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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


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Historiographie médiévale

 

Thomas Basin (1412-1490)


Éditions :

Histoire de Charles VII, éd., trad. Ch. SAMARAN, 2 vol., Paris, 1933-1944 (Les classiques de l'histoire de France au Moyen Age, 15, 21).

Histoire de Louis XI, éd., trad. Ch. SAMARAN - M.-C. GARAND, 3 vol., Paris, 1963-1972 (Les classiques de l'histoire de France au Moyen Age, 26, 29, 30).

Apologie ou Plaidoyer pour moi-même, éd., trad. Ch. SAMARAN - G. de GROER, Paris, 1974 (Les classiques de l'histoire de France au Moyen Age, 31).

Études :

 GUENÉE B., Entre l'Église et l'État. Quatre vies de prélats français à la fin du Moyen Age, Paris, 1987 [IV, p.301-435 : Thomas Basin (1412-1490)].

SPENCER M., Thomas Basin (1412-1490), The History of Charles VII and Louis XI, Nieuwkoop, 1997.


Préface à l'histoire des événements survenus sous Charles VII et Louis XI, rois de France

Ils n'ont pas rendu, on le sait, un mince service au progrès de la vie et des mœurs des hommes, ceux qui ont pris soin d'écrire et de transmettre à la postérité, sous forme de récits véridiques, l'histoire du passé et surtout la vie des personnages illustres. Plus tard, en effet, il est loisible aux lecteurs d'user de ces récits comme d'un miroir moral et d'en retirer beaucoup d'enseignements, soit qu'ils apprennent à imiter les actions qu'ils ont reconnues pour honnêtes et vertueuses, soit, au contraire, à blâmer, à réprouver et à fuir les injustices, les lâchetés, les hontes et les turpitudes ; à aimer, enfin, ce qui a permis à leurs prédécesseurs de plaire à Dieu et d'être heureux, ou, par contre, à éviter avec prudence et sagesse ce qui les a fait tomber dans l'abîme des vices et des malheurs. Mais nombreux sont ceux qui sont portés à composer de tels récits plutôt dans l'espoir d'un gain ou pour se concilier par la flatterie la faveur du vulgaire ignorant, des rois ou des princes, que dans l'ardent désir de proclamer et de mettre en lumière la vérité. Par leurs mensonges, soit qu'ils aient, pour de tels motifs, porté aux nues à grand renfort de louanges des actions peu vertueuses et peu louables, soit qu'ils aient passé sous silence ou caché sous le brouillard des excuses supposées et mensongères les iniquités, les fraudes et les lâchetés, ils ont corrompu la vérité de l'histoire et n'ont pas rempli leur devoir d'écrivain.

De peur que, dans l'avenir, les écrits de tels adulateurs, vains et menteurs, dont quelques-uns peut-être se sont employés à écrire des choses sur lesquelles nous avons pu nous-mêmes découvrir la vérité, ne circonviennent et ne trompent leurs lecteurs en donnant le faux pour vrai, il nous a paru bon de consigner par écrit, pour l'édification et l'instruction de ceux qui viendront après nous, les événements qui se sont passés sous deux rois de France nos contemporains, événements dont nous avons été en grande partie le témoin oculaire ou que nous avons connus par des auteurs à l'abri de tout soupçon.

Ainsi, Dieu aidant, nous espérons que nos loisirs consacrés aux lettres seront de quelque utilité aux lecteurs attentifs et leur apporteront quelque chose qui, sans injustice, puisse être comparé ou même préféré aux laborieux travaux de bien des gens. Car on verra clairement combien les choses humaines sont bâties sur le sable et combien, si l'on place son espoir en elles, on se trouve aisément déçu et trompé. Pour peu que les hommes aient de sagesse, ils doivent par là être conduits à mettre tout leur espoir et tout leur amour dans le seul vrai, souverain et éternel bien.

Cela dit, abordons notre récit (Histoire de Charles VII, pp.3-5).

