FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 14 - juillet-décembre 2007
Villas et campagnes en Gallia Belgica.
Recueil de textes par Paul Fontaine
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Saint-Romain-en-Gal |
Table des matières - I - II - III - IV - V
Plan
Agriculture et jardinage
39. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XVII, 42-43, 46 et 48
40. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XVIII, 63 et 66
41. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XVIII, 296
42. Palladius, De l'agriculture, VII, 2, 2-4
43. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XIX, 7-8
44. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XV, 102‑104
45. Varron, Économie rurale, I, 16 , 3
46. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XII, 16; XVII, 64
47. Martial, Épigrammes, XI, 18
Élevage
48. Strabon, Géographie, IV, 4, 3
49. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, X, 52-54
50. Martial, Épigrammes, III, 58, 12-21
51. Plaute, Mostellaria, 38-41
Artisanat, échanges de biens et de services
52. Varron, Économie rurale, I, 16 , 3-4
53. Palladius, De l'agriculture, I, 6, 2
Agriculture et jardinage
39. Pline l'Ancien consigne en divers endroits de sa monumentale Histoire Naturelle des informations spécifiques sur l'agriculture en Gaule. En matière d'engrais, il s'étend longuement sur l'usage de la « marga ». Ce terme recouvre des roches phosphatées extraites du sol, le plus souvent sous forme de nodules, et dont tous les types ici mentionnés sont connus de la géologie moderne.
(Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XVII, 42-43, 46 et 48, partim ; texte établi et traduit par J. André, Paris, 1964)
[42] Est ratio quam Britanniae et Galliae inuenere, alendi eam ipsa, genusque quod uocant margam. Spissior ubertas in ea intellegitur et quidam terrae adipes ac velut glandia in corporibus, ibi densante se pinguitudinis nucleo. [43] Illam Gallias Britanniasque locupletantem cum cura dici conuenit.
Duo genera fuerant, plura nuper exerceri coepta proficientibus ingeniis. Est enim alba, rufa, columbina, argillacea, tofacea, harenacea. Natura duplex, aspera aut pinguis ; experimenta utriusque in manu. Vsus aeque geminus, ut fruges alant aut eadem et pabulum.
[46] Columbinam Galliae suo nomine eglecopalam appellant. Glaebis excitatur lapidum modo, sole et gelatione ita soluitur ut tenuissimas bratteas faciat. Haec ex aequo fertilis.
[48] Omnis autem marga arato inicienda est, ut medicamentum rapiatur, et fimi desiderat quantulumcumque, primo plus aspera et quae in herbas non effunditur; alioquin nouitate quaecumque fuerit solum laedet, ne sic quidem primo anno fertilis. Interest et quali solo quaeratur. Sicca enim umido melior, arido pinguis. Temperato alterutra, creta uel columbina, conuenit.
[42] Les Bretagnes et les Gaules ont découvert une autre méthode, qui consiste à nourrir la terre avec elle-même, et un genre de terre appelé marga. On entend par là une substance fertilisante plus dense, une sorte d'engrais formant, comme les filets dans la viande, des nodules compacts de graisse. [43] Il convient de traiter avec soin cet engrais qui enrichit les Gaules et les Bretagnes.
Il y en avait d'abord deux espèces, mais le progrès a récemment introduit l'usage de plusieurs <autres>. Il y a en effet la blanche, la rousse, la colombine, l'argileuse, la tufeuse et la sablonneuse. On distingue deux types, la rêche ou la grasse, dont on se rend compte à la main, et également deux emplois : pour nourrir les seules céréales, ou bien les céréales et les fourrages.
[46] Les Gaulois, dans leur langue, donnent à la colombine le nom d'églécopala. On l'extrait par blocs comme la pierre. Elle se délite au soleil et à la gelée, et forme des plaques très minces. Elle est bonne aux deux types de cultures.
