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Historiographie du XIXe siècle
Johann Gustav Droysen (1808-1884)
Texte :
-- Histoire de l'hellénisme, trad. sous la dir. de A. BOUCHÉ-LECLERCQ, 3 vol., Paris, 1883-1885.
-- Précis de théorie de l'histoire, traduction, présentation et notes par A. ESCUDIER, Paris, 2002.
Études :
-- BRAVO B., Philologie, histoire, philosophie de l'histoire. Etude sur J.G. Droysen historien de l'antiquité, Wroclaw-Varsovie-Cracovie, 1968 [réimpr. G.Olms Verlag, Hildesheim, 1988].
-- DEVULDER C., Histoire allemande et totalité : Leopold von Ranke, Johann Gustav Droysen, Karl Lamprecht, dans Revue de Synthèse, 108, 1987, p.177-197.
-- MUHLACK U., Johann Gustav Droysen : "Historik" et herméneutique. Schleiermacher, Humboldt, Bckh, Droysen, dans A. LAKS - A. NESCHKE (éds.), La naissance du paradigme herméneutique, Lille, 1990, p.359-380.
Échec des "autonomies minuscules"
Chaque jour démontrait avec plus d'évidence et de clarté que le temps des autonomies minuscules, des ligues partielles avec ou sans hégémonie était passé, qu'on avait besoin d'une organisation politique nouvelle, panhelléniste, et constituée de telle sorte que les notions jusqu'alors confondues d'État et de ville y fussent séparées et que la cité y trouvât sa place à titre de commune au sein de l'État ; d'une constitution modelée sur celle des dèmes attiques, telle qu'on l'avait essayée dans l'ancienne ligue maritime, mais réalisée uniquement en ce qui concernait le pouvoir de l'autorité fédérale, et non en ce qui regarde l'égalité du droit communal appartenant à tous les membres de la confédération. Ce n'est pas tout ; trop de forces, de prétentions, de rivalités s'étaient fait jour en Grèce depuis ce temps, trop de besoins et d'agitations étaient passés en habitude, trop de vie était devenu la condition de la vie pour que les Hellènes, renfermés comme ils l'étaient dans un pays dont la petitesse leur faisait paraître petit tout ce qui était grand et grand tout ce qui était petit, pussent se contenter de ce qu'ils étaient et de ce qu'ils avaient, ou en poursuivre le développement. Il s'était accumulé dans ce pays une quantité d'éléments de fermentation qui eût suffi à bouleverser un monde, de sorte que les Hellènes, attachés au sol natal et à leurs coutumes, ne pouvaient que se déchirer et se dévorer les uns les autres, comme l'engeance née du dragon de Cadmos. Il fallait que quelque crise vînt apaiser leurs turbulentes discordes, ouvrir à leur activité un champ nouveau, plus vaste et plus fécond, enflammer toutes les nobles passions pour de grandes pensées, enfin donner à cette pléthore de vitalité encore énergique de l'air et de la lumière (Histoire de l'hellénisme, I, p.31).
