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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS
Texte :
- Histoire des Lombards, trad. F. BOUGARD, Turnhout, 1994 (Miroir du moyen âge)
Études :
- COUMERT M., Origines des peuples, Paris, 2007 [p.215-240: Le récit d'origine de l'Histoire des Lonmbards de Paul Diacre].
Combat du roi des Lombards contre une amazone
Une putain accoucha vers cette époque de sept bébés d'un coup. Avec une cruauté que n'ont pas les bêtes fauves, elle les jeta dans une mare pour s'en débarrasser -- si certains jugent la chose impossible, qu'ils relisent l'histoire ancienne et ils trouveront des femmes qui ont accouché à elles seules non seulement de sept enfants d'un coup, mais même de neuf, surtout chez les Égyptiens. Or le roi Agelmund, passant par là, arriva vers la mare. Arrêtant son cheval, il fixa avec stupeur les pauvres petits enfants; il les tournait et retournait du bout de sa lance quand l'un d'eux allongea la main et l'attrapa. Le roi, pris de pitié et complètement abasourdi devant le phénomène, déclara qu'un grand destin attendait le nouveau-né. Il le fit immédiatement retirer de la mare, le confia à une nourrice et ordonna de soigner son éducation. Comme il l'avait sauvé d'une mare, en leur langue "lama", il lui donna le nom de Lamissio. En grandissant, celui-ci devint un jeune homme plein d'énergie, ce qui lui valut à la fois de démontrer sa très bonne aptitude au combat et de tenir à son tour les rênes du royaume après le décès d'Agelmund. On raconte que lors d'une expédition avec leur roi, les Lombards arrivés à un fleuve s'en virent bloquer la traversée par les Amazones et que Lamissio fit le coup de poing dans l'eau avec la plus forte d'entre elles et la tua, se gagnant l'éloge et la gloire et procurant le passage aux Lombards. Les deux armées avaient en effet convenu que si l'Amazone battait Lamissio, les Lombards devraient s'éloigner du fleuve; dans le cas contraire, et c'est ce qui arriva, on leur en céderait la traversée. Cette partie du récit ne repose sans doute que sur une vérité bien mince. Tous ceux qui connaissent ces vieilles histoires savent bien que le peuple des Amazones a été détruit bien avant que ces faits aient pu se produire; à moins peut-être que, dans ces lieux mal connus et à peine mentionnés par l'historiographie où sont censés s'être déroulés ces événements, n'aient existé jusqu'à cette date des femmes de ce genre. J'ai effectivement moi aussi entendu dire qu'un peuple de ces femmes existe encore aujourd'hui dans les profondeurs de la Germanie (Histoire des Lombards, I, 15, p.20-21)
Justinien et quelques contemporains
Justinien gouvernait à cette époque l'empire romain, sous d'heureux auspices. Son activité militaire fut une réussite, et son uvre civile admirable. Grâce au patrice Bélisaire, il infligea une sévère défaite aux Perses, et le même Bélisaire fut l'instrument par lequel il extermina les Vandales, fit prisonnier leur roi Gelismer et rendit à l'empire romain toute l'Afrique, après quatre-vingt-seize ans. Et c'est encore l'énergie de Bélisaire qui lui fit vaincre le peuple des Goths en Italie et capturer leur roi Witichis. Sa valeur força ensuite l'admiration en mettant également à genoux les Maures et leur roi Amtalan qui infestaient l'Afrique, grâce à l'ex-consul Jean. Il soumit encore d'autres peuples au droit de la guerre, de la même manière : toutes victoires qui lui ont valu de mériter les surnoms d'Alamannique, Gothique, Francique, Germanique, Antique, Alanique, Vandalique et Africain. Il corrigea aussi en une remarquable synthèse les lois des Romains qui étaient beaucoup trop bavardes et inutilement confuses : il condensa en effet en douze livres l'ensemble des constitutions des princes qui se trouvaient dans de nombreux volumes, et ordonna d'appeler l'ouvrage Code Justinien. De même, il