[48] Toute marga doit être répandue après le labourage, afin que le sol prenne bien l'engrais, et il lui faut un tant soit peu de fumier, car elle est d'abord plus âpre et ne se répand pas parmi la végétation; autrement, quelle qu'elle soit, elle nuira au sol par sa nouveauté et, même utilisée comme je l'ai dit, elle ne fertilise pas le sol la première année. Il importe aussi de savoir à quel sol on la destine : sèche, elle vaut mieux pour un terrain humide, grasse, pour un terrain sec. En terrain intermédiaire, l'une ou l'autre, craie ou colombine, convient.
40. Si, selon Pline l'Ancien, le blé gaulois ne saurait rivaliser avec le blé italien, son importation à Rome prouve néanmoins qu'il y était apprécié.
(Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XVIII, 63 et 66, partim ; texte établi et traduit par H. Le Bonniec, Paris, 1972).
[63] Tritici genera plura, quae fecere gentes . Italico nullum equidem comparauerim candore ac pondere, quo maxime decernitur.
[66] Nunc ex his generibus quae Romam inuehuntur, leuissimum est Gallicum atque Chersoneso aduectum, quippe non excedunt modii uicenas libras, si quis granum ipsum ponderet.
[63] Il y a plusieurs espèces de blé, que produisent les peuples. Je ne pourrais quant à moi en comparer aucune au blé italien pour la blancheur et pour le poids, qualités par lesquelles il se distingue principalement.
[66] Si nous passons aux espèces qui sont importées à Rome, les plus légères sont la Gauloise et celle qui est transportée de Chersonèse, puisqu'elles ne dépassent pas 20 livres au boisseau, si on pèse le grain seul.
41. La moissonneuse « trévire » : une machine agricole fameuse dont Pline l'Ancien résume en quelques mots les caractéristiques [illustrations].
(Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XVIII, 296 : texte établi et traduit par H. Le Bonniec, Paris, 1972)
Galliarum latifundis ualli praegrandes, dentibus in margine insertis, duabus rotis per segetem inpelluntur, iumento in contrarium iuncto; ita dereptae in uallum cadunt spicae.
Dans les grands domaines des Gaules, on pousse à travers les champs de blé de grandes moissonneuses à bord garni de dents, montées sur deux roues, et auxquelles une bête de somme est attelée à l'envers; les épis ainsi arrachés tombent dans la moissonneuse.
42. Trois siècles après Pline, Palladius insère une description détaillée de la moissonneuse dans son exposé des travaux du mois de juin [illustrations].
(Palladius, De l'agriculture, VII, 2, 2-4 ; texte R.H. Rodgers, Leipzig, Teubner, 1975; traduction M. Renard, dans Latomus, XVIII, 1959, p. 78-79)
[2] Pars Galliarum planior hoc conpendio utitur ad metendum et praeter hominum labores unius bouis opera spatium totius messis absumit. Fit itaque uehiculum, quod duabus rotis breuibus fertur. [3] Huius quadrata superficies tabulis munitur, quae forinsecus reclines in summo reddant spatia largiora. Ab eius fronte carpenti breuior est altitudo tabularum. Ibi denticuli plurimi ac rari ad spicarum mensuram constituuntur in ordine, ad superiorem partem recurui. A tergo uero eiusdem uehiculi duo breuissimi temones figurantur uelut amites basternarum. Ibi bos capite in uehiculum uerso iugo aptatur et uinculis, mansuetus sane, qui non modum conpulsoris excedat. [4] Hic ubi uehiculum per messes coepit inpellere, omnis spica in carpentum denticulis conprehensa cumulatur abruptis ac relictis paleis, altitudinem uel humilitatem plerumque bubulco moderante, qui sequitur. Et ita per paucos itus ac reditus breui horarum spatio tota messis inpletur. Hoc campestribus locis uel aequalibus utile est et his quibus necessaria palea non habetur.
