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[César]

Guerre d'Afrique (1-48)

 


Chapitres

 

[I] [II] [III] [IV] [V] [VI] [VII] [VIII] [IX] [X]

[XI] [XII] [XIII] [XIV] [XV] [XVI] [XVII] [XVIII] [XIX] [XX]

[XXI] [XXII] [XXIII] [XXIV] [XXV] [XXVI] [XXVII] [XXVIII] [XXIX] [XXX]

[XXXI] [XXXII] [XXXIII] [XXXIV] [XXXV] [XXXVI] [XXXVII] [XXXVIII] [XXXIX] [XL]

[XLI] [XLII] [XLIII] [XLIV] [XLV] [XLVI] [XLVII] [XLVIII]

[XLIX à XCVIII]


 

Fondamentalement, cette traduction française est celle de la Collection Nisard: Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus: oeuvres complètes, Paris, 1865, 727 p. Le texte a été saisi optiquement. Quelques modifications ont été apportées à l'original de 1865: ainsi des divisions en paragraphes ont été ajoutées; l'orthographe a été modernisée, et la graphie des noms propres adaptée aux éditions modernes. Les sous-titres proviennent de l'édition Bouvet-Richard (C.U.F.).

La présente traduction s'intègre dans le vaste projet louvaniste des Itinera Electronica, et en particulier dans la rubrique Hypertextes, où ce livre de César a sa place propre. Les possibilités de cette réalisation "Hypertextes" sont multiples; non seulement elle permet une lecture de l'oeuvre avec le texte latin et la traduction française en regard, mais elle donne également accès à un riche ensemble d'outils lexicographiques et statistiques très performants.

  


Préparatifs en Sicile. Départ pour l'Afrique (1-2)

[1] (1) César, sans forcer sa marche ni s'arrêter un seul jour, arriva à Lilybée le quatorze des calendes de janvier. Il montra aussitôt combien il avait hâte de s'embarquer, quoiqu'il n'eût alors qu'une légion de nouvelle levée et à peine six cents chevaux: car il fit dresser sa tente si près de la mer, que les flots venaient presque battre au pied. (2) Son intention était que personne n'espérât de retard, et que chacun fût prêt tous les jours et à toute heure. (3) Le temps était alors contraire et la saison peu propre pour courir la mer; néanmoins, il retint à bord les matelots et les soldats, afin de ne laisser échapper aucune occasion de partir; (4) d'autant plus que les habitants ne parlaient que des grandes forces de l'ennemi. Il avait, disait-on, une cavalerie innombrable, quatre légions du roi, quantité de troupes armées à la légère, dix légions de Scipion, cent vingt éléphants et plusieurs flottes. César n'en montrait aucune crainte; il avait toujours même courage et même confiance. (5) Cependant il voyait chaque jour augmenter le nombre de ses galères et de ses vaisseaux de transport; il lui vint aussi plusieurs légions de nouvelles levées, la cinquième qui était composée de vétérans, et jusqu'à deux mille chevaux.

[2] (1) Ayant rassemblé six légions et deux mille chevaux, il embarqua les légions sur les galères à mesure qu'elles arrivaient, et la cavalerie sur des vaisseaux de transport. (2) Il fit ensuite prendre les devants à la plus grande partie de sa flotte, et lui commanda de se rendre à l'île d'Aponiana, peu éloignée de Lilybée. (3) Lui-même, après s'y être arrêté encore quelques jours pour faire vendre à l'encan les biens de quelques habitants, et après avoir donné ses ordres au préteur Alliénus, gouverneur de Sicile, pour le prompt embarquement du reste de l'armée, il mit à la voile le sixième jour des calendes de janvier, et eut bientôt rejoint sa flotte. (4) Poussé par un bon vent et monté sur un vaisseau bon voilier, il arriva le quatrième jour à la vue de l'Afrique avec quelques galères; car ses vaisseaux de transport, à l'exception d'un petit nombre, écartés et dispersés par le vent, avaient abordé en divers endroits. (6) Il passa, avec sa flotte, devant Clupea et Neapolis, laissant derrière lui plusieurs villes et châteaux situés sur la côte.

[Début]

 

Devant Hadrumète. Essais de pourparlers (3-5)

[3] (1) En arrivant à Hadrumète, où il y avait une garnison ennemie, commandée par C. Considius, il vit paraître sur le rivage, du côté de Clupea, Cn. Pison avec la cavalerie d'Hadrumète, et environ trois mille Maures. Après être resté quelque temps à l'entrée du port, en attendant ses autres vaisseaux, il fit débarquer son armée, qui se composait alors de trois mille hommes de pied et cent cinquante chevaux, campa devant la ville, se retrancha sans aucune opposition, et interdit à ses gens le pillage. (2) Cependant ceux de la ville garnissent les remparts de soldats, et accourent en foule se mettre en défense devant la porte: il y avait deux légions dans la ville. (3) César fit à cheval le tour de la place, la reconnut et rentra dans son camp. (4) Quelques-uns le blâmèrent et le taxèrent d'imprudence, soit parce qu'il n'avait pas assigné aux pilotes et aux commandants un lieu fixe où ils dussent se réunir, soit parce qu'il ne leur avait pas donné, ainsi qu'il l'avait toujours pratiqué jusqu'alors, des ordres cachetés, afin que, les ouvrant à certains moments, ils vinssent tous à un rendez-vous commun. (5) César avait bien pensé à tout cela; mais il ne savait pas qu'il y eût sur la côte d'Afrique un port où sa flotte pût être en sûreté contre les garnisons ennemies, et il avait cru devoir laisser à ses vaisseaux la liberté d'aborder où le hasard les conduirait.

[4] (1) Cependant L. Plancus, lieutenant de César, lui demande la permission de conférer avec Considius, pour essayer de le ramener, de manière ou d'autre, à des sentiments plus sages. (2) Ayant obtenu l'agrément de César, il écrit à Considius, et lui fait porter la lettre par un prisonnier. (3) Celui-ci ne l'eut pas plus tôt présentée, suivant ses ordres, qu'avant de la prendre, Considius lui demande: "D'où vient cette lettre?" - "De notre général César", répond le prisonnier. (4) Alors Considius: "Le peuple romain ne reconnaît maintenant d'autre général que Scipion." Puis, il fait mettre à mort le prisonnier en sa présence; et sans lire la lettre, sans l'ouvrir, il la donne à un homme affidé pour la porter à Scipion.

[5] Après avoir passé un jour et une nuit devant la ville sans recevoir aucune réponse de Considius, et voyant que le reste de son armée n'arrivait pas; qu'il avait fort peu de cavalerie; que ses troupes, composées de nouvelles levées, n'étaient ni assez nombreuses ni assez aguerries: ne voulant pas d'ailleurs s'exposer, dès son arrivée, à recevoir un échec devant une ville bien fortifiée, dont les abords étaient difficiles, et au secours de laquelle venait, disait-on, une cavalerie nombreuse, César ne crut pas devoir s'arrêter à l'assiéger, dans la crainte que, pendant qu'il serait engagé dans cette entreprise, la cavalerie ennemie ne vînt le prendre par derrière et l'envelopper.

