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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS
Historiographie médiévale
Bède le Vénérable (672-735)
Texte :
- Histoire ecclésiastique du peuple anglais, Introd. et notes A. CRÉPIN, éd.M. LAPIDGE, trad. P. MONAT, Ph. ROBIN, Paris, 2005 (Sources chrétiennes, 489, 490, 491).
- *Histoire ecclésiastique du peuple anglais, trad. Ph. DELAVEAU, Paris, 1995 (L'aube des peuples).
- Histoire ecclésiastique du peuple anglais, I. Conquête et conversion, II. Miracles et missions, trad. O. SZERWINIACK, Florence BOURGNE, J. ELFASSI, M. LESCUYER, Agnès MOLINIER, Paris, 1999 (La roue à livres).
Études :
- BLAIR P.H., The Historical Writings of Bede, dans La storiografia altomedievale. Settimane di studio del Centro italiano di studi sull'alto medioevo, XVII, t.I, Spolète, 1970, p.197-221.
- CAMPBELL J., Bede, dans T.A. Dorey (ed.), Latin Historians, Londres, 1966, p.159-190.
- COUMERT M., Origines des peuples: les récits du Haut Moyen-Âge occidental (550-850), Paris, 2007 [p. 403-439: L'origine des peuples de Grande Bretagne selon Bède le Vénérable].
- DAVIDSE J., The Sense of History in the Works of the Venerable Bede, dans Studi Medievali, 3e sér., 23, 1982, p.647-695.
- LAISTNER M.L.W., The Venerable Bede [4 articles], dans Ch.G. Starr, The Intellectual Heritage of the Early Middle Ages. Selected Essays by M.L.W. Laistner, New York, 1972, p.91-177.
- OLSEN G., Bede the Historian : The Evidence from his Observations on the Life of the First Christian Community of Jerusalem, dans The Journal of Ecclesiastical History, 33, 1982, p.519-530.
- RAY R., Bede's Vera lex historiae, dans Speculum, 55, 1980, p.1-21.
- TUGENE G., L'histoire ecclésiastique de Bède le Vénérable, dans Pouderon B. - Duval Y.-M. (dir), L'historiographie de l'Église des premiers siècles, Paris, 2001, p. 259-270.
Sources et loi de l'histoireJe t'ai transmis naguère, sur ta requête, ô roi, l'Histoire ecclésiastique du peuple anglais que j'avais récemment publiée, pour que tu la lises et lui donnes ton approbation. Je te la retourne maintenant pour la faire recopier et étudier plus avant, à tête reposée. Je ne puis m'empêcher de louer la sincérité et le zèle avec lesquels tu prêtes une oreille diligente non seulement aux paroles de la Sainte Écriture, mais plus encore aux faits et gestes de nos ancêtres célèbres, spécialement ceux de notre peuple, auxquels tu t'intéresses avec un grand soin.
Car si l'Histoire relate de bonnes actions accomplies par des hommes de bien, l'auditeur attentif se voit porté à imiter ce qui est bon. Et si elle commémore des actes répréhensibles commis par des êtres dépravés, l'auditeur ou le lecteur pieux et droit, qui évite ce qui peut nuire à son âme, désire plus vivement accomplir ce qu'il sait être bon et digne de Dieu. Toi qui considères attentivement ces questions, tu souhaites la publication de cette Histoire, à la fois pour ta propre instruction et pour l'édification des sujets que Dieu t'a confiés.
Mais pour ôter le doute qui pourrait te traverser l'esprit, ou celui des lecteurs ou auditeurs de cette Histoire, quant à la vérité de ce que j'affirme, je prendrai soin d'indiquer brièvement les principaux auteurs que j'ai consultés.
Le principal écrivain et guide que j'ai suivi, en compilant ce petit ouvrage, fut le très révérend père abbé Albinus, homme d'un prodigieux savoir. Élevé dans l'Église de Canterbury, sous l'archevêque Théodore de sainte mémoire et le père abbé Hadrien, deux hommes vénérables et très érudits, il avait soigneusement établi les faits et gestes accomplis par les disciples du saint pape Grégoire dans la province de Canterbury et les environs, qu'il m'avait fait parvenir. Cet abbé avait découvert tout cela dans des écrits, ou il le tenait de la tradition des anciens.
