FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 6 - juillet-décembre 2003
Babrius, un fabuliste oublié
par
Poète et traducteur
Philippe Renault, dont Les Belles Lettres ont publié en 2000 une Anthologie de la poésie grecque antique, préfacée par Jacqueline de Romilly (440 p.), est aussi l'auteur de plusieurs autres volumes (poèmes personnels et traductions de textes antiques), disponibles en version électronique auprès des Éditions de l'Arbre d'Or (consultation payante).
Une de ses dernières uvres (2003, 760 p. au format PDF) est intitulée Esopica, les fables grecques et latines. On y trouve l'intégralité des cinq cent quatre-vingt quatre fables « ésopiques » recensées par les chercheurs (et notamment l'Anglais B. E. Perry), à quoi ont été ajoutées une dizaine de fables tirées de l'Anthologie Palatine. Parfois Philippe Renault a répertorié et traduit plusieurs versions pour que le lecteur curieux puisse les comparer.
Dans le domaine de la fable antique, Philippe Renault a bien voulu confier aux FEC trois articles, celui que l'on trouvera ci-dessous, un autre intitulé Fable et tradition ésopique, et un troisième dont le titre est L'esclave et le précepteur. Une comparaison entre Phèdre et Babrius. Certains d'entre eux utilisent en partie des données de son Esopica.
Mais Philippe Renault s'intéresse également à Lucien. Après avoir publié dans les FEC 8 (2004), sous le titre Lucien de Samosate, ou le prince du gai savoir, une introduction générale à la vie et à l'uvre de celui qu'il appelle « un satiriste flamboyant », il a donné sur la BCS des traductions nouvelles annotées de plusieurs dialogues de Lucien.
On signalera encore, toujours sur la BCS, sa traduction nouvelle en vers du Livre V de l'Anthologie Grecque, contenant les épigrammes érotiques, et du Livre XII, celui de la Muse garçonnière, oeuvres qu'il a pris soin de présenter dans deux articles : Anthologie Palatine. Deux mille ans d'Anthologie Grecque mais un chantier toujours ouvert (FEC 8 - 2004) et La Muse garçonnière, bible de l'amour grec (FEC 10 - 2005).
[Note de l'éditeur - 20 novembre 2004 - 11 février 2005 - 7 janvier 2006]
Dès que nous parlons de la fable gréco-latine, il nous faut irrésistiblement évoquer la triade Ésope - Phèdre - Babrius. Les deux premiers ont une réputation universelle. En revanche, s'agissant du dernier, Babrius, en dehors de quelques spécialistes, qui donc, sincèrement, a entendu parler de lui ? Sur Ésope, une foule d'historiens se sont penchés et continuent à le faire brillamment en s'efforçant de démêler le vrai du faux d'une personnalité contestée car considérablement obscurcie par des légendes variées. Quant à Phèdre, il a fait l'objet d'études et d'analyses diverses en raison de la profondeur de sa pensée, du second degré de ses fables et de l'influence énorme qu'il eut sur La Fontaine.
Sur Babrius, malheureusement, rien de tout cela. En France, depuis plus de cent ans, ses fables n'ont jamais eu les honneurs ni d'une édition, ni encore moins d'une nouvelle traduction. La seule édition récente disponible de ce fabuliste est anglaise et due à B. E. Perry (1965).
Même s'il apparaît excessif de le mettre sur le même plan que Phèdre, Babrius ne mérite pas néanmoins le désintérêt dans lequel on le maintient encore car ses fables, somme toute fort bien écrites et pleines d'humour et de cocasserie, sont empreintes d'un charme devant lequel on ne saurait demeurer insensible. Pour ma part, j'ai même pris un plaisir certain à les traduire en vers.
Une personnalité obscure Il est vrai que sur ce poète nos informations sont pour le moins déficientes car nous ne possédons pour nous éclairer qu'une très mauvaise biographie tirée de la Souda et que ce qu'il consent à nous dire de lui-même dans les deux prologues de son uvre.
