anciens avaient leurs habitations dans les forêts et ils faisaient grand cas de la vie nomade ; dans leur fierté, ils sappelaient eux-mêmes Silvii ["forestiers"] et leurs rois en personne ne dédaignaient pas de faire paître des troupeaux et den tirer de largent. De là vient quils appellent largent pecunia. 3. Cest pour cela aussi, comme le sait la tradition antique, que des chiens accompagnaient un jour le Tégéate Évandre. 4. Le nom de Silvii nétait pas donné seulement à des hommes, mais aussi à des femmes, comme Rhéa Silvia et Ilia Silvia. 5. Après la naissance de Rome et lenlèvement des Sabines, le roi Numa fut le premier à avoir deux noms et sappela Numa Pompilius ; lun de ces noms était romain et lautre sabin. 6. On ne trouverait pas, en effet, avant lui de personnage, que ce soit Romulus ou quiconque dantérieur à la fusion entre Sabins et Romains, qui se soit donné une autre appellation en plus de son nom propre.
22. 1. A lépoque, cétait à la fois leur penchant et la coutume établie que de se glorifier dun nom correspondant à cette double origine. Avec le temps, dautres dénominations furent introduites, tirées tantôt de la noblesse troyenne, tantôt de ceux quon appelle Aborigènes, cest-à-dire la population autochtone (on sait que Céthégus prétendait tirer son origine de ces fils de la terre ; il apparaissait sur le forum sans vêtements, avec une simple toge en tissu grossier pendant sur la poitrine, et cela bien quil fût surchargé dinsignes sénatoriaux), tantôt enfin du caractère ou des dispositions desprit, comme dans le cas de Publius Valerius Publicola, dont les deux premiers noms reflétaient lorigine illustre à la fois, comme je lai dit, du côté romain et du côté sabin, et le troisième montrait ses bonnes dispositions envers le peuple. 2. Peut-être serait-il utile de mentionner ici non pas un grand nombre, mais quelques-uns de ces détails curieux ; je nai pas le temps de métendre sur cette question, qui pourrait à elle seule faire la matière dun gros livre.
23. 1. Donc, on appelait Proculus celui qui était né pendant un voyage de son père, Postumus le fils posthume, Vopiscus le jumeau ayant survécu à son frère mort-né, César le bébé quon avait sauvé en ouvrant le ventre de sa mère défunte, Flaccus lhomme avec une oreille plus grande que lautre, Naevius le dartreux. Quant à Lucius Licinius Crassus, le premier de ces noms désigne lenfant né au lever du soleil, le deuxième un homme aux cheveux crépus aux extrémités, le troisième quelquun de bien en chair et de robuste. 2. Crassus, en latin ancien, sapplique en effet à quelquun de naturellement corpulent. Pinarius, cest celui qui a faim ; Statius, lhomme de bonne taille ; Faustus et Fabius, lhomme bienveillant ; Gaius, cest-à-dire Gaudius, lheureux caractère ; Tiberius, celui qui est né sur une rive du Tibre ; Titus, le descendant du Sabin Tatius ; Appius, celui qui habite sur lAppienne (il y a une route de ce nom) ; Servius, celui quon a sauvé en le retirant du corps de sa mère morte ; Néron veut dire "fort" en sabin ; Nason, cest lhomme au grand nez ; Tucca, le mangeur de viande (celui quaujourdhui les gens simples appellent Ziccas) ; Varus et Blaesus, le cagneux ; Serranus, lagriculteur, du verbe qui veut dire "semer" ; Augustus, celui qui bénéficie dheureux présages ; Vitellius, lhomme au teint jaunâtre, parce que les Romains appellent vitellus le jaune duf ; Varron, le Juif en phénicien et lhomme courageux en celtique. 3. Un oisif qui aurait la chance de mener une vie exempte de tracas pourrait rassembler à loisir un grand nombre dindications de ce genre, sil était passionné par ces amusements auxquels, pour ma part, je consacre mes veilles, malgré les très nombreux soucis qui me tourmentent.
24. 1. Le témoignage des anciens ajoute au crédit des auteurs. 2. Junius Gracchanus, dans son traité Des pouvoirs, dit textuellement de celui quon appelle à Rome le "questeur" : "ils sont élus par le vote populaire. 3. Après ceux-ci, le roi Tullus jugea que la charge de questeur était nécessaire, si bien que la plupart des historiens lui attribuent, et à lui seul, la création de cette dignité. 4. Junius Trebatius et Fenestella disent quelle tire son nom de lenquête [zètèsis, cest-à-dire quaestio]. Et un peu plus loin : "Dans la suite, cependant, on désigne des questeurs candidats de lempereur, qui soccupaient seulement de donner lecture des lettres impériales ; cest eux aussi qui lisaient les votes émanant de la majorité du sénat et portant sur lentrée en charge des magistrats." Voilà ce que dit Junius ; le jurisconsulte Ulpien traite en détail du questeur dans son De officio quaestoris, cest-à-dire "Les fonctions du questeur".