Il chargea Nothelm, un prêtre très pieux de l'Église de Londres, de me remettre tout ce qui méritait d'être conservé en mémoire, sous forme d'écrits ou de récits que je tiens de la bouche même de ce dernier. Ce même Nothelm se rendit par la suite à Rome où l'évêque Grégoire [II], qui dirige maintenant l'Église du pape Grégoire [Ier], lui permit de consulter les archives de la sainte Église de Rome; il y découvrit certaines épîtres du saint pape Grégoire aussi bien que celles d'autres évêques, qu'il nous offrit à son retour pour que nous les insérions dans notre Histoire, accompagnées des avis et conseils du révérend père Albinus dont je viens de parler.
Ainsi, du commencement de ce volume jusqu'à l'époque où le peuple des Angles reçut la foi chrétienne, nous avons recensé les écrits de nos prédécesseurs, et colligé les matériaux nécessaires à notre Histoire. De cette époque jusqu'au temps présent, tout ce qu'ont entrepris les disciples du bienheureux pape Grégoire ou leurs successeurs dans l'Église de Canterbury, ou sous quels rois tout cela est advenu, nous le tenons du père abbé Albinus, susnommé, par l'intermédiaire de Nothelm.
...
Je supplie bien humblement le lecteur, s'il découvre dans ce que j'ai écrit la moindre chose qui ne coïncide pas avec la vérité, de ne pas m'en imputer la responsabilité, car j'ai seulement veillé à rassembler -- telle est la vraie loi de l'Histoire -- tout ce qui était notoirement connu, pour servir à l'instruction de nos descendants.
En outre, je supplie bien humblement tous ceux qui liront ou entendront cette histoire de notre nation, du fait de mes infirmités de corps et d'esprit, de ne cesser d'intercéder pour moi devant le trône de la miséricorde divine. Je demande enfin que, en récompense de ce travail d'archivage des événements les plus dignes d'être sauvés de l'oubli, les habitants de ces diverses régions et villes où ils se sont déroulés, et qui prendront plaisir à les entendre, me fassent obtenir les fruits de leurs pieuses intercessions (Histoire ecclésiastique, Préface, p.59-61).
Présentation de la Bretagne
La Bretagne, île de l'Océan répondant jadis au nom d'Albion, est située entre le Nord et l'Ouest. Elle fait face aux côtes de Germanie, de Gaule et d'Espagne, trois des plus grandes parties de l'Europe, quoique situées à une grande distance. L'île est longue de huit cents miles au nord et large de deux cents miles, sans compter plusieurs caps ou promontoires qui en augmentent la largeur, ce qui donne un périmètre de l'ordre de trois mille six cent soixante-quinze miles (Histoire ecclésiastique, I, 1, p.65)
Martyre de saint Alban
Emmené pour être exécuté, il [Alban] parvint à une rivière au flot rapide, qui courait entre le mur de la ville et l'arène où il devait être exécuté. Une multitude de gens des deux sexes, de tous âges et de toutes conditions se trouvait réunie là, que, sans nul doute, l'inspiration divine avait convoquée pour assister dans sa mort le confesseur et martyr. Ils occupaient le pont qui enjambait la rivière, de sorte que, ce soir-là, on parvenait à peine à le franchir. Bref, presque tous étaient sortis, si bien que le juge s'était retrouvé dans la ville sans personne pour le servir.
Alors, animé par un ardent et pieux désir d'en venir vite au martyre, saint Alban s'approcha de la rivière. Lorsqu'il eut levé les yeux au ciel, le lit de la rivière s'assécha brusquement, et il s'aperçut que l'eau s'était écartée et lui avait ouvert un passage.
Le bourreau qui allait le mettre à mort s'en aperçut également comme les autres. Pour cette raison, il se hâta d'arriver à l'endroit désigné pour son exécution. Là, mû par l'inspiration divine, il tomba à ses pieds et, jetant l'épée qu'il n'avait cessé de brandir, il supplia qu'on le fasse mourir avec le martyr qu'il avait ordre de tuer, ou, si possible, à sa place.
Tandis que, de persécuteur, cet homme devenait un compagnon dans la foi et que les autres bourreaux hésitaient à ramasser l'épée jetée à terre, le révérend confesseur, accompagné par toute la multitude, monta sur une colline éloignée de cinq cents pas de la place, non pas ornée mais réellement habillée d'innombrables plantes en fleurs...