[Début]

 

Occupation de Ruspina et de Leptis (6-8)

[6] (1) Il se disposait donc à lever son camp, lorsque tout à coup les ennemis sortirent de la ville: en même temps le hasard envoya à leur secours la cavalerie que Juba envoyait pour recevoir sa paie. Ils s'emparent du camp dont César venait de sortir pour se mettre en marche, et commencent à poursuivre son arrière-garde. (2) À cette vue, les légionnaires s'arrêtent, et notre cavalerie, malgré son petit nombre, attaque hardiment cette multitude. (3) Une chose incroyable, c'est que trente cavaliers gaulois, au plus, battirent deux mille cavaliers maures et les repoussèrent jusque dans la ville. (4) Les ennemis ainsi repoussés et rejetés dans leurs retranchements, César continua sa marche. (5) Cependant, comme ces attaques se renouvelaient, et que sans cesse l'ennemi nous poursuivait et nous forçait à lui donner la chasse à notre tour, César mit à l'arrière-garde quelques cohortes de vétérans avec une partie de sa cavalerie, et ensuite continua tranquillement sa route. (6) Plus on s'éloignait de la ville, moins les Numides étaient ardents à la poursuite. (7) Chemin faisant, César reçut des députés de plusieurs villes et châteaux, qui venaient lui offrir des vivres et lui faire leur soumission. Le même jour, qui était le premier des calendes de janvier, il campa à Ruspina.

[7] (1) De là, aux calendes de janvier, il se rendit à Leptis, ville libre et indépendante, qui envoya aussi des députés au-devant de lui pour l'assurer qu'elle était prête à se soumettre à ses ordres. (2) Ayant donc placé des centurions et des gardes aux portes, afin d'empêcher les soldats d'y entrer ou d'en insulter les habitants, il assit son camp près de la ville, sur le rivage. (3) Là, des vaisseaux de charge et quelques galères le joignirent, et il apprit que le reste de sa flotte, incertain du lieu où il avait abordé, paraissait avoir pris la route d'Utique. (4) Voyant ses vaisseaux égarés, César résolut de ne pas s'éloigner de la mer et de ne pas entrer dans les terres; il retint même à bord toute sa cavalerie, de crainte, à ce que je pense, qu'elle ne ravageât la campagne, et fit porter de l'eau aux navires. (5)Toutefois, des matelots qui avaient débarqué pour faire de l'eau, furent attaqués par les cavaliers maures, qui, tombant sur eux tout d'un coup lorsqu'ils y pensaient le moins, en blessèrent un grand nombre, et en tuèrent plusieurs avec leurs traits. (6) C'est la coutume des Maures de se tenir en embuscade avec leurs chevaux dans les ravins, et de se montrer inopinément; mais ils n'osent pas se battre en plaine.

[8] (1) Cependant César envoya des députés avec des lettres en Sardaigne et dans les autres provinces voisines, avec ordre qu'à la réception de ces dépêches on lui envoyât sans retard des troupes, des vivres et du blé; puis, ayant fait décharger une partie de ses galères, il dépêcha Rabirius Postumus en Sicile pour en ramener un second convoi. (2) En même temps il détacha dix galères pour aller chercher le reste des bâtiments de transport qui s'étaient égarés, et pour assurer la navigation. (3) Il envoya aussi le préteur C. Sallustius Crispus, avec un certain nombre de vaisseaux du côté de l'île de Cercina, dont les ennemis étaient maîtres, parce qu'on y avait fait, disait-on, de grands approvisionnements de blé. Tous ces ordres, César avait eu soin de les préciser, de manière à ne laisser aucune excuse à la négligence et à la lenteur. (5) Pendant ce temps, ayant appris par des transfuges et par des habitants du pays les engagements onéreux contractés avec Juba, par Scipion et les siens (car Scipion s'était obligé à entretenir la cavalerie du roi aux frais de la province d'Afrique), il gémit de voir des hommes assez dépourvus de sens pour aimer mieux être tributaires d'un roi, que de vivre avec leurs concitoyens au sein de leur patrie, dans la possession paisible et sûre de leurs biens.

[Début]

 

Installation à Ruspina. Arrivée des transports égarés (9-11)

[9] (1) César lève son camp le troisième jour des nones de janvier, laisse à la garde de Leptis six cohortes sous les ordres de Saserna, et retourne avec le reste de ses troupes à Ruspina qu'il avait quittée le jour précédent. Là, sans s'embarrasser du bagage, il part avec une troupe légère pour aller chercher des vivres aux environs, se fait suivre par les habitants avec des bêtes de somme et des chariots, (2) et, après avoir ramassé d'abondantes provisions de blé, revient à Ruspina. En faisant cette tournée, son dessein était, je crois, de chercher de quoi pourvoir les villes maritimes qu'il laisserait derrière lui, et de rassurer des postes où les vaisseaux pourraient trouver une retraite.

[10] (1) Aussi, après avoir remis la garde de cette place, où il laissait une légion, à P. Saserna, frère de celui qu'il avait laissé près de là, à Leptis, et lui avoir recommandé d'y ramasser le plus de bois qu'il pourrait, il part avec sept cohortes tirées des vieilles légions qui avaient servi sur la flotte de Sulpicius et Vatinius, se rend à un port éloigné de deux mille pas de Ruspina, et s'embarque sur le soir avec cette troupe, (2) sans que personne de l'armée connaisse son dessein. Ce départ donna beaucoup d'inquiétude et de chagrin à ses soldats; (3) ils étaient peu nombreux, la plupart de nouvelle levée; et, avant même qu'ils fussent au complet, ils se voyaient exposés, dans le sein de l'Afrique, aux attaques d'une armée puissante, d'une nation perfide et d'une cavalerie innombrable, n'ayant à espérer de consolation ou de secours que de la présence de leur général, de sa fermeté inébranlable et de son admirable sérénité. En effet, toute sa personne annonçait la grandeur et l'élévation de son âme: (4) ses troupes se reposaient sur lui avec confiance, et dirigées par son expérience et son génie, elles croyaient tout possible.

[11] (1) César, après avoir passé la nuit sur sa flotte, se préparait à partir au point du jour, lorsqu'il vit paraître ceux de ses vaisseaux qui s'étaient égarés et que le hasard amenait sur cette côte. (2) Aussitôt il fait débarquer tous ses gens, en leur ordonnant d'attendre en armes sur le rivage les autres soldats qui arrivent; (3) et, dès que les vaisseaux sont dans le port avec l'infanterie et la cavalerie, il retourne à Ruspina, y établit son camp, et repart avec trente cohortes pour aller chercher des vivres. (4) On jugea, d'après tout cela, que l'intention de César avait été d'aller secrètement à la recherche des vaisseaux de transport qui s'étaient égarés, pour empêcher qu'ils ne vinssent à donner dans la flotte ennemie, et qu'il n'avait pas voulu que les troupes qu'il avait laissées dans les garnisons fussent instruites de son dessein, dans la crainte qu'elles ne se décourageassent en voyant leur petit nombre et la multitude des ennemis.

[Début]

 

Bataille de Ruspina (12-18)

[12] (1) César n'était encore qu'à trois mille pas de son camp, lorsque ses éclaireurs et ses cavaliers d'avant-garde lui annoncèrent que l'ennemi avait été aperçu à une distance peu éloignée; en effet, on vit en même temps s'élever une grande poussière. (2) César fit venir du camp toute sa cavalerie, dont il n'avait avec lui qu'une faible partie, et ses archers, qui n'étaient pas nombreux; et, après avoir commandé aux cohortes de le suivre doucement, en bon ordre, il prit les devants avec quelques hommes armés. (3) D'aussi loin qu'il put apercevoir l'ennemi, il ordonna à ses soldats de mettre le casque en tête et de se préparer au combat. Il n'avait en tout que trente cohortes, quatre cents chevaux et cent cinquante archers.

[13] (1) Les ennemis cependant, commandés par Labiénus et les deux Pacidéius, se rangent sur une ligne très étendue, composée, non d'infanterie, mais de cavalerie entremêlée de Numides armés à la légère, et d'archers à pied; d'ailleurs si serrée, que, de loin, les troupes de César crurent que c'était de l'infanterie. Les deux ailes étaient couvertes par deux gros corps de cavalerie. (2) César rangea comme il put son infanterie sur une seule ligne, à cause du peu de troupes qu'il avait, plaça ses archers en avant de l'armée et mit sur les deux ailes sa cavalerie, en lui recommandant de ne pas se laisser envelopper par la nombreuse cavalerie des ennemis: car il croyait que c'était contre l'infanterie qu'il allait avoir à combattre.

[14] (1) Chacun de part et d'autre attendait, et César ne faisait aucun mouvement, persuadé qu'avec si peu de troupes il aurait plus besoin d'habileté que de force, quand tout à coup on vit les cavaliers ennemis se déployer, s'étendre, embrasser les collines, harceler notre cavalerie, et se préparer à l'envelopper. (2) Celle-ci avait beaucoup de peine à se maintenir contre une si grande multitude. Déjà les deux lignes se mettaient en mouvement pour en venir aux mains, quand tout à coup l'infanterie légère des Numides, entremêlée avec leur cavalerie, s'avança vers nos légionnaires, et lança ses traits dans nos rangs. (3) Nos soldats les chargèrent avec vigueur: mais les cavaliers ennemis tournèrent bride; puis, tandis que l'infanterie résistait, ils se ralliaient derrière elle, et revenaient à la charge pour soutenir les leurs.

[Début]

[15] (1) Voyant que, dans ce nouveau genre de combat, nos légionnaires rompaient leurs rangs pour poursuivre les cavaliers ennemis, et découvraient leur flanc aux traits de l'infanterie numide, pendant que les cavaliers ennemis évitaient sans peine, en courant, nos javelots, César fit publier par tous les rangs que nul soldat n'eût à s'éloigner des enseignes de plus de quatre pieds. (2) Cependant la cavalerie de Labiénus, comptant sur la supériorité du nombre, cherchait à envelopper celle de César, qui, peu nombreuse, harcelée par cette multitude d'ennemis, et ayant la plupart de ses chevaux blessés, commençait à plier, l'ennemi la pressant de plus en plus. (3) En un moment toutes nos légions se trouvèrent enveloppées et furent réduites à se former en rond et à combattre fort à l'étroit.

[16] (1) Labiénus, à cheval et la tête nue, se tenait au premier rang, exhortait les siens, et parfois aussi s'adressait aux légionnaires de César: "Comment! disait-il, soldat novice, tu fais bien le brave! Il vous a donc tourné la tête à vous aussi avec ses harangues? Certes, il vous a engagés ici dans un mauvais pas. Je vous plains." (2) "Tu te trompes, Labiénus, je ne suis pas un soldat novice, lui répondit un soldat, mais un vétéran de la dixième légion." - "Je n'en reconnais pas les enseignes, dit Labiénus." (3) - "Eh bien! reprit le soldat, tu vas me reconnaître!" En même temps il jette bas son casque pour qu'il le reconnût, lui lance son javelot avec tant de vigueur qu'il s'enfonce dans le poitrail du cheval, et lui dit: "Labiénus, tu dois voir à présent que c'est bien un soldat de la dixième légion qui te frappe." (4) Toutefois, la consternation était dans les rangs et surtout parmi les nouveaux soldats: tous avaient les yeux tournés sur César, et ne faisaient plus que parer les coups de l'ennemi.

[Début]

[17] (1) César, ayant pénétré le dessein de Labiénus, commande à son armée de s'étendre sur le plus grand front possible, et aux cohortes de faire face alternativement, afin que l'une après l'autre elles puissent charger l'ennemi. Par ce moyen il rompt le cercle dans lequel il est enveloppé, attaque avec la cavalerie et l'infanterie une moitié de la ligne ennemie, l'accable de traits et la met en déroute; mais la crainte de quelque piège l'empêche de la poursuivre, et il retourne vers les siens. L'autre partie de la cavalerie et de l'infanterie de César fait de même. (2) L'ennemi une fois repoussé au loin avec perte, César prit, dans le même ordre de bataille, le chemin de son camp.

[18] (1) Sur ces entrefaites, M. Pétréius et Cn. Pison arrivèrent avec onze cents chevaux numides et une infanterie d'élite assez nombreuse qu'ils amenaient au secours de Labiénus. (2) Les ennemis sont rassurés et ranimés par ce renfort: leur cavalerie tourne bride, charge nos légions qui se retiraient, et veut les empêcher de regagner le camp. (3) César, voyant cela, fait tourner tête à ses légions, et recommence le combat au milieu de la plaine. (4) Mais, comme l'ennemi recommençait toujours le même genre d'attaque sans en venir aux mains, et que nos chevaux, en petit nombre, encore fatigués de la mer, accablés de soif, de fatigue et de blessures, étaient hors d'état de le poursuivre et de fournir une longue course; comme d'ailleurs il ne restait que fort peu de jour, César ordonna aux cohortes et à ses cavaliers de charger tous ensemble l'ennemi, et de ne pas s'arrêter qu'ils ne l'eussent chassé au-delà des dernières collines, et qu'ils n'en fussent les maîtres. (5) En conséquence, au signal donné, et lorsque déjà les ennemis commençaient à lancer leurs traits avec mollesse et nonchalance, il détache sur eux ses cohortes et sa cavalerie, et en un moment, sans essayer de se défendre, ils sont repoussés de la plaine et rejetés au-delà des hauteurs, dont les nôtres s'emparent. Ils s'y arrêtent quelque temps, et puis reviennent dans le même ordre et au pas vers leurs retranchements. De leur côté les ennemis, que nous avions si mal reçus, rentrèrent dans leurs forts.

[Début]

 

Les espoirs et les forces de Scipion (19)

[19] (1) À la suite de ce combat, des transfuges de toute espèce vinrent à nous, et l'on fit beaucoup de prisonniers parmi les fantassins et les cavaliers ennemis. (2) On sut par eux que le dessein de l'ennemi avait été d'étonner, par cette manière nouvelle et extraordinaire de combattre, nos jeunes soldats, et même nos vétérans qui étaient en petit nombre, de les envelopper avec leur cavalerie, et de les écraser comme ils l'avaient fait de l'armée de Curion; (3) ils ajoutaient que Labiénus s'était vanté en plein conseil de nous charger avec tant de troupes, que la fatigue seule de tuer et de vaincre nous ferait succomber. En effet, il comptait beaucoup sur le succès de cette multitude: d'abord il avait appris que les vieilles légions s'étaient mutinées et qu'elles refusaient de passer en Afrique; ensuite il ne doutait pas de la fidélité de ses soldats, que trois années de séjour dans le même pays lui avaient attachés, et il était soutenu par de nombreuses troupes de cavalerie et d'infanterie numide, armées à la légère; de plus il avait avec lui des cavaliers germains et gaulois, débris de l'armée de Pompée, qu'il avait ramenés de Buthrote, des étrangers, des affranchis et des esclaves levés dans le pays, qu'il avait exercés et dressés à conduire des chevaux avec la bride; enfin, outre tout cela, les secours fournis par le roi, cent vingt éléphants, une cavalerie innombrable, et plus de douze légions composées de toutes sortes de gens. (4) Plein d'espoir et d'audace, fier de se voir à la tête de seize cents chevaux germains et gaulois, de huit mille Numides, qui ne se servaient point de bride, de onze cents cavaliers que lui avait amenés Pétréius, de quatre fois autant d'infanterie et de troupes légères, et d'un grand nombre d'archers et de frondeurs à pied et à cheval, Labiénus avait attaqué César en rase campagne la veille des nones de janvier, trois jours après notre débarquement. Le combat dura depuis la cinquième heure jusqu'au coucher du soleil. Pétréius en sortit grièvement blessé.

[Début]

 

César se retranche à Ruspina (20-21)

[20] (1) Cependant César fortifia son camp avec plus de diligence, redoubla la garde des forts, et fit tirer deux retranchements, l'un de Ruspina à la mer, et l'autre de la mer au camp, afin de pouvoir communiquer librement de l'un à l'autre, et recevoir, sans risque, les secours qui lui viendraient. Il fit encore porter dans son camp les armes et les machines qu'il avait sur ses vaisseaux, manda au camp une partie des rameurs qui servaient sur les galères gauloises et rhodiennes, et les arma pour essayer s'il ne pourrait pas, à l'exemple de l'ennemi, entremêler sa cavalerie de fantassins armés à la légère; enfin il tira de ses vaisseaux des archers de toute espèce, d'Iturie et de Syrie, dont il grossit son armée: (2) car on disait qu'à trois jours de là Scipion devait arriver et joindre aux troupes de Labiénus et de Pétréius ses huit légions avec trois mille chevaux. (3) En outre, par l'ordre de César, on dresse des ateliers pour forger des flèches et des traits, fondre des balles, fabriquer des pieux. Il envoie en Sicile pour avoir du fer, du plomb, des claies, et du bois propre à construire des béliers, toutes choses qui manquent en Afrique. (4) Il remarqua aussi qu'il n'aurait pas de blé en Afrique si l'on n'en allait pas chercher au dehors, parce que tous les laboureurs ayant été, l'année précédente, enrôlés par l'ennemi, on n'avait pas fait la moisson. D'ailleurs Labiénus avait fait transporter dans un petit nombre de places fortes tout le blé qui s'était trouvé en Afrique, et avait ainsi épuisé le reste de la province. Les villes, à l'exception de quelques-unes où il avait mis garnison, avaient été saccagées et détruites, leurs habitants forcés de se réfugier dans les places fortes, et la campagne entièrement ravagée.

[21] (1) Réduit à cette extrémité, César avait obtenu de quelques particuliers, à force de prières et de caresses, un peu de blé qu'il ménageait avec soin, il était aussi très exact à visiter chaque jour ses travaux et faisait alternativement monter la tarde à ses cohortes, à cause de cette multitude d'ennemis. (2) Labiénus fit transporter sur des chariots, à Hadrumète, ses blessés, qui étaient en très grand nombre. (3) Cependant les vaisseaux de charge de César erraient à l'aventure, incertains du lieu où il était campé; les chaloupes des ennemis les attaquaient l'un après l'autre, et elles en avaient pris ou brûlé plusieurs. (4) César, en ayant été informé, fit croiser sa flotte autour des îles et des ports, pour la sûreté des convois.

[Début]

 

César décide Pompée le fils, à suivre l'exemple de son père (22-23)

[22] (1) Cependant M. Caton, qui commandait à Utique, ne cessait de solliciter et d'exciter, par ses discours, Cnéius, le fils de Pompée: (2) "Ton père, lui disait-il, à ton âge, voyant la république opprimée par l'audace et la perversité de quelques citoyens, les gens de bien mis à mort ou exilés de Rome et de la patrie, animé par son grand courage et par son amour de la gloire, quoique simple particulier et encore adolescent, ayant rallié les débris de l'armée de son père, rendit à la liberté Rome et l'Italie qui gémissaient sous le joug, et reconquit, avec une célérité merveilleuse, la Sicile, l'Afrique, la Numidie, la Mauritanie. (3) Par là il acquit cette célébrité qui l'a fait connaître au monde, et, tout jeune encore, et simple chevalier romain, il mérita les honneurs du triomphe. (4) Lui cependant il entra dans les charges publiques sans être soutenu par la gloire de ses ancêtres ou par la réputation de son père; il n'avait ni un grand nom, ni de grandes alliances; (5) et toi, qui as pour appui la réputation et l'autorité de ton père, outre ta grandeur d'âme et ton activité personnelles, ne feras-tu aucun effort? n'iras-tu pas trouver les amis de ton père pour les engager à prendre en main ta défense, celle de la république et de tous les gens de bien?"

[23] (1) Animé par les discours d'un personnage si grave, le jeune Pompée prit trente vaisseaux de toute espèce, parmi lesquels il y avait peu de bâtiments de guerre, partit d'Utique pour la Mauritanie, entra dans le royaume de Bogud avec une troupe de deux mille hommes, tant libres qu'esclaves, partie armés, partie sans armes, et marcha sur la ville d'Ascurum, où le roi avait mis garnison. (2) À son arrivée, les habitants le laissèrent d'abord approcher jusqu'aux portes; mais bientôt, sortant tout à coup, épouvantant et renversant sa troupe, ils la repoussèrent en désordre jusqu'à ses vaisseaux. (3) Après ce mauvais succès, le jeune Pompée partit sans reparaître depuis sur la côte, et prit avec sa flotte la route des îles Baléares.

[Début]

 

Scipion rejoint Labiénus. Disette dans le camp Césarien (24)

[24] (1) Cependant Scipion, étant parti avec ces mêmes troupes dont nous avons parlé, et ayant laissé une forte garnison à Utique, vint d'abord camper à Hadrumète. Après s'y être arrêté quelques jours, il marcha de nuit, et fit sa jonction avec Pétréius et Labiénus: ils formèrent alors un seul camp, et se postèrent à environ six mille pas de César. (2) Cependant leur cavalerie venait courir autour de nos retranchements, et enlevait ceux qui en sortaient pour aller à l'eau ou au fourrage; et ainsi ils nous obligeaient à rester dans notre camp. (3) Aussi la disette fut bientôt dans l'armée de César; car aucun convoi n'arrivait de Sardaigne ni de Sicile. Comme la saison rendait la mer dangereuse, et que César n'avait, sur le continent, qu'un espace de trois mille pas où il pût s'étendre, le fourrage vint à manquer. (4) Dans cette extrémité, les soldats vétérans et les cavaliers qui avaient longtemps fait la guerre sur terre et sur mer, et qui avaient souvent passé par les mêmes épreuves et par une aussi grande disette, ramassaient sur le rivage de l'algue marine, la lavaient dans de l'eau douce, et, par cette nourriture, prolongeaient la vie de leurs chevaux.