Il est désormais acquis qu'il était italien et vivait en Asie Mineure, très certainement dans la seconde moitié du Ier siècle après J.-C. La thèse suivant laquelle il vivait au IIIème siècle a fait long feu, et Crusius [1] puis Perry [2] ont démontré amplement qu'il n'en était rien en se basant sur le texte des prologues. En effet, dans la dédicace du second livre de fables il est clairement mentionné que Babrius était le précepteur du fils d'un certain « roi Alexandre ». Ce dernier n'était pas, comme on l'a cru longtemps, l'empereur romain Sévère Alexandre (222-235) dont l'origine syrienne autorisa trompeusement cette identification. Non, cet Alexandre était un prince acquis à la puissance romaine installé par Vespasien sur le trône de Cilicie aux alentours de 70. Flavius Josèphe [3] est le seul historien à nous en révéler l'existence. Si son information est fiable, Alexandre, fils d'Hérode Antipas, roi de Judée, aurait épousé Iotapé, la fille d'Antiochos, roi de Commagène. À cette occasion, ajoute l'historien juif, il en aurait profité pour abandonner la religion de ses pères et adopter les usages et les dieux grecs. Pour conforter cette thèse, ajoutons qu'aucun autre roi Alexandre vivant en Syrie ou dans les environs n'a été identifié à ce jour, que ce soit au Ier ou au IIème siècle de notre ère.
De plus, le contexte de certaines de nos fables et sa connaissance du peuple arabe - quoique assombrie de préjugés - prouve que Babrius a bien vécu au Proche-Orient : pour s'en convaincre, il suffit de lire la fable 57 intitulée l'Arabe et le char des mensonges.
C'est donc du fils de ce roitelet cilicien que Babrius aurait été le précepteur et non d'un empereur, fût-il d'origine syrienne. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le poète, dans sa préface, insista si fortement pour dire que la fable était « une invention des anciens Assyriens qui vivaient au temps de Ninus et Belus » ; en effet, tout au service d'un roi de souche sémitique, Babrius avait dû estimer préférable d'orientaliser l'origine de la fable plutôt que de l'helléniser, et ce, à seule fin de contenter son royal maître.
Enfin, une autre certitude que nous ayons sur notre auteur est le fait que les deux livres de fables renfermaient deux cent pièces en tout et pour tout qui se succédaient les unes aux autres par ordre alphabétique en fonction de la première lettre de la fable ; c'était là une classification très courante dans l'Antiquité grecque et les différentes anthologies d'épigrammes, à l'instar de la Couronne de Méléagre, n'étaient pas rangées autrement.
Un Romain qui écrivait en grec Babrius est un nom romain, c'est un fait incontestable, un nom que l'on a retrouvé sur maintes inscriptions funéraires d'Ombrie ou d'Italie centrale et septentrionale. Il est dérivé bien évidemment de « barba » (barbe).
La nationalité romaine de Babrius et sa totale familiarité avec la langue latine sont attestées tant par son nom que par les particularités de son vers choliambique qui est tout à fait inhabituel, s'il faut en croire Perry, à la condition de prendre la peine de le comparer avec celui des autres poètes grecs. En effet, la syllabe finale du vers choliambique latin est accentuée afin de s'accorder avec la manière de prononcer proprement latine. Or, c'est ce que fait Babrius mais avec un vers grec cette fois-ci. Et en cela, il diffère notablement de la prononciation grecque.
Une autre particularité du vers choliambique utilisé par Babrius est l'admission de l'anapeste [4] en première place. Selon Lanchmann [5], chez les auteurs grecs tardifs, les anapestes n'étaient plus en usage. Or, on sait qu'à la fin du Ier siècle, en particulier chez les poètes latins, Martial en premier lieu, l'anapeste est remis au goût du jour dans la poésie latine, preuve s'il en est, par ailleurs, que Babrius était contemporain du grand satirique romain qui vivait justement à la fin du Ier siècle de notre ère.
