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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


Historiographie gréco-romaine

Théophile d'Antioche (2e moitié du IIe s.)

 

Textes rassemblés et présentés par Jean-Marie HANNICK

Professeur émérite de l'Université de Louvain


On est très mal renseigné sur ce personnage. Quelques bribes d'informations nous sont fournies par Eusèbe de Césarée (T 7) et par saint Jérôme ; quelques autres, par l'auteur lui-même. Avec d'aussi maigres renseignements, il est impossible de retracer, même dans ses grandes lignes, la biographie de Théophile. Il est né on ne sait où, peut-être du côté de la Mésopotamie, ni quand. La petite partie de son œuvre qui a survécu montre qu'il a acquis une certaine culture grecque : il connaît Homère, Hésiode, des tragiques, un peu de Platon, Flave Josèphe, mais tout cela de façon assez superficielle. Il nous apprend lui-même qu'il est un converti (A Autolycus, I, 14) ; sacré évêque d'Antioche vers 170, sous le règne de Marc-Aurèle, il reste en fonction une dizaine d'années et meurt vers 185.

Théophile avait écrit plusieurs ouvrages (controverse, catéchèse) dont il ne reste que son exhortation A Autolycus, en trois livres. Le destinataire est inconnu : c'est un ami de l'auteur que celui-ci essaie de convertir. Mais Autolycus résiste et, au début du livre III, il avance une nouvelle objection, l'origine récente du christianisme et des livres sur lesquels il se fonde (T 2). L'apologie va dès lors prendre une allure historique.

Théophile réplique d'abord par une critique des auteurs profanes, poètes, historiens, philosophes confondus (T 3, 5). Il souligne leurs désaccords, l'immoralité de leurs récits et de leurs théories (p.ex. la communauté des femmes dans la République de Platon), la stupidité de leur théologie. Puis vient la défense du christianisme qui se distingue par la beauté de sa morale et surtout, l'antiquité et la véracité de ses livres saints (T 1  : Moïse, qui passe pour l'auteur du Pentateuque, précède Homère, le plus ancien des poètes grecs d'environ mille ans (III, 21). Au chapitre 24 (T 4), Théophile commence une généalogie, avec le compte des années, qui va d'Adam à Marc-Aurèle. Il récapitule tout cela au chapitre 2  : de la Création à aujourd'hui se sont déroulées 5695 années, à peu près (T 6). Autolycus est finalement invité à se plonger dans l'étude de la Bible « afin d'y retrouver un résumé, et comme des arrhes sur la vérité » (III, 30).

Voir aussi Introduction à l'historiographie chrétienne.

 

Bibliographie

Texte

- Théophile d'Antioche, Trois livres à Autolycus, trad. J. Sender, introd. et notes G. Bardy, Paris, 1948 (Sources chrétiennes, 20).

- Theophilus of Antioch, Ad Autolycum, éd. trad. R.M. Grant, Oxford, 1970 (Oxford Early Christian Texts).

Études

- Pouderon B., Les apologistes grecs du IIe siècle, Paris, 2005 [Ch.XI Théophile d'Antioche].

- Schoedel W.R., Theophilus of Antioch: Jewish Christian, dans Illinois Classical Studies, 18, 1993, p.279-297.

 

Textes choisis (Trad. J. Sender)

T 1 - A Autolycus, II, 30 Pour remplacer Abel, Dieu accorda à Ève de concevoir et de mettre au monde un fils nommé Seth ; c'est de lui que dérive le reste du genre humain jusqu'à maintenant. Pour ceux qui veulent s'adonner à l'étude de toutes les générations, les Saintes Écritures sont un guide aisé. Nous avons déjà traité en partie, comme nous l'avons dit plus haut, de l'ordre de la généalogie, dans un autre ouvrage, dans le premier livre De l'Histoire [perdu]. Tout cela, c'est le Saint-Esprit qui nous l'apprend, en se servant de Moïse et des autres prophètes ; ainsi nos livres à nous, les vrais fidèles de Dieu, se trouvent être plus anciens - et surtout se montrent plus vrais - que les écrivains et les poètes.

 

T 2 - III, 1 Théophile à Autolycus salut. Les écrivains [profanes] désirent composer une quantité de livres, et cela par vaine gloire ; les uns traitent des dieux, des guerres, des époques, certains même de fables inutiles et de tous les vains travaux auxquels tu as commencé de t'exercer toi aussi jusqu'à ce jour. Ce labeur, tu n'hésites pas à le supporter ; mais, quand tu t'entretiens avec nous, tu soutiens encore ne trouver que bavardage dans la parole de vérité ! Tu t'imagines que nos Écritures sont toutes fraîches, toutes jeunes ! Aussi je n'hésiterai pas, moi non plus, à reprendre par le commencement, Dieu aidant, l'ancienneté de nos livres ; je t'en ferai un bref memento, pour que tu n'hésites pas à t'y plonger et que tu reconnaisses la vanité de tous les autres auteurs.

