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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


 Historiographie gréco-romaine

 

FLORUS (IIe s. p.C.)

   

Textes rassemblés et présentés par Jean-Marie HANNICK

 Professeur émérite de l'Université de Louvain


Vie

L'auteur de l'Histoire romaine dont il sera question ici nous est presque totalement inconnu. Même son nom est douteux : la plupart des manuscrits l'appellent Lucius Annaeus Florus ; le Bambergensis, le plus ancien et généralement le meilleur témoin fait exception et le nomme Julius Florus. Mais il semble que, sur ce point, il faille suivre l'avis de la majorité et adopter le gentilice Annaeus. Tous n'est pas résolu pour autant car la tradition manuscrite nous a livré un fragment de dialogue intitulé Vergilius orator an poeta ? attribué à un certain Pannius Florus, qu'il faut sans doute corriger en P. Annius Florus, tandis que l'Histoire Auguste (Vie d'Hadrien, 16, 3) et l'Anthologie Palatine ont conservé quelques petits poèmes qui seraient aussi l'œuvre d'un dénommé Florus. S'agit-il là de différents personnages ou d'un seul auteur, poète, orateur, historien, appelé Florus ? On penche aujourd'hui pour la seconde hypothèse, un auteur unique, dont quelques éléments biographiques apparaissent dans ce qui reste du Vergilius orator an poeta ? Florus serait un poète africain ayant concouru aux Jeux Capitolins (?) sous Domitien, sans succès. Déçu, il aurait quitté Rome pour aboutir à Tarragone où il dit avoir ouvert une école et trouvé beaucoup de satisfaction dans son métier d'enseignant : le fragment s'arrête là. Comme on le voit, la biographie de Florus est aussi pauvre qu'incertaine, même si on y ajoute une donnée chronologique tirée de la préface de son Histoire romaine (T 1) : la rédaction de cette œuvre se situe un peu moins de deux siècles après Auguste, soit, probablement, à la fin du règne d'Hadrien.

 

Œuvre

La plupart des manuscrits intitulent notre texte Epitoma de Tito Livio, expression malheureuse car Florus ne résume pas son illustre prédécesseur. Sans doute l'utilise-t-il comme source, parmi d'autres, mais il fait œuvre personnelle, racontant et commentant l'histoire, surtout militaire, de Rome, de Romulus à César Auguste. L'ouvrage aurait donc pu s'appeler Epitoma, sans mention de Tite-Live, ou Tabella (le mot apparaît dans la Préface) mais, au fond, le problème est sans grande importance. C'est le contenu qui mérite de retenir l'attention et que l'on va tenter d'analyser.

Florus concentre son attention sur un personnage collectif, le peuple romain, et sur ses faits d'armes, dans les guerres extérieures comme dans les guerres civiles. Et le but s'affiche clairement, dès les premières lignes : il s'agit de « provoquer l'admiration pour le peuple-roi » (T 1), une admiration qui n'est toutefois pas aveugle. Florus, qui ne se contente pas de raconter mais qui donne ses appréciations, juge ainsi que les conquêtes, si elles ont été glorieuses, n'ont pas été forcément bénéfiques ; il se demande même si Rome n'aurait pas mieux fait de se contenter de la possession de l'Italie (T 7). La politique intérieure lui inspire aussi des remarques assez sévères, par exemple sur la responsabilité des tribuns dans l'éclosion des troubles au sein de la cité (T 8). L'œuvre d'Auguste, en revanche, lui paraît empreinte de sagesse et d'habileté (T 9).

Aux yeux de Florus (T 1), les sept siècles environ qui séparent Romulus d'Auguste se sont déroulés comme une vie humaine : l'enfance, sous les rois ; puis l'adolescence, des débuts de la République jusqu'à la première guerre punique, période qui a abouti à la mainmise sur l'Italie ; ensuite les années de la jeunesse, ou de la maturité, au cours desquelles Rome s'impose à l'univers entier. Et l'auteur s'arrêtera là : il ne racontera pas le temps de la vieillesse, caractérisé par l'inertie des Césars. Mais il termine sa Préface sur une note d'espoir : sous Trajan, l'Empire a de nouveau « fait jouer ses muscles et voit maintenant ses forces reverdir ». Ce schéma « biologique », qui a donné bien des soucis aux éditeurs (cf. P. Jal, Florus, Introduction, p.LXIX-CXI), n'est pas vraiment original. Polybe, déjà, notait que les sociétés humaines, comme les individus, connaissent trois phases dans leur développement : « L'évolution de tout individu, de toute société politique, de toute entreprise humaine est marquée par une période de croissance, une période de maturité, une période de déclin, et c'est au moment de la maturité que le plus haut degré d'efficacité est atteint dans tous les domaines » (Histoire, VI, 51 ; trad. D. Roussel). L'idée se retrouve chez Cicéron (République, II, 1, 3), chez Velleius Paterculus (II, 11, 3), ailleurs encore. Elle est donc assez banale mais ce qui frappe dans le Tableau de Florus, c'est que cette division en âges n'est pas qu'une vision théorique de l'histoire romaine, elle constitue réellement l'ossature du récit, rappelée à chaque passage d'une période à l'autre (T 2, 7 ; cf. aussi I, 17, 8 - 18, 1).

