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Historiographie médiévale

 

Grégoire de Tours (538 - 594)

 


Texte :

-*Histoire des Francs, trad. R. LATOUCHE, Paris, 1996 (Les classiques de l'histoire de France au Moyen Age).

- L'histoire des rois francs, trad. J.J.E. ROY, Paris, 1968 (L'aube des peuples).

- Texte numérisé BNF

 Études :

- BROWN P., Reliques et statut social au temps de Grégoire de Tours, dans La société et le sacré dans l'Antiquité tardive, Paris, 1985, p.171-198.

- DE PRISCO A., Gregorio di Tours agiografo. Tra ricerca e didattica, Padoue, 2000 (Studi Testi Documenti).

- HEINZELMANN M., Grégoire de Tours, «père de l'histoire de France», dans BERCÉ Y.-M. - CONTAMINE Ph. (éd.), Histoires de France. Historiens de la France, p.19-45.

- HEINZELMANN M., Gregory of Tours. History and Society in the Sixth Century, Cambridge, 2001.

- KURTH G., De l'autorité  de Grégoire de Tours, dans Études franques, t. 2, Bruxelles, 1919, p.117-206.

- MITCHELL K. - WOOD I. (éds.), The World of Gregory of Tours, Leyde, 2002 (Cultures, Beliefs and Traditions, 8).

 


Préface

Le culte des belles lettres est en décadence et même il se meurt dans les villes de Gaule. Aussi tandis que de bonnes et mauvaises actions s'accomplissaient, que la barbarie des peuples se déchaînait, que les violences des rois redoublaient, que les églises étaient attaquées par les hérétiques et protégées par les catholiques; que la foi du Christ devenait plus ardente chez beaucoup, mais tiédissait chez quelques-uns; que les églises également étaient enrichies par les dévots et dépouillées par les infidèles, on ne pouvait trouver un seul lettré assez versé dans l'art de la dialectique pour décrire tout cela en prose ou en vers métriques. Souvent beaucoup se lamentaient en disant : "Malheur à notre époque parce que l'étude des lettres est morte chez nous et qu'on ne trouve dans le peuple personne qui soit capable de consigner par écrit les événements présents". Or comme je ne cessais d'entendre ces réflexions et d'autres semblables, je me suis dit que pour que le souvenir du passé se conservât, il devait parvenir à la connaissance des hommes à venir même sous une forme grossière. Je ne pouvais pas taire les conflits des méchants ni la vie de ceux qui vivent honnêtement. J'ai été surtout stimulé parce que j'ai souvent entendu dire dans mon entourage à ma surprise qu'un rhéteur qui philosophe n'est compris que du petit nombre, mais que celui qui parle la langue vulgaire se fait entendre de la masse. Quant au calcul des années j'ai décidé de prendre le commencement du monde pour point de départ du livre premier dont j'ai indiqué ci-dessous les chapitres (Histoire des Francs, p.31-32).

 

Histoire et théologie (Préface du livre III)

Je voudrais, s'il vous plaît, un peu comparer les succès survenus aux chrétiens qui confessent la Trinité et les désastres subis par les hérétiques qui la divisent. Abstenons-nous de rappeler comment Abraham la vénère près du chêne, comment Jacob la prêche dans sa bénédiction ... Mais laissant, comme nous l'avons dit, ces choses, revenons à notre temps. Arius donc, qui a été le premier et le malfaisant inventeur de cette secte malfaisante, est précipité dans les feux de l'enfer après avoir vidé ses entrailles dans un privé. Au contraire, Hilaire le bienheureux, défenseur de l'indivisible Trinité, qui à cause d'elle a été voué à l'exil, est rendu à sa patrie et au paradis. Le roi Clovis qui l'a confessé a écrasé lesdits hérétiques avec son aide et étendu son royaume à travers toutes les Gaules; Alaric, qui l'a renié est privé de son royaume, de son peuple et, ce qui plus est, de la vie éternelle. Ainsi le Seigneur restitue à ceux qui croient vraiment en lui leurs biens au centuple même si par suite des embûches de l'ennemi ils en perdent quelques-uns; au contraire, les hérétiques n'en acquièrent pas davantage, mais ce qu'ils possèdent leur est enlevé. C'est ce qu'a prouvé la mort de Godégisile, de Gondebaud et de Godomar, qui ont perdu à la fois patrie et âmes. Quant à nous, nous confessons un Seigneur unique et invisible et aussi immense, incompréhensible, glorieux, éternel et perpétuel, unique dans sa Trinité résultant du nombre de ses personnes qui sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit; nous confessons qu'il est triple dans une unité résultant de l'égalité de substance, de divinité, d'omnipotence et de vertu; c'est un Dieu unique, souverain et tout-puissant qui règne sur les siècles éternels (Histoire des Francs, p.140-141)