Politique de Démosthène
Personne ne doutera du patriotisme de Démosthène ni de son zèle pour l'honneur et la puissance d'Athènes ; c'est à bon droit qu'on l'admire comme étant le plus grand orateur de tous les temps : mais fut-il également grand comme homme d'État ? fut-il véritablement l'homme de la politique nationale en Grèce ? C'est là une question bien différente. Si, dans cette lutte, la victoire se fût déclarée contre les Macédoniens, quel eût été le sort réservé à la Grèce dans l'avenir ? Une restauration de la puissance attique, telle qu'elle venait d'être brisée pour la seconde fois, était ce qu'on pouvait espérer de mieux, ou bien une puissance fédérative fondée sur l'autonomie de ceux qui en faisaient partie, et qui n'eût osé faire front aux Barbares ni au nord, ni à l'est, pas plus qu'elle n'eût été capable d'attirer à elle et de protéger l'hellénisme qui périssait dans l'ouest ; ou bien encore une domination attique s'étendant sur des territoires soumis, telle qu'était déjà à cette époque la forme mêlée de clérouchies sous laquelle l'Attique possédait Samos, Lemnos, Imbros et Scyros, ou la forme moins rigoureuse sous laquelle Ténédos, Proconnésos, la Chersonèse et Délos lui appartenaient. Plus les Athéniens auraient augmenté leur puissance et plus ils auraient rencontré dans les États rivaux de jalousie haineuse, d'opposition violente ; ils n'auraient fait qu'augmenter le nombre des déchirements et des divisions déjà si profondément ulcérées du monde hellénistique : pour se soutenir, ils auraient appelé à leur secours quiconque aurait pu les aider ; les Perses eux-mêmes, les Barbares de Thrace et d'Illyrie eussent été les bienvenus. Ou bien Athènes voulait-elle seulement écarter les incalculables changements dont la puissance macédonienne menaçait la Grèce, et maintenir les choses telles qu'elle étaient ? Mais elles étaient aussi tristes, aussi honteuses que possible, et la situation devenait plus intenable, plus voisine des explosions à mesure qu'on persévérait plus longtemps dans l'incohérence et l'atrophie d'une existence mesquine dans laquelle le monde hellénique mourait chaque jour en détail. Était-ce au nom de la liberté, de l'autonomie, de la civilisation grecque, de l'honneur national que les patriotes athéniens pouvaient croire ou seulement prétexter qu'ils engageaient la lutte contre Philippe ? Mais aucun de ces biens n'aurait été assuré par la victoire d'Athènes, ni par la restauration de la puissance du peuple athénien sur des confédérés ou sur des contrées soumises, ni par cette démocratie décrépite qui s'usait à entretenir ses sycophantes, ses démagogues et ses mercenaires. L'erreur de Démosthène fait honneur peut-être à son cœur, mais à coup sûr elle en fait peu à son intelligence, car il se trompait lorsqu'il croyait qu'avec cette bourgeoisie d'Athènes devenue bavarde, sans goût pour les armes et vulgaire en ses appétits, il aurait pu s'élever à une haute politique ou mener à bien une guerre longue et difficile, lors même que la force de sa parole l'aurait enthousiasmée pour de brillants projets, lors même qu'il aurait pu la galvaniser pour un instant et la faire agir (I, p.34-35).
Meurtre de Clitos
Telles sont, dans leurs points essentiels, les données fournies par nos sources ; elles ne suffisent pas pour qu'on puisse dire avec certitude de quelle manière arriva ce terrible événement, et moins encore pour qu'il soit possible d'établir, entre le meurtrier [Alexandre] et la victime, la mesure de la culpabilité. Ce fut un acte terrible que celui auquel le roi se laissa entraîner par un accès de colère, mais il faut dire qu'il rencontrait pour la première fois et au complet dans Clitos l'irritation et la rébellion que sa volonté et ses actes avaient fait naître parmi ceux-là même dans la force et la fidélité desquels il devait se confier, le profond abîme qui le séparait de la manière de sentir des Macédoniens et des Hellènes. Il se repentit du meurtre ; il sacrifia aux dieux : les moralistes qui le condamnent négligent de nous dire ce qu'il aurait dû faire de plus (I, p.471).