 

Discours de roi d'Angleterre avant la bataille d'Azincourt (1415)

Le jour approchant où on allait en venir aux mains, les troupes des deux partis furent rangées en bataille et le roi d'Angleterre parla à son armée en ces termes, avant le combat :

« Le moment est venu, ô mes bons et valeureux compagnons d'armes, où il va vous falloir lutter non pour l'honneur et la gloire de votre nom, mais pour votre existence même. Nous qui connaissons la présomption et l'état d'esprit des Français, nous avons la certitude que si, par lâcheté ou par crainte, vous vous laissez battre par eux, ils ne feront quartier à aucun d'entre vous ; tous tant que vous êtes, roturiers ou nobles, ils vous égorgeront comme des moutons. Moi et les princes de mon sang nous ne redoutons nullement pareille aventure, parce que, s'ils triomphaient de nous, ils auraient l'espoir de gagner de grandes sommes, et auraient donc soin de nous conserver, bien plutôt que de nous détruire. Quant à vous, si vous voulez éviter pareil danger, chassez toute crainte de votre âme et n'espérez pas que les ennemis vous gardent pour vous permettre de racheter votre vie par de l'argent, car ils vous haïssent toujours d'une haine aussi ancienne que vigoureuse. C'est pourquoi, s'il est plus doux de vivre que de mourir, souvenez-vous, comme des hommes forts, de votre noblesse et de la gloire gagnée par les Anglais sur les champs de bataille et combattez en hommes, vaillamment et courageusement, pour le salut de vos âmes.»

Ces paroles du roi accrurent merveilleusement l'audace des Anglais ; ils avaient compris qu'ils ne pouvaient compter sur leur salut que si, combattant sans faiblir, ils remportaient la victoire (Histoire de Charles VII, pp.41-43).

 

Causes de la défaite d'Azincourt (1415)

Jour néfaste pour la noblesse et pour le royaume de France. Il entraîna la perte d'une bonne partie de ceux qui pouvaient défendre le pays contre ses ennemis et fut cause d'une grande ruine, comme nous le montrerons tout au long dans les pages qui suivent.

Ce malheureux combat eut lieu près de Hesdin, sur le territoire de deux villages nommés l'un Azincourt et l'autre Ruisseauville, l'an du Seigneur 1415, le jour des saints martyrs Crépin et Crépinien. Un an s'était écoulé depuis le jour où les Français avaient mis à sac la ville de Soissons et pillé, entre autres actes sacrilèges, le vénérable monastère placé sous l'invocation de ces bienheureux martyrs. Aussi crut-on que ce malheur était une punition divine infligée aux Français pour les impiétés et les cruautés qu'ils avaient commises, soit en de multiples occasions, soit plutôt dans la destruction et le pillage de cette ville. Chacun est libre d'en penser ce qu'il veut ; pour nous, nous contentant de raconter véridiquement les faits, nous laissons à de plus audacieux la tâche de discuter les œuvres impénétrables de la divinité.

A ce combat, le duc de Bretagne, Jean, bien qu'il eût été appelé, n'assista pas. Etant venu à Amiens avec un grand nombre de ses Bretons, communément estimés à dix mille hommes, il aima mieux attendre là l'issue de la guerre, plutôt que de s'exposer de trop près aux dangers. La bataille terminée, il reprit le chemin de son duché, sans même avoir vu les ennemis, mais non sans quelque dommage pour les localités où il passait (Histoire de Charles VII, pp.45-47).

 

Désolation des campagnes françaises au début du XVe siècle

Donc, après la mort de son père, comme il a été dit au livre précédent, Charles VII succéda au royaume de France, l'an 1422, à l'âge de vingt-deux ans environ. Et de son temps ledit royaume, par l'effet soit des guerres continuelles, intérieures et extérieures, soit de la nonchalance et paresse de ceux qui administraient ou commandaient sous ses ordres, soit du manque d'ordre et de discipline militaires, soit de la rapacité et du relâchement des hommes d'armes, parvint à un état de dévastation telle que, depuis la Loire jusqu'à la Seine, et de là jusqu'à la Somme, les paysans ayant été tués ou mis en fuite, presque tous les champs restèrent longtemps, durant des années, non seulement sans culture, mais sans hommes en mesure de les cultiver, sauf quelques rares coins de terre, où le peu qui pouvait être cultivé loin des villes, places ou châteaux ne pouvait être étendu, à cause des fréquentes incursions des pillards.

Pourtant, en Bessin et Cotentin, la basse Normandie qui, placée sous la domination des Anglais, se trouvait assez loin de la ligne de défense de leurs adversaires, moins facilement et moins souvent exposée aux incursions des pillards, resta un peu mieux cultivée et peuplée, bien que souvent accablée de grandes misères, comme il apparaîtra plus clairement dans la suite.