 

Méthode

Florus ne cite jamais ses sources. C'est l'analyse de son texte qui permet de déceler les emprunts qu'il a faits à ses prédécesseurs, et d'abord à Tite-Live, mais aussi à bien d'autres écrivains, Caton, Salluste, César, Lucain, Tacite. Par contre, bien que connaissant le grec, il ne semble pas avoir utilisé Polybe, ni Denys d'Halicarnasse (cf. Bessone, Storia epitomata, p. 220). Sa méthode de travail nous échappe tout autant. On constate qu'à certains endroits, Florus suit fidèlement le récit de ses devanciers, qu'ailleurs, il s'en écarte - on ne sait pourquoi - et verse parfois dans l'erreur. Deux exemples. Relatant, avec une certaine emphase, la proclamation de la liberté de la Grèce par Flamininus (196 a.C.), Florus (T 5) situe l'événement à Némée alors que cela s'est passé à Corinthe, lors des Jeux isthmiques (Polybe, XVIII, 46;Tite-Live, XXXIII, 32). Un peu plus loin (I, 33, 17), Florus raconte que le consul Fabius Maximus [Servilianus] aurait écrasé le chef des Lusitaniens révoltés, Viriathe (140 a.C.), et que son successeur, Popilius Laenas, aurait réussi, lui, à le faire assassiner. En réalité, le proconsul Fabius Maximus n'a pas vaincu Viriathe. Il a dû traiter avec lui et Rome a d'abord ratifié cet accord. Mais l'année suivante, le successeur de Fabius, qui était aussi son frère, Servilius Caepio - et non Popilius Laenas - reprit le combat et, finalement, fit tuer le chef rebelle par traîtrise. Des fautes de ce genre ne sont pas rares chez Florus. Il n'a pas les préoccupations d'un véritable historien, soucieux de vérité. « The panegyrist of the Roman people was less concerned with facts than with emotional comment » (M. von Albrecht, A History of Roman Literature from Livius Andronicus to Boethius, II, Leyde, 1997, p.1413). De fait, Florus est plutôt un commentateur de l'histoire romaine, parfois lucide d'ailleurs dans ses analyses (T 6), volontiers moralisateur mais toujours fidèle à un style très oratoire.

 

Bibliographie

Texte

- Œuvres, éd., trad. P. Jal, 2 vol., Paris, 1967 (C.U.F.).

Études

- Bessone L., Floro : un retore storico e poeta, dans W. Haase (éd.), ANRW II 34.1, Berlin - New York, 1993, p.80-117.

- Bessone L., La storia epitomata. Introduzione a Floro, Rome, 1996 (Problemi e ricerche di storia antica, 19).

- Den Boer W., Some Minor Roman Historians, Leyde, 1972 [Ch.1 - The Epitome of Florus and the Second Century A.D.].

- Facchini Tosi Cl., Il proemio di Floro : La struttura concettuale e formale, Bologne, 1990.

- Garzetti A., Floro e l'età adrianea, dans Athenaeum, 42, 1964, p.16-156.

- Jal P., Nature et signification politique de l'ouvrage de Florus, dans Revue des études latines, 43, 1965, p.358-383.