Signification du mariage d'Alexandre et de Roxane
Deux ans s'étaient écoulés depuis qu'Alexandre était arrivé dans ces contrées et avait commencé une entreprise qui semblait avoir réussi d'autant plus complètement qu'on avait eu à surmonter de plus grandes difficultés. Cette entreprise avait coûté suffisamment de peines, de mesures sanglantes, de combats sans cesse renaissants contre des masses révoltées et contre l'insolente résistance des seigneurs retranchés dans leurs forteresses au milieu des rochers. Maintenant la population était domptée, les seigneurs du pays châtiés, leurs forteresses détruites, et ceux enfin qui s'étaient soumis avaient reçu leur pardon. Un nombre considérable de nouvelles villes donnaient la force, l'appui et l'exemple à la vie hellénistique qui devait transformer même ces régions : on avait fondé une forme de gouvernement qui semblait répondre au tempérament particulier de ces contrées et à leur rôle militaire. Le mariage du roi avec la belle Roxane, la fille d'un de ces Pehlevanes de Sogdiane, fut alors célébré et acheva cette grande œuvre. La première cause de cette alliance peut avoir été l'inclination personnelle, mais ce fut tout autant une mesure de politique et comme un signe extérieur, un symbole de la fusion de l'Asie et de l'Europe, car Alexandre comprenait bien que cette fusion devait être la suite de ses victoires et la condition de la durée de ce qu'il voulait créer ; aussi cherchait-il à l'opérer graduellement dans un rayon de plus en plus étendu (I, p.480-481).
A la frontière de l'Inde, demi-tour d'Alexandre
Ce mouvement de retour qu'Alexandre exécuta sur les bords de l'Hyphase ‒ et qui fut pour lui le commencement de sa décadence, si l'on croit trouver la somme de sa vie et de ses efforts dans la devise de ce monarque de l'Occident moderne qui le premier put se flatter que le soleil ne se couchait pas sur son empire, et dans le nec plus ultra, ‒ ce retour, disons-nous, était une nécessité du point de vue de la tâche historique qu'il avait à remplir ; il était préparé et indiqué d'avance par l'enchaînement de tout ce qu'Alexandre avait fait et fondé jusqu'alors ; et sa signification reste la même, bien qu'on puisse douter si ce furent ses propres desseins ou la force des circonstances qui lui inspira cette résolution. Continuer à marcher vers l'Orient aurait été, pour ainsi dire, abandonner l'Occident ; déjà même arrivaient des provinces de la Perse et de la Syrie des nouvelles qui montraient assez clairement quelle seraient les suites d'une plus longue absence du roi et de l'éloignement à plus grande distance des forces militaires : les désordres de toute sorte, l'oppression envers les sujets, les prétentions des satrapes, les désirs dangereux et les tentatives criminelles des grands de Perse et de Macédoine, qui, pendant qu'Alexandre s'était avancé jusqu'à l'Indus, commençaient à se sentir sans surveillance et sans responsabilité, auraient pu, si la campagne eût été poussée jusque dans les régions de Gange, se multiplier sans obstacle et amener peut-être une dissolution complète de l'empire, qui n'était encore rien moins que solidement fondé. En admettant même qu'Alexandre, grâce à son génie extraordinaire, eût pu, même de l'extrême Orient, tenir d'une main ferme et vigoureuse les rênes du gouvernement, les plus grands succès dans les contrées du Gange eussent été très dangereux pour l'existence de l'empire ; l'immense étendue du bassin de ce fleuve aurait demandé pour les garnisons un nombre démesuré de soldats occidentaux, et enfin aurait rendu impossible un véritable assujettissement et une véritable fusion de ces pays avec l'empire (I, p.559-560).
La civilisation hellénistique, un mélange Orient-Occident
Il y a encore un autre point de vue qui mérite d'être noté ici, c'est le commencement de la fusion des nationalités. Alexandre en faisait à la fois le moyen et le but de son œuvre de colonisation. Dans l'espace de dix années, tout un monde avait été découvert et conquis ; les barrières qui séparaient l'Orient de l'Occident étaient tombées, et les routes qui devaient mettre dorénavant en communication les contrées du levant et du couchant étaient ouvertes. « Comme dans une coupe d'amour, dit un écrivain ancien, étaient mêlés les éléments de toute nationalité ; les peuples buvaient en commun à cette coupe et oubliaient leur vieille inimitié et leur propre impuissance ».
