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OVIDE, MÉTAMORPHOSES, LIVRE XIII
[Trad. et notes de A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2008]
Le “ Jugement des armes ” (II) : plaidoyer d'Ulysse - Mort d'Ajax (13, 123-398)
Ulysse commence son plaidoyer (13, 123-180)
Après le discours d'Ajax, Ulysse, orateur attendu et habile, s'adresse à l'assemblée, déplorant d'abord la mort d'Achille, dont il prétend être l'héritier le plus indiqué, et se justifiant de recourir ici pour se défendre aux talents qu'il a toujours mis au service des Achéens. (13, 123-139)
En réponse à Ajax à propos de la noblesse de sa naissance et de ses liens de parenté avec Achille, Ulysse, après avoir affirmé la supériorité des mérites personnels sur ceux de la naissance, se prétend égal, sinon supérieur à Ajax, par sa double ascendance divine. Par ailleurs Achille a des héritiers plus directs qu'Ajax, Pélée et Pyrrhus/Néoptolème. (13, 140-158)
Donc la valeur personnelle étant le critère décisif pour l'octroi des armes, Ulysse rappelle que grâce à son ingéniosité il a démasqué Achille qui se soustrayait à la guerre sous un déguisement féminin, alors que sa présence était indispensable à la chute de Troie. Ulysse peut dès lors s'attribuer le mérite de nombre d'exploits accomplis par Achille, dont le plus important fut la mort d'Hector. (13, 159-180)
13, 123 |
Finierat
Telamone satus, uulgique secutum |
Le
fils de Télamon avait fini,
et un murmure de la foule |
13, 125 |
adstitit
atque oculos paulum tellure moratos |
Il baissa
les yeux un
bref moment, puis les leva vers les chefs, |
13, 130 |
tuque
tuis armis, nos te poteremur, Achille. |
toi,
Achille, tu jouirais de tes armes, et nous de
ta présence. Mais un sort injuste nous a privés, vous et moi, de ce héros », et, s'essuyant les yeux de la main comme s'il pleurait, il dit : « Qui pourrait être meilleur successeur du grand Achille, sinon celui qui amena le grand Achille à se joindre aux Danaens ? |
13, 135 |
Huic modo
ne prosit, quod, ut est, hebes esse uidetur, |
Puisse
Ajax ne pas tirer avantage de paraître aussi
obtus qu'il l'est, et puisse mon intelligence, qui toujours vous a été profitable, Achéens, ne pas me desservir ! Et si j'ai un peu d'éloquence, que ce talent qui, après vous avoir souvent défendus, défend maintenant ma cause, ne suscite pas l'envie, et que nul n'ait à renoncer à ses propres dons. |
13, 140 |
Nam genus
et proauos et quae non fecimus ipsi, |
Car la
naissance, les ancêtres et ce que nous
n'avons pas fait nous-mêmes, |
Iuppiter
huic, neque in his quisquam damnatus et exul. |
dont
l'ancêtre est Jupiter, et aucun d'eux ne fut
condamné ni exilé. |
|
13, 150 |
proposita
arma peto ; meritis expendite causam, |
que je
revendique ces armes. Jugez la cause selon nos
mérites. |
est
genitor Peleus, est Pyrrhus filius illi ; |
et le
premier héritier, il y a son père Pélée, et
Pyrrhus, son fils : quel rang a Ajax ? Qu'on expédie les armes à Phthie ou à Scyros ! Teucer n'est pas moins qu'Ajax le cousin d'Achille ; pour autant, réclame-t-il ces armes ? Les obtiendrait-il, s'il les réclamait ? Donc, puisque le débat porte simplement sur des actes, |
|
plura
quidem feci, quam quae conprendere dictis |
j'ai en
fait accompli plus d'exploits que ne pourrait
facilement |
|
13, 165 |
Arma ego
femineis animum motura uirilem |
Moi, afin
de toucher sa fibre virile, j'ai introduit des
armes, |
Iniecique
manum fortemque ad fortia misi. |
Je mis la
main sur lui, et envoyai ce valeureux à ses
actes valeureux. Ses exploits sont donc les miens ; j'ai au combat dompté Télèphe avec ma lance, puis je le rendis à la vie quand, vaincu, il me supplia. La chute de Thébé, c'est mon oeuvre ; créditez-moi aussi de la conquête de Lesbos, et de Ténédos, de Chrysé et de Cilla, |
|
13, 175 |
et Scyrum
cepisse ; mea concussa putate |
ces
villes sacrées d'Apollon, et de celle de
Scyros ; c'est ma main, |
13, 180 |
arma
peto ; uiuo dederam, post fata reposco. |
je lui avais offert des armes de son vivant, je
les revendique
après sa mort. |
Ulysse évoque son rôle avant la guerre proprement dite (13, 181-267)
Ulysse a joué aussi un rôle important à Aulis, quand il a persuadé Agamemnon de sacrifier Iphigénie, par souci du bien commun, en dépit de sa tendresse paternelle ; son ingéniosité lui a permis d'amener à Aulis Clytemnestre et Iphigénie. Enfin, il s'est chargé aussi d'une mission périlleuse (et vaine !) à Troie avec Ménélas, pour exiger réparation après l'enlèvement d'Hélène. (13, 181-204)