 

Description de Dijon

A cette époque le bienheureux Grégoire résidait dans la ville de Langres; c'était un grand évêque de Dieu, célèbre par ses miracles et ses vertus. Mais puisque nous faisons allusion à ce pontife, j'ai pensé qu'on me saura gré d'insérer dans ce chapitre une description de la localité de Dijon où il résidait le plus souvent. C'est une place forte munie de murs très puissants au milieu d'une plaine très agréable; les terres y sont fertiles et fécondes si bien qu'après avoir passé la charrue dans les champs une seule fois on jette les semences et qu'une grande et opulente récolte vient ensuite. Au midi il y a la rivière de l'Ouche, qui est très riche en poissons; du côté de l'aquilon pénètre une autre petite rivière qui entrant par une porte et coulant sous un pont ressort par une autre porte; après avoir arrosé tout le tour de l'enceinte de son onde placide, elle fait tourner devant la porte des moulins avec une prodigieuse vélocité. Quatre portes ont été placées aux quatre coins du monde et trente-trois tours ornent toute l'enceinte; le mur de celle-ci a été édifié avec des pierres de taille jusqu'à une hauteur de vingt pieds et au-dessus en piéraille; il a trente pieds de hauteur, quinze pieds de largeur. J'ignore pourquoi cette localité n'a pas été qualifiée de cité. Elle a autour d'elle des sources précieuses. Du côté de l'occident il y a des collines très fertiles et remplies de vignes qui fournissent un si noble falerne aux habitants qu'ils dédaignent l'Ascalon. Les anciens racontent que la localité a été édifiée par l'empereur Aurélien (Histoire des Francs, III, 19, p.165-166).

 

Histoire de Galswinthe

Ce que voyant [le mariage de son frère Sigebert avec une princesse espagnole] le roi Chilpéric demanda sa sœur Galswinthe bien qu'il eût déjà plusieurs épouses; il fit promettre par les ambassadeurs qu'il délaisserait les autres pour peu qu'il méritât d'avoir une femme digne de lui et de souche royale. Le père, accueillant ces promesses, lui envoya sa fille comme il avait fait pour la précédente avec de grandes richesses, car Galswinthe était plus âgée que Brunehaut. Lorsqu'elle fut arrivée chez le roi Chilpéric, elle fut accueillie avec beaucoup d'honneurs et associée à lui par le mariage. Il éprouvait aussi pour elle un grand amour, car elle avait apporté avec elle de grands trésors. Mais son amour pour Frédégonde qu'il avait eue auparavant comme femme provoqua entre eux un grand différend. Elle avait déjà été convertie à la foi catholique et ointe de chrême. Or comme elle se plaignait constamment au roi d'avoir à supporter des injures et de ne jouir auprès de lui d'aucune considération, elle demanda la permission de rentrer librement dans sa patrie en laissant les trésors qu'elle avait apportés avec elle. Le roi feignit de nier la chose, l'apaisa par de douces paroles. Finalement il la fit égorger par un esclave et on la trouva morte dans son lit. Après sa mort, Dieu accomplit un grand miracle, car la lampe qui, suspendue par une corde, brûlait dans son sépulcre, ayant eu sa corde rompue sans que personne y touchât, tomba sur le pavé, et le pavé, malgré sa dureté, se dérobant sous elle, elle y pénétra comme dans une matière molle et resta enfoncée au milieu sans se briser aucunement. Or ceci ne put avoir lieu sans un grand miracle au dire de ceux qui l'ont vu. Quant au roi, après avoir pleuré la morte, il reprit après quelques jours Frédégonde qu'il épousa (Histoire des Francs, IV, 28, p.210-211).

 

Miracle de Saint Pierre

Saint Pierre est inhumé dans une église appelée depuis longtemps le Vatican. Son tombeau est placé sous l'autel et il est très rare qu'on y pénètre. Si quelqu'un désire y prier, on lui ouvre les portes qui défendent l'entrée et il arrive au-dessus du tombeau. Là il ouvre une petite fenêtre et peut accomplir ses dévotions et exposer sa requête. Si celle-ci est juste, le résultat ne se fait guère attendre. S'il désire remporter avec lui quelque souvenir bénit, il jette sur la tombe un petit mouchoir qui auparavant a été soigneusement pesé et alors, priant et jeûnant, il demande à l'apôtre d'exaucer son vœu. Chose merveilleuse, si la foi du suppliant est ferme, le mouchoir, une fois enlevé de dessus la tombe, est si bien rempli d'une vertu divine qu'il pèse plus qu'auparavant (De gloria martyrum, 27-28, cité par J. Carcopino, Études d'histoire chrétienne, Paris, 1953, p.240).


Les commentaires éventuels peuvent être envoyés à Jean-Marie Hannick.


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