[ BCS ]  [ BCS-BOR ]  [ BCS-PUB ]

MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


[Introduction] [ La Grèce et Rome ]  [ Le moyen-âge ]  [ Du XVe au XVIIIe siècle ]  [ Le XIXe siècle ]  [ Le XXe siècle


Historiographie médiévale

 

Nithard (c. 790/800-844)


Texte :

Histoire des fils de Louis le Pieux, éd. - trad. Ph. LAUER, Paris, 1926 (Les classiques de l'histoire de France au Moyen-Age, 7).

Histoire des fils de Louis le Pieux, éd. - trad. Ph. LAUER - S. GLANSDORFF, Paris, 2012 (Les classiques de l'histoire de France au Moyen-Age, 51).


Prologue

Ayant souffert, vous et les vôtres, mon seigneur [Charles le Chauve], depuis déjà près de deux ans, comme vous le savez fort bien, des attaques injustifiées de votre frère, vous m'avez commandé, avant d'entrer en la cité de Châlons, de fixer par écrit, pour la postérité, le récit des événements de votre temps. C'eût été pour moi, je l'avoue, une tâche agréable et facile si j'avais eu le loisir nécessaire pour exécuter d'une façon satisfaisante une oeuvre de cette importance; mais, dans les conjonctures actuelles, si vous y remarquez quelques omissions ou négligences indignes d'une si grande entreprise, vous et les vôtres devrez me le pardonner d'autant plus facilement que vous savez comment j'ai été ballotté par la tempête, ainsi que vous -même, pendant que je m'en acquittais.

J'avais d'abord décidé d'omettre ce qui s'était passé au temps de votre pieux père [Louis le Pieux], mais la vérité sur vos dissensions apparaîtra plus clairement au lecteur si je rappelle sommairement certains faits qui se sont déroulés de son vivant. En outre, il ne me paraît pas possible de passer complètement sous silence le souvenir vénéré de votre aïeul [Charlemagne]; et c'est pourquoi le début de mon récit remontera à son règne (Histoire des fils de Louis le Pieux, p.3).

 

Charles le Chauve célèbre les fêtes de Pâques (841)

Il arriva à ce dernier, le samedi saint, une chose certes merveilleuse et digne d'être mentionnée. En effet, Charles, pas plus que les siens, n'avait avec lui, en dehors de ses armes et de ses chevaux, que ce qu'il portait sur le corps. Comme il sortait du bain et se préparait à remettre les vêtements qu'il avait retirés, tout à coup se présentèrent aux portes des messagers venus d'Aquitaine, qui apportaient la couronne, les ornements royaux et tout ce qui était nécessaire au culte divin.

Qui ne s'étonnerait qu'une poignée d'hommes, presque sans renseignements, aient pu apporter, à travers de tels espaces de territoire infesté partout de brigandage, une si grande quantité d'or et une telle infinité de pierres précieuses, et ce qui, il faut l'avouer, est encore plus admirable, qu'ils aient pu le rejoindre juste à point, au jour et à l'heure voulus, alors que Charles lui-même ignorait l'itinéraire qu'il devait suivre avec les siens? Cet événement parut n'avoir pu se produire que par la grâce ou la volonté divine, frappa de stupeur ses compagnons d'armes et communiqua à tous le plus grand espoir dans le succès. Aussi Charles et toute son armée se consacrèrent-ils, dans la joie, à la célébration des fêtes (Histoire des fils de Louis le Pieux, II, 8, pp.61-62).

 

Les serments de Strasbourg (février 842)

Et lorsque Charles eut répété les mêmes déclarations en langue romane, Louis, étant l'aîné, jura le premier de les observer:

"Pour l'amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre salut commun, à partir d'aujourd'hui, en tant que Dieu me donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère Charles par mon aide et en toute chose, comme on doit secourir son frère, selon l'équité, à condition qu'il fasse de même pour moi, et je ne tiendrai jamais avec Lothaire aucun plaid qui, de ma volonté, puisse être dommageable à mon frère Charles."

Lorsque Louis eut terminé, Charles répéta le même serment en langue tudesque:

"Pour l'amour de Dieu et pour le salut du peuple chrétien et notre salut à tous deux, à partir de ce jour dorénavant, autant que Dieu m'en donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère, comme on doit selon l'équité secourir son frère, à condition qu'il en fasse autant pour moi, et je n'entrerai avec Lothaire en aucun arrangement qui, de ma volonté, puisse lui être dommageable."

Et le serment que prononça chaque nation dans sa propre langue est ainsi conçu en langue romane:

Louis observe le serment qu'il jure à son frère Charles et que Charles, mon seigneur, de son côté, ne le maintient pas, si je ne puis l'en détourner, ni moi ni aucun de ceux que j'en pourrai détourner, nous ne lui serons d'aucune aide contre Louis.

Et en langue tudesque:

Charles observe le serment qu'il a juré à son frère Louis et que Louis, mon seigneur, rompt celui qu'il a juré, si je ne puis l'en détourner, ni moi ni aucun de ceux que j'en pourrai détourner, nous ne lui prêterons aucune aide contre Charles.

Cela terminé, Louis se dirigea sur Worms, le long du Rhin, par Spire, et Charles le long des Vosges, par Wissembourg.