Nous-même nous avons vu les vastes plaines de la Champagne, de la Beauce, de la Brie, du Gâtinais, du pays de Chartres, du pays de Dreux, du Maine et du Perche, du Vexin, tant français que normand, du Beauvaisis, du pays de Caux, depuis la Seine jusque vers Amiens et Abbeville, du pays de Senlis, du Soissonnais et du Valois jusqu'à Laon, et au delà du côté du Hainaut, absolument désertes, incultes, abandonnées, vides d'habitants, couvertes de broussailles et de ronces, ou bien, dans la plupart des régions qui produisent les arbres les plus drus, ceux-ci pousser en épaisses forêts. Et, en beaucoup d'endroits, on put craindre que les traces de cette dévastation ne durassent et ne restassent longtemps visibles, si la divine providence ne veillait pas de son mieux aux choses de ce monde.

Tout ce qu'on pouvait cultiver en ce temps-là dans ces parages, c'était seulement autour et à l'intérieur des villes, places ou châteaux, assez près pour que, du haut de la tour ou de l'échauguette, l'œil du guetteur pût apercevoir les brigands en train de courir sus. Alors, à son de cloche ou de trompe ou de tout autre instrument, il donnait à tous ceux qui travaillaient aux champs ou aux vignes le signal de se replier sur le point fortifié.

C'était là chose commune et fréquente presque partout ; à ce point que les bœufs et les chevaux de labour, une fois détachés de la charrue, quand ils entendaient le signal du guetteur, aussitôt et sans guides, instruits par une longue habitude, regagnaient au galop, affolés, le refuge où ils se savaient en sûreté. Brebis et porcs avaient pris la même habitude. Mais comme dans lesdites provinces, pour l'étendue du territoire, rares sont les villes et les lieux fortifiés, comme, en outre, plusieurs d'entre eux avaient été brûlés, démolis, pillés par l'ennemi ou qu'ils étaient vides d'habitants, ce peu de terre cultivée comme en cachette autour des forteresses paraissait bien peu de chose et même presque rien, eu égard aux vastes étendues de champs qui restaient complètement déserts, sans personne qui pût les mettre en culture (Histoire de Charles VII, pp.85-89).

 

Désorganisation de l'armée française

Quoi qu'il en soit, la guerre étant assoupie entre Français et Bourguignons, il ne restait plus aux Français qu'à tourner leurs armes contre les Anglais. Ils auraient pu sans nul doute l'emporter aisément sur eux et les chasser de tout le royaume s'ils avaient introduit dans leur armée ordre et discipline, comme ils le firent par la suite, au bout de huit ou neuf ans écoulés. Mais à la vérité l'armée française n'observait aucun ordre, aucune hiérarchie, aucune discipline conformes aux règles et aux principes de l'art militaire ; elle ne comptait point d'effectifs réguliers et ne touchait pas de solde régulière. Des groupes, sous la conduite de chefs qu'ils désignaient eux-mêmes, parcouraient presque toutes les régions et provinces françaises, faisant main basse sur tout ce qui leur plaisait, pillant et mettant à sac les villages et les places fortes qui ne pouvaient se garantir de leur choc, et ne s'abstenaient d'aucune sorte de violences. Il s'ensuivit que le royaume fut grandement dévasté et désolé en beaucoup de ses parties.

La principale préoccupation de ces bandes était de ravager les terres qui se trouvaient au pouvoir des Anglais, et c'était chez elles une façon de parler rebattue et comme passée en proverbe que « mieux vaut terre gâtée que terre perdue », qualifiant de perdue celle que les ennemis occupaient, aussi longtemps qu'ils la tiendraient en leur puissance. Mais comme, de leur côté, les Anglais, surtout après la mort du duc de Bedford, n'agissaient pas autrement dans les terres qui leur obéissaient pour ce qui est des pillages, rapines et massacres, opprimant terriblement les habitants des campagnes, ils se firent merveilleusement haïr des gens du pays (Histoire de Charles VII, pp.195-197).