Durant la longue période de calme qui sépara, durant le siège de Troie, les premiers combats et la dernière année de la guerre, Ajax reste absolument inactif, alors qu'Ulysse se rend utile de mille façons. Quand, vers la dixième année de la guerre, Agamemnon, influencé par un rêve, conseille aux Danaens de retourner au pays, Ajax, comme beaucoup d'autres, est prêt à fuir. Lors de l'assemblée convoquée par Agamemnon, Ajax n'a pas osé prendre la parole, à la différence de Thersite, remis à sa place par Ulysse, qui par ses discours dissuade les défaitistes de fuir. Donc Ulysse s'estime en droit de s'attribuer aussi les exploits accomplis dès ce moment par Ajax. (13, 205-237)
À ces diverses interventions « diplomatiques », s'ajoutent les hauts faits qu'Ulysse accomplit en compagnie de Diomède : mission d'espionnage à Troie et meurtre de Dolon, meurtre de Rhésus et capture de son char et de ses chevaux, et toute la série des ennemis abattus lors de son expédition contre Sarpédon de Lycie. Enfin, pour prouver sa bravoure, il exhibe ses cicatrices à Ajax, qui lui n'en porte aucune. (13, 238-267)
13, 181 |
Vt dolor
unius Danaos peruenit ad omnes, |
Dès que l'ensemble des
Danaens apprit l'outrage d'un
seul des leurs, |
13, 185 |
immeritam
saeuae natam mactare Dianae. |
d'immoler
à la cruelle Diane sa fille, qui ne méritait pas ce sort. |
13, 190 |
difficilem tenui sub iniquo iudice causam. Hunc tamen utilitas populi fraterque datique summa mouet sceptri, laudem ut cum sanguine penset. Mittor et ad matrem, quae non hortanda, sed astu decipienda fuit ; quo si Telamonius isset, |
j'ai
soutenu une cause difficile, devant un
juge partial. |
13, 195 |
orba suis
essent etiamnum lintea uentis. |
les
voiles des bateaux en seraient encore à
attendre les vents. L'orateur hardi que je suis est envoyé dans la forteresse d'Ilion, j'ai vu la curie de Troie l'altière et j'y suis entré. Elle était alors pleine de guerriers. Sans éprouver de crainte, j'ai plaidé la cause commune, que m'avait confiée la Grèce. |
13, 200 |
accusoque
Parim praedamque Helenamque reposco |
J'accuse
Pâris, je réclame le butin qu'il a enlevé avec
Hélène, |
13, 205 |
Longa
referre mora est quae consilioque manuque |
Il serait long de rappeler les services que vous
ont rendus |
13, 210 |
Quid
facis interea, qui nil, nisi proelia, nosti ? |
Dans
l'intervalle, que fais-tu, toi qui ne sais que
te battre ? |
13, 215 |
armandique modo ; mittor, quo postulat usus. |
ils
devaient s'alimenter, s'armer ; on m'envoie là
où c'est nécessaire. |
13, 220 |
quodque
potest, pugnet. Cur non remoratur ituros ? |
ce dont
il est capable. Pourquoi ne retint-il pas les
hommes sur le départ ? |
13, 225 |
Nec
mora : “ quid facitis ? Quae uos dementia ”
dixi |
Mais sans
attendre, je dis : “ Que faites-vous ? Mes amis, |
13, 230 |
Conuocat
Atrides socios terrore pauentes ; nec Telamoniades etiam nunc hiscere quicquam audet ; at ausus erat reges incessere dictis Thersites, etiam per me haud impune proteruus. Erigor et trepidos ciues exhortor in hostem |
L'Atride
convoque ses alliés épouvantés et tremblants ; |
13, 235 |
amissamque mea uirtutem uoce reposco. |
et à
pleine voix, j'en appelle au courage qu'ils ont
perdu. Dès lors, tous les exploits qui peuvent sembler à l'actif de mon rival me reviennent à moi, qui l'ai ramené quand il tournait le dos. Enfin, lequel des Danaens fait ton éloge ou recherche ta présence ? Par contre le fils de Tydée me fait participer à ses actions ; |
13, 240 |
me
probat, et socio semper confidit Vlixe. |
il
m'approuve, et il est toujours confiant avec
Ulysse pour compagnon. |
13, 245 |
interimo,
non ante tamen quam cuncta coegi |
Mais
auparavant je le forçai à dévoiler tout ce
qu'il savait |
13, 250 |
inque
suis ipsum castris comitesque peremi ; |
et, dans
son propre camp, je l'égorgeai lui et ses
compagnons. |
13, 255 |
Quid
Lycii referam Sarpedonis agmina ferro |
Pourquoi évoquerais-je
l'armée de Sarpédon de
Lycie, |
13, 260 |
et
Charopem fatisque inmitibus Ennomon actum, |
puis
Charops et Ennomon entraîné par un destin
cruel, sans citer ceux qui, moins connus, sont tombés sous mes coups, au pied des remparts de la ville. Moi aussi, citoyens, j'ai des blessures, à des endroits honorables ; et croyez-moi, ce ne sont pas des mots creux, regardez, voici ma poitrine ! », |
pectora semper »
ait «uestris
exercita rebus ! At nihil impendit per tot Telamonius annos sanguinis in socios et habet sine uulnere corpus ! |
et de la
main il écarta son vêtement, « qui toujours a
oeuvré pour vous ! |
Ulysse réfute les arguments d'Ajax (13, 268-338)
Ajax ne doit pas exagérer son rôle lors de l'incendie des vaisseaux, car en fait c'est Patrocle qui a repoussé les Troyens ; de même c'est le sort qui le désigna parmi neuf volontaires pour relever le défi d'un combat singulier avec Hector ; il n'était donc pas le seul brave, et du reste il ne s'illustra pas particulièrement dans ce combat qui resta indécis. (13, 268-279)
Quand Ajax met en doute sa capacité physique à porter le poids des armes d'Achille, Ulysse rappelle qu'il a lui-même ramené le cadavre d'Achille et son armement. Par ailleurs, Ajax est trop rