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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


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Historiographie du XVe au XVIIIe siècle

 

Richard Simon (1638-1712)


Texte :

-- *Histoire critique du Vieux Testament, Paris, 1680.

-- Histoire critique du Vieux Testament suivi de Lettre sur l'inspiration, Nouv. éd. P. Gibert, Paris, 2008.

-- Histoire critique du texte du Nouveau Testament, où l'on établit la vérité des actes sur lesquels la Religion chrétienne est fondée, Rotterdam, 1689.

Études :

-- AUVRAY P., Richard Simon (1638-1712). Étude bio-bibliographique avec des textes inédits, Paris, 1974.

-- FLEYFEL A., Richard Simon, critique de la sacralité biblique, dans Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 88, 2008, p.469-492.

-- LE BRUN J., Sens et portée du retour aux origines dans l'oeuvre de Richard Simon, dans XVIIe Siècle, 131, 1981, p.185-198.

-- STEINMANN J., Richard Simon et les origines de la critique biblique, s.l., 1960.

-- WOODBRIDGE J.D., Richard Simon le "père de la critique biblique", dans Armogathe J.-R. (dir.), Le Grand Siècle et la Bible, Paris, 1989, p.193-206.


Valeur de la tradition

Lorsque ces Evesques se sont assemblés dans les Conciles pour declarer la creance de l'Eglise, ils y ont chacun apporté une declaration de ce qu'on croit dans leur Eglise, de sorte que cette creance receüe dans les premieres Eglises a servi ensuite comme de regle pour expliquer les passages obscurs de l'Ecriture. C'est pourquoy les Peres du Concile de Trente ont ordonné sagement qu'on n'interpreteroit point l'Ecriture sainte contre le sens uniforme des Peres, & de plus ce mesme Concile a donné autant d'autorité aux veritables traditions non écrites qu'à la veritable parole de Dieu qui est contenüe dans les livres sacrés, parce qu'il a supposé à mesme temps que ces Traditions non écrites venoient de nostre Seigneur qui les a communiquées à ses Apostres, & qu'en suite elles sont parvenües jusqu'à nous.

On peut appeller ces traditions un abregé de la religion Chrestienne, qui a été fondée dés le commencement du Christianisme dans les premieres Eglises independemment de l'Ecriture sainte. C'est sur cet ancien abregé de la Religion Chrestienne qu'on doit expliquer les difficultés de l'Ecriture, comme les Protestans mesmes & entre autres Illyricus & Du-Plessis en demeurent d'accord (Histoire critique du Vieux Testament, Préface, p. **3).

 

Qui a composé le Pentateuque ?

Il est donc fort vray-semblabe, qu'il y a eu dés les temps de Moïse, de ces sortes de Prophetes, qui estoient necessaires à l'estat pour recueillir les actes de ce qui se passoit dans la Republique. Cela estant supposé nous distinguerons dans les cinq livres de la Loy, ce qui a esté écrit par Moïse, d'avec ce qui a esté écrit par ces Prophetes ou Ecrivains publics. On attribuera à Moïse les commandemens et ordonnances qu'il donna au peuple, au-lieu qu'on pourra faire Auteurs de la plus grande partie de l'Histoire ces mesmes Ecrivains publics. Moïse en qualité de Legislateur a écrit tout ce qui appartenoit aux ordonnances, & il aura laissé aux scribes ou Prophetes le soin de recueillir les actes de ce qui se passoit de plus important, afin de le conserver pour la posterité, aussi voyons nous que les mots de Scribes & de Prophetes sont Synonimes dans la Paraphrase Chaldaïque.

La maniere dont l'Histoire qui est contenuë dans le Pentateuque est composée, semble insinuer cette verité, parceque la plus part des faits y sont rapportés d'une façon à faire croire qu'une autre personne que Moïse a mis par ordre ces annales. Je ne m'arreterai pas icy aux preuves que quelques uns ont produites pour montrer que Moïse n'a point esté l'Auteur du Pentateuque, parcequ'il n'auroit pas parlé de luy, disent ils, en troisiéme personne, ni rapporté ses loüanges ; je ne m'arreteray pas, dis-je, à ces preuves, d'autant que cela est commun à d'autres Autheurs. Cesar parle de luy-mesme en troisiéme personne dans ses commentaires. Joseph fait aussi la mesme chose dans son Histoire de la Guerre des Juifs contre les Romains, & de plus il y fait son éloge. Mais si l'on considere avec tant soit peu d'application tout le corps du Pentateuque, on y pourra remarquer cette distinction d'écrivains dont je viens de parler. Ce qui paroistra encore d'avantage dans la suite de ce discours, où je fais voir évidemment la fausseté des raisons dont les Juifs se servent pour prouver que Moïse est l'Auteur de toute la Loy (Histoire critique du Vieux Testament, p.18-19).