 

 

Textes choisis (trad. P. Jal)

 

T 1 - Tableau de l'histoire du peuple romain, Préface

Le peuple romain accomplit tant d'actions en sept cents ans, du roi Romulus à César Auguste, en temps de paix et en temps de guerre, que, si l'on comparait la grandeur de l'Empire avec le nombre de ses années, on le croirait plus vieux. Il a porté si loin ses armes sur la terre qu'à lire ses exploits, on apprend l'histoire non d'un seul peuple, mais du genre humain. Il fut aux prises avec tant de peines et de dangers que, pour constituer son Empire, Courage et Fortune semblent avoir rivalisé. Aussi, si quelque objet valut jamais la peine d'être connu, c'est bien celui-là; cependant, comme la grandeur même des événements nuit par elle-même à leur observation et que leur diversité brise la pénétration du regard, je ferai comme les peintres de paysages: je condenserai en une sorte de petit tableau [in brevi quasi tabella] son image entière, contribuant ainsi quelque peu, je l'espère, à provoquer l'admiration pour le peuple-roi, si je réussis à montrer dignement et d'un seul coup l'ensemble de sa grandeur.

Si l'on veut considérer le peuple romain comme un seul homme, examiner toute sa carrière, comment il a commencé et a grandi, comment, par la suite, il a, pour ainsi dire, vieilli, comment il a, en quelque sorte, atteint la fleur de sa jeunesse, on y relèvera quatre degrés ou étapes. Le premier âge, sous les rois, dura presque 250 ans, au cours desquels le peuple romain combattit autour de la Ville elle-même avec ses voisins. Ce sera son enfance. Suit, du consulat de Brutus et de Collatin à celui d'Appius Claudius et Marcus Fulvius, une période de 250 ans, pendant laquelle il conquit l'Italie. Ce fut, pour ce qui est des hommes et des armes, la période où il se montra le plus énergique, et c'est pour quoi on pourrait l'appeler son adolescence. Puis, jusqu'à César Auguste, 200 ans, pendant lesquels il pacifia tout l'univers. Ce fut alors la jeunesse même de l'Empire et, en quelque sorte, sa robuste maturité. De César Auguste à notre temps, il n'y eut pas beaucoup moins de deux cents ans, pendant lesquels, sous l'effet de l'inertie des Césars, il vieillit et se réduisit en quelque sorte, sinon que, sous le principat de Trajan, il fit jouer ses muscles: contrairement à toute attente, le vieil Empire voit, comme si on lui avait rendu la jeunesse, ses forces reverdir.

 

T 2 - I, 2 Tel est le premier âge du peuple Romain et pour ainsi dire son enfance, telle qu'elle se déroula sous sept rois auxquels les destins s'appliquèrent à donner les qualités si variées que réclamaient l'organisation et l'intérêt de l'État. Qui fut plus ardent, en effet, que Romulus ? C'est d'un homme comme lui qu'on eut besoin pour s'emparer du trône. Qui fut plus religieux que Numa ? La situation demandait qu'un peuple farouche fût adouci par la crainte des dieux. Que dire du créateur de l'art militaire, Tullus ? Comme il était nécessaire à des hommes belliqueux pour fortifier le courage par la discipline ! Et Ancus, le bâtisseur, pour agrandir la ville par une colonie [Ostie], en réunir les rives par un pont, la protéger par un mur ? Quant aux distinctions et décorations créées par Tarquin, quelle dignité elles ajoutèrent, par leur seul aspect extérieur, au peuple-roi ! Quel fut le résultat du cens établi par Servius, sinon d'apprendre à l'État romain à se connaître lui-même ? Enfin l'importune tyrannie du Superbe ne fut pas - tant s'en faut - inutile : grâce à elle, en effet, un peuple en butte aux outrages brûla du désir de la liberté.

 

T 3 - I, 7, 1-3 Soit jalousie des dieux, soit fatalité, voici que, pour un temps, cette course si rapide de l'Empire est interrompue par l'incursion des Gaulois Sénons. Je ne sais si cette époque fut pour le peuple romain plus funeste en raison du désastre ou plus brillante en raison des preuves qu'il donna de son courage. En tout cas, la grandeur de ce malheur fut telle que je le croirais volontiers provoqué par le ciel à titre d'épreuve, les dieux immortels voulant savoir si la valeur romaine méritait l'empire du monde.