25. 1. Il me paraît intéressant dexaminer ce quest le quaestor, ce quest le quaesitor, et dautre part ce que le mot signifie suivant quil a la diphtongue [quae-] ou la voyelle simple [que-]. 2. Le quaestor, cest lenquêteur, de quaerere "chercher" ; ceux que les Grecs appelaient "chercheurs" [ereunades] furent dénommés quaestores par les Romains. 3. Le quaesitor, cest le juge (le premier de ces mots est dissyllabique en latin et le second trisyllabique). 4. Le poète romain, dans le sixième livre de lÉnéide, na appliqué ce nom de quaesitor quà un seul personnage, le Crétois Minos, qui fut, daprès la légende, juge des défunts dans lHadès. 5. Cest pour cela que les Romains ont décidé dappeler quaestiones les châtiments et quaestionarii les fonctionnaires chargés dinfliger les peines. 6. Le quaestor est un enquêteur chargé des finances ; avec un allongement et une syllabe supplémentaire [cest-à-dire quaesitor], un enquêteur qui soccupe des accusations. Lun et lautre de ces mots prennent la diphtongue, même quand il sagit du trésorier, parce que les recettes se disent en latin quaestus. 7. Quand le mot a au début non une diphtongue, mais une simple voyelle, il na aucun de ces deux sens ; il désigne, de la façon dont il est écrit, celui qui proteste et profère des insultes : queror signifie "se plaindre" (le verbe est commun, à la fois actif et passif) et les plaintes se disent querimoniae et querelae.
26. 1. Afin quon naille pas penser que nous profitons de ces détails techniques pour prendre des limites avec la vérité, instruisons-nous auprès de ceux qui se sont occupés de ces questions. 2. Le jurisconsulte Gaius, dans louvrage quil a intitulé Ad legem XII tabularum, cest-à-dire "Sur la loi des Douze Tables", déclare textuellement (je traduis) : quand le trésor public en vint à saccroître, on désigna pour sen occuper des questeurs, ainsi nommés daprès la conservation et la garde de largent. 3. Comme, dautre part, il nétait pas permis aux magistrats de prendre une décision au sujet dun citoyen romain dans une affaire entraînant la peine capitale, on créa des quaestores parricidii, cest-à-dire des arbitres et des juges de ceux qui auraient tué un citoyen." 4. Les Romains appellent de la même façon, parricidae, les meurtriers de leurs parents et les meurtriers de leurs concitoyens ; parents et citoyens sont qualifiés les uns et les autres de parentes. 5. Mais il y a une différence dans lappellation : quand ils abrègent la première syllabe, la rendent brève, ils veulent parler des "parents" [parentes, de parere, engendrer] ; sils lallongent, il sagit des "sujets" [parentes, de parere, obéir].
27. 1. Dans la deux cent quarante-troisième année depuis la création des consuls, sous le consulat de Regulus et de Junius, lorsque les Romains eurent décidé dentrer en guerre contre les alliés de Pyrrhus dÉpire, on équipa une flotte et lon promut les (officiers) appelés classici, ou commandants de navires, au nombre de deux, et dix questeurs, comme trésoriers et collecteurs de fonds. La différence entre quaestor et quaesitor, nous lavons déjà indiquée. 2. Cet usage, la collecte des recettes, sest maintenu pour les consuls et les préteurs hors de Rome.
28. 1. Quant aux questeurs du palais, il est aisé de sinformer à leur sujet auprès du jurisconsulte Ulpien. Voici ce quil dit dans son ouvrage en un livre sur la charge de questeur : "on désigne les quaestores candidati Caesaris. Ils soccupaient uniquement de la lecture des rapports au Sénat et ils aidaient à la rédaction des lettres des empereurs." 2. On appelle candidati, en latin, les gens vêtus de blanc ; au moment de donner lecture en public dun document quelconque, surtout sil vient de lempereur en personne, nul ne songerait à y procéder sans être vêtu de blanc. 3. On appelait également candidati ceux qui sapprêtaient à briguer des charges dans les provinces, parce queux aussi savançaient vêtus de blanc, montrant par là quils étaient candidats. 4. Quiconque a quelque teinture dhistoire romaine peut en témoigner. 5. Le fait que les magistrats ne portaient pas dautre vêtement que celui qui est en usage lors des fêtes est bien connu de tous. Et cela nétait pas seulement le cas à Rome : personnellement, je me souviens que cet usage fut maintenu dans les provinces aussi longtemps que les conseils administrèrent les cités. À leur disparition, le déclin sétendit du particulier au général.
29. 1. Tel est le nombre des magistrats qui dirigèrent les affaires romaines sous les rois, pendant les deux cent quarante-trois ans que dura la royauté ; cest ce que rapportent les historiens dans leur ensemble. Dans la suite, le nom de la liberté se mit à resplendir comme au milieu de lobscurité.
30. 1. Les Grecs appellent hupatoi les hauts personnages et les grands, passant ainsi à côté du véritable sens du nom : le mot consul désigne par nature en latin non pas le haut personnage mais le conseiller [litt. prytane]. 2. En effet, Consus était chez les Romains le nom de Poséidon. Cest un dieu caché et souterrain, et, comme disent les poètes, "ébranleur de la terre" et "ébranleur du sol". 3. Ce qui est caché est secret : voilà pourquoi les délibérations et les conseils tenus à huis clos sappellent chez eux consilia, de condere "cacher". Le consul est un homme secret, qui voit loin et consacre ses veilles à méditer en solitaire sur les affaires de lÉtat. 4. Cest aussi pour cela que les anciens donnent le nom de Consualia à des courses de chevaux : la mythologie fait de Poséidon un dieu cavalier.