[2] La partie des Gaules qui est assez en plaine recourt pour moissonner à la méthode expéditive que voici et qui, tout en épargnant la main-d'oeuvre, dépouille l'étendue de toute une moisson en faisant travailler un seul boeuf. Ainsi donc, on construit un véhicule monté sur deux petites roues. [3] La surface carrée de celui-ci est encadrée de planches dont l'inclinaison vers l'extérieur donne plus de largeur à la partie supérieure. Sur le devant de ce chariot, la hauteur des planches est moindre. À cet endroit, des dents nombreuses et espacées sont disposées en ligne à la hauteur des épis et elles sont recourbées à leur extrémité supérieure. À l'arrière de ce même véhicule sont adaptées deux flèches très courtes, semblables aux brancards d'une litière. On y attelle à un joug et avec des courroies un bœuf dont la tête est tournée vers le véhicule : il faut assurément un animal paisible pour qu'il ne dépasse pas l'allure du compulsor1. [4] Quand le bœuf s'est mis à pousser le véhicule à travers les moissons, tous les épis, saisis par les dents, s'entassent dans le chariot, la paille étant arrachée et laissée en arrière, tandis que le bouvier qui suit l'attelage règle fréquemment l'élévation ou l'abaissement de la machine. Ainsi, moyennant un petit nombre d'allées et venues, en l'espace de quelques heures, toute la moisson est achevée. Cette méthode est utile pour les endroits en plaine ou unis, et pour ceux où l'on ne tient pas la paille pour nécessaire.
1 Ce terme désigne l'ouvrier qui, placé à l'avant, pousse dans la moissonneuse les épis saisis dans les interstices des dents qui garnissent le bord antérieur du véhicule.
43. À côté des plantes cultivées pour leur valeur nutritive, d'autres l'étaient pour leurs fibres servant à la confection de textiles : ainsi le lin, largement répandu selon Pline dans toute la Gaule, jusque dans ses régions les plus septentrionales, et encore au-delà du Rhin...
(Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XIX, 7-8, partim ; texte établi et traduit par J. André, Paris, 1964)
[7] Seritur (linum) sabulosis maxime unoque sulco, nec magis festinat aliud. Vere satum aestate uellitur. (...) Itane et Galliae censentur hoc reditu (...) ? [8] Cadurci, Caleti, Ruteni, Bituriges ultimique hominum existimati Morini, immo uero Galliae uniuersae uela texunt, iam quidem et transrhenani hostes, nec pulchriorem aliam uestem eorum feminae nouere.
[7] Le lin se sème surtout dans les terres sablonneuses et après un seul labour, et aucune plante n'est plus hâtive. Semé au printemps, il s'arrache en été. (...) Ainsi les Gaules ne sont-elles pas elles aussi taxées d'après ce revenu ? (...) [8] Les Cadurques, les Calètes, les Rutènes, les Bituriges et les Morins, qu'on croit être à l'extrémité du monde habité, que dis-je, les Gaules tout entières tissent des toiles, comme déjà aussi nos ennemis d'outre-Rhin, dont les femmes ne connaissent pas de plus belles étoffes pour le vêtement.
44. C'est à Pline une fois encore que l'on doit cette petite histoire de la cerise et la mention de la “ Lusitanienne ”, une spécialité belge.
(Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XV,102‑104, partim ; texte établi et traduit par J. André, Paris, 1960)
[102] Cerasi1 ante uictoriam Mithridaticam L. Luculli non fuere in Italia, ad Vrbis annum DCLXXX. Is primum uexit e Ponto, annisque CXX trans oceanum in Britanniam usque peruenere.
[103] Principatus duracinis, quae Pliniana Campania appellat, in Belgica uero Lusitanis, in ripis etiam Rheni; tertius iis colos e nigro ac rubenti uiridique, similis maturescentibus semper.
[104] Inter prima hoc e pomis colono gratiam annuam refert. Septentrione frigidisque gaudet, siccatur etiam sole conditurque ut oliua cadis.