[Début]

 

Entrée en campagne de Juba. Diversion de P. Sittius (25)

[25] (1) Sur ces entrefaites, le roi Juba ayant su les embarras de César et le petit nombre de ses troupes, ne crut pas devoir lui donner le temps de se remettre et d'augmenter ses forces. Il sortit donc de ses états avec une cavalerie et une infanterie nombreuses, et marcha au secours de ses alliés. (2) D'un autre côté, P. Sittius et le roi Bocchus, apprenant le départ de Juba, réunirent leurs forces, entrèrent dans son pays, assiégèrent Cirta, la plus opulente ville du royaume, et la prirent en peu de jours. Ils s'emparèrent aussi de deux villes Gétules, (3) dont les habitants, ayant refusé de livrer la place, furent enlevés d'assaut et passés au fil de l'épée. De là ils allèrent ravager la campagne et désoler les villes. (4) À ces nouvelles, Juba, qui était au moment de joindre Scipion et les autres chefs, réfléchit qu'il valait mieux aller au secours de son propre royaume, que de s'exposer à le perdre en voulant secourir les autres sans peut-être y réussir. Craignant donc pour lui-même et pour ses intérêts, (5) il se retira une seconde fois, et emmena même les troupes qu'il avait envoyées à Scipion: il lui laissa seulement trente éléphants, et partit à la défense de ses frontières et de ses places.

[Début]

 

L'état lamentable de la province décide César à pousser activement les opérations (26)

[26] (1) César, informé qu'on doutait de son arrivée dans la province, et que l'on croyait ses troupes venues en Afrique avec un de ses lieutenants, envoya des lettres dans toutes les villes du pays pour les assurer qu'il était présent. (2) Alors des personnages distingués de la province, abandonnant leurs villes, vinrent le trouver dans son camp, et se plaignirent à lui des excès et de la cruauté de l'ennemi. (3) Jusque là il s'était tenu tranquille dans ses retranchements; mais, touché de leurs larmes et de leurs prières, il résolut d'entrer en campagne dès que la saison serait venue, et que toutes ses forces seraient rassemblées. Il écrivit donc sur-le-champ en Sicile, à Alliénus et à Rabirius Postumus, auxquels il fit passer ses lettres par une barque légère, leur mandant de lui envoyer ses troupes sans retard, et sans égard à la saison ni aux vents contraires: qu'autrement l'Afrique était perdue et bouleversée; que si on ne la secourait au plus tôt, il n'y resterait plus que le sol, et pas une maison où l'on pût se mettre à couvert de la rage de l'ennemi. (4) Il avait tant d'impatience et tant d'empressement que, dès le lendemain du départ de ses lettres, il se plaignait du retard de sa flotte, et de son armée, et que, nuit et jour, ses yeux et sa pensée étaient tournés vers la mer. (5) Et il ne faut pas s'en étonner; car il voyait devant lui brûler les habitations, ravager les terres, enlever et massacrer le bétail, ruiner et désoler les châteaux et les villes, mettre à mort et charger de chaînes les principaux du pays, et emmener leurs enfants en servitude à titre d'otages, sans que le petit nombre de ses troupes lui permit de secourir ces malheureux qui l'imploraient. (6) Cependant il exerçait ses soldats, fortifiait son camp, élevait des tours et des redoutes, et poussait ses retranchements jusqu'à la mer.

[Début]

 

Scipion dresse ses éléphants (27)

[27] (1) Dans le même temps, Scipion s'appliqua à dresser ses éléphants. Voici comme il s'y prit. Il partagea son armée en deux corps: l'un, composé de frondeurs, figurait l'ennemi et lançait de petits cailloux contre les éléphants rangés en ligne; l'autre était en bataille derrière les éléphants, afin de les forcer à coups de pierres, quand ils seraient attaqués et qu'ils voudraient prendre la fuite, à retourner contre l'ennemi, (2) ce qu'ils n'exécutaient qu'avec peine et lenteur, car ces animaux, à peine dressés après plusieurs années d'exercice, sont toujours, dans un combat également dangereux pour les deux armées.

[Début]

 

Vergilius prend en chasse des transports de troupes isolés. Cruauté de Scipion (28)

[28] (1) Tandis que les deux chefs se préparaient ainsi devant Ruspina, C. Vergilius, ancien préteur qui commandait le port de Thapsus, aperçut quelques vaisseaux montés par des soldats de César, qui erraient à l'aventure, sans connaître le pays ni le lieu où il était campé. L'occasion lui parut favorable: il remplit un bâtiment de transport de soldats et d'archers, y joignit quelques chaloupes, et poursuivit les vaisseaux de César. (2) Il en attaqua plusieurs et fut repoussé et chassé. Cependant, comme il s'opiniâtrait à la poursuite, il tomba par hasard sur un bâtiment où se trouvaient deux jeunes Espagnols, du nom de Titius, tribuns de la cinquième légion, et dont le père avait été fait sénateur par César. Ils avaient avec eux T. Saliénus, centurion de la même légion, lequel avait autrefois assiégé dans Messine, M. Messala, lieutenant de César, et lui avait tenu des discours fort séditieux; il s'était même emparé de l'argent et des ornements destinés au triomphe de César, et à cause de cela, il craignait de tomber entre ses mains. (3) Avec la conscience du châtiment que méritaient ses fautes, il persuada aux deux jeunes gens de se rendre sans résistance à Vergilius. Celui-ci les envoya à Scipion qui les livra à ses gardes, et, trois jours après, ils périrent. (4) Comme on les menait au supplice, l'aîné des Titius, à ce qu'on rapporte, demanda aux centurions à mourir avant son frère; on le lui accorda aisément, et ils furent ainsi mis à mort.

[Début]

 

Insuccès de Labiénus devant Leptis (29)

[29] (1) Cependant les postes de cavalerie, placés à la porte des deux camps, ne laissaient point passer de jour sans se livrer de légers combats; quelquefois aussi, les cavaliers germains et gaulois de Labiénus faisaient trêve et s'entretenaient avec les cavaliers de César. (2) Pendant ce temps Labiénus, avec une partie de sa cavalerie, essayait d'emporter de force Leptis, où Saserna commandait avec trois cohortes; mais cette place était bien fortifiée et pourvue de machines; on la défendait sans peine et sans danger. (3) Cependant, comme la cavalerie revenait souvent à la charge, et qu'un jour une grosse troupe de cavaliers ennemis s'était avancée jusque devant la porte, un trait bien ajusté, lancé par un scorpion, atteignit le décurion et le cloua sur son cheval, ce qui effraya tellement les autres qu'ils s'enfuirent vers leur camp. Depuis lors ils n'osèrent plus faire aucune tentative contre cette ville.

[Début]

 

Scipion offre la bataille (30-31)

[30] (1) Cependant Scipion rangeait tous les jours son armée en bataille à environ trois cents pas de son camp, et après y avoir passé la plus grande partie de la journée, rentrait dans ses retranchements. (2) Comme il avait souvent réitéré cette manoeuvre sans que personne sortît du camp de César, et s'avançât vers lui, cette patience lui inspira un tel mépris pour César et pour son armée, qu'il osa faire sortir toutes ses troupes, plaça en tête trente éléphants chargés de tours, et déployant le plus possible sa cavalerie et son infanterie, déjà fort nombreuses, il s'arrêta ainsi dans la plaine, non loin de nos retranchements.