31. 1. Voilà pour le nom latin des consuls. Comme personne nignore les noms de ceux qui exercèrent les premiers le consulat, il faut dire quelques mots de Brutus. 2. Son véritable nom était Junius ; on lappela Brutus, suivant la coutume romaine des surnoms, parce quil simulait limbécillité. On appelait en effet limbécile brutus en latin ancien, à cause de la lourdeur [barutès] de son esprit. 3. Cet homme, ainsi que je lai dit, jouait au simple desprit et attendait son heure pour chasser du pouvoir Tarquin, le plus cruel des tyrans qui aient jamais existé. 4. Sattardant à Athènes pour y étudier les lois, avec ceux que les Romains y avaient envoyés en sa compagnie dans ce but, il demanda au dieu de lui montrer comment sy prendre et de lassister dans son dessein. La divinité lui répondit que si, dès quil aurait posé le pied sur le sol de sa patrie, il sempressait, sans autre cérémonie, dembrasser sa mère et de létreindre avec conviction, il atteindrait son but. 5. Effectivement, à son retour à Rome, après avoir embrassé la terre (car cest elle qui est la mère de tous les hommes), il délivra les Romains de la tyrannie et créa une magistrature qui nétait connue daucun autre peuple, même si, chez les Hébreux, Daniel, le plus divin des prophètes, mentionne des consuls [hupatoi] qui auraient autrefois existé en Assyrie. 6. Ce nest pas, en effet, ce terme-là que Daniel utilisa en hébreu, ainsi quAristée la fait remarquer ; mais ceux qui, auprès du roi Ptolémée, ont traduit ce texte, ont parlé de "consuls" [hupatoi] au lieu de "princes" [dunastai] et de "conseillers" [bouleutai], bien que la puissance romaine ne fût pas encore à son apogée et quelle nattirât pas encore ladmiration de tous par sa grandeur nouvelle. 7. Voilà comment tout cela se présente ; il faut maintenant parler des symboles du consulat.
32. 1. Les consuls ont des manteaux blancs jusquaux pieds et des colobi, retroussés modérément par rapport aux manteaux et ornés dune bande large ; de la pourpre bien en évidence, tombant de chaque épaule, par-devant le manteau et derrière le colobus, ainsi que des sandales blanches. 2. Cette sandale sappelle en latin aluta, parce quelle est faite de cuir traité à lalun (lalun se dit alumen). Un autre des insignes des consuls était un mouchoir de lin blanc du côté droit ; on lappelait en latin mappa ou faciolis, parce que le visage se dit facies. 4. Il y avait aussi, devant eux, des haches dressées et une masse dhommes portant des faisceaux, où étaient suspendues, en mémoire du dictateur Serranus, des cordes teintes en rouge. Serranus était en train de couper du bois dans la forêt, et il avait, bien entendu, une hache, ainsi quune baguette attachée à la bride afin de mener les bufs qui tiraient son chariot, quand il fut appelé à prendre le pouvoir à Rome : cest ce que dit le satiriste romain Perse. (Selon dautres, cest parce que la hache est symbole du pouvoir.) 5. Il y avait aussi une chaise (en latin sella) divoire, où le consul prenait place ; ses concitoyens fixaient par-dessous de longues poutres de bois et le transportaient dans cet équipage.
33. 1. Pour que la charge de consul ne devienne pas impossible à contrôler à cause du pouvoir dun seul, on en nomma, comme je lai dit, deux et pour une année seulement : Brutus, le vengeur de la liberté, et avec lui Publicola (ce nom signifie "démagogue"). Chargés comme ils létaient de la gestion de toutes les affaires, ils avaient le pouvoir de faire des lois et de mener les guerres à leur guise. 2. Quand Brutus cessa de vivre, on rendit honneur au mort par un deuil national et les Romains donnèrent daprès lui à leurs femmes le nom de brutae, à cause de leur chasteté. Lautre consul, qui lui survivait, fut le premier à honorer son collègue dun chant funèbre. 3. Le chant funèbre se dit en latin nenia. Létymologie de ce mot est probablement grecque ; les Grecs appellent nètè la dernière des cordes de la cithare.
et le préfet de la ville
34. 1. Le législateur Gaius mentionne la charge des décemvirs après celle des questeurs. Il sexprime en ces termes (je traduis) : "Une grande confusion sintroduisait dans les affaires à cause des lois, qui nétaient pas notées par écrit, et des dissensions entre les magistrats et le peuple. Par une décision commune du sénat et du peuple, tous les magistrats furent suspendus, et lon confia le soin des affaires publiques à dix hommes seulement." 2. Ceux-ci envoyèrent à Athènes (ce sont les historiens qui le racontent) Spurius Postumius, Aulus Marcius et Publius Sulpicius. 3. Comme ils sattardaient là-bas depuis trois ans, le temps de prendre note, pour les Dix Tables, du reste des lois athéniennes, le peuple désigna dix hommes pour se charger des affaires. Le premier dentre eux fut appelé "gardien de la ville", le poliarque actuel. 4. Les insignes de sa charge étaient douze faisceaux ; les autres navaient rien de tel, mais uniquement un seul garde armé pour chacun. 5. Le poliarque, lui, avait à sa disposition une troupe dhommes en toge, des porteurs de faisceaux, des liens et tout ce que nous connaissons. 6. Leur entretien était assuré par les possesseurs dun bien qui rapportait ; ils prirent ainsi le nom de la glèbe, parce que gleba, en latin, désigne la terre unie, cest-à-dire fertile. 7. Les Archives des Travaux nexistaient pas au départ ; cest Auguste qui les assigna à cette magistrature en faisant bâtir la basilique de Rome, comme le dit lérudit Tranquillus [Suétone]. 8. Comme les magistrats dont jai parlé se mettaient à le prendre de haut et adoptaient un comportement tyrannique, le peuple sémut ; il abandonna la ville et sinstalla sur la colline appelée Aventin. Cet endroit tire son nom de lun des Héraclides, comme nous lapprend le poète romain [Virgile]. 9. Le peuple passa là un certain temps, irrité contre beaucoup de gens et en particulier à cause des violences récemment perpétrées contre Virginius et sa fille ; je pense que lépisode est connu de tous.
35. 1. Ici sachève donc la liste des magistrats -- à moins quon ne veuille compter au nombre des magistrats les pontifices, qui sont des grands prêtres gardiens des temples. Cest en effet daprès leur avis et leur jugement que les anciens édictaient les lois et fixaient les prix des marchandises ; de là vient que les édiles [agoranomoi] soient maintenant encore appelés aediles, du latin aedes qui signifie temple. 2. Après lexpulsion des rois et létablissement des consuls, il y eut des troubles, comme le disent les auteurs de lune et lautre langue, et pendant près de cinquante ans des tribuns militaires dirigèrent les affaires. Ensuite, lÉtat fut en proie à lanarchie pendant cinq ans ; puis, à cause des guerres civiles, trois législateurs et juges furent nommés pour peu de temps.
la "dictature"
36. 1. Les affaires romaines étant ainsi troublées, ils décidèrent de nommer ce quon appelle un "dictateur" ; car "il nest pas bon davoir plusieurs chefs" [Homère]. 2. Ils étaient en proie à une double préoccupation : redoutant le nom royal, ils craignaient de tomber sans sen apercevoir sous la coupe de nouveaux Tarquins ; mais ils craignaient tout autant dêtre tiraillés en tous sens par des magistrats trop nombreux et incapables de sentendre. Ils décidèrent donc, comme je lai dit, de nommer celui quon appelle "dictateur", cest-à-dire interroi, en limitant ses pouvoirs à six mois seulement. 3. Le moment me semble favorable pour expliquer aux Grecs ce que signifie le nom du "dictateur". 4. Les Romains appellent ainsi, en latin, un monarque de circonstance ; il nest pas désigné pour régler les affaires de ses sujets par la promulgation de lois, puisque sa charge prend fin peu de temps après. 5. On appelle "dictature" son pouvoir, qui nest pas absolu, mais concédé dans lintérêt de lÉtat pour une brève période. Une fois les problèmes réglés, grâce à la raison et à elle seule, celui quon avait promu retourne à sa condition antérieure. 6. Dès que le dictateur a remédié à ce qui nallait pas, il met aussitôt fin à sa charge.
37. 1. Les Romains élurent donc comme premier dictateur Titus Marcius ; dès quil fut entré en fonction, il désigna deux consuls. 2. Il ne fixa pas, cependant, la date à laquelle seraient élus les consuls ; lhabitude de les faire entrer en charge en janvier est en effet récente. 3. Il ne leur confia le plus haut poste que pour un an, car les Romains sont extrêmement friands de changement. 4. Tous les symboles de la royauté revenaient au dictateur, sauf la couronne ; il avait les douze licteurs, la pourpre, la sella, les lances et en général tous les insignes auxquels on reconnaissait les rois. 5. Il prit comme adjoint le premier maître de cavalerie, Spurius Cassius, de même que Romulus avait nommé Celer tribun des cavaliers. 6. Celui-ci était précédé par de longs faisceaux sans crinière, coutume qui, bien quon lignore généralement, subsiste encore aujourdhui. 7. En effet, quand les généraux de cavalerie se déplacent, il ny a plus, comme autrefois, de porte-faisceaux pour les précéder ; mais derrière eux, un porte-lance tient dordinaire de longs faisceaux liés ensemble de manière régulière. Ignorant lui-même lusage de cet appareil, il reste simplement fidèle à une habitude. 8. Le maître de cavalerie contrôlait toutes les charges de lÉtat, et nul ne pouvait en appeler de lun de ses jugements. 9. Aucun dictateur nexerça son pouvoir monarchique pendant plus de six mois ; certains restèrent en place moins longtemps encore, parfois même un seul jour. 10. Il nest pas difficile de rappeler ici qui furent ces dictateurs, combien il y en eut, et quelle fut la durée de leur charge.