ramena à cinquante livres les quelque deux mille volumes où s'étalaient les lois de chaque magistrat et de chaque juge &emdash; ce qu'il désigna du nom de Code des Digestes ou des Pandectes. Il composa aussi une uvre nouvelle, les quatre livres des Institutions où sont présentées toutes les lois sous forme résumée. Quant aux lois récentes, celles qu'il avait lui-même émises, elles furent rassemblées en un seul volume et il fit appeler l'ouvrage Novelles. Ce même prince fit aussi bâtir dans la ville de Constantinople, en l'honneur du Christ Seigneur, sagesse de Dieu le Père, un temple qu'il nomma en grec Agia Sophia, c'est-à-dire la Sainte-Sagesse. Cette construction surpasse tous les autres édifices, au point qu'on chercherait en vain quelque chose de semblable sur toute la surface de la terre. Ce prince était en effet catholique par sa foi, droit dans ses uvres, juste dans les jugements; tout chez lui tendait au bien. A Rome, Cassiodore brillait alors par son savoir, aussi bien dans les matières divines que dans celles du siècle. Parmi ses nobles écrits, c'est surtout sur le sens caché des psaumes qu'il exerça la très grande puissance de son génie. D'abord consul, puis sénateur, il devint finalement moine. A l'époque était aussi fixé à Rome l'abbé Denis, qui a établi un comput pascal admirablement raisonné. Il y eut alors aussi Priscien de Césarée à Constantinople, qui explora les profondeurs, pour ainsi dire, de l'art de la grammaire. Sans oublier Arator, sous-diacre de l'église de Rome, admirable poète qui versifia en hexamètres les Actes des Apôtres (Histoire des Lombards, I, 25, p.27-28).
Géographie et étymologie
L'Italie, qui contient ces provinces, a reçu quant à elle son nom du chef des Sicules, Italus, qui l'occupa il y a fort longtemps. A moins qu'elle soit dite Italie parce qu'on y trouve de grands bufs, les itali : italus donne en effet comme diminutif (même s'il faut ajouter une lettre et en changer une autre) vitulus, le veau. Elle est aussi appelée Ausonie, d'Ausone, fils d'Ulysse; au départ, ce fut la région de Bénévent qui reçut ce nom, puis on s'est mis à désigner de cette façon toute l'Italie. Elle est encore appelée Latium parce que Saturne, fuyant son fils Jupiter, y aurait trouvé une cachette, latebra. Après avoir donc évoqué à satiété les provinces et le nom de l'Italie, lieu où se déroule notre récit, revenons maintenant au fil de l'histoire (Histoire des Lombards, I, 24, p.49).
Après un règne de trois ans et six mois en Italie, Alboin succomba aux intrigues de son épouse. Voici la cause de son élimination : lors d'un banquet à Vérone, où il assistait dans un état de gaîté peu convenable, il fit donner à la reine du vin dans la coupe qu'il s'était fait faire avec le crâne de Cunimund, son beau-père, puis l'invita à trinquer elle-même avec son père, et avec le sourire! Impossible, penseront certains; mais, par le Christ, je dis la vérité : j'ai vu moi-même cette coupe entre les mains du prince Ratchis qui la montrait à ses hôtes à l'occasion d'une fête. Quand Rosemonde se rendit compte de la chose, elle eut le cur brisé d'une douleur impossible à apaiser; brûlant de venger le deuil de son père par la mort de son mari, elle se mit aussitôt à comploter l'assassinat du roi avec Helmechis, le scilpor (c'est-à-dire son écuyer) et frère de lait d'Alboin. Helmechis persuada la reine d'associer au plan Peredeo, un homme d'une force physique peu ordinaire. Comme celui-ci, face à la proposition de la reine, refusait de se prêter à un méfait aussi grave, elle se glissa nuitamment dans le lit de sa femme de chambre, avec laquelle Peredeo couchait régulièrement. Ignorant la chose, Peredeo arriva et passa la nuit aux côtés de la reine. Le forfait une fois consommé, elle lui demanda qui donc il pensait qu'elle était; et lui de nommer son amie, puisqu'il croyait qu'il s'agissait d'elle. La reine triompha : "Mais pas du tout, je suis Rosemonde! Et tu viens d'accomplir un tel crime que tu dois ou tuer Alboin, ou périr sous son glaive". C'est alors qu'il comprit le mal qu'il avait fait et, lui qui avait opposé un refus spontané, maintenant contraint et forcé par ce stratagème, donna son assentiment au meurtre du roi (Histoire des Lombards, II, 28, p.51)