 

L'hébreu, première langue parlée au monde ?

Aprés avoir parlé des premiers Characteres Hebreux, nous traiterons maintenant de la Langue dans laquelle le Texte de la Bible est écrit, d'où elle tire son Origine, & si Adam a parlé cette Langue. L'opinion la plus commune & la plus approuvée des anciens Peres, & qui est mesme confirmée par plusieurs Rabbins est que cette Langue a esté nommée Hebraïque, d'un mot Hébreu qui signifie de de-là, c'est à dire, de de-là l'Eufrate, comme si ce nom marquoit seulement ceux qui avoient passé ce fleuve. La Version Grecque des Septante favorise cette interpretation. Il est cependant beaucoup plus probable, que la Langue Hebraïque a esté ainsi appellée de Heber, d'où l'on a formé Hibri, de la mesme maniere que d'Israël on a fait Israëli, d'Ismaël Ismaëli...

Il y a beaucoup plus de difficulté à sçavoir, si cette Langue Hebraïque ou plûtost Phenicienne est la premiere de toutes les Langues ; les opinions sont assez partagées sur ce sujet. Les Juifs pretendent que l'Hebreu est la premiere Langue du Monde, & en donnent plusieurs raisons ; les Syriens au contraire donnent ce privilege à la Langue Chaldaïque ou Syriaque, & ils le prouvent de ce que non seulement leur Langue semble estre la plus naturelle de toutes, mais aussi parce qu'Abraham estoit Chaldéen, & que dans la Genese Laban parle Chaldéen ou Syriaque. D'autre part les Arabes assurent aussi que l'Arabe est avant toutes les autres Langues, & de plus les Cophtes, les Ethiopiens, les Armeniens & quelqes autres Nations disputent pour leurs Langues, mesme parmi ceux de l'Europe. Quelques Auteurs & entre autres Grotius, ont pretendu que cette premiere Langue ne subsistoit plus, & veulent que Moïse ait changé les anciens noms, dont l'Etymologie est marquée dans ses Livres, en des noms Hebreux: Mais l'opinion la plus receüe parmi les Chrestiens est celle des Juifs, qui assurent que l'Hebreu est la Langue d'Adam, que cette Langue estant plus simple que le Chaldéen ou Syriaque, l'Arabe & les autres qui sont les dialectes de l'Hebreu, elle est pour cette raison plus ancienne. A quoy l'on peut répondre que la simplicité n'est pas toujours une preuve evidente de son Antiquité, & que souvent on abrége les Dialectes d'une Langue, comme il est arrivé dans les differentes Dialectes de la Langue Italienne, dont les mots sont bien plus abregés dans les lieux où l'on la parle mal que dans le pur Toscan. Il y a par exemple des Italiens qui prononcent Pan, & d'autres Pa, au-lieu de Pane, l'on ne dira pas pour cela que Pan & Pa soient plus anciens que Pane, mais qu'ils en ont esté abregés. On peut dire mesme que la diction Syriaque paroît plus simple & plus naturelle que celle des Hebreux. L'Hebreu de la Bible a aussi des façons de parler moins simples & moins naturelles que l'Arabe, d'où l'on prouverait que l'Arabe est plus ancien que l'Hebreu. Toutes ces preuves ne sont donc que des conjectures dont on ne peut rien conclure de vray si l'on dit que les noms d'Adam, d'Eve & de Seth, & plusieurs autres sont Hebreux, les Arabes & les Syriens pourront aussi dire qu'ils ont esté pris de leurs Langues (Histoire critique du Vieux Testament, p.92-93).

 

Authenticité de la Vulgate

Il semble qu'il soit inutile d'examiner presentement les Questions qui regardent l'authorité de la Version que nous appellons Vulgate, aprés un si grand nombre de sçavans Theologiens qui ont traité à fonds cette matiere. J'ose dire cependant qu'il y a tres-peu de personnes qui ayent compris entierement la pensée du Concile de Trente, lorsqu'il a prononcé que cette ancienne Traduction Latine estoit authentique. Je ne m'arresteray pas à rapporter les differentes opinions des Docteurs, soit Catholiques ou Protestans, sur ce sujet, parce qu'on les peut voir dans les autres Livres; & de plus ma methode n'est pas tant de remarquer ce qui a déja esté dit par les autres, que de rapporter en peu de mots ce que je juge estre le plus vray sur chaque matiere. La plus-part de ceux qui ont agité cette Question, ne l'ont presque point entenduë, & ils ont fait paroistre plus de zele & de passion, que de bon sens et de jugement, periit Judicium, postquam res transit in affectum. En effet pouquoy les Juifs n'estiment-ils point d'autres Exemplaires de la Bible, que le Texte Hebreu, si ce n'est parce que ces Livres se lisent dans leurs Synagogues, & qu'ils entendent la Langue Hebraïque ? Pourquoy l'Eglise a-t-elle eu tant de respect dans les premiers Siecles pour la Version des Septante, si ce n'est parce qu'elle a esté long-temps sans en connoistre d'autre ? D'où vient aussi que dans l'Eglise d'Occident on prefére communement la Version Latine ou Vulgate à la Version Grecque des Septante, & à l'Hebreu des Juifs, si ce n'est parce que cette Traduction Latine y est en usage, & que la plus-part des Theologiens ignorent les Langues Grecque et Hebraïque ? Si nous examinons donc sans aucuns préjugez l'Authorité de l'Ecriture, & mesme sans prendre le party ny des Juifs, ny de la plus-part des Chrestiens, soit Catholiques, soit Protestans, nous ferons justice à tous, en declarant que le Texte Hebreu de la Bible est veritablement Authentique, & que toutes les Versions de l'Ecriture qui ont esté faites de bonne foy sur les Originaux, soit qu'elles soient écrites en Grec, ou en Latin, & qu'elles soient nouvelles ou anciennes, sont aussi Authentiques à leur maniere, de sorte que cette question qu'on examine d'ordinaire avec tant de chaleur, si la Vulgate est seule Authentique, & la veritable Ecriture, me paroist assez inutile (Histoire critique du Vieux Testament, p.296-297).

 

Difficulté de traduire la Bible

Si je ne craignois d'estre ennuyeux par un trop-long détail de passages de l'Ecriture, je traitterois de chaque Livre de la Bible en particulier, & montrerois en mesme temps combien il est difficile d'en faire une bonne Traduction. Mais ce que j'ay avancé jusqu'à present sur ce sujet, prouve évidemment que les Protestans n'ont pas lieu de se vanter que la parole de Dieu contenuë dans l'Ecriture, est claire et nullement embarrassée. En quoy ils font bien voir leur ignorance ou plustost leur peu d'application aux difficultez qui se rencontrent dans chaque livre de la Bible. Ils n'ont pas pris garde que mesme les plus Sçavans Juifs doutent presque par tout de la signification propre des mots Hebreux, & que les Dictionnaires qu'ils ont composez de la Langue Hebraïque ne contiennent le plus souvent que des conjectures incertaines.

Ils estoient dans ce mesme sentiment dés le temps de Saint Jerôme qui n'a point fait de difficulté d'assurer avec eux, que la plus-part des mots Hebreux estoient Equivoques ; & ce qui paroîtra tout-à-fait surprenant, c'est que Luther aprés avoir abandonné les Peres, les Conciles, & en un mot tout ce qui peut etablir une veritable Tradition dans l'Eglise, pour s'arrêter seulement aux Livres de l'Ecriture, a reconnu en mesme temps que la Langue dans laquelle ces Livres ont esté composez a esté entierement perduë, & qu'il y a peu de mots dans cette Langue qui ne soient Equivoques & qui ne puissent estre interpretez de differentes manieres. Mais c'est assez parlé de la difficulté qu'il y a à bien traduire les Livres Sacrez; passons maintenant aux Autheurs qui les ont expliquez ou par des Notes ou par des Commentaires (Histoire critique du Vieux Testament, p.415).

 