38. 1. Le premier dictateur fut Titus Marcius. Il rendit leur poste à Titus et Valerius qui étaient consuls avant lui ; mais des troubles éclatèrent et ils durent se retirer. Le dictateur en nomma alors dautres pour les remplacer ; cétait aux calendes de septembre. 2. Dix-sept ans après les premiers consuls, de graves dissensions étant intervenues entre le sénat et le peuple, la plèbe nomma deux tribuns, chargés de servir darbitres aux gens du peuple et de surveiller le marché ; mais ils se laissèrent emporter par un excès dorgueil et ne craignirent pas de provoquer des votes dirigés contre les patriciens eux-mêmes. 3. Dans la vingt-troisième année du gouvernement consulaire, le pouvoir fut divisé en trois parties : celle des consuls, celle du préfet de la ville et celle du peuple. Les consuls conduisaient les guerres, le peuple servait à larmée, et le préfet assurait la surveillance de la ville ; on lappelait custos urbis, cest-à-dire "gardien de la ville". 4. La vingt-deuxième année des consuls, le peuple et le Sénat étant en désaccord, Aulus Sempronius fut nommé dictateur ; il choisit comme consuls Gaius Iulius dans le Sénat et Quintus Fabius dans le peuple, puis il renonça à la dictature. 5. Un nouveau dictateur, Gaius Mamercus, fut nommé dans la quarante-deuxième année des consuls. 6. Comme le peuple provoquait de nouveaux troubles, on nomma trois tribuns militaires ; mais ceux-ci ne firent quembrouiller les affaires. On nomma alors dictateur Titus Quintius, qui mit fin aux désordres en treize jours à peine et quitta alors sa charge. 7. La soixante-quatorzième année des consuls, la situation devint difficile à cause des Étrusques. Vu limportance de la guerre, on nomma dictateur Marcus Aemilius, et après lui Publius, qui se retira après avoir mis fin à la guerre contre les Étrusques en seize jours seulement. 8. Comme le peuple nommait de nouveau des tribuns militaires et que le peuple sy opposait, on nomma dictateur Quintus, qui sortit de charge après avoir ramené la paix dans la cité en huit jours ; puis on nomma P. Cornelius Cossus, puis T. Quinctius. 9. A partir de la cent trente-sixième année des consuls, au début de la cent troisième olympiade, la cité fut en proie à lanarchie pendant cinq ans. 10. Puis on nomma de nouveau des consuls, et on désigna parmi les patriciens quatre édiles, deux questeurs, un préteur (cest-à-dire un général), des légats (généraux adjoints) et douze tribuns militaires ; on sattendait en effet à ce quAlexandre de Macédoine entreprenne une campagne contre les Romains. 11. Affolés, les Romains votèrent alors la nomination comme général de Papirius Cursor et le chargèrent daffronter Alexandre ; ils désignèrent aussi des augures et des pontifes. Ils sattendent manifestement à la défaite, ceux qui, en temps de guerre, cherchent refuge dans les prières. 12. Lan deux cent soixante-trois des consuls, on nomma un second préteur : il y eut désormais celui que lon appelle peregrinus, ou "chargé des étrangers". Quand le peuple eut été divisé en quatre parties et en trente-cinq tribus, on ajouta trois autres préteurs à ceux qui viennent dêtre cités. 13. Lan deux cent quatre-vingt-dix des consuls, alors quHannibal fondait sur lItalie, la guerre parut si lourde à mener quon nomma non seulement un dictateur, mais aussi un prodictateur, ainsi quun maître de cavalerie et un pro-maître de cavalerie : le second suivant de près la décision du premier, larbitraire dun seul homme ne risquerait pas de faire tort à lÉtat. 14. Voilà les seuls dictateurs, ou interrois, dont lhistoire romaine a conservé le souvenir. Après eux vint Gaius Iulius Caesar, qui déclencha contre le Sénat et Pompée une guerre funeste à lÉtat et se proclama lui-même monarque, avec Lépide comme maître de cavalerie.
39. 1. Dès lorigine, le peuple et en fait tout le corps social servait à larmée ; les prêtres eux-mêmes allaient affronter lennemi, et chacun pourvoyait à sa propre subsistance. 2. Il devint nécessaire de désigner ceux que les Romains appellent des "censeurs", qui recensaient les fortunes des citoyens à cause des dépenses du temps de guerre ; en effet, contrairement à ce qui se passe aujourdhui, lÉtat ne pourvoyait pas encore aux besoins des soldats, parce quà cette époque il ne recevait pas de tributs. 3. De là vient que les Grecs appelèrent, en transposant, les censeurs timètai [évaluateurs].
40. 1. Cest alors que Livius [Andronicus], le poète comique romain, introduisit à Rome les pièces de théâtre. 2. Le genre théâtral se divise en deux parties, la tragédie et la comédie. La tragédie elle-même en comporte deux, la crepidata et la praetextata. La crepidata a un sujet grec et la praetextata un sujet romain. 3. La comédie, elle, se divise en sept parties : palliata, togata, atellana, tabernaria, rhintonique, planipedaria et mime. La palliata est la comédie à sujet grec ; la togata a un sujet romain et ancien. Latellane est la pièce jouée par les exodiarii [bouffons] ; la tabernaria est une comédie de scène ; la rhintonique est venue du dehors ; la planipedaria est une pièce costumée ; le mime enfin est la seule forme qui subsiste aujourdhui. Cest un genre qui na rien de régulier et qui attire la foule par un comique grossier.
41. 1. Je crois quil convient de sétendre quelque peu sur ce sujet, aussi ajouterai-je ceci. 2. On sait que Rhinton, Sciras, Blaesus et les autres auteurs de phluakes [pièces parodiques] ont mis en scène, en Grande Grèce, des pièces dimportance non négligeable, principalement Rhinton, qui écrivit pour la première fois une comédie en hexamètres. Cest en suivant son exemple que le Romain Lucilius écrivit le premier des comédies en vers épiques. 3. Après lui et ses disciples, que les Romains appellent "satiriques", une nouvelle école de poètes, imitant la manière de Cratinos et dEupolis et recourant à la fois au mètre de Rhinton et aux railleries des poètes que je viens de citer, affermirent la position de la comédie satirique : Horace, qui ne sortit pas des règles de lart, et Perse, qui cherchait à imiter le poète Sophron et ne parvint quà dépasser Lycophron en obscurité. 4. Quant à Turnus, Juvénal et Pétrone, ils se laissèrent aller aux invectives de manière irréfléchie, enfreignant ainsi les lois du genre satirique.