Brancchus ou le mystère d'une dédicace Lors de leur première publication, les fables de Babrius comprenaient exactement deux cents pièces qui tenaient, s'il faut en croire Avianus [6] et les informations du Codex A, en deux livres et non en dix comme le prétend l'auteur si peu fiable de la biographie consacrée à Babrius dans la Souda. De ces deux cents fables, cent quarante-trois nous ont été plus ou moins conservées dans leur forme métrique originale, notamment pour cent vingt-trois d'entre elles grâce à la contribution du Codex A découvert sur le Mont Athos en 1843. Les autres, cinquante-sept en tout, ont survécu sous forme de paraphrases que nous connaissons à travers la Recension dite Bodléienne [7], retrouvée au début du XIXème siècle.
Le premier des deux livres est dédié à un garçon nommé Brancchus, personnage que nous ne retrouvons nulle part ailleurs et qui, de l'avis de Perry, ne serait, ni plus ni moins, qu'une invention poétique. Le second livre, nous l'avons dit plus haut, est dédié au jeune fils du roi Alexandre. S'agit-il de ce même Brancchus ? Perry répond par la négative. S'il eût été, selon l'historien britannique, le jeune élève de Babrius, on accréditerait l'idée qu'il aurait poursuivi son instruction auprès de son maître pendant le grand nombre d'années qui se serait écoulé entre la publication du premier livre et la dédicace du second. Il apparaît pour le moins absurde de penser que Babrius ait pu dédier la deuxième livraison de ses fables à ce même Brancchus auquel il prodiguait ses cours bien des années auparavant lors de la publication du premier livre. Comme si le garçon en était resté au même point, comme si le temps n'avait pas eu prise sur lui ! Surtout que le second prologue induit très clairement un laps de temps assez important entre l'écriture des deux volumes. En outre, si Brancchus avait été le fils du roi de Cilicie, prince d'origine juive, on aurait pour le moins eu droit à quelques « flatteries » sur la fable orientale de la même façon que dans la dédicace du Livre II. Or, de tout cela, nulle mention. Enfin, ce nom de Brancchus n'a rien de particulièrement oriental et sonne plutôt latin. Brancchus était-il tout simplement un nouvel élève de la vieillesse de Babrius, fils de quelque notable romain ? Le mystère demeure entier à ce jour.
Les sources de Babrius Nous devons nous poser la question de savoir où Babrius trouva le texte ou tout au moins les sources des fables qu'il avait versifiées. Une source immédiate n'est guère identifiable pour aucune des fables car les possibilités sont fort nombreuses : elles vont de la source orale aux ouvrages de toutes sortes écrits avant l'époque de Babrius et dans lesquels le poète aurait puisé la matière de ses récits. L'argument donné par l'auteur dans le premier prologue, quand il nous dit « avoir mis en vers les fables en prose d'Ésope » nous oblige à penser que la source principale dont il disposait était une collection de fables en prose attribuées à Ésope. Mais la nature diverse des récits qui composent l'ouvrage babrien, proverbes, épigrammes ou même simples anecdotes tendrait à prouver que leur source provenait de livres très divers. Il est plus que probable qu'il ait dû utiliser, comme Phèdre, le premier recueil de fables publiées par Démétrios de Phalère, élève du philosophe Théophraste, à la fin du IVème siècle av. J.-C. Sans doute s'est-t-il également inspiré de la collection ésopique recensée par le manuscrit Augustana, la plus ancienne recension dont nous disposons et dans lequel certaines pièces apparaissent dans le détail très proche de celles de notre poète.