Arrivé au sommet, saint Alban pria Dieu de lui donner de l'eau, et aussitôt surgit à ses pieds une source d'eau vive, au lit étroit, qui fit voir à tous que la rivière lui avait obéi. Mais le martyr ne pouvait laisser au sommet de la montagne l'eau qu'il avait ôtée à la rivière, si cela ne lui paraissait pas opportun. Son saint service accompli, la rivière rejoignit son cours naturel, laissant un témoignage de son obéissance.
Ici donc, la tête de notre courageux martyr fut décollée, et il reçut la couronne de vie que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. Mais à celui qui donna le coup fatal, il ne fut pas permis de se réjouir à la vue du mort, car ses yeux churent à terre avec la tête du bienheureux martyr (Histoire ecclésiastique, I, 7, p.74-75)
A propos de la date de Pâques
Le même pape Honorius [VIIe s.] écrivit également une lettre au peuple des Scots, dont il avait appris qu'il se trompait dans l'observance de la sainte période de Pâques, comme nous l'avons montré plus haut. Il les exhortait à ne pas croire que leur petit nombre, placé aux extrêmes frontières de la terre, fût plus sage que toutes les Églises du Christ, aussi bien anciennes que modernes, répandues à travers le monde; et à ne pas célébrer une fête de Pâques différente de la Pâque telle qu'on la calculait communément, et contraire aux décrets des évêques du monde entier, réunis en synodes.
De même Jean -- qui succéda à Sévérinus, successeur d'Honorius -- lorsqu'il n'était qu'élu au pontificat, leur adressa une lettre pleine d'autorité et d'érudition pour corriger la même erreur. Il montre avec évidence que le dimanche de Pâques doit intervenir entre la quinzième lune et la vingt et unième, comme l'approuva le concile de Nicée. Dans la même épître, il les engageait à prendre garde de ne pas sombrer dans l'erreur pélagienne, dont on lui avait dit qu'elle se ravivait parmi eux. L'épître commençait comme suit... (Histoire ecclésiastique, II, 19, p.165)
Note finale : autobiographie de Bède
Ces faits concernant l'Histoire ecclésiastique des Bretagnes, et en particulier l'Église du peuple anglais -- autant que j'aie pu les vérifier à l'aide des anciens écrits, ou en étudiant la tradition de nos ancêtres, ou en utilisant mes propres connaissances --, je les ai mis en ordre, avec l'aide de Dieu, moi Bède, serviteur du Christ et prêtre du monastère des bienheureux apôtres Pierre et Paul, qui se trouve à Wearmouth et Jarrow.
Je suis né sur les terres de ce même monastère, et, à l'âge de sept ans, ma famille me confia d'abord au très révérend père abbé Benoît, puis à l'abbé Céolfrid, pour être éduqué. J'ai passé le reste de ma vie dans ce monastère et me suis entièrement consacré à l'étude des Écritures. Et, bien que j'observe la discipline régulière et que je chante quotidiennement les offices à l'église, je me suis toujours plu à apprendre, ou à enseigner, ou à écrire.
J'ai été ordonné diacre lors de ma dix-neuvième année, et prêtre dans la trentième, recevant ces deux grades des mains de l'évêque Jean sur la recommandation de l'abbé Ceolfrid. Depuis mon ordination sacerdotale jusqu'à ma cinquante-neuvième année, je me suis appliqué, tant pour mes propres besoins que pour ceux de mes frères, à reproduire, sous une forme brève, des commentaires sur les Écritures saintes que j'ai tirés des uvres des saints pères, surajoutant ma contribution à la formule de leurs interprétations.
Ces livres sont les suivants :
- Sur le début de la Genèse, jusqu'à la naissance d'Isaac et l'éviction d'Ismaël, 4 livres;
- Sur le tabernacle et ses vases, et sur les vêtements des prêtres, 3 livres; ...
- J'ai écrit l'Histoire des abbés de notre monastère, Benoît, Ceolfrid et Huetbert, en 2 livres;
- l'Histoire ecclésiastique de notre île et de notre peuple, en 5 livres
...
Je te supplie, miséricordieux Jésus, de même que tu m'as permis de boire avec joie les paroles de ton savoir, de me permettre enfin de venir à toi, Fontaine de toute sagesse, et de me tenir pour l'éternité devant Ta face.
Ici s'achève, avec l'aide du Seigneur, le Livre cinquième de l'Histoire ecclésiastique du peuple anglais (Histoire ecclésiastique, V, 24, p.364-367).
Les commentaires éventuels peuvent être envoyés: à Jean-Marie Hannick.