[31] (1) César envoya ordre aux soldats qui étaient sortis des retranchements pour aller au bois ou au fourrage, ou pour ramasser des fascines dans le vallon, de revenir avec les travailleurs, et de rentrer dans les lignes peu à peu sans confusion et sans bruit. (2) En même temps il commanda aux cavaliers qui avaient été de garde, de reprendre leur poste et d'y rester jusqu'à ce que l'ennemi leur eût lancé quelques traits; et s'il approchait davantage, de se retirer au camp dans le meilleur ordre qu'ils pourraient. (3) Quant au reste de la cavalerie, il lui fut enjoint de se tenir prête et armée dans ses quartiers. (4) César n'avait pas besoin de se transporter sur le rempart pour reconnaître par lui-même les mouvements de l'ennemi; doué de talents militaires vraiment merveilleux, il donnait ses ordres assis dans sa tente et les faisait porter par ses officiers et par ses coureurs. (5) Il était persuadé que les ennemis, malgré la confiance qu'ils avaient dans leur nombre, se souvenaient qu'il les avait souvent battus, défaits, épouvantés, qu'il leur avait accordé la vie et le pardon de leurs fautes; et que ces souvenirs, joints à la conscience de leur faiblesse, les empêcheraient d'avoir jamais l'audace d'attaquer son camp. (6) D'ailleurs son nom, sa réputation, devaient en grande partie décourager leur armée. (7) De plus, son camp était très bien fortifié, son rempart fort élevé, son fossé profond, et ses dehors si bien semés de chausse-trappes, qu'ils se défendaient d'eux-mêmes. Enfin il était bien fourni de scorpions, de machines, de traits, en un mot de toute espèce d'armes offensives, (8) dont il s'était pourvu à cause de son peu de monde et du peu d'expérience de ses troupes. Que s'il paraissait timide et réservé, ce n'était pas qu'il eût peur de l'ennemi; (9) ce n'était pas même que le petit nombre et l'inexpérience de ses troupes le fît douter du succès; mais il pensait qu'il était très important de bien voir quelle serait la victoire. En effet, il lui eût semblé honteux, après tant de beaux exploits, tant de batailles glorieuses et d'éclatants succès, de ne remporter sur ces ennemis qu'il avait déjà mis en déroute, qu'une victoire sanglante. (10) Il avait donc résolu de souffrir leurs bravades jusqu'à ce qu'un second convoi lui eût apporté une partie de ses vieilles légions.

[Début]

 

Défections chez Scipion. Propagande de César auprès des Gétules (32)

[32] (1) Scipion, après être resté quelque temps dans la plaine, comme je viens de le dire, de manière à montrer son mépris pour César, fait rentrer peu à peu ses troupes, et, les ayant assemblées, il leur parle de la terreur qu'il inspire à César et du découragement de son armée; il les exhorte et leur promet dans peu une victoire complète. (2) Pour César, il renvoie ses soldats aux travaux, et, sous prétexte de fortifier le camp, il ne laisse pas un moment de relâche à ses nouvelles troupes. (3) Cependant les Numides et les Gétules désertaient chaque jour le camp de Scipion; les uns retournaient dans leur pays; les autres, se rappelant les bienfaits qu'eux et leurs ancêtres avaient reçus de Marius, dont on leur disait que César était l'allié, se rendaient en foule au camp de César. (4) Il choisit alors les plus considérables d'entre les Gétules, et leur remit des lettres pour leurs concitoyens, par lesquelles il les exhortait à s'armer, à se défendre, et à ne plus obéir aux ordres de ses ennemis.

[Début]

 

Occupation d'Acylla. Considius investit la ville (33)

[33] (1) Tandis que ces choses se passent près de Ruspina, il vient à César des députés d'Acylla, ville libre, et de plusieurs autres lieux, pour l'assurer qu'on est prêt à exécuter ses ordres avec joie: ils le prient seulement de leur donner une garnison, afin de pouvoir le servir plus sûrement et sans danger; ils lui fourniront alors, pour la cause commune, le blé et tout ce qui sera en leur pouvoir. (2) César leur accorde aisément ce qu'ils souhaitent, leur donne des troupes, et envoie C. Messius, qui avait été édile, à Acylla. (3) Informé de ce fait, Considius Longus, qui commandait dans Hadrumète avec deux légions et sept cents chevaux, laisse une partie de sa garnison dans la place et marche sur Acylla avec huit cohortes; (4) mais Messius l'a prévenu, et y entre le premier avec les siennes. (5) Considius s'approche de la ville, mais la trouvant occupée par les soldats de César, il n'ose pas tenter une attaque et se retire à Hadrumète sans avoir rien fait, malgré le nombre de ses troupes. Peu de jours après, Labiénus lui ayant envoyé de la cavalerie, il revient mettre le siège devant cette place.

[Début]

 

Succès de Salluste à Cercina. Arrivée du 2e convoi de troupes (34)

[34] (1) Pendant ce temps, C. Sallustius Crispus, que César avait envoyé quelques jours auparavant en mission avec une flotte, arriva à Cercina. (2) À son arrivée, C. Décimius, ancien questeur, qui présidait dans cette île aux convois de l'armée ennemie avec une nombreuse troupe de ses esclaves, monta dans un petit vaisseau qu'il s'était procuré et prit la fuite. (3) Le préteur Sallustius fut reçu par le Cercinates, et ayant trouvé chez eux quantité de blé, il en remplit des vaisseaux de charge qui étaient en assez grand nombre dans ce port, et les envoya au camp de César. (4) D'un autre côté, le proconsul Alliénus ayant embarqué à Lilybée, sur des vaisseaux de transport, les treizième et quatorzième légions, avec huit cents chevaux gaulois, et mille frondeurs ou archers, envoya ce second convoi à César en Afrique; (5) la flotte eut le vent favorable, et en quatre jours elle aborda heureusement au camp de Ruspina. (6) César éprouva une double joie de ce secours de troupes et de vivres qui venait ranimer l'ardeur de ses soldats et dissiper la crainte de la disette. Il fit débarquer les légions et la cavalerie, et, pour leur donner le temps de se refaire des fatigues de la mer, il les distribua dans les forts et les retranchements.

[Début]

 

Défections de légionnaires de Scipion (35)

[35] (1) Scipion et les siens ne pouvaient assez s'étonner de cette conduite. Ils se demandaient d'où provenait l'inaction de César, qui, d'ordinaire, était le premier à attaquer et à combattre, et soupçonnaient quelque grand motif à un changement si subit. (2) Alarmés de le voir si tranquille, ils gagnèrent par de magnifiques récompenses deux Gétules qu'ils croyaient leur être tout dévoués, et les envoyèrent comme déserteurs, épier ce qui se passait dans son camp. (3) Ceux-ci, amenés devant lui, demandèrent qu'il leur fût permis de parler sans péril. (4) Ayant obtenu ce qu'ils voulaient: "Général, dirent-ils, depuis longtemps un grand nombre de Gétules, clients de C. Marius, et presque tous citoyens romains, appartenant à la quatrième et à la sixième légions, ont souvent, ainsi que nous, désiré de passer dans ton camp; mais jusqu'à présent nous n'avons pu le faire sans risque, surveillés que nous étions par la cavalerie numide. Aujourd'hui nous en avons eu l'occasion. Envoyés par Scipion pour t'épier, nous nous sommes empressés de venir vers toi. Il nous a chargés d'examiner si devant ton camp et les portes du rempart, il n'y a point quelques fosses secrètes, quelques pièges tendus à ses éléphants; de pénétrer, s'il est possible, tes dispositions à cet égard et celles de ton ordre de bataille, et de retourner lui en rendre compte." (5) César leur donna beaucoup d'éloges, leur assura une paie, et les fit conduire au quartier des transfuges. (6) L'événement ne tarda pas à confirmer leur rapport; car, dès le lendemain, plusieurs soldats des légions désignées par ces Gétules passèrent du camp de Scipion à celui de César.