Nous savons aujourd'hui que du Livre d'Achikar [8] d'origine assyrienne, un grand nombre de fables ont pris place dans les collections grecques : pour s'en convaincre il suffit de faire des comparaisons. Or, force est de constater que dix fables de Babrius qu'on ne retrouve nulle part ailleurs dans nos sources semblent être issues de l'Achikar assyrien. La plus éclatante preuve de la dette contractée par l'auteur à l'égard de la fable néo-babylonienne ou assyrienne est sans conteste la fable du moustique sur la corne du taureau [texte ci-dessous] qui correspond presque mot pour mot à une fable publiée par E. Ebeling [9] en 1927 et qui a été retrouvée sur une tablette cunéiforme au cours des fouilles effectuées à Assur. Certes, cette fable se retrouve dans la recension Augustana mais on est surpris de voir à quel point le récit babrien épouse presque mot pour mot les contours du texte assyrien et ce, bien plus que la version tirée de l'Augustana.
Le destin des fables La grande idée de Babrius de versifier des fables grecques lui valut d'être la proie d'imitateurs plus ou moins talentueux qui ont sans scrupule aucun corrompu le texte de ses poèmes. En effet, l'histoire du texte babrien a subi des préjudices bien davantage que celui de Phèdre qui, lui, n'était pas destiné à l'éducation des jeunes écoliers. Les innombrables imitations composées en trimètres iambiques, en vers élégiaques mais aussi en hexamètres, problèmes auxquels était déjà confronté Babrius de son vivant - et dont il se plaignit dans la préface de son second livre - ne trompent personne en raison même de leur forme métrique. En revanche, nous ne pouvons en dire autant des imitations en vers choliambique, celui justement en usage chez Babrius. Si bien que les spécialistes ont bien du mal à s'accorder complètement sur ce qui doit être attribué à Babrius et sur ce qui ne doit pas l'être, même au sein du Codex A, le plus fiable de nos manuscrits.
Sur ce Codex A justement : la plupart des fables qui y sont contenues sont suivies d'un épimythium (morale) en vers choliambique ; d'autres n'ont qu'un épimythium en prose. Enfin, on a une bonne douzaine de fables qui n'ont pas à proprement parler de morales. D'évidence, l'auteur n'en ajoutait pas systématiquement pour conclure ses fables. C'est pourquoi, on a douté très vite de l'authenticité de ces épimythia, et Crusius et Perry les ont rejetés sans remarquer pourtant leur relative perfection métrique, bien digne de Babrius. Il est vrai que très souvent, des épimythia qu'ils soient en prose ou en vers étaient couramment ajoutés à des fables antiques postérieurement afin de mieux les adapter à leur fonction scolaire. Mais on pense de plus en plus de nos jours que la plupart de ces morales pourraient être bel et bien de la main même de Babrius.
L'uvre fut par conséquent très copiée et appréciée pour d'évidentes raisons scolaires. Au IVème siècle, Syntipas retranscrivit en prose et en syriaque un grand nombre d'entre elles. Plus tard, ce recueil fut retraduit en grec par le moine Andreapoulos. Mais la plus célèbre de ces paraphrases, avec celle constituée par les fables en prose de la recension Bodléienne, fut les cinquante-cinq tétramètres composés au IXème siècle par le moine Ignace Magister [10]. Ce prêtre de Constantinople s'avisa en effet de mettre en quatrains et souvent de la plus médiocre façon des fables de Babrius qui pourtant brillent déjà par leur remarquable concision. Il ne conserva dans son intégralité que la merveilleuse fable de l'hirondelle et du rossignol [texte ci-dessous] qui fut pendant longtemps le seul poème complet que l'on possédait de notre fabuliste et que, dit-on, La Fontaine appréciait au plus haut point. Dès la Renaissance, ces tétramètres furent publiés avec succès en Occident et ce, malgré leur mauvaise qualité.
Peu à peu, on parvint cependant à identifier, non sans mal, d'authentiques fables de Babrius. Au XVIIIème siècle, les Anglais Bentley et surtout Tyrwith eurent, les premiers, l'idée de réunir quelques fragments cités par la Souda (à l'époque on parlait de Suidas), permettant la reconstitution de trois fables de celui que l'on appelait alors « Gabrias ». Au début du XIXème siècle, en inspectant minutieusement des manuscrits provenant du Codex Vaticanus 777, on réussit à restituer dans leur métrique initiale quelques vingt fables [11].