42. 1. Voilà ce que javais à dire sur lancienne comédie et lancienne tragédie. La fortune portait Rome au pinacle ; cela ne pouvait manquer de lentraîner à commettre des fautes et surtout damener un relâchement des murs. Ainsi, après la loi des Douze Tables, les Romains firent une loi, édictée autrefois par les Corinthiens sur la prodigalité. Le titulus de cette loi -- sa dénomination -- est le suivant : de nepotibus, cest-à-dire "sur les dissipateurs". 2. Le sens de ce mot est double chez les Romains ; ils appellent de la même façon, nepotes, les petits-enfants et les dissipateurs. Il ma donc paru bon dexpliquer la différence en quelques mots. 3. On appelle le petit-fils nepos à la suite dune étymologie grecque, de neos pais [jeune enfant], comme la bien dit Philoxène ; on appelle aussi nepos le prodigue, de manière également figurée. 4. Si lon effectuait la recherche, on se rangerait sans doute à lavis des Grecs, daprès lesquels les Romains, dans leur langue, appellent le scorpion nepa, cest-à-dire, de manière privative, "sans pieds" (les Romains donnent un sens privatif à la syllabe ne-, tout comme les Grecs dans nèlipos [sans chaussures], nèchutos [abondant], nègretos [impossible à réveiller], nèdumos [agréable]), à cause dune particularité naturelle de lanimal. 5. A la saison hivernale, naturellement, le scorpion aussi, comme les autres animaux rampants, est presque réduit à létat de cadavre et il sétend sur le sol, sans rien manger dautre que la terre elle-même. 6. Quand il a épuisé à son profit tout ce quelle comporte déléments comestibles, il sattaque à ses propres pattes et il les consomme toutes de manière insensible. 7. Quand le printemps le ramène comme les autres vers la lumière, suivant la loi de la nature, il remonte et se dirige vers la plante dite "calaminthe" [calament]. A peine a-t-il touché ce végétal quil récupère son aiguillon et sen sert comme dune protection, de même que le serpent le fait avec le fenouil : de là vient que les Romains donnent au calament le nom de nepeta. 9. Voilà pourquoi ils appellent nepotes les dissipateurs : ils dévorent en effet leurs propres membres.
43. 1. Voilà ce que javais à dire à ce propos, en mécartant de mon sujet. Les censeurs se montraient sévères, hostiles, inébranlables et durs dans leur attitude envers les dissipateurs : ni la fortune ni la dignité ne sauvait le coupable. 2. La vérité de tout ceci est attestée par lhistoire, qui sexprime en ces termes : "Le premier, Appius Claudius fut nommé censeur. 3. Cette charge était lune des plus élevées ; son travail consistait à enquêter sur la vie des citoyens, à porter un jugement sur celles-ci et à infliger un châtiment, avec des pouvoirs illimités, à ceux qui sétaient mal conduits ; nul néchappait à lautorité des censeurs." 4. Il incombait également aux censeurs déquiper la ville grâce aux travaux publics.
44. 1. Les censeurs mettaient la masse en ébullition et poursuivaient les citoyens avec acharnement ; les créanciers se montraient particulièrement inexorables envers leurs débiteurs. Aussi le peuple se choisit-il deux tribuns, Gaius Licinius et Lucius Albinus, qui serviraient darbitres à la plèbe et surveilleraient le marché. 2. Ces tribuns portaient un glaive au côté ; ils disposaient pour les servir desclaves publics appelés vernaculi (ce terme désigne les esclaves nés dans la maison). 3. Là-dessus, le peuple dépassa les bornes ; il édicta une loi daprès laquelle les nobles eux-mêmes seraient cités en justice devant les ouvriers. Le consul dut alors, pour faire plaisir au peuple, faire passer une loi interdisant aux magistrats dinfliger un châtiment à un citoyen sans laccord du tribun.45. 1. Dans la suite, un nouveau dissentiment intervint entre lélite et la plèbe. Les deux parties saccordèrent pour voter la déposition des consuls et pour confier la gestion des affaires publiques à dix législateurs. 2. A partir de la soixantième année des consuls et pendant cinquante ans, on nomma tantôt des tribuns militaires et tantôt des interrois ; linstabilité régnait. 3. Alors lÉtat, pour la première fois, accorda aux soldats une allocation de nourriture dun montant déterminé ; auparavant, ils pourvoyaient en temps de guerre à leur propre subsistance. 4. A ce moment, la cité fut en proie à lanarchie pendant cinq ans ; puis il y eut de nouveau des consuls, ensuite quatre édiles, pris parmi les patriciens, deux questeurs et un second préteur ; le peuple désigna à nouveau cinq augures et quatre pontifes. 5. Lan deux cent soixante-trois des consuls, on nomma un second préteur, chargé darbitrer pour les étrangers. 6. Les préteurs ne restaient pas en charge plus dune année. 7. Jusquà César, les consuls faisaient la guerre, tandis que les magistrats civils dirigeaient les affaires de la cité.