[102] Les cerisiers n'existaient pas en Italie avant la victoire de L. Lucullus sur Mithridate, jusqu'en 680 de Rome2. Celui-ci les apporta le premier du Pont et, en 120 ans, passant l'océan, ils parvinrent jusqu'en Bretagne.
[103] La primauté appartient aux <cerises> duracines, que la Campanie appelle Pliniennes, mais en Belgique elle revient aux Lusitaniennes, jusque sur les rives du Rhin. Ces dernières sont tricolores, noires, rouges, blanches, comme si elles étaient toujours sur le point de mûrir.
[104] La cerise est un des premiers fruits qui payent chaque année le colon de sa peine. Elle aime le nord et le froid; on la sèche aussi au soleil et on la met en barils comme l'olive.
1 Ne pas confondre cerasus, i, f. = le cerisier et cerasum, i , n. = la cerise !
2 72 av. J.-C.
45. Les plantes décoratives font la parure d'une villa. Mais leur culture, comme le souligne Varron, peut aussi se révéler d'un bon rapport si la ville est proche.
(Varron, Économie rurale, I, 16 , 3, partim ; texte établi et traduit par J. Heurgon, Paris, 1978)
Itaque sub urbe colere hortos late expedit, sic uiolaria ac rosaria, item multa quae urbs recipit, cum eadem in longinquo praedio, ubi non sit quo deferri possit uenale, non expediat colere.
Ainsi, aux portes de la ville, il est avantageux de cultiver de vastes jardins, par exemple des champs de violettes et de roses, et de même beaucoup de produits que la ville absorbe, alors que, dans un domaine éloigné, semblables cultures sont à déconseiller, faute d'un marché où les amener et les mettre en vente.
46. L'usage de pots à fond troué, pour le transport des plantes comme pour la culture des jeunes plants à repiquer, n'était pas inconnu des anciens, comme en témoignent ces deux extraits de Pline.
A. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XII, 16; texte établi et traduit par A. Ernout, Paris, 1949
Temptauere gentes transferre ad sese propter remedii praestantiam fictilibus in uasis, dato per cauernas radicibus spiramento, qualiter omnia transitura longius seri aptissime transferrique meminisse conueniet, ut semel quaeque dicantur.
Des nations ont tenté d'acclimater <le cédratier> chez elles en raison de ses vertus médicinales. Le transport s'est fait dans des pots de terre cuite, en ménageant des ouvertures pour l'aération des racines, procédé dont il conviendra de se souvenir - je le dis une fois pour toutes - chaque fois que l'on voudra transporter au loin dans les meilleures conditions toute plante vivante.
B. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XVII, 64 ; texte établi et traduit par J. André, Paris, 1964
Seruntur (...) pineae nucleis septenis fere in ollas perforatas additis.
On sème les graines de pin en mettant environ sept pignes dans des pots troués.
47. Une jardinière à la fenêtre : charmant tableau extrait d'une épigramme du poète Martial (vers 40 - 104 ap. J.-C.).
(Martial, Épigrammes, XI, 18, partim ; texte établi et traduit par H. J. Izaac, Paris, 1933)
(...) rus est mihi (...) in fenestra (...)
In quo ruta facit nemus Dianae,
argutae tegit ala quod cicadae,
quod formica die comedit uno,
clusae cui folium rosae corona est; 5
in quo non magis inuenitur herba
quam Cosmi folium piperue crudum;
in quo nec cucumis iacere rectus
nec serpens habitare tota possit.
Vrucam male pascit hortus unam, 10
consumpto moritur culix salicto,
et talpa est mihi fossor atque arator.
Non boletus hiare, non mariscae
ridere aut uiolae patere possunt.
Finis mus populatur et colono 15
tamquam sus Calydonius timetur.
Vix implet cocleam peracta messis,
et mustum nuce condimus picata.
(…) j'ai une campagne ( ...) à ma fenêtre.