 

Condamnation des armées de mercenaires

Depuis des temps immémoriaux, le royaume de France nourrit avec une merveilleuse abondance une armée permanente et ordinaire : c'est la noblesse du royaume ; chaque fois qu'il le voudrait, le roi tirerait de cette noblesse une armée de plus de 50.000 cavaliers, sans compter les gens de pied, en nombre incommensurable, qu'il pourrait lever en cas de besoin. Le bien de l'Etat ne paraît donc pas réclamer qu'en plus de cette armée ordinaire, pour laquelle les populations payent les cens immobiliers et les services habituels, on lève encore une autre armée mercenaire et qu'on la paye et l'entretienne aux gages ordinaires, même en temps de paix et sans aucune menace ou imminence de guerre.

Mais, dira-t-on, il y a à cela des raisons permanentes, soit la crainte des Anglais, qui sont les plus anciens et les plus redoutables ennemis du royaume, soit même la menace des troubles ou séditions intestines toujours possibles. Sans doute de telles conjonctures peuvent se produire et se sont produites quelquefois. Mais, dès lors qu'une armée régulière si importante est toujours à la disposition du roi et du royaume et qu'à peu de frais on a le moyen de la tenir plus prête encore, et non moins en tout cas que l'armée mercenaire, en l'obligeant à faire des montres, équipée et montée, une ou deux fois par an ou même plus fréquemment, par-devant des commissaires, dans les baillages et sénéchaussées, n'est-il pas permis de soutenir à bon droit et en vérité que cette armée peut et doit suffire aisément à parer à tous les dangers qu'ils viennent du dehors ou du dedans ?

Quelquefois, je l'avoue, quand une grande partie de cette noblesse, armée naturelle du royaume, avait péri dans les guerres et que l'ennemi occupait une portion importante du royaume, la nécessité s'est fait sentir d'une armée mercenaire pour relever et restaurer les ruines, surtout lorsque la noblesse était particulièrement affaiblie et appauvrie et qu'il ne paraissait pas juste de l'occuper et de la retenir en permanence dans les expéditions de guerre. Mais il y a longtemps, grâce à Dieu, que les ennemis sont chassés, que tout ce qu'ils tenaient dans le royaume leur a été repris, sauf la place forte de Calais (ce qui, eu égard à la puissance du royaume, doit être tenu pour presque rien), et, puisque la raison n'existe plus pour laquelle l'armée mercenaire fut nécessaire ou utile, quel besoin de laisser sur pied une armée mercenaire aussi nombreuse qu'au temps où l'ennemi détenait encore dans le royaume de grandes et vastes provinces ? C'est une grande sottise, en effet, que de vouloir se condamner pour toujours à un malheur certain par crainte de dangers problématiques et imprévisibles qui peuvent arriver par hasard ou jamais ou une fois seulement au cours de plusieurs siècles. Ce n'est pas ainsi qu'agit le royaume d'Angleterre ou tels autres que le roi répute ses ennemis. Par crainte de la France, ils ne se vouent pas, eux et leurs sujets, à cette calamité qui consiste à s'obliger à tolérer une armée mercenaire et, en même temps, les taxes qui en sont l'inséparable conséquence (Histoire de Charles VII, t.II, pp.33-37).

 

Basin livre Lisieux aux Français (1449)