aux soldats ce quon appelle des capita ; ce que signifie le terme capitum
46. 1. En lan trois cent soixante-cinq de la Ville, sous le consulat de Lucius Genucius et Quintus Servilius, alors que les Romains faisaient la guerre aux Véiens, leurs voisins, la nécessité se fit sentir de passer non seulement lété, mais aussi lhiver à proximité de lennemi. Cest alors quil fut décidé pour la première fois que lÉtat fournirait aux soldats, y compris pour lentretien des chevaux, ce que lon appelle les capita. Cest le nom quils donnaient aux paniers dosier, de capere, cest-à-dire "contenir" ; de là vient le nom latin des capitula, ce qui est un diminutif. 2. Depuis le début, le peuple allait au combat en masse ; ils décidèrent alors de mettre sur pied des troupes organisées et bien réparties : il y eut ainsi des unités de trois cents hommes armés de boucliers, appelées "cohortes", des alae, cest-à-dire des escadrons [ilai], de six cents cavaliers ; des vexillationes de cinq cents cavaliers, des turmae de cinq cents archers à cheval, et des légions formées de six mille fantassins et des cavaliers cités ci-dessus. 3. Les subdivisions de la légion sont les suivantes :
alae de 600 cavaliers
vexillationes de 500 cavaliers
turmae de 500 archers à cheval
legiones de 6000 fantassins
4. tribuni, tribuns
ordinarii, officiers supérieurs
signiferi, porte-enseignes
optiones, soldats délite ou scribes
vexillarii, porte-lances
mensores, mesureurs
tubicines, trompettes dinfanterie
bucinatores, trompettes de cavalerie
cornicines, sonneurs de trompe
andabatae, cuirassiers
metatores, arpenteurs
arcuites et sagittarii, archers et lanceurs de traits
praetoriani, attachés au général
lanciarii, lanceurs de javelots
decemprimi, les dix premiers
beneficiales, chargés de soccuper des vétérans
torquati, porteurs de colliers ; ceux qui portent des anneaux au cou.
bracchiati ou armilligeri, ceux qui portent des bracelets
armigeri, porteurs darmes
munerarii, ouvriers du génie
deputati, soldats chargés dune mission
auxiliarii, troupes auxiliaires
cuspatores, gardiens. Les Romains donnent le nom de cuspi à des entraves en bois, de custodes pedum, "entraves de pieds", "gardiennes des pieds"
5. Imaginiferi, porteurs dimages
ocreati, fantassins avec des jambières de fer
armatura prima, première ligne
armatura semissalis, ligne supérieure
hastati, porteurs de lances
tesserarii, ceux qui, au moment de la transmission des mots dordre, font circuler dans la troupe les signes de reconnaissance
draconarii, porte-enseigne
adiutores, adjudants
samiarii, ceux qui astiquent les armes
vaginarii, fabricants de fourreaux
arcuarii, fabricants darcs
pilarii, lanceurs de javelots
uerutarii, lanceurs de disques [en fait de javelines]
funditores, frondeurs
ballistarii, soldats servant à la catapulte. La catapulte est une sorte de machine de siège que le vulgaire appelle "onagre".
6. Vinarii, soldats combattant sur les remparts
primoscutarii, soldats chargés den protéger dautres ; ce sont ceux quon appelle aujourdhui protectores.
primosagittarii, premiers archers
clibanarii, cuirassiers ; les Romains appellent les armures de fer celibana, au lieu de celamina.
7. Flammularii, ceux qui ont au bout de leur lance des morceaux détoffe rouge
expediti, fantassins légers, sans équipement, prêts au combat
ferentarii, tirailleurs
circitores, ceux qui circulent autour des combattants et leur fournissent des armes, sans encore savoir combattre eux-mêmes
adoratores, veterani, tirones : il faut, je pense, en parler plus longuement.
47. 1. Les Romains appellent adoratores les soldats démobilisés (adorea désigne en effet dans leur langue la gloire militaire, daprès le blé [donné en récompense] et les marques dhonneur reçues par ceux quils ont honorés), ueterani ceux qui ont vieilli sous les armes (témoins Celse, Paternus, Catilina -- pas le conspirateur, lautre --, et avant eux Caton lAncien et Frontin, ensuite Renatus [Végèce], tous Romains ; parmi les Grecs, Élien, Arrien, Énée, Onésandros, Patron, Apollodore dans son Traité des sièges, ensuite lempereur Julien dans son Traité des machines). Frontin fait mention de ces ueterani dans son ouvrage De officio legati, cest-à-dire Le métier de général, et Claudien le Paphlagonien, le poète, dans le premier de ses éloges de Stilicon. 2. Les tirones sont les soldats de catégorie inférieure, tout comme aujourdhui ceux quon appelle les Triballes ; cest lépithète quArrien applique aux Besses dans son livre sur Alexandre. 3. Cest à cause de leur pauvreté, et delle seule, que ceux quon appelle tirones sengagent au service de ceux qui font vraiment campagne. Pendant cette période, ils ne sont pas dignes de porter le nom de soldats ni davoir, de plein droit, leur place dans le matricule, à cause de leur condition modeste et de leur inexpérience du combat. Il nétait dailleurs pas souhaitable que dautres que les nobles combattent pour leur patrie. 4. Diodore rapporte dans le deuxième livre de sa Bibliothèque que Solon rédigea à lintention des Athéniens la loi suivante, dont il avait eu connaissance en Égypte. La cité était divisée en trois parties : les nobles consacraient leurs loisirs à la sagesse et aux lettres, la deuxième classe était celle des agriculteurs et des guerriers, la troisième celle des travailleurs manuels et des artisans. Un dernier groupe était privé de droits ; ses éléments les plus misérables sattachaient à la personne des agriculteurs et des guerriers ; ils étaient leurs esclaves et apprenaient deux à faire la guerre et à cultiver le sol. Ce sont ceux que les Italiens ont appelé tirones, parce que leur condition servile les accable [teirein] et les rend malheureux. 5. Car les Romains, qui ont imité les Athéniens en toutes choses, ont réparti leur population de la même manière. Cest pour cela quils ont donné aux phulai le nom de " tribus ", à cause de la division de la cité en trois parties.