Une rue y fait un bois de Diane,
Une aile de cigale bruissante l'ombrage,
Une fourmi l'épuise en un jour,
Un pétale de rose est pour elle un berceau de fleurs. 5
On ne saurait pas plus y trouver un gazon
Que la feuille de Cosmus1 ou le poivre vert ;
Ni un concombre ne peut y tenir, même redressé,
Ni un serpent ne peut y loger tout entier.
Le jardin a de la peine à alimenter une seule chenille, 10
Un moucheron expire sur la saulaie qu'il a dévorée
Et une taupe est à la fois mon terrassier et mon laboureur.
Ni les bolets ne peuvent s'y crevasser, ni les figues
S'y entr'ouvir, ni les violettes s'y épanouir.
Une souris en dévaste le territoire et par le fermier 15
Il est redouté comme le sanglier Calydon.
C'est à peine si ma moisson une fois faite emplit une coquille d'escargot
Et nous enfermons tout notre vin nouveau dans une coquille de noix enduite de poix.
1 Célèbre parfumeur de Rome, qui tirait de certaines feuilles odorantes une essence, le foliatum, considéré comme une spécialité de sa maison.
Élevage
48. Strabon, géographe de langue grecque et contemporain d'Auguste, souligne l'importance des élevages gaulois, qui alimentaient un fructueux marché d'exportation. Au passage, il glisse un portrait quelque peu troublant du porc élévé en Gaule.
(Strabon, Géographie, IV, 4, 3, partim ; texte établi et traduit par F. Lasserre, Paris, 1966)
Τροφὴ δὲ πλείστη μετὰ γάλακτος καὶ κρεῶν παντοίων, μάλιστα δὲ τῶν ὑείων καὶ νέων καὶ ἁλιστῶν. Αἱ δ' ὕες καὶ ἀγραυλοῦσιν, ὕψει τε καὶ ἀλκῇ καὶ τάχει διαφέρουσαι· κίνδυνος γοῦν ἐστι τῷ ἀήθει προσιόντι, ὡσαύτως καὶ λύκῳ. [...] Οὕτως δ 'ἐστὶ δαψιλῆ καὶ τὰ ποίμνια καὶ τὰ ὑοφόρβια, ὥστε τῶν σάγων καὶ τῆς ταριχείας ἀφθονίαν μὴ τῇ Ῥώμῃ χορηγεῖσθαι μόνον, ἀλλὰ καὶ τοῖς πλείστοις μέρεσι τῆς Ἰταλίας.
Leur nourriture (celle des Gaulois) est très abondante. Elle comporte du lait et des viandes variées, surtout du porc, frais ou salé. Leurs porcs vivent dehors, même la nuit, et se distinguent par leur taille, leur force et leur rapidité. Les approcher est donc dangeureux pour qui n'en a pas l'expérience et ils sont tout autant dangeureux pour le loup. (…) Les Gaulois sont si riches en ovins et en porcins qu'ils fournissent à profusion de leurs sayons et de leurs salaisons non seulement les marchés de Rome, mais aussi la plupart de ceux d'Italie.
49. Appréciées pour leur chair comme pour leurs plumes, les oies faisaient parler d'elles de Rome aux postes de garde sur le Rhin, en passant par la Morinie. Trois notices sur ces volatiles, réunies par Pline l'Ancien.
(Pline l'Ancien, Histoire naturelle, X, 52-54 ; texte établi et traduit par E. de Saint Denis, Paris, 1961)
[52] Nostri (...) eos iecoris bonitate nouere. Fartilibus in magnam amplitudinem crescit, exemptum quoque lacte mulso augetur. Nec sine causa in quaestione est quis tantum bonum inuenerit, Scipio Metellus uir consularis an Marcus Seius eadem aetate eques Romanus. Sed, quod constat, Messalinus Cotta, Messalae oratoris filius, palmas pedum ex his torrere atque patinis cum gallinaceorum cristis condire repperit.
[53] Mirum in hac alite a Morinis usque Romam pedibus uenire ; fessi proferuntur ad primos; ita ceteri stipatione naturali propellunt eos.