Ce n'est pas ici le lieu d'examiner quels furent les résultats de ce mélange des races ; elles [ils] sont l'objet de l'histoire des siècles suivants : mais on reconnaît déjà dans leur début les tendances qui se développèrent ensuite dans les arts, les sciences, les religions, dans toutes les branches du savoir et du vouloir humains. Ce développement se fit souvent d'une manière assez brutale, et produisit souvent des dégénérescences dans lesquelles le regard de l'histoire, qui embrasse l'ensemble des siècles, peut seul découvrir la poussée latente et puissante du progrès. Pour l'art hellénique, il ne gagna rien à exagérer la grandeur calme des proportions harmoniques pour s'accommoder au goût asiatique, à l'étalage fastueux de masses colossales, à vouloir surpasser l'idéalisme de ses œuvres spontanées par le luxe des matériaux précieux et le plaisir réaliste des yeux. La sombre magnificence des temples égyptiens, les fantastiques constructions du château et des salles de Persépolis, les ruines gigantesques de Babylone, les édifices hindous avec leurs idoles en forme de serpent et leurs éléphants accroupis sous les colonnes, tout cela, mêlé avec les traditions de l'art national, ouvrait sans doute un riche trésor d'idées et de conceptions nouvelles aux artistes helléniques. Mais déjà les imaginations se lançaient dans le monstrueux ; qu'on songe à ce plan gigantesque de Dinocrate, qui consistait à tailler le mont Athos en statue d'Alexandre, dont une main devait porter une ville de dix mille habitants, tandis que l'autre déverserait en puissantes cascades un torrent dans la mer. Il faut dire pourtant que l'art ainsi excité et agrandi s'éleva ensuite, dans les portraits gravés sur les monnaies et dans ceux des penseurs et des poètes exécutés par la statuaire, jusqu'au plus haut degré de vie et de vérité individuelle, et dans les grandes compositions sculpturales, par exemple, dans celles de Pergame, jusqu'à l'expression la plus hardie de la passion la plus mouvementée aussi bien que de la pensée planant sur un large horizon. Mais bientôt survint une décadence rapide, à mesure que ce luxe devenait plus vide et que l'art dégénérait en production industrielle, en main-d'œuvre perfectionnée (I, p.692-693).
Liberté des cités grecques à la fin du IVe siècle ?
Pour savoir ce que la paix de 311 entendait par liberté des États helléniques, il suffit de voir ce qui s'était passé depuis, d'abord dans l'Hellade elle-même. Le mot magique de liberté devait cependant continuer de séduire les esprits et d'enflammer les cœurs ; chacun n'était occupé que de ce qui lui manquait à cette heure, et de ce qu'il croyait avoir possédé autrefois.
Dans un certain sens, ces républiques municipales pouvaient encore être libres ou le redevenir ; mais une véritable indépendance n'était guère possible pour aucune d'elles. Elles étaient entourées de puissances trop supérieures en force ; et, quoique pleines de soldats aguerris et de mercenaires, ces petites républiques étaient trop pauvres pour lever des armées considérables, trop jalouses les unes des autres et trop haineuses pour s'unir par des alliances loyales, leur bourgeoisie trop dégradée pour qu'on pût espérer un état de choses radicalement amélioré. Leur temps était passé ; il eût fallu des formes monarchiques imposantes pour donner de la cohésion à cette vie trop mobile, qui s'usait et se détruisait elle-même ; mais, chaque fois qu'on en avait essayé, elles n'avaient pu prendre racine dans ce monde grec, qui ne connaissait que le particularisme et la vie municipale. Ces mêmes qualités qui rendaient les Grecs si incomparablement aptes à devenir le levain, le ferment qui allait transformer les peuples de l'Asie et les pousser en avant, les rendaient incapables de suivre, dans des États indépendants, le développement de la vie nouvelle ; les types traditionnels de leur organisation sociale, en contradiction avec les théories des hommes politiques, les tendances du temps, les vœux et les idées des particuliers, et même avec les ressources et les moyens de ces petits États, étaient devenus des formes vides et gênantes, quelque chose de paralysé et de paralysant, une fiction mensongère, méprisable et méprisée (II, p.398-399).