 

T 3 - III, 16 Mais je veux à présent te montrer exactement, Dieu m'aidant, notre position dans le temps ; tu comprendras ainsi que notre doctrine n'est ni récente, ni légendaire, mais qu'elle est plus ancienne et plus vraie que celles de tous les poètes et écrivains qui ont traité de l'incertain. Les uns ont déclaré le monde sans commencement et se sont perdus dans l'infini ; d'autres lui ont avoué une origine, et ont dit qu'il s'était déjà écoulé quinze myriades d'années plus trois mille soixante quinze ans [= 153.075 ans]. C'est ce que rapporte Apollonios l'Égyptien. Quant à Platon, qui semble avoir été le plus sage des Grecs, en combien de bavardages ne s'égare-t-il pas ?

 

T 4 - III, 23-24 Mais, pour une démonstration plus serrée de toute cette chronologie, nous allons maintenant - Dieu nous aidant - tracer l'histoire non seulement des événements postérieurs au déluge, mais même des événements qui lui sont antérieurs ; nous dirons pour tout cela, autant qu'il nous sera possible, le compte des années ; nous remonterons jusqu'à la toute première origine de la création du monde, telle que l'a consignée le serviteur de Dieu Moïse sous l'inspiration du Saint-Esprit. En effet, quand il a parlé des événements concernant la création et la naissance du monde, le premier homme, et la suite, il a indiqué les années qui se sont écoulées avant le déluge. Et moi, je demande une grâce à l'unique Dieu : que je mette en toutes mes paroles une exactitude conforme à la vérité, selon sa volonté, afin que toi aussi et que tout lecteur de ce livre se laisse conduire par sa vérité et sa grâce.

Je vais donc commencer d'abord par les généalogies qui ont été consignées - je dis bien depuis le premier homme, qui constitue le point de départ. Adam, jusqu'à ce qu'il devînt père, vécut deux cent trente ans. Son fils Seth deux cent cinq ans. Son fils Enos cent quatre-vingt-dix ans. Son fils Kaïnan cent soixante-dix ans. Son fils Maléléel cent soixante-cinq ans. Son fils Jareth cent soixante-deux ans. Son fils Enoch cent soixante-cinq ans…

 

T 5 - III, 26 D'où l'on peut voir combien les saints livres que nous détenons se montrent plus anciens et plus véridiques que ceux des Grecs, des Égyptiens et des autres historiographes, quels qu'ils soient. Hérodote, Thucydide, aussi bien que Xénophon et les autres historiographes n'ont la plupart du temps commencé leurs recensions qu'à peu près au règne de Cyrus ou de Darius ; ils ne se sentaient pas capables de parler avec exactitude des époques anciennes et primitives. Qu'ont-ils dit de sensationnel, s'ils n'ont parlé que de Darius et de Cyrus, rois des pays barbares ? ou, chez les Grecs, de Zopyre et d'Hippias seulement ? ou des guerres d'Athènes et de Lacédémone ? ou de l'histoire de Xerxès ? ou de celle de Pausanias qui risqua de mourir de faim dans le temple d'Athéna ? ou des événements concernant Thémistocle et la guerre du Péloponnèse, ou Alcibiade et Thrasybule ? Ce qui nous intéresse, nous, ce ne sont pas les thèmes à morceaux de bravoure, mais c'est de mettre en lumière le temps écoulé depuis la création du monde, et de convaincre d'inutilité comme de fantaisie les écrivains ; car il n'y a pas deux myriades de myriades d'années comme le dit Platon quand il professe qu'entre le déluge et nos jours il y a ce compte d'années [Lois, 683b] ! ni quinze myriades et trois cent soixante-quinze ans, comme le rapporte  - nous l'avons dit - Apollonios l'Égyptien; le monde non plus n'est pas sans commencement, tout ne s'est pas fait tout seul, comme le voudraient Pythagore et autres fantaisistes. Au contraire, le monde a une origine, et selon la Providence il est régi par Dieu qui a tout fait; et la totalité du temps et des années est montrée, à qui veut croire en la vérité.

 

T 6 - III, 29 Sur le nombre des années et la suite des Olympiades, nous nous sommes expliqués plus haut : je crois, dans la mesure actuellement possible, avoir dit exactement le chiffre exprimant toute l'antiquité de notre civilisation et de ses époques [5695 ans]. S'il a pu arriver que quelque durée nous échappe, il peut s'agir de cinquante ans, de cent ans ou de deux cents ans, mais pas de myriades ni même de milliers d'années, ainsi que l'allèguent faussement les textes cités plus haut de Platon, d'Apollonius et des autres. En particulier, il se peut bien que nous ne connaissions pas avec une absolue exactitude le total des années, parce que nous n'avons pas relevé dans les Saints Livres les mois et les jours venant en sus.


Les commentaires éventuels peuvent être envoyés à Jean-Marie Hannick

[ 21 avril 2009 ]


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