48. 1. Daprès certains historiens, les tirones furent enrôlés pour former une unité dappoint par Marius, qui devint tyran par la suite. 2. Ceux qui appartenaient depuis le début à lescorte du maître de cavalerie reçurent uniformément le titre de promoti et furent répartis en quatre sections : biarchi, ducenarii, centuriones et centinarii...
[lacune]
3. ... "de tous ceux-là, il ne resta que dix tribuns, deux consuls, huit préteurs et six édiles pour soccuper des affaires de la cité." 4. Voilà ce que dit Pomponius, qui cherche apparemment à éviter les longueurs et les détails du genre historique. 5. Ulpien, lui, a fait figurer dans ses livres intitulés Protribunalia des développements plus détaillés sur les préteurs en donnant aux uns le nom de tutelarii, aux autres celui de fideicommissarii. Comme ces questions ont déjà fait lobjet dune étude, je nai pas jugé utile de les mentionner ici.
49. 1. Voilà donc les différents magistrats dont jai trouvé mention dans les ouvrages des historiens pour la période qui va des origines de lÉtat romain à lexcellent règne de Titus ; je puis donc marrêter ici en ce qui les concerne. 2. Je nenvisage pas, en effet, de mentionner les douze préfets urbains de Domitien ni les réformes de Bassianus, surnommé Caracalla. Les mesures prises par de mauvais empereurs, même bonnes en soi, ne méritent que le mépris.
50. 1. Les Trévires, un peuple gaulois habitant sur les bords du Rhin, là où se trouve la ville de Trèves (les Italiens leur donnent le nom de "Sicambres" et les Gaulois daujourdhui celui de "Francs"), vagabondaient à travers les Alpes par petits groupes dispersés, sous la direction de Brennus. Ils fondirent un jour sur lItalie, comme dit Virgile, "à travers des solitudes inaccessibles et épineuses". 2. Puis, après avoir investi Rome par des souterrains, ils sétaient rendus maîtres du Capitole lui-même, quand, dérangées par lapparition des Barbares en pleine nuit, les oies du sanctuaire tirèrent de son sommeil le général Mallius (il habitait le voisinage) : il repoussa les Barbares et décida de faire établir à Rome en lhonneur des oies, une fête ainsi quune course de chevaux, et une mise à mort pour les chiens à la date où le soleil est en conjonction avec le Lion. 3. Ce fut après ces événements que lon institua la loi créant des gardiens de nuit. Dans la mesure où cela date dil y a très longtemps, jaurais dû en faire mention auparavant ; 4. mais comme on ne considère pas habituellement ce département comme faisant partie des magistratures de lÉtat, et quil sagit en fait dune organisation et dun corps de fonctionnaires mis sur pied dans lintérêt du service public, il était naturel de faire de ce chapitre une sorte de conclusion à lexposé sur les magistratures. 5. Non seulement ils préservent la ville des maux entraînés par une attaque ou un assaut de lennemi que lon napercevrait pas à temps et des troubles en cas de dommage résultant dune guerre civile mais ils apportent aussi leur aide à ceux qui subissent des préjudices du fait des incendies. 6. Témoin le jurisconsulte Paul ; il dit textuellement (je traduis) : "Le groupe des trois hommes [les tresviri] fut créé par les Anciens à cause des incendies ; on les appelait aussi "gardiens de nuit" daprès leur fonction. 7. uvraient avec eux les édiles, les tribuns ; ils avaient à leur service un collegium (cest-à-dire une corporation), qui avait sa caserne près des portes de la ville et des remparts, de façon à être, en cas de besoin, faciles à trouver et à réunir aisément." 8. Voilà ce que dit Paul. 9. Cest là un propos avéré : on peut le voir aujourdhui encore (à Dieu ne plaise !), parce que cela se passe de la même façon en ville ; ceux dentre eux quon a daventure réussi à trouver crient, dans la langue dorigine des Romains : "Omnes collegiati, concurrite !", cest-à-dire "A la rescousse, tous les compagnons !".
51. 1. Après que toutes ces institutions se furent mises en place et alors que sétait achevée la sept cent sixième année de la ville, César, investi dun pouvoir monarchique, mit fin à toutes les magistratures et sempara pour lui seul de toutes leurs prérogatives. 2. Il tint bon trois ans, puis il fut assassiné au Sénat. Il y eut alors César le Jeune, son neveu, et le pouvoir passa ensuite aux différents Césars.
[déposé sur le serveur en juillet 2000]