Démétrios le Poliorcète et l'unité de l'empire
Telle fut la fin du roi Démétrios : sa vie agitée et aventureuse, telle que l'histoire n'en offre guère de semblable, est, comme l'époque des Diadoques elle-même, une tempête incessante qui finit par s'épuiser elle-même ; elle commence splendide et éblouissante, pour s'éteindre d'une façon répugnante, dans la décomposition et la pourriture. Démétrios personnifie d'une manière frappante la fermentation de cette époque étrange : plus elle tend au repos et à une solution définitive, plus son activité à lui devient incohérente et dépourvue de plan ; son temps est passé dès que l'immense agitation de l'époque des Diadoques commence à s'éclaircir et à se calmer. L'astre le plus éclatant dans cette nuit orageuse qui suivit la mort d'Alexandre perd ses rayons aussitôt que commence à poindre un jour plus paisible ; on peut regarder avec étonnement sa grandeur excentrique, mais sa chute elle-même ne peut éveiller en nous de sympathie plus intime. Ce qui lui donne une physionomie originale dans l'histoire, c'est qu'il s'attache à l'idée, au fantôme de l'unité du grand empire d'Alexandre, alors que les éléments qu'il contient travaillent à le décomposer complètement ; c'est qu'il prend constamment cette idée pour le prétexte d'entreprises toujours nouvelles, plus fantastiques les unes que les autres ; c'est que lui, élevé dans l'Orient, devenu lui-même un despote oriental, il cherche à la réaliser à la tête des Hellènes et des Macédoniens. Il a méconnu l'élément positif de cette époque, la semence jetée par Alexandre, semence qui a levé durant une lutte de cinquante ans et qui déjà était en pleine croissance. C'est le caractère des évolutions historiques, que, pendant qu'on bataille pour une foule d'autres questions, elles suivent tranquillement et sûrement leur cours ; celui-là seul qui les comprend et les aide de son concours fonde quelque chose de durable. Ainsi, après la mort d'Alexandre, la lutte pour l'unité de l'empire semble absorber toutes les forces et dicter la conduite des partis ; mais, ce qui est durable, c'est le principe de l'hellénisme, qui, lorsque la fureur des combattants s'est apaisée, se montre réalisé et assuré pour des siècles. C'est dans l'intérêt de ce principe que la reconstitution de l'unité du grand empire occidento-oriental devait se montrer impossible, afin que la fusion de l'élément occidental avec les différents éléments des races orientales pût se réaliser sous la forme d'autant d'organismes hellénistiques : c'est ce principe qui rend la domination du Lagide si inébranlable et si grandiose ; c'est lui qui fait la puissance de Séleucos (II, p.600-601).
Pauvreté de la documentation
On ne saurait rappeler trop souvent à quel point les renseignements que nous fournissent nos sources sont incomplets. Les tentatives que l'on fait pour relier les points disséminés par des lignes d'ensemble ne peuvent être qu'absolument hypothétiques ; elles ne servent qu'à indiquer les trous noirs qui dérobent à nos yeux le lien jadis réel des événements, de telle façon qu'on se rend compte tout au moins des lacunes de la tradition et que l'on mesure à peu près, dans les limites du possible, l'espace qu'occupaient ces faits disparus. Il arrive que les renseignements, presque toujours sommaires et souvent fortuits, dont nous disposons présentent le peu qu'ils donnent tout arrangé, et même d'une façon pragmatique et raisonnée, comme si les faits se suivaient sans discontinuité ; c'est une difficulté de plus pour la critique historique, à moins qu'elle ne partage la robuste confiance de ceux qui s'imaginent avoir dans ces textes juxtaposés l'histoire, toute l'histoire de cette époque (III, p.444).
Éclat de la civilisation hellénistique
Il faut réserver pour un récit ultérieur l'exposé continu et complet de la littérature et de la science de cette époque. Mais il est nécessaire d'indiquer dès à présent les progrès faits dans cet ordre d'idées. L'histoire politique de ces États, telle qu'elle est arrivée jusqu'à nous, se trouve dispersée en un nombre infini de fragments, et, bien loin de nous fournir un tableau complet et lumineux, elle pourrait peut-être nous faire supposer qu'au milieu de ces luttes désordonnées et incessantes, toute autre activité, toute autre aptitude humaine a dû disparaître sans laisser de traces. Et pourtant, que de grandeur et d'étendue a montré, que de résultats nouveaux et à jamais remarquables a obtenu l'activité scientifique de cette époque ! Que ses rapports avec les idées et les convictions des contemporains ont été rapides et profonds ! On les reconnaît et on en suit la trace dans toutes les directions, jusque dans le commerce banal de tous les jours et dans les opinions de la foule. On peut même dire, d'une manière générale, que les goûts intellectuels n'avaient jamais été aussi répandus auparavant, qu'ils n'avaient jamais été si vivants, de si haute importance pour tous et pour chacun ; ils sont devenus le patrimoine commun du monde hellénique tout entier. Ils semblent même gagner en vitalité, en intensité à mesure que la lutte des peuples devient plus ardente, que la politique et ses résultats ont moins de stabilité et de certitude. Qu'on n'oublie pas, en jetant sur cette époque un coup d'œil d'ensemble, ses côtés brillants ; ne voyons pas seulement les sombres images de guerres entre frères, de villes détruites, de sanglantes tyrannies, de cours corrompues ; voyons aussi l'éclat d'innombrables villes florissantes, la magnificence des œuvres les plus diverses de l'art, les mille jouissances nouvelles dont se pare et s'enrichit la vie, et parmi elles ces aspirations plus nobles qu'une littérature aussi élégante que variée, pleine de sève et d'énergie vivifiante, cherche à satisfaire. Tout cela se répand dans les vastes territoires qu'embrasse l'hellénisme et les unit entre eux (III, p.599-600)
"Le travail décisif de l'antiquité en train d'accomplir sa destinée"
Voilà la première fois que nous avons l'occasion de mentionner la doctrine de Jéhovah dans ses rapports avec le développement de l'hellénisme ; c'est là le moment où elle intervient dans l'histoire du monde avec toute l'énergie de sa valeur intrinsèque. Depuis un temps immémorial, elle s'est bornée à un étroit espace ; elle s'est isolée au milieu des religions des peuples païens, seule formant centre, grâce à la conception puissante qu'elle s'est faite de la Divinité, par opposition à la multitude inquiète de celles qui occupent la périphérie et qui embrassaient naguère du regard le monde entier. Ce qui est pour les autres religions le résultat de leur développement, ce qui, précisément pour cette raison, commence à tourner d'une façon toute différente, la religion de Jéhovah le possède directement ; c'est là son point de départ. Ce qui, au contraire, fait la force et constitue le droit des autres religions, elle ne l'a pas ou le condamne, sans pouvoir se faire écouter, comme une décadence, comme une sorte d'abâtardissement. Alors enfin s'engage, front contre front, la lutte provoquée par cet antagonisme, le plus profond qu'il y ait dans l'histoire ancienne. C'est maintenant que commence le dernier travail, le travail décisif de l'antiquité en train d'accomplir sa destinée. Sa carrière s'achève, « quand le temps fut accompli », dans l'apparition du Dieu fait homme, dans la doctrine de l'Alliance nouvelle, au sein de laquelle allait s'aplanir ce dernier contraste, le plus profond de tous; au sein de laquelle Juifs et païens, les peuples du monde entier, à bout d'énergie ethnique et épuisés à en mourir, allaient enfin, conformément aux promesses des prophètes, aux pressentiments des sages, aux appels de plus en plus pressants des sibylles, organes des Gentils, trouver la consolation, le repos et, en échange de la patrie perdue ici-bas, une patrie plus haute, toute spirituelle, celle du royaume de Dieu (III, p.614-615).
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