 

T 4 - I, 11, 3-7 La Campanie est la plus belle région non seulement de l'Italie, mais du monde. Rien n'est plus doux que son climat : pour tout dire, le printemps y fleurit deux fois. Rien n'est plus riche que son sol : sur ce point, dit-on, Liber et Cérès rivalisent. Rien n'y est plus hospitalier que la mer : c'est là que se trouvent les fameux ports de Gaète, de Misène, Baies, attiédie par ses sources, le Lucrin et l'Averne, où le mer en quelque sorte se délasse. C'est là qu'on trouve, revêtus de vignes, les monts Gaurus, Falerne, le Massique et le plus beau de tous les monts, le Vésuve, qui imite le feu de l'Etna. Comme villes au bord de la mer, Formies, Cumes, Pouzzoles, Naples, Herculanum, Pompéi et la capitale même des villes, Capoue, que l'on mettait autrefois au nombre des trois plus grandes [avec Carthage et Corinthe]. C'est pour défendre cette ville et ces régions que le peuple romain se jette sur les Samnites…

 

T 5 - I, 23, 10-15 Voilà donc que sous le commandement de Flamininus, nous pénétrâmes dans les monts jusqu'alors inaccessibles de Chaonie, dans les gorges profondément encaissées de l'Aoüs, verrous de la Macédoine. Ce fut vaincre que d'y entrer. Par la suite, le roi [Philippe V], qui n'avait jamais osé en venir aux mains avec nous, est écrasé près des hauteurs dites de Cynocéphales [197 a.C.], en un seul combat - et encore ce ne fut pas un véritable combat. Le consul lui accorda cependant la paix et lui laissa son royaume, puis, pour supprimer tout élément hostile, il se rendit maître de Thèbes, de l'Eubée, et de Lacédémone qui, sous le règne de son Nabis, poussait des pointes offensives. Mais à la Grèce, il rendit son ancien statut, de façon qu'elle pût vivre sous ses propres lois et jouir de la liberté de ses pères. Quels cris de joie, quelles exclamations, lorsque - coïncidence - cette proclamation retentit à Némée, au théâtre, lors des Jeux quinquennaux, par la voix du héraut ! C'était à qui applaudirait davantage ! Que de fleurs jetées sur le consul ! Et toujours et toujours, ils invitaient le héraut à répéter ces mots qui proclamaient la liberté de l'Achaïe, ils trouvaient à entendre cette décision du consul, le même plaisir qu'à la plus harmonieuse mélodie de flûtes ou de lyres.

 

T 6 - I, 33, 3-4 L'Espagne n'eut jamais l'intention de se lever tout entière contre nous, jamais la volonté de rassembler ses forces ni de viser à l'hégémonie ou de défendre collectivement sa liberté. Du reste, elle a été, de tous les côtés, grâce à la mer et aux Pyrénées, munies de tels retranchements que sa position naturelle aurait suffi à écarter toute attaque. Mais elle fut assiégée par les Romains avant d'avoir pu se connaître elle-même et, seule de toutes les provinces, c'est une fois vaincue qu'elle se rendit compte de ses forces.

 

T 7 - I, 47, 1-7 Tel est le troisième âge - celui d'outre-mer - du peuple romain, âge au cours duquel, ayant osé s'avancer hors d'Italie, il porta ses armes dans tout l'univers. De cet âge, les cent premières années furent des années saintes, pieuses et, nous l'avons dit, des années d'or, sans forfait, sans crime, où ses mœurs pastorales, demeurées intactes, étaient encore pures et innocentes et où la peur menaçante des ennemis Carthaginois maintenait l'ancienne discipline. Quant aux cent suivantes, que nous avons fait commencer à la destruction de Carthage, de Corinthe et de Numance et à l'héritage du royaume asiatique d'Attale, pour les conduire jusqu'à César et Pompée et, après ces derniers, jusqu'à Auguste, dont nous parlerons, elle eurent beau être magnifiques en raison de l'éclat des événements militaires, elles furent, en revanche, en raison des désastres qu'elle provoquèrent chez nous, misérables et infamantes. Qu'on ait conquis, en effet, la Gaule, la Thrace, la Cilicie, la Cappadoce, provinces très fertiles et très puissantes - sans parles des Arméniens et des Bretons - sinon en raison de leur utilité, du moins pour acquérir de beaux titres de gloire servant à rehausser l'éclat de l'Empire, c'est là chose belle et honorable : en revanche, avoir, pendant le même temps, lutté à l'intérieur contre des concitoyens, des alliés, des esclaves, des gladiateurs et avec le sénat divisé tout entier contre lui-même, c'est là chose honteuse et digne de pitié. Et je ne sais s'il n'eût pas mieux valu pour le peuple romain s'être contenté de la Sicile et de l'Afrique, ou même se passer de ces pays pour exercer sa domination dans son Italie, plutôt que d'atteindre une grandeur telle qu'il se détruisit par ses propres forces. Qu'est-ce qui a causé en effet les fureurs des citoyens, sinon une excessive prospérité ?