Candidorum alterum uectigal in pluma. Velluntur quibusdam locis bis anno, rursus plumigeri uestiuntur. Mollior quae corporis proxima, et e Germania laudatissima. Candidi ibi, uerum minores ; gantae uocantur. [54] Pretium plumae eorum in libras denarii quini ; et inde crimina plerumque auxiliorum praefectis, a uigili statione ad haec aucupia dimissis cohortibus totis; eoque deliciae processere, ut sine hoc instrumento durare iam ne uirorum quidem ceruices possint.
[52] Nos Romains les (les oies) connaissent par la saveur de leur foie. Quand on les engraisse, il atteint une grosseur considérable et, après l'avoir retiré de la bête, on le fait encore gonfler avec du lait additionné de miel. Ce n'est pas sans raison qu'on recherche l'inventeur d'une si bonne recette : Scipio Métellus, personnage consulaire, ou Marcus Séius, chevalier romain, son contemporain ? Mais un fait certain est que Messalinus Cotta, fils de l'orateur Messala, a imaginé de rôtir les pattes d'oie et de les accommoder à la casserole avec des crêtes de coq.
[53] Ce qu'il y a d'étonnant pour cet oiseau (l'oie), c'est qu'il vient à pied de la Morinie à Rome. Les oies fatiguées sont mises en tête du troupeau; ainsi les autres les poussent devant elles par cet instinct qui les fait se serrer.
La plume des oies blanches fournit un autre revenu. On l'arrache en certains lieux deux fois par an, puis elles se recouvrent de nouvelles plumes. Le duvet le plus doux est celui qui est le plus près du corps et le plus estimé vient de Germanie. Les oies y sont blanches mais plus petites; on les nomme gantes. [54] Leur duvet vaut cinq deniers la livre ; d'où les accusations souvent portées contre les commandants des troupes auxiliaires, qui détachent de leur poste de garde des cohortes entières pour les envoyer chasser les oies. Et les raffinements du luxe en sont venus au point que les nuques des hommes ne pourraient même plus se passer du confort procuré par ce duvet.
50. Sous la plume de Martial, une joyeuse illustration, bruissante et colorée, de la pastio uillatica.
(Martial, Épigrammes, III, 58, 12 - 21 ; texte établi et traduit par H.J. Izaac, Paris, 1930)
Vagatur omnis turba sordidae chortis,
Argutus anser gemmeique pauones
Nomenque debet quae rubentibus pinnis
Et picta perdix Numidicaeque guttatae 15
Et impiorum phasiana Colchorum;
Rhodias superbi feminas premunt galli
Sonantque turres plausibus columbarum,
Gemit hinc palumbus, inde cereus turtur.
Auidi secuntur uilicae sinum porci 20
Matremque plenam mollis agnus expectat.
Tout le peuple de la sordide cour se promène en désordre,
L'oie aux cris perçants et les paons constellés de pierreries,
Et l'oiseau qui doit son nom à la couleur rougeâtre de ses plumes1,
Et la perdrix bigarrée et les poules de Numidie tachetées2, 15
Et le faisan de l'impie Colchide3 ;
Les coqs orgueilleux couvrent leurs femelles Rhodiennes
Et les pigeonniers retentissent des battements d'ailes des colombes ;
D'un côté gémit le ramier, de l'autre la tourterelle blanche comme cire.
Les porcs avides suivent le pli du tablier de la régisseuse 20
Et le tendre agneau attend les mamelles gonflées de sa mère.
1 Le flamant rose.
2 Les pintades.
3 Allusion à Médée, légendaire princesse de Colchide (actuelle Géorgie), meurtrière de ses enfants et de son frère.
51. Tirée de Plaute, cette « aménité » lancée à un esclave berger, tout droit venu de la campagne :
(Plaute, Mostellaria, 38-41 ; texte W.M. Lindsay, Oxford, 1904, traduction J. Bayet, Paris, 1965)
(...) « At te Iuppiter
Dique omnes perdant ! Fu ! Oboluisti alium !