L'été où eut lieu la bataille rapportée plus haut fut très froid et toutes les récoltes se trouvèrent très retardées; mais l'automne et l'hiver suivirent leur cours normal. Et le jour même où lesdits frères et les premiers du peuple conclurent le susdit pacte, la gelée survenant, la neige tomba en abondance. Une comète apparut en décembre, janvier et février, jusqu'à l'entrevue susmentionnée, s'éleva au centre du signe des Poissons et disparut dans l'obscurité, la réunion une fois terminée, entre la constellation que quelques-uns appellent la Lyre, d'autres Andromède, et l'Arcture. Après ces quelques mots sur le cours des saisons et des astres, reprenons le fil de notre histoire (Histoire des fils de Louis le Pieux, III, 5, pp.105-109)

 

Portrait de Louis et de Charles

Ici aussi il n'est pas hors de propos, et il me paraît agréable et utile, de rapporter quelques détails sur la valeur personnelle de ces rois et l'entente dans laquelle ils vécurent.

L'un et l'autre étaient de taille moyenne, beaux, élégants et aptes à tous les exercices; l'un et l'autre étaient hardis, généreux, sages et éloquents; et la concorde qui régnait, sacrée et respectée, entre ces deux frères, surpassait encore toutes ces nobles qualités. Car ils prenaient presque continuellement leurs repas ensemble, et tout ce qu'ils avaient de précieux ils se le donnaient l'un à l'autre libéralement. La même demeure les abritait pour manger et pour dormir; ils traitaient avec le même accord les affaires communes et privées; chacun ne demandait à l'autre que ce qu'il pensait pouvoir lui être utile (Histoire des fils de Louis le Pieux, III, 6, p.111).

 

Prologue du livre quatrième

Non seulement il me serait agréable, comme je l'ai dit, de surseoir à mon oeuvre de narrateur, mais encore mon esprit anxieux, assiégé par les disputes, cherche sans repos le moyen d'échapper complètement à la politique. Néanmoins, comme la fortune a uni mon sort à tout ce qui se passe dans les deux camps et que je me trouve ballotté malgré moi parmi de terribles tempêtes, j'ignore en réalité absolument en quel port j'aborderai. En attendant, toutefois, si je trouve quelque répit, quel inconvénient y a-t-il à ce que je m'occupe de fixer par écrit pour en conserver la mémoire, ainsi qu'on me l'a commandé, les actes de nos princes et des grands? Je m'attacherai donc à rédiger cette quatrième partie, et si je ne puis, ce faisant, influer utilement sur le cours des événements futurs, je contribuerai cependant par mon travail à dissiper pour la postérité les ténèbres de l'erreur (Histoire des fils de Louis le Pieux, p.117).

 

Origines de Nithard

Ce jour-là précisément [24 octobre 842], un grand tremblement de terre eut lieu dans presque toute la Gaule et, le même jour aussi, se fit la translation d'Angilbert, homme illustre, à Saint-Riquier; vingt-neuf ans après sa mort, il fut retrouvé, le corps intact, sans avoir été enbaumé. C'était un homme issu d'une famille assez en vue à l'époque. Madhelgaud, Richard et lui appartenaient à la même race et ils étaient, à juste titre, tenus en grande estime par Charlemagne. De la fille de ce grand roi, appelée Berthe, qu'il épousa, il eut Hartnid, mon frère, et moi Nithard. Il construisit à Centule un chef-d'oeuvre admirable en l'honneur du Dieu tout-puissant et de saint Riquier; il dirigea parfaitement la famille qui lui était confiée et termina sa vie en toute félicité, puis reposa en paix à Centule.

Ces quelques mots dits sur mes origines, je m'empresse de reprendre la suite de mon récit (Histoire des fils de Louis le Pieux, IV, 5, pp.139-141).

 

Conclusion

Que chacun apprenne ici que celui qui commet la folie de négliger l'intérêt public et se livre en insensé à ses désirs personnels et égoïstes, offense par là à tel point le Créateur qu'il rend tous les éléments eux-mêmes contraires à son extravagance. C'est ce dont je vais apporter la preuve très facilement à l'aide d'exemples appropriés, qui sont encore présents à presque tous les esprits. Car, au temps de Charlemagne, d'heureuse mémoire, qui mourut il y a déjà près de trente ans, comme le peuple marchait dans une même voie droite, la voie publique du Seigneur, la paix et la concorde régnaient en tous lieux; mais à présent, au contraire, comme chacun suit le sentier qui lui plaît, de tous côtés les dissensions et les querelles se manifestent. C'était alors partout l'abondance et la joie; c'est maintenant partout la misère et la tristesse. Les éléments eux-mêmes étaient alors favorables à chaque roi, mais maintenant ils sont contraires à tous, comme l'atteste l'Ecriture, ce don divin:

Vers le même temps, survint, en effet, une éclipse de lune, le 13 des calendes d'avril; et, de plus, la neige qui tomba en abondance cette même nuit, par l'équitable jugement de Dieu, frappa tout le monde de tristesse. Et je le dis, parce que les rapines et les maux de toutes sortes s'étendaient partout de plus en plus, en même temps que les intempéries arrachaient à tous l'espoir des récoltes à venir (Histoire des fils de Louis le Pieux, pp.143-145).


Les commentaires éventuels peuvent être envoyés à Jean-Marie Hannick.