 

T 8 - II, 1 Toutes les séditions ont pour cause la puissance des tribuns : sous prétexte de protéger la plèbe dont ils furent chargés d'assurer la défense, ne cherchant en réalité qu'à acquérir pour eux-mêmes le pouvoir absolu, ils s'efforçaient de capter l'attachement et la faveur du peuple au moyen de lois agraires, frumentaires et judiciaires. Toutes ces lois avaient une apparence d'équité. Quoi de plus juste, en effet, que de faire rentrer la plèbe en possession des biens que lui avaient pris les patriciens, pour éviter au peuple qui avait vaincu les nations et possédait l'univers, de passer sa vie en banni, dépouillé de ses autels et de ses foyers ? Quoi de plus équitable que de faire vivre un peuple sans ressources sur son propre trésor ? Quoi de plus efficace pour conférer à chacun le même droit à la liberté que de faire gouverner les provinces par le sénat et de renforcer l'autorité de l'ordre équestre en lui donnant au moins un pouvoir absolu sur l'exercice de la justice ? Mais ces réformes elles-mêmes tournaient à la ruine de l'État et la malheureuse République payait elle-même sa propre destruction. En transférant en effet du sénat aux chevaliers le pouvoir judiciaire, on supprimait les impôts, c'est-à-dire le patrimoine de l'Empire, tandis que l'achat du blé épuisait le trésor, le nerf même de l'État. Quant à ramener la plèbe aux champs, comment aurait-on pu le faire sans ruiner les propriétaires, qui faisaient eux-mêmes partie intégrante du peuple et qui, sur les domaines que leur avaient laissés leurs ancêtres, avaient à la longue acquis une sorte de droit de propriété ?

 

T 9 - II, 14, 1-6 Le peuple romain, après l'assassinat de César et de Pompée, semblait être revenu à son ancien état de liberté. Il y était même vraiment revenu, si Pompée n'avait pas laissé d'enfants ni César d'héritier ou même, ce qui fut encore plus désastreux que ces deux circonstances, si l'ancien collègue de César, bientôt l'émule de sa puissance, celui qui devait semer l'incendie et le trouble dans la génération qui suivit, n'avait survécu, Antoine. Car, lorsque Sextus réclama ses biens paternels, la peur régna sur toutes les mers ; lorsque Octave vengea la mort de son père, le Thessalie dut une seconde fois en subir le contre-coup ; lorsque Antoine, dont l'humeur était inconstante, ou bien s'indigna de voir Octave succéder à César ou bien, par amour pour Cléopâtre, se détacha de Rome pour devenir roi… Le peuple romain n'aurait pu en effet trouver de salut s'il ne s'était réfugié dans la servitude. On doit pourtant se féliciter de ce que, au milieu d'un tel bouleversement, la totalité du pouvoir fût revenue précisément à Octave César Auguste qui, par sa sagesse et son habileté, réorganisa le corps de l'Empire paralysé et bouleversé de toutes parts, et qui n'aurait, sans aucun doute, jamais pu trouver sa cohérence et son harmonie, s'il n'avait été dirigé par la volonté d'un seul chef, qui en fut comme l'âme et l'esprit.

 

T 10 - II, 34, 64-66 Ainsi partout, de façon sûre et durable, il y eut dans l'ensemble du monde habité, des paix ou des pactes, et César Auguste osa enfin - sept cents ans après la fondation de Rome - fermer le temple de Janus, qui n'avait été fermé que deux fois avant lui, sous le roi Numa et lors de la première défaite de Carthage. Puis, se consacrant à la paix, il mit un frein, en promulguant un grand nombre de lois strictes et sévères, à tous les vices auxquels le siècle était enclin et à la débauche à laquelle il s'abandonnait et, en récompense de tant d'actions extraordinaires, fut nommé dictateur perpétuel et père de la patrie. On délibéra même au sénat pour savoir si on l'appellerait Romulus, puisqu'il avait fondé l'Empire ; mais plus sacré et plus vénérable parut être le nom d'Auguste, sans doute pour que, dès sa vie terrestre, son nom même et son titre fissent de lui un dieu.

 


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[11 mars 2008]


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