Germana inluvies, rusticus, hircus, hara suis, 40
canem capram commixtam ! »
« Ah ! Que Jupiter et tous les dieux t'exterminent ! Pouah ! Tu pues l'ail ! [40] Vrai tas d'ordures, rustre, bouc, toit à porcs, mélange de chèvre et de chien ! »
Artisanat, échanges de biens et de services
52. Comme l'explique ici Varron, une villa gagne à entretenir des relations étroites tant avec les domaines voisins qu'avec les bourgs et villes des environs. Seuls les grands domaines peuvent prétendre à une certaine autarcie.
(Varron, Économie rurale, I, 16 , 3-4, partim ; texte établi et traduit par J. Heurgon, Paris, 1978)
[3] Si oppida aut uici in uicinia aut etiam diuitum copiosi agri ac uillae, unde non care emere possis quae opus sunt in fundum, quibus quae supersint uenire possint, ut quibusdam pedamenta aut perticae aut harundo, fructuosior fit fundus, quam si longe sint inportanda, non numquam etiam, quam si colendo in tuo ea parare possis. [4] Itaque hoc genus coloni potius anniuersarios habent uicinos, quibus imperent medicos, fullones, fabros, quam in uilla suos habeant, quorum non numquam unius artificis mors tollit fundi fructum. Quam partem lati fundi diuites domesticae copiae mandare solent. Si enim a fundo longius absunt oppida aut uici, fabros parant quos habeant in uilla, sic ceteros necessarios artifices, ne de fundo familia ab opere discedat ac profestis diebus ambulet feriata potius quam opere faciendo agrum fructuosiorem reddat.
[3] S'il y a dans le voisinage des bourgs ou des villages ou encore, appartenant à des riches, des fermes ou des champs bien pourvus, où l'on puisse acheter à bon compte ce dont on a besoin pour le domaine, auxquels ce qu'on a de trop puisse être vendu, comme à certains les échalas, les perches et les roseaux, le domaine est de meilleur rapport que s'il fallait l'importer de loin et, quelquefois même, que si l'on pouvait se le procurer en le cultivant chez soi. [4] C'est pourquoi les cultivateurs de ce genre préfèrent utiliser à l'année des voisins à qui ils donnent leurs ordres, médecins, foulons, ouvriers, plutôt que d'avoir à la ferme les leurs, parmi lesquels parfois la mort d'un seul spécialiste fait perdre le revenu du fonds. Ce rôle, les grandes et riches propriétés ont l'habitude de le confier à la troupe de leurs domestiques. Si en effet les bourgs et les villages sont trop loin du domaine, ils se procurent des ouvriers qu'ils gardent à la ferme, ainsi que les autres spécialistes indispensables, afin que les esclaves, en sortant du domaine, ne s'écartent pas de leur tâche et ne se promènent pas en chômant les jours ouvrables plutôt que d'accroître, en faisant leur travail, le rapport de la propriété.
53. L'agriculture et l'élevage suscitent naturellement des activités artisanales connexes, dont certaines étaient pratiquées dans le cadre de la villa. Nous avons évoqué plus haut le filage de la laine et les travaux de couture (voir supra texte n° 21). Palladius évoque ici le passage à la ferme de forgerons et de menuisiers pour la fabrication des tonneaux.
(Palladius, De l'agriculture, I, 6, 2 ; texte établi par R.H. Rodgers, Leipzig, 1975 et traduction d'après M. Nisard, Paris, 1856)
Ferrarii, lignarii, doliorum cuparumque factores necessario habendi sunt ne a labore sollemni rusticos causa desiderandae urbis auertat.
Il faut nécessairement disposer de forgerons et de menuisiers pour fabriquer les tonneaux et les jarres, afin de ne pas distraire les ouvriers agricoles de leur besogne habituelle par la nécessité de courir en ville.
Table des matières - I - II - III - IV - V
FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 14 - juillet-décembre 2007
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