Mort du pape Grégoire (604)
Le bienheureux pape Grégoire passa alors lui aussi au Christ, dans la deuxième année déjà du règne de Phocas, pendant la huitième indiction. Savinianus fut élu pour le remplacer à l'office apostolique. L'hiver fut extrêmement froid et les vignes moururent presque partout. Les moissons furent aussi partiellement détruites par les rats, et pour partie perdues à cause de la maladie. Le monde devait bien souffrir de la faim et de la soif, puisqu'avec la mort d'un si grand maître le manque d'aliment spirituel et la sécheresse de la soif avaient envahi les âmes. Et je suis bien heureux d'insérer dans cet opuscule qulques lignes extraites d'une lettre de ce même bienheureux pape Grégoire, de façon qu'on puisse reconnaître avec plus de clarté quelle fut l'humilité de cet homme, et combien étaient grandes son innocence et sa sainteté. Comme on l'accusait auprès de l'empereur Maurice et de ses fils d'avoir fait tuer en prison, pour de l'argent, un évêque du nom de Malcus, il écrivit à son apocrisiaire Savinianus, qui était à Constantinople, une lettre sur le sujet disant entre autres : "Il est une chose que tu pourrais brièvement rappeler à nos maîtres sérénissimes, c'est que si moi, leur serviteur, j'avais voulu me mêler de la mort des Lombards, leur peuple n'aurait aujourd'hui ni roi, ni ducs, ni comtes; il serait divisé, dans la plus complète anarchie. Mais comme je crains Dieu, je redoute d'être mêlé à la mort d'un homme quel qu'il soit. Cet évêque Malcus n'a pas été emprisonné, ni maltraité en aucune manière; le jour où il a défendu sa cause et où il a été condamné, le notaire Boniface l'a emmené chez lui à mon insu, il a dîné là, a été honorablement traité, et dans la nuit il est mort à l'improviste". Voilà le degré d'humilité de cet homme : en dépit de sa qualité de pontife suprême, il s'est appelé serviteur! Voilà la hauteur de son innocence : il n'a pas voulu prendre part à la ruine des Lombards, qui étaient bien des incroyants pourtant et qui saccageaient tout! (Histoire des Lombards, IV, 29, p.87-88)
Ascension des maires du palais chez les Francs
Dans les Gaules, à cette époque, les rois des Francs étaient en train de perdre de leur force morale et de leur sagesse habituelles. C'est ainsi que débuta la gestion du pouvoir royal par ceux qu'on considérait comme les plus importants au sein de la maison du roi, qui se mirent à agir en tout point comme le font d'ordinaire les souverains : selon toute apparence, le transfert du royaume des Francs à leur descendance était une disposition céleste. C'est à ce moment qu'Arnulf, homme aimé de Dieu et d'une sainteté extraordinaire -- comme la suite le démontra avec éclat -- , fut le chef de la maison du roi au palais. Après la gloire du siècle, il se soumit au service du Christ, fut un évêque remarquable, choisit enfin la vie érémitique et vécut dans un renoncement absolu, se donnant tout entier au service des lépreux. Il existe dans l'église de Metz, où il fut évêque, un livre sur sa vie admirable, où sont rapportés ses miracles et sa vie d'abstinence. Mais j'ai moi-même fait état de certains faits remarquables à propos de ce très saint homme dans le livre que j'ai écrit sur les évêques de cette ville (Angelramnus, être tout de douceur et de haute sainteté, m'en avait instamment prié) et il serait superflu de les répéter maintenant (Histoire des Lombards, VI, 16, p.133-134).
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