[Début]

 

Enrôlements de Caton. Offres de la ville de Thysdra (36)

[36] (1) Tandis que ces choses se passaient près de Ruspina, M. Caton, qui commandait dans Utique, faisait sans cesse des levées d'affranchis, d'Africains, d'esclaves, enfin de toute espèce d'hommes en âge de porter les armes, et les envoyait à mesure au camp de Scipion. (2) Pendant ce temps, des députés de Thysdra, ville où les marchands d'Italie et les laboureurs avaient déposé trois cent mille boisseaux de blé, vinrent trouver César, et lui donnèrent avis de ce dépôt: ils demandaient seulement une garnison pour la sûreté des grains et des propriétés. (3) César les remercia de leur zèle, leur promit qu'ils auraient des troupes avant peu, et les renvoya chez eux en les encourageant. (4) Dans ces circonstances, P. Sittius entra en Numidie avec ses troupes, et ayant assiégé un château fort où Juba avait mis des vivres et d'autres provisions de guerre, il l'enleva d'assaut.

[Début]

 

César déplace son camp. Parade de Scipion et Labiénus (37-38)

[37] (1) César, après avoir renforcé son armée de deux légions de vétérans, ainsi que de la cavalerie et des troupes armées à la légère que le second convoi lui avait amenés, envoya aussitôt six vaisseaux de transport à Lilybée, chargés de ramener le reste des soldats. Pour lui, le sixième jour des calendes de février, vers la première veille, il donne l'ordre aux éclaireurs et aux coureurs de se tenir prêts; (2) et, à la troisième veille, sans que personne fût averti de son dessein ou en eût aucun soupçon, il part avec toutes ses légions, et se dirige vers la ville de Ruspina où il avait des troupes, et qui, la première, s'était déclarée en sa faveur. (3) De là, prenant une pente douce et marchant sur la gauche de son camp, il arrive avec ses légions, sur le bord de la mer, (4) dans une plaine admirable de quinze mille pas d'étendue, et bordée d'une chaîne de montagnes peu élevées qui, partant de la côte, formaient en cet endroit une espèce d'amphithéâtre. (5) Il s'en détachait quelques collines assez hautes sur lesquelles on avait bâti anciennement des tours isolées et des postes d'observation, dont le dernier était occupé par Scipion.

[38] (1) Lorsque César fut arrivé à cette chaîne de montagnes, il se mit à faire construire sur chaque colline des tours et des forts; ce qui fut exécuté en moins d'une demi-heure. (2) Mais quand il fut près de la dernière colline et de la tour la plus voisine du camp ennemi, où il y avait, comme j'ai dit, un poste de Numides, il s'arrêta un moment pour reconnaître le terrain, et ayant placé sa cavalerie de façon à couvrir ses travailleurs, il mit ses légions à l'ouvrage, et tira une ligne, à mi-côte, depuis l'endroit où il était arrivé jusqu'à celui d'où il était parti. (3) Dès que Scipion et Labiénus s'en aperçurent, ils firent sortir de leur camp toute la cavalerie, la rangèrent en bataille, s'avancèrent environ à mille pas, et disposèrent leur infanterie sur une seconde ligne, à moins de quatre cents pas de leur camp.

[Début]

 

Diversion de César (39-40)

[39] (1) Sans s'inquiéter de ce mouvement, César continua d'encourager ses soldats au travail. (2) Mais quand il vit que les ennemis n'étaient plus qu'à quinze cents pas de ses retranchements, persuadé que leur but était de détourner et de chasser ses soldats de leurs travaux, et comprenant qu'il fallait retirer ses légions, il ordonna à un corps de cavalerie espagnole de marcher promptement à la hauteur voisine, d'en déloger l'ennemi et de s'y établir: il les fit soutenir par quelques hommes d'infanterie légère. (3) Ces troupes, étant parties aussitôt, attaquent les Numides, les mettent en fuite, en blessent plusieurs, font quelques prisonniers, et s'emparent du poste. (4) À cette vue, Labiénus, pour porter plus tôt secours à ses gens, détache presque toute sa cavalerie de son aile droite, et se hâte d'aller soutenir les fuyards. (5) César, de son côté, voyant Labiénus éloigné de son corps de bataille, envoie la cavalerie de son aile gauche pour le couper.

[40] (1) Il y avait dans la plaine où cette action se passait une grosse maison de campagne, flanquée de quatre tours, qui empêchait Labiénus de voir qu'il était coupé par la cavalerie de César. (2) Aussi ne s'aperçut-il de l'arrivée de ces troupes que par le carnage des siens qu'elles avaient pris par derrière. La cavalerie numide en fut tellement effrayée qu'elle s'enfuit droit au camp. (3) Les Gaulois et les Germains, qui avaient tenu bon, furent enveloppés de toutes parts, et périrent tous en se défendant vaillamment. (4) Les légions de Scipion qui étaient rangées en bataille à la tête de son camp, voyant ce qui se passait, et aveuglées par la crainte et par la terreur, prirent la fuite et rentrèrent dans le camp par toutes les portes. (5) César, maître de la plaine et des hauteurs d'où il venait de chasser Scipion, sonna la retraite et fit rentrer toute sa cavalerie. Sur tout ce terrain nettoyé d'ennemis, il put contempler les cadavres gigantesques de ces Gaulois et de ces Germains qui avaient suivi Labiénus, séduits, les uns par l'autorité de son nom, d'autres par des présents et des promesses; et dont plusieurs, faits prisonniers lors de la défaite de Curion, et épargnés par le vainqueur, s'étaient dévoués à lui par reconnaissance. (6) Leurs corps, d'une grandeur et d'une beauté remarquables, couverts de blessures, gisaient çà et là étendus dans toute la plaine.

[Début]

 

César menace Uzitta. Parade de Scipion (41-42)

[41] (1) Le lendemain de cette action, César tira ses cohortes des divers postes où il les avait placées et rangea toutes ses troupes en bataille. Scipion, qui avait eu les siennes maltraitées, blessées ou tuées, se tint d'abord renfermé dans son camp. (2) César disposa son armée au pied des montagnes et s'avança peu à peu à portée des retranchements. Déjà il n'était plus qu'à mille pas de la ville d'Uzitta, où Scipion avait garnison, lorsque celui-ci, craignant de perdre cette place d'où il tirait l'eau et les vivres nécessaires à son armée, fit sortir toutes ses troupes et les rangea selon sa coutume sur quatre lignes, dont la première était divisée par corps de cavalerie et entremêlée d'éléphants chargés de tours et armés. (3) César, ayant vu cela, s'imagina que Scipion venait dans le dessein de le combattre; mais Scipion s'arrêta devant la ville à l'endroit dont nous avons parlé ci-dessus, couvrit son centre par les remparts, et étendit à droite et à gauche ses ailes où étaient ses éléphants.

[42] (1) César, après avoir attendu presque jusqu'au coucher du soleil, ne voyant pas bouger Scipion, lequel aimait mieux profiter, au besoin, de l'avantage de sa position que de risquer un combat en rase campagne, ne jugea pas à propos ce jour-là de s'approcher de la ville, qu'il savait occupée par une forte garnison de Numides, et qui d'ailleurs protégeait le centre des ennemis. Il comprit aussi qu'il lui était difficile d'attaquer la place et de soutenir en même temps dans un poste désavantageux l'effort des deux ailes, surtout avec des troupes qui étaient sous les armes depuis le matin et encore à jeun. (2) En conséquence, il les ramena au camp et dès le lendemain il fit pousser ses retranchements plus prés de l'ennemi.