Des fables iambiques réunies avec des récits babriens furent également identifiées sur des tablettes en cire de Palmyre ainsi que sur le manuscrit G daté du Xème siècle. Sur la base de ces faits, on peut affirmer qu'il existait, dès le IIIème siècle, un corpus de fables versifiées dans lequel les fables authentiques de Babrius étaient mêlées avec des fables composées dans un mètre iambique ordinaire et colportant les même thèmes.
C'est surtout à partir des années 1840 que l'uvre de Babrius fut véritablement remise à l'honneur. Le ministre de l'Instruction Publique de l'époque, Villemain, dépêcha en Grèce un homme très savant mais à l'esprit quelque peu aventurier et fantasque, avec la mission de retrouver des manuscrits anciens. Sa quête le mena finalement au Couvent de Sainte-Laure du Mont Athos où il tomba, presque par hasard, sur un volume contenant cent vingt trois fables du notre poète (lire plus bas le récit de cette découverte). La trouvaille fit alors grand bruit et rendit Babrius très populaire du jour au lendemain. Dès 1844, Boissonade [12] édita le texte des fables avec une traduction en prose. Meyer fit de même l'année suivante. En 1848, Jonain traduisit Babrius en vers - non sans quelque fantaisie - pour un livre destiné aux collèges.
Et c'est ainsi que jusqu'aux années 1890, le succès de Babrius ne se démentit pas à tel point que ses poèmes furent étudiés avec grand soin et presque autant que La Fontaine que l'on trouvait alors, non seulement trop difficile pour les enfants mais aussi d'une morale pernicieuse. Beaucoup de professeurs de l'époque lui préféraient donc l'élégance de Babrius ou la gentillesse de Florian. Mais à la fin du XIXème siècle, Babrius fut brusquement retiré des programmes scolaires, ce qui sonna son déclin en France et sa désaffection progressive. Son oubli perdure encore aujourd'hui. C'est, à mon avis, tout à fait regrettable car Babrius mérite assurément mieux. Son talent de conteur gagnerait effectivement à être réhabilité afin qu'il puisse de nouveau être lu par l'honnête homme du XXIème siècle.
Pour terminer notre brève évocation de Babrius, il m'a paru bon de reproduire le récit assez savoureux de la découverte du manuscrit de ses fables par Mynias dans son compte-rendu fait au gouvernement français en 1843.
La découverte des Fables de Babrius : compte-rendu de Minéas Mynias (1843) « Dans le Couvent de Laura au Mont Athos, il y avait deux bibliothèques, une petite et l'autre plus grande. La première contenait des manuscrits jetés pêle-mêle, la plupart pourris par l'humidité et les ordures animales. Au point que la Vie des Hommes illustres de Plutarque, ouvrage manuscrit dont parle l'Allemand Zacharias dans le traité de son voyage fait il y a huit ans au Mont Athos, manuscrit encore complet, je l'ai trouvé tout à fait abîmé. Il n'avait pas plus de dix cahiers. En grande partie les feuilles étaient collées et pourries. Tous les autres manuscrits étaient dans un état pitoyable. »
« Je travaillai depuis quinze jours, accompagné d'un diacre nommé Gabriel en feuilletant les manuscrits que j'ai nettoyés autant que possible et j'ai pu mettre des étiquettes et des numéros à ceux qui avaient un intérêt. Il y avait un plancher qui occupait la moitié du parterre de la bibliothèque en forme de sofa. Les planches d'au-dessous était mouvantes, l'au-dessus était plein de poussière et de fientes. Ayant examiné tous les manuscrits, je me suis fourré sous le plancher malgré la résistance des moines qui s'y trouvaient. Ils me disaient qu'il n'y avait rien et que je