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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


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Historiographie médiévale

 

Eginhard (c. 770-840)


Texte :

Vie de Charlemagne, éd., trad. L. HALPHEN, 2e éd., Paris, 1938 (Les classiques de l'histoire de France au Moyen Age).

Vie de Charlemagne, éd., trad. M. SOT - Chr. VEYRARD-COSME, Nouv. éd., Paris, 2014 (Les classiques de l'histoire de France au Moyen-Age, 53).

Études :

HALPHEN L., Études critiques sur l'histoire de Charlemagne, Paris, 1921 [p.60-103 : Einhard, historien de Charlemagne].

MEYERS J., Éginhard et Suétone. A propos des chapitres 18 à 27 de la 'Vita Karoli', dans GOULLET M. - PARISSE M. (éds), Les historiens et le latin médiéval, Paris, 2001, p.129-150.


Raisons d'entreprendre l'ouvrage

Je n'ai pourtant pas cru devoir renoncer à cet ouvrage, conscient que j'étais de pouvoir y apporter plus de vérité que personne, puisque j'ai participé aux événements que je rappelle, que j'en ai été, comme on dit, le témoin oculaire et qu'au surplus je n'ai pu savoir d'une façon positive si le tableau en serait tracé par un autre que moi. J'ai jugé enfin que mieux valait m'exposer à répéter en d'autres termes les choses déjà dites que de laisser la vie illustre du meilleur et du plus grand roi de cette époque et ses exploits, aujourd'hui presque inimitables, s'effacer dans les ténèbres de l'oubli.

A ces motifs de composer mon livre s'en ajoute un autre -- raisonnable, je pense, et qui eût pu suffire à lui seul: la reconnaissance envers l'homme qui m'a nourri et l'amitié indéfectible nouée tant avec lui qu'avec ses enfants dès que j'ai commencé de vivre à sa cour. La dette que j'ai contractée ainsi envers lui et envers sa mémoire est telle que j'aurais l'air d'un ingrat et qu'on serait fondé à me juger de la sorte si, oublieux de tous les bienfaits dont j'ai été gratifié, je passais sous silence les actes glorieux et illustres de celui à qui j'ai tant d'obligations et si je souffrais que sa vie restât, comme non avenue, ignorée et privée des louanges qui lui sont dues (Vie de Charlemagne, Prologue, p.5).

 

Les rois fainéants

La famille des Mérovingiens, dans laquelle les Francs avaient coutume de choisir leurs rois, est réputée avoir régné jusqu'à Childéric, qui, sur l'ordre du pontife romain Étienne, fut déposé, eut les cheveux coupés et fut enfermé dans un monastère. Mais, si elle semble en effet n'avoir fini qu'avec lui, elle avait depuis longtemps déjà perdu toute vigueur et ne se distinguait plus que par ce vain titre de roi. La fortune et la puissance publiques étaient aux mains des chefs de sa maison, qu'on appelait maires du palais et à qui appartenait le pouvoir suprême. Le roi n'avait plus, en dehors de son titre, que la satisfaction de siéger sur son trône, avec sa longue chevelure et sa barbe pendante, d'y faire figure de souverain, d'y donner audience aux ambassadeurs des divers pays et de les charger, quand ils s'en retournaient, de transmettre en son nom les réponses qu'on lui avait suggérées ou même dictées. Sauf ce titre royal, devenu inutile, et les précaires moyens d'existence que lui accordait à sa guise le maire du palais, il ne possédait en propre qu'un unique domaine, de très faible rapport, avec une maison et quelques serviteurs, en petit nombre, à sa disposition pour lui fournir le nécessaire. Quand il avait à se déplacer, il montait dans une voiture attelée de boeufs, qu'un bouvier conduisait à la mode rustique: c'est dans cet équipage qu'il avait coutume d'aller au palais, de se rendre à l'assemblée publique de son peuple, réunie annuellement pour traiter des affaires du royaume, et de regagner ensuite sa demeure. L'administration et toutes les décisions et mesures à prendre, tant à l'intérieur qu'au dehors, étaient du ressort exclusif du maire du palais (Vie de Charlemagne, 1, p.9-11)

 

Prudence du biographe

De sa naissance, de ses premières années et même de son enfance, il serait absurde à moi de vouloir parler, car il n'en est question chez aucun auteur et il ne se rencontre plus personne aujourd'hui qui se dise informé de cette période de sa vie. Laissant donc de côté ce qui est inconnu, j'en viens tout de suite à ses actes, à ses moeurs et aux divers éléments de sa biographie. Je commencerai par sa politique intérieure et extérieure; je passerai ensuite à l'étude de ses moeurs et de son caractère; je finirai par l'exposé de son administration et de sa mort, m'attachant à ne rien omettre de ce qu'il est nécessaire ou bon de savoir (Vie de Charlemagne, 4, p.17).

 

Portrait de Charlemagne

D'une large et robuste carrure, il était d'une taille élevée, sans rien d'excessif d'ailleurs, car il mesurait sept pieds de haut. Il avait le sommet de la tête arrondi, de grands yeux vifs, le nez un peu plus long que la moyenne, de beaux cheveux blancs, la physionomie gaie et ouverte. Aussi donnait-il, extérieurement, assis comme debout, une forte impression d'autorité et de dignité. On ne remarquait même pas que son cou était gras et trop court et son ventre trop saillant, tant étaient harmonieuses les proportions de son corps. Il avait la démarche assurée, une allure virile. La voix était claire, sans convenir cependant tout à fait à son physique. Doté d'une belle santé, il ne fut malade que dans les quatre dernières années de sa vie, où il fut pris de fréquents accès de fièvre et finit même par boiter. Mais il n'en faisait guère alors qu'à sa tête, au lieu d'écouter l'avis de ses médecins, qu'il avait pris en aversion parce qu'ils lui conseillaient de renoncer aux mets rôtis auxquels il était habitué et d'y substituer des mets bouillis (Vie de Charlemagne, 22, p.67-69)


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