[Début]

 

Considius lève le siège d'Acylla (43)

[43] Cependant, Considius, à la tête de huit cohortes mercenaires de Numides et de Gétules, assiégeait Acylla où C. Messius commandait avec ses cohortes. Voyant que ses efforts étaient inutiles, et que les assiégés avaient souvent brûlé ses machines et ruiné ses travaux, il n'eut pas plutôt appris le dernier combat de cavalerie, qu'après avoir brûlé le blé dont son camp était abondamment fourni, gâté le vin, l'huile et le reste des vivres, il leva le siège d'Acylla, partagea ses troupes avec Scipion, et traversant le royaume de Juba, se retira à Hadrumète.

[Début]

 

Belle conduite d'un centurion de la 14e légion. Cruauté de Scipion (44-46)

[44] (1) Pendant ce temps, un vaisseau de transport, de ceux qu'Alliénus avait envoyés de Sicile par le second convoi, et qui portait Q. Cominius et L. Ticida, chevalier romain, s'étant égaré, fut poussé par un coup de vent à Thapsus, où Vergilius le prit au moyen de barques et de vaisseaux de charge, et l'envoya à Scipion. (2) De même, un autre bâtiment à trois rangs de rames, qui faisait partie de la même flotte, ayant été séparé des autres, fut poussé par la tempête au port d'Égimure, où il fut pris également par la flotte de Varus et de M. Octavius: il portait, avec un centurion, quelques soldats vétérans et quelques autres de nouvelle levée, que Varus envoya aussi à Scipion sous bonne escorte, sans leur avoir fait aucune insulte. (3) Amenés vers lui et devant son tribunal: "Je sais, leur dit-il, que ce n'est pas de vous-mêmes, mais par force et par le commandement criminel de votre général, que vous persécutez indignement les bons et honnêtes citoyens. (4) Maintenant que la fortune vous a mis en mon pouvoir, si vous êtes dans l'intention de défendre, comme vous le devez, la république et la bonne cause, mon dessein est de vous donner la vie et de l'argent. Parlez, faites connaître votre résolution."

[45] (1) Après ce discours, Scipion, ne doutant pas qu'ils ne lui rendissent grâces de ses bienfaits, leur permit de s'expliquer. (2) Alors un centurion de la quatorzième légion: "Je te remercie, lui dit-il, Scipion, car je ne puis t'appeler général, de ce qu'étant ton prisonnier par le droit de la guerre, tu veux bien me promettre la vie et la liberté. Peut-être profiterais-je de cette faveur et de tes offres, si un grand crime n'y était attaché. (3) Comment pourrais-je porter les armes contre César, mon général, sous qui j'ai commandé, et contre son armée pour l'honneur et la gloire de laquelle j'ai servi plus de trente-six ans? (4) Je ne le ferai point, et je t'engage fort à renoncer toi-même à me faire changer. Si tu ne sais pas encore par expérience à quelles troupes tu as affaire, tu peux l'apprendre à l'instant. (5) Choisis celle de tes cohortes que tu regardes comme la plus brave, et place-la devant moi; je ne prendrai que dix de mes compagnons qui sont ici prisonniers; et alors, tu comprendras à notre valeur ce que tu dois attendre de tes troupes."

[46] (1) Après que le centurion eut ainsi parlé avec un grand sang-froid, contre l'attente de Scipion, celui-ci, irrité et plein de dépit, fait un signe à ses centurions, et ce brave est aussitôt massacré en sa présence. Ensuite il ordonne que le reste des vétérans soient séparés des nouveaux soldats: (2) "Otez de mes yeux, dit-il, ces hommes souillés du plus horrible crime, et engraissés du sang des citoyens." Aussitôt on les emmena hors du rempart, et on les égorgea cruellement. (3) Quant aux recrues, elles furent réparties entre ses légions; et il fit défendre à Cominius et à Ticida de jamais paraître en sa présence. (4) Touché de ce malheur, César punit les commandants de galères qu'il avait laissées à la rade devant Thapsus pour protéger les vaisseaux de transport: il les renvoya ignominieusement de l'armée pour leur négligence, et prononça contre eux l'édit le plus sévère.

[Début]

 

Un orage inattendu et désastreux (47)

[47] (1) À peu près dans le même temps il arriva à l'armée de César un accident inouï et presque incroyable. En effet, après le coucher des Pléiades, vers la seconde veille, il s'éleva tout à coup un violent orage mêlé d'une grêle aussi grosse que des pierres. (2) Les troupes en souffrirent d'autant plus, que César ne les tenait point en quartiers d'hiver, selon l'usage des autres généraux; elles changeaient de camp tous les trois ou quatre jours pour se rapprocher de l'ennemi, et sans cesse occupées à se retrancher, elles n'avaient pas le temps de se reconnaître. (3) D'ailleurs, en faisant embarquer les troupes en Sicile, il avait ordonné qu'il n'entrât dans les vaisseaux que la seule personne du soldat avec ses armes: il n'avait permis ni vases, ni esclaves, ni aucune espèce d'ustensiles. (4) En Afrique, bien loin que l'armée eût pu s'y pourvoir de rien, la cherté des vivres l'avait forcée de dépenser ce qu'elle avait. (5) Nos soldats étaient si misérables, que peu d'entre eux avaient des tentes de peaux; les autres s'étaient fait des abris, en guise de petites tentes, avec leurs vêtements ou avec des roseaux entrelacés de branchages. (6) Aussi, dans cette occasion, accablés par la grêle et la pluie, appesantis par l'eau, tous les feux éteints, toutes les provisions détruites ou gâtées, ils erraient çà et là dans le camp, se couvrant la tête de leurs boucliers. Cette même nuit, le fer des javelots de la cinquième légion parut tout en feu.

[Début]

 

Arrivée de Juba (48)

[48] (1) Cependant le roi Juba, instruit du combat de cavalerie qu'avait soutenu Scipion, et prié par ses lettres de le venir joindre, laissa le préfet Saburra avec une partie de ses troupes pour faire face à Sittius, et, afin de rassurer l'armée de Scipion et d'effrayer celle de César, il prit avec lui trois légions, huit cents hommes de cavalerie régulière, un grand nombre de cavaliers Numides qui ne se servaient pas de brides, un fort parti d'infanterie armée à la légère, et trente éléphants. (2) En arrivant près de Scipion, il campa à part avec ses troupes, à peu de distance de lui. (3) Au bruit de son approche, la terreur s'était répandue dans le camp de César, et l'armée l'attendait pleine d'inquiétude; mais dès qu'on le vit à portée de nos retranchements, on méprisa ses troupes et toute crainte s'évanouit; sa présence dissipa la haute idée que de loin on avait conçue de lui. (4) Du reste, il fut aisé de voir combien son arrivée avait relevé le courage et la confiance de Scipion; (5) car, dès le jour suivant, il fit sortir toutes ses troupes et celles du roi avec soixante éléphants, et les rangea en bataille dans un grand appareil; il marcha en avant de ses retranchements un peu plus loin que de coutume, et un moment après rentra dans son camp.

[Début]

 


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