Erreur des Protestants

On s'est un peu étendu sur ces reflexions de St. Augustin & des autres Peres qui l'ont precedé, parce qu'elles établissent fortement la verité des Livres du Nouveau Testament, sans avoir recours à je ne sçais quel esprit particulier qui est de l'invention de ces derniers temps. On ne peut rien imaginer qui soit plus opposé au bon sens que ces paroles de la Confession de foy de ceux qui prenoient cy-devant le nom de Reformés des Eglises de France: Nous reconnaissons ces Livres (parlant de toute l'Ecriture) estre Canoniques, non tant par le commun accord & consentement de l'Eglise, que par le témoignage & interieure persuasion du Saint Esprit. Les Peres cependant ont tous combattu les anciens Heretiques qui refusoient de reconnoître ces Livres pour Canoniques, par le commun accord & consentement de l'Eglise. C'eust été une plaisante maniere de raisonner, si chacun dans ces premiers temps du Christianisme n'avoit voulu reconnoître pour Livres Divins, que ceux que son esprit particulier luy auroit fait connoître estre tels. Ce qui a paru une si grande extravagance aux Sectaires des Pays-Bas, qu'on nomme Remonstrans, qu'ils regardent les Calvinistes qui suivent ce principe, comme des gens qui ont renoncé au sens commun. Simon Episcopius, qui a été un des Chefs de ce party, après avoir traité cette question avec beaucoup de subtilité, conclut que c'est très-mal raisonner, d'admettre outre le témoignage de l'Eglise, un autre témoignage interieur du Saint-Esprit, pour connoître que de certains Livres ont une autorité divine. Hinc patet, dit ce Protestant, ineptos esse eos, qui vel praeter vel citra testimonium Ecclesiæ requiri ajunt internum Spiritus Sancti testimonium, ad hoc ut libros hos divinos esse, & autoritatem divinam habere intelligamus. Il suffit, selon les Remonstrans, que nous ayons là-dessus le témoignage de l'Eglise Primitive, qui a sçû certainement que ces Livres ont été écrits par des Apôtres, ou approuvés par eux; & que ce témoignage soit venu jusques à nous par une tradition constante. Cet esprit qui est répandu dans toute l'Eglise doit sans doute estre preferé à l'esprit particulier, qui ne peut servir qu'à la diviser. C'est ce que Grotius a remarqué judicieusement. Spiritus ille privatus, dit ce Critique, spiritus Ecclesiae divisor (Histoire critique du Nouveau Testament, p.11-12).

 

Lettre de Jésus-Christ au roi Agbar

La Lettre de Jesus-Christ à Agbar Roy d'Edesse ne paroît pas si éloignée de la verité [que les pratiques magiques attribuées à Jésus], parce qu'Eusebe qui la rapporte avec la Lettre de ce Prince à Jesus, assûre qu'il a tiré ces deux pieces des Archives d'Edesse, qui contenoient les Actes de ce qui s'étoit passé sous le regne d'Agbar, & qu'elles s'y conservoient encore de son temps écrites en Syriaque, qui étoit la langue du pays, d'où on les avoit traduites en Grec. Neanmoins le Pape Gelase a eu raison de rejetter comme apocryphe cette Lettre de Nôtre Seigneur à Agbar: Epistola Jesu ad Agbarum apocrypha. Je veux croire que ces Lettres ont été trouvées en effet dans les Archives de la ville d'Edesse: mais il ne faut pas ajoûter foy avec trop de facilité aux premieres origines des Eglises. Chacune éleve son antiquité le plus qu'il luy est possible, & l'on ne fait même aucun scrupule en ces occasions de supposer des Actes, lors qu'on n'en a pas de vrais.

Eusebe paroît beaucoup plus judicieux, lors qu'il rejette, comme des contes faits à plaisir, de certaines paraboles & predications que Papias attribuoit à Jesus-Christ, & qu'il assûroit avoir entendu dire à ceux mêmes qui les avoient apprises des Apôtres. On doit donc tenir pour un fait constant, que Jesus-Christ n'a rien écrit, & que nous n'avons rien de luy que ce que nous en avons appris de ses Apôtres (Histoire critique du Nouveau Testament, p.23-24).

 

Le talent littéraire de St Paul

Je sçay que St Augustin a composé un chapitre exprès dans ses Livres de la Doctrine Chrêtienne, pour montrer qu'il y avoit une veritable éloquence dans l'Ecriture Sainte, principalement dans les Ecrits de Saint Paul, où il trouve une parfaite sagesse accompagnée d'une grande éloquence. Mais comme ce Pere n'entendoit pas la langue Grecque, nous devons preferer là-dessus le sentiment des Peres Grecs au sien. Il semble neanmoins qu'il ne parle en cet endroit que d'une certaine éloquence qu'il appelle sagesse, & qu'il fait plûtost consister dans les choses que dans les expressions. Si Saint Paul a été éloquent à cause de certaines figures que Saint Augustin a observées dans son stile, il n'y aura presque aucun Auteur qui ne puisse passer sur ce pied-là pour éloquent. Il y a à la verité de la force dans le discours de cet Apôtre. Il a des pensées très-élevées & une parfaite connaissance de la Religion : mais tout cela ne s'appelle point éloquence selon l'idée ordinaire qu'on a de ce mot. Il avoüe luy-même écrivant aux Corinthiens qui luy reprochaient de n'avoir aucune politesse, qu'il est grossier, & nullement instruit dans l'art de parler (Histoire critique du Nouveau Testament, p.312-313).


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Les commentaires éventuels peuvent être envoyés à Jean-Marie Hannick.

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