Ces heureux auspices encouragèrent les Français à poursuivre leurs avantages ; ils avaient bien envie aussi de gains et de butins plus abondants (car ils avaient mis à sac toute la ville de Pont-Audemer). Ils s'avisèrent donc de gagner Lisieux, qui n'est qu'à sept petites lieues de Pont-Audemer. Ils savaient que cette ville, dépourvue de fossés, de murailles, de tours, n'était que faiblement fortifiée et qu'il n'y avait pas grand compte à tenir de la garnison anglaise. L'évêque de la ville et du diocèse était alors Thomas, natif du diocèse de Rouen, homme très versé dans les lettres divines et humaines, mais, ce qui était mieux encore, renommé pour sa sagesse, sa prudence et sa piété sincère envers Dieu et son prochain, bref l'un des plus fameux parmi les autres évêques de France. Il avait sagement considéré sur quelles forces pouvaient compter ses concitoyens, avec le concours d'une centaine d'Anglais, pour se défendre contre la puissante armée qui approchait de sa ville ; il mesura et pesa au plus juste le danger qu'ils couraient d'après l'infortune survenue à ses voisins et tout récemment à ses propres ouailles dans Pont-Audemer, où il y avait cependant une garnison anglaise importante. Voulant assurer le salut des habitants et de tous ses diocésains, il résolut de parer aux terribles dangers qui les menaçaient dans le présent et dans l'avenir. Plusieurs l'en priaient en secret, non seulement des gens de Lisieux, mais des Anglais eux-mêmes qui savaient que tout espoir de salut et de vie reposait pour eux non dans une défense à main armée, mais dans la seule miséricorde de Dieu et la prudence de leur évêque. Pourtant les habitants de la ville et de toute la région avaient vécu à ce point, pendant la domination anglaise, sous l'emprise de la peur qu'aucun d'eux, même devant l'imminence extrême du péril, n'aurait osé ouvrir la bouche d'une reddition ou d'une convention quelconque avec les Français, si cet excellent évêque ne s'était trouvé là bien opportunément. Lui-même, connaissant bien les dangers qui le menaçaient aussi de toute part s'il demeurait à son poste, aurait pu aisément, s'il l'avait voulu, les éviter. Il possédait, en effet, à deux lieues de la ville, un château très bien fortifié, dans lequel, accompagné seulement de ses chapelains, s'il avait voulu s'y retirer, il aurait pu sans crainte soutenir l'assaut de toute l'armée française. Mais, désirant veiller au salut de ses ouailles avant de penser au sien, il aima mieux s'exposer lui-même à tant de dangers pour le salut commun plutôt que de se sauver tout seul en les laissant exposés aux loups et aux bêtes féroces rapaces et dévorantes.

L'armée française arriva donc et investit de toute part sa ville épiscopale. Elle pouvait être estimée à dix mille cavaliers, sans compter les gens de pied. L'évêque demanda un sauf-conduit pour s'entretenir avec les principaux capitaines. On le lui accorda d'assez bonne grâce. Il sortit alors de la ville avec quelques-uns de ses prêtres pour parler auxdits capitaines. Il essaya d'abord, en rappelant que sa ville était patrimoine de Jésus-Christ et de saint Pierre apôtre, qu'elle n'avait donc pas à faire la guerre à eux ou au roi de France, de les détourner, si possible, de Lisieux vers d'autres villes ou places. Ils ne voulurent en aucune manière prêter l'oreille à ces raisonnements, menaçant, si reddition et obéissance n'étaient pas faites à l'instant même, d'entrer de force et de tout mettre à sac. Il demanda, pour prendre là-dessus conseil, une trêve de deux ou trois heures qui lui fut accordée à grand-peine. Il réunit alors tout le clergé et les habitants et leur demanda leur avis. Voyant, presque tous, les dangers présents, ils pensèrent que la nécessité exigeait que la reddition fût faite aux conditions les plus équitables et les meilleures que l'on pourrait obtenir, et, en conséquence, ils demandèrent à leur évêque qu'il voulût bien donner ses soins à la conclusion de l'affaire. Il se rendit volontiers à leur désir, pour le salut commun, rédigea les articles qu'il fallait concernant tous les états tant du clergé que du peuple et de la noblesse du diocèse, les fit promettre et accorder sous la foi du roi par les représentants du roi de France, munis pour ce faire des pouvoirs suffisants, et rendit la ville selon la volonté unanime (Histoire de Charles VII, t.II, pp.97-101).

 

Basin devait-il écrire l'histoire de Louis XI ?

Après la mort de Charles VII, roi de France, Louis, son fils aîné, lui succéda sur le trône. Il héritait, sans doute, de ses terres et de son patrimoine, mais, hélas, combien il était dépourvu de la prudence, de la loyauté, de l'esprit de justice et des autres vertus paternelles ! Aussi, au moment d'écrire son histoire, selon notre promesse, nous sentîmes-nous dans le doute et l'incertitude : fallait-il réaliser notre projet ou plutôt, mettant en vacances notre plume, renoncer à tenir notre engagement ? Nous craignions, en effet, en dévoilant ses ruses, ses malices, ses perfidies, ses sottises, ses méfaits et ses cruautés, de faire figure, auprès de certains lecteurs peu enclins à nous croire sur parole, de médisant plutôt que d'historien véridique. Pourtant, personne n'ignore que les historiens des temps passés ont relaté les faits et gestes non seulement des rois ou des empereurs qu'ont illustrés leurs vertus et leur sagesse et qui furent, en leur temps, utiles à l'Etat, mais même de ceux qu'on rendus fameux leurs iniquités, leurs crimes et leurs vices (tels Caligula, Néron, Domitien, Commode et tant d'autres). Aussi est-ce avec confiance que nous nous enhardissons à poursuivre, avec l'aide de Dieu, le récit du règne et des actes de ce monarque, car nous préférons de beaucoup employer nos loisirs à instruire et mettre en garde nos successeurs au moyen d'un récit véridique plutôt que de nous attacher à des mensonges et à des fables comme l'ont fait les flatteurs et les panégyristes (Histoire de Louis XI, t.I, pp.3-5).