me salirais. Or, j'y ai trouvé quinze manuscrits : un Denys l'Aréopagite avec des notes abrégées aux marges ; une Histoire des Animaux d'Élien et treize autres encore parmi lesquels le manuscrit en question, abîmé au commencement et vers la fin. La dernière feuille était en lambeaux et contenait les six derniers vers. La première partie renfermait les Histoires fabuleuses dont saint Grégoire de Nazianze fait mention dans ses Discours. La partie suivante contenait les Fables de Babrius en 80 pages in-8°. L'écriture m'a semblé être datée du Xème siècle. Il y avait plusieurs mots dont quelques lettres étaient effacées que j'ai déchiffrées avec peine. »
Notes [1] O. Crusius, Babrii Fabulae Aesopae, Leipzig, Teubner, 1897. [Retour au texte]
[2] B. E. Perry, Babrius and Phaedrus, Loeb, 1965. [Retour au texte]
[3] Flavius Josèphe, Antiquité Juives, XVIII, 140. [Retour au texte]
[4] L'anapeste, dans la métrique ancienne, est un pied composé de deux syllabes brèves et d'une longue. [Retour au texte]
[5] C. Lanchmann, Babrii Fabulae Aesopeae, Berlin, 1845. [Retour au texte]
[6] Avianus mentionne les fables de Phèdre mais ne les utilise pas. On remarque, au contraire, qu'il paraphrase nettement Babrius à de très nombreuses reprises. [Retour au texte]
[7] P. Knöll, Fabularum Babrianarum Paraphrasis Bodleiana, Vienne, 1877. [Retour au texte]
[8] « The Assyrian Book of Achikar », édition par A. Cowley in Aramaic Papyri of the Fifth Century B.C., Oxford, 1923, pp. 222-226. [Retour au texte]
[9] E. Ebeling, Die Babylonische Fabel und ihre Bedeutung für die Literaturgeschichte, Leipzig, 1927. [Retour au texte]
[10] Ces Tétramètres ont été édités par C. F. Müller avec l'édition de Crusius, op. cit., pp. 251-296. [Retour au texte]
[11] Ces vingt fables reconstituées ont été éditées par P. Knöll, « Neue Fabeln des Babrius », in Sitzungsber. der phil. hist. Kl. der Akademie der Wissenschaften in Wien, 1878. [Retour au texte]
[12] Sur les différentes éditions françaises de Babrius, se reporter à la bibliographie ci-dessous. [Retour au texte]
En guise d'exemple : trois fables de Babrius
Sur la corne d'un taureauUn moustique s'était posé.
Après être resté un certain temps,
Il demanda dans un bourdonnement :
« Si par mon poids tu es indisposé,
Je m'en irai bientôt
Et rejoindrai ce peuplier au bord de l'eau. »
Alors notre taureau :
« Il m'importe que tu demeures
Ou bien que tu t'en ailles,
Je n'avais pas même eu vent de ta rumeur ! »
Un homme vain et inutile
Qui, face à des gens supérieurs,
Se présente comme un des leurs,
Me semble pour le moins futile.
(trad. Ph. Renault, 2003)
Fable 12 - L'hirondelle et le rossignol
Une tendre hirondelleSe transporta loin du monde habité
Au fond de la forêt où chante Philomèle,
Le rossignol aux accents si charmeurs.
L'oiseau n'était plus que tristesse
Depuis que l'élu de son cur,
Itys, avait péri dans sa pleine jeunesse.
Aussi l'hirondelle, sa sur,
Vient-t-elle en sa retraite
Lui dire quelques mots avec calme et douceur :
« Depuis longtemps je ne t'ai vue !
Dis-moi, quelle douleur
A pu nous séparer ?
Allons ! Quitte ces lieux, ta morne solitude.
Pense à l'humanité, à ces riches contrées :
Tu logeras chez moi en toute quiétude.
Oui, laisse la forêt,
Dont la seule toiture est la voûte des cieux.
Moi, j'ai un nid soyeux
Propice à te protéger ;
Et je puis le partager.
Tu chanteras des mélodies
Pour séduire les bergers
Et non les animaux des alentours.
Ici, je te le dis
Quelle chaleur le jour,
Et puis quel froid la nuit !
Je crains que ta santé
Soit de ce fait une cause d'ennuis.