 

Justification de la "Ligue du bien public"

C'est pourquoi nous estimons que des sujets peuvent raisonnablement s'associer pour combattre l'impiété ou la tyrannie d'un roi ou d'un empereur quel qu'il soit, s'il n'existe aucun pouvoir supérieur auprès de qui on puisse trouver un remède par voie de justice. Mais il y faut la contrainte d'une extrême nécessité. Ainsi, dit Cicéron, on ne se résigne à cautériser ou à couper un membre que lorsque tous les autres remèdes font défaut ou ont échoué. De même quand le péril de l'Etat exige certaines mesures, s'il est permis parfois aux sujets de s'opposer de toutes leurs forces à la tyrannie et à la cruauté, ce ne peut être que lorsque le recours à tout autre remède humain est épuisé. Aussi ne lit-on nulle part que furent coupables les Agrigentins qui attaquèrent tous ensemble Phalaris, comme le rapporte Cicéron, ni le sénat et le peuple romain qui se révoltèrent contre Néron, ni aucun des autres peuples libres qui s'insurgèrent contre de semblables tyrans, que ce fût le peuple entier ou seulement certains plus audacieux, à condition qu'ils aient agi sous l'emprise d'une extrême nécessité, par amour exclusif de la justice et de l'Etat. En effet, aucun homme de bon sens ne saurait nier que l'on puisse recourir aux remèdes du droit naturel, qui accorde à chacun de se défendre contre les violences et d'opposer la force à la force, lorsque manque l'aide du droit humain. Les princes eurent donc recours à ce droit naturel, devant une confusion si grande et tant de vices manifestes. Autrement, ils auraient eu l'air de consentir à tant de maux, en restant sans mouvement et sans voix, alors que, pensait-on, ils pouvaient vraisemblablement résister. Et, certes, ceux qui succombèrent pour la justice et pour la liberté, quand cela arriva par malheur, furent plus courageux, plus louables et plus glorieux que s'ils avaient vécu plus longtemps dans une telle infortune, ayant perdu la liberté et voyant le pays opprimé et réduit à une misérable servitude.

Nous pourrions encore renforcer cette démonstration par de nombreux faits, par des autorités et des exemples. Mais nous ne nous sommes que trop longtemps éloigné de la narration historique que nous avions entreprise (Histoire de Louis XI, t.I, pp.183-185).

 

Révolte des Liégeois contre le duc de Bourgogne

Car le roi [Louis XI] avait, par plusieurs envoyés et par ses lettres, travaillé les Liégeois et les avait excités aux armes contre le duc de Bourgogne. Ils y étaient assez enclins à cause de la haine invétérée que, depuis longtemps, ils avaient eue et avaient contre les Bourguignons et contre leurs princes, et ils se montrèrent faciles à circonvenir. Ils estimèrent qu'ils avaient trouvé opportunément l'occasion de venger les anciennes injures ; ils croyaient, en effet, que le comte de Charolais ne serait jamais de retour dans leurs terres avec les grandes troupes qu'il avait emmenées, et le roi leur avait promis qu'il accomplirait de grandes et admirables actions. Donc, faisant irruption avec autant de cruauté que de fougue, ils entreprirent de dévaster par le fer et par le feu les terres de Brabant et de Limbourg et les campagnes du Namurois. Ils brûlèrent plus de deux cents villes ou villages, ainsi que des bâtiments agricoles en nombre plus élevé encore. Ce faisant ils montrèrent peu d'intelligence et beaucoup de témérité. Ces populations, les Eburons de l'antiquité, cultivaient les rives de la Meuse et les campagnes voisines en deçà et au delà du fleuve ; elles avaient une très belle ville, Liège, riche en églises remarquables, en monastères, en richesses et en habitants ; elles disposaient encore de plusieurs places fortifiées, de villages et de villes. Elles jouissaient d'une paix matérielle, d'une liberté et d'une tranquillité si grandes que l'on ne connaissait ni en France ni même dans toute l'Europe de peuple jouissant d'une tranquillité semblable et de l'agrément d'une telle liberté. Aucun pouvoir laïque ne les opprimait. Elles n'avaient pour seigneur et père que le seul évêque ; aussi ignoraient-elles les charges financières que les autres cités, même libres, ont coutume d'exiger ; elles possédaient au contraire une pleine liberté et une complète tranquillité. De cette félicité temporelle, si par hasard elles l'avaient troublée par leur pétulance, le duc de Bourgogne était gardien et protecteur, sans qu'il leur en coûtât frais ou incommodité quelconques. Si elles avaient su rester en bons termes avec le duc de Bourgogne, nul n'aurait pu troubler leur paix et leur tranquillité sans avoir d'abord paralysé les forces de ce prince si puissant.

Liège était, en effet, entourée presque de toutes parts par les terres ducales et nul ennemi n'avait la possibilité de les envahir s'il n'avait auparavant fait irruption dans celles des Bourguignons. La ville avait conclu avec le duc de Bourgogne des traités déjà anciens, confirmés par ces serments dont il était prévu que la violation serait sévèrement punie. Mais, confiants dans quelques promesses incertaines et peu dignes de foi, les Liégeois osèrent les enfreindre, non sans perfidie. Ils attaquèrent les sujets du duc et dévastèrent ses terres par le fer et par le feu ; or, lui ne les attaquait ou ne les inquiétait nullement ; il était, au contraire, comme nous l'avons dit, le véritable bouclier de leur tranquillité et de leur liberté, sans qu'il leur en coutât quoi que ce soit.

Philippe, illustre duc de Bourgogne, se trouvait alors à Bruxelles, ville importante du Brabant. Lorsqu'il vit dévaster ainsi ses terres et fouler rudement ses sujets, il réunit en hâte ce qu'il put trouver encore parmi les nobles qui résidaient auprès de lui (car son fils, le comte de Charolais, avait emmené en France presque toute la noblesse et l'armée des terres de son père) et les rassembla pour résister à ces Liégeois grossiers et parjures et arrêter leurs incendies. Cette troupe, bien qu'assez restreinte en nombre, était bien fournie en armes et en courage ; elle repoussa de ce côté les tentatives des Liégeois et alluma des feux dans leurs campagnes et leurs villes, les payant ainsi de la même monnaie, et même avec usure.

Il arriva même qu'une fois, alors qu'ils étaient sortis en rase campagne près de la ville de Montignake [Montenaeken] et que plusieurs milliers de personnes du commun étaient rassemblées là, le noble et illustre comte de Nassau, sénéchal de Brabant et seigneur de Bréda, les attaqua avec une petite troupe et les mit en fuite, après avoir tué près de deux mille cinq cents d'entre eux.

Mais rien n'y fit, ni la rude leçon reçue ni la crainte de la puissance d'un si grand prince ; non seulement ils ne renoncèrent pas à leur sottise, mais, comme poussés par quelque rage folle, ils se vantaient de faire pis encore qu'auparavant ; ils provoquaient et exaspéraient, pour leur perte, la bienveillance et la clémence de l'illustre duc et du comte, son fils unique, non seulement par de tels actes impies, mais encore par leurs langues de vipères, par tous les traits les plus cruels et les plus intolérables. Il n'est pas facile de rapporter les insultes et les invectives que ces misérables sots et ces fats lançaient de leurs langues venimeuses contre ces princes et contre la très noble dame, mère de l'illustre comte, épouse très honnête et très chaste de son père. Les pires étaient les bourgeois de Dinant, ville qui regorgeait alors de richesses : ses habitants en tiraient beaucoup d'orgueil et vivaient dans un grand luxe, ce qui est la conséquence ordinaire de la prospérité.

Or ces Dinantais en arrivèrent à un tel point d'effronterie et de folie qu'ils osèrent dresser des fourches patibulaires sur la place publique de leur ville, y pendirent en effigie le comte de Charolais, puis, par dérision, proclamèrent dans toute la ville cette exécution ridicule ; ils firent même des prières pour son âme lorsqu'il serait pendu à Paris, au gibet de Montfaucon. Leur sottise et leur folie eurent leur récompense : avant qu'une année ne fût écoulée, leur ville superbe fut ruinée et brûlée, comme nous le raconterons en son lieu (Histoire de Louis XI, t.I, pp.215-221)

 

Portrait de Charles le Téméraire

Au commencement de son règne, après la mort de son père, il se montra assez modéré et digne de gouverner. Avant, en effet, que le roi, ayant rompu le traité, lui eût enlevé Amiens et Saint-Quentin en Vermandois, il se montrait assez disposé à respecter la justice. Sur ses terres de Picardie et de Flandre, il modéra et réprima la désastreuse habitude des guerres civiles entre deux ou plusieurs familles. Il ne permit pas à un noble quelconque (comme c'était jadis la coutume un peu partout) d'user de la voie de fait à l'égard d'une autre personne, quelle qu'elle fût, et même de condition inférieure. Il tenait alors sa cour en public, dans son palais, deux ou trois fois par semaine ; tous les grands de son entourage et les nobles de sa maison étaient tenus d'y siéger et à tous, quels qu'ils fussent ou d'où qu'ils vinssent, était accordée la permission d'approcher le prince et de lui remettre leurs placets, auxquels il faisait séance tenante remettre sa réponse écrite par son chancelier ou par un membre de son conseil se trouvant dans le voisinage.

Ses mœurs étaient douces et honnêtes. On le disait si chaste qu'il se refusait à connaître ou même à désirer d'autres femmes que la sienne, ce dont certains par différentes voies lui faisaient un crime, par malignité ou par haine, par légèreté en tout cas plutôt que par amour de la vérité. Il y avait, en effet, dans son entourage plusieurs personnages auxquels ne plaisait guère cette continence qu'on lui attribuait communément ; ils se seraient montrés plus volontiers ministres de ses plaisirs et de ses débauches, dans l'espoir de gagner, au moyen de tels services, des profits et de l'argent (comme il est habituel auprès de beaucoup de princes et de monarques), s'ils l'avaient reconnu lascif, lubrique et amateur passionné de femmes.

Pour ce qui est de la religion, il y était assez adonné. Il aimait les bons chantres, comme l'avait fait son père ; aussi eut-il toujours une chapelle bien tenue et même magnifique ; il se plaisait à chanter avec ses chantres, et même chantait parfois lui-même en privé. En fait de nourriture, il était sobre et tempérant; on peut donc dire que, s'il avait continué comme il avait commencé, on aurait pu à bon droit lui faire une place à part parmi les meilleurs princes. Or, comme le dit Virgile, l'homme ne connaît pas son destin ; il ne sait pas, dans la prospérité, conserver la mesure. Il lui prit un tel orgueil qu'il en vint à ne ménager, estimer ou craindre personne. Tant et si bien que, si c'était pour lui peu de chose que d'avoir le seul roi pour ennemi acharné, il poussa et força à devenir ses adversaires les plus farouches, contre leur gré (car ils auraient refusé, s'ils l'avaient pu, d'être contre lui), toute l'Allemagne et ses princes, et même les Suisses, particulièrement versés dans l'art de la guerre, et qui tous, peu auparavant, étaient ses amis ou lui étaient favorables.

Quant à son courage, il n'y a véritablement rien qui permette de lui accorder grande louange. Car, dans presque toutes les campagnes qu'il a conduites contre ses ennemis, il n'en est guère où il ne soit rentré chez lui soit en s'enfuyant soit en battant en retraite non sans grand dommage pour lui et les siens. Témoins les sièges qu'il a entrepris, premièrement contre Amiens, deuxièmement contre Beauvais, troisièmement contre Neuss, quatrièmement contre la petite place de Morat, sans parler du dernier siège devant Nancy. Dans toutes ces entreprises, il agit avec témérité et inconséquence et il n'en retira rien d'autre que de la honte en même temps que des dommages presque incommensurables. De ce qui précède, il ressort qu'il lui manqua de savoir se conduire en chef habile et capable. L'empereur Auguste avait coutume de dire avec beaucoup de sagesse, à ce que rapporte Suétone au deuxième livre de ses Vies Des Césars : « Rien chez un chef n'est plus répréhensible ni à éviter plus soigneusement que la témérité.» On a pu dire qu'il avait été hardi et impitoyable à l'égard des humbles, mais non pas vaillant et courageux (Vie de Louis XI, t.II, pp.353-359).


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