Mais à toi de parler. »
Et le rossignol de lui déclarer :
« Laisse-moi dans mon secret,
Dans ces bois où prospère le sacré.
Même avec toi, je ne veux habiter
Les grouillantes cités.
Tous les endroits où vivent les humains
Me rappellent sans cesse à ma souffrance,
À ce qui transforma le cours de mon destin
Et fracassa mon existence. »
Comment guérir d'une telle blessure ?
Oui, que faire quand le cur fut la cible ?
À ceux qui, jadis, vous connurent
On aime à rester invisible.
(trad. Ph. Renault, 2003)
Fable 36 - Le chêne et le roseau
Un chêne qui avait connu les anciens tempsFut vaincu par le plus grand des vents :
Dans la rivière il s'abattit d'un coup
Avant d'être emporté par une onde en courroux.
Des deux côtés de la rivière,
On voyait des roseaux qui s'inclinaient;
Le chêne fut pour le moins étonné
De ne pas les voir gisant sur la terre,
Alors que lui, le tronc robuste et fier,
Déracinait.
Et le roseau de dire :
« Tu voulais lutter contre la tempête :
Le résultat ne fut que ta défaite.
Moi, quand le vent se lève,
Je ne fais que courber la tête. »
Notre fable recommande
De ne point résister aux puissants
Et de plier sans attendre.
(trad. Ph. Renault, 2003)
Bibliographie Texte seul
Babrii Fabulae, édition par Boissonade, Paris, 1844.
Fables choisies de Babrius, édition classique accompagnée de notes et remarques, de citations de La Fontaine et d'un lexique élémentaire, par E. Pessonneaux. Paris, Delalain frères, 1890.
Babrius. Fables, texte grec imprimé à l'usage des classes élémentaires avec une introduction, des notes et un lexique, par A. M. Desrousseaux, Paris, Hachette, 1890.
Babrius. Fables, texte grec imprimé à l'usage des classes, avec une notice préliminaire, des notes et un lexique, par M. Croiset, Paris, Colin, 1892.
Babrii fabulae, édition par O. Crusius. Leipzig, Teubner, 1897.
Babrius, Mythiambi Aesopei, édition par M. J. Luzzatto et A. La Penna, Leipzig, Teubner, 1986.
Traduction
Fables de Babrius, traduites en vers français par J. F. Gail, Paris, Delalain, 1846.
Fables choisies de Babrius, traduites en vers français avec le texte grec en regard et suivies de notes, par M. Sardin, Paris, Dezobry, 1846.
Fables expliquées par Théobald Fix et traduites en français par Sommer, Paris, Hachette, 1846.
Fables de Babrius, texte grec de Boissonade, traduit en français par A. L. Boyer. Paris, Delalain frères, 1848.
Fables de Babrius, traduites du grec en français par P. Jonain. Paris, Hachette, 1848.
Fables choisies de Babrius, traduites en vers par F. Fournier, Montpellier, Ricateau, Hamelin et Cie, 1874.
Fables ésopiques de Babrius, traduites en totalité comparées aux Fables d'Horace et de Phèdre, de Corrozet et de la Fontaine, par E. Lévêque, Paris, Belin frères, 1890.
Fables de Babrius d'après le choix traduit par Pessonneaux, traduction française par E. Maréchal, Paris, Delalain frères, 1892.
Babrius and Phaedrus, édit. par B. E. Perry, Cambridge, Harvard University, 1965.
Traduction en ligne
Esopica, les Fables grecques et latines, traduction par Philippe Renault, Éditions de l'Arbre d'Or, Genève, 2003. Cette anthologie comprend l'intégralité des Fables de Babrius et une partie des pièces de la Paraphrase Bodléienne.
Études sur Babrius
L. Hermann, Babrius et ses poèmes, Bruxelles, Latomus, 1973.
J. Vaio, The Mythiambi of Babrius, Hildesheim, Georg Olms, 2001.
FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 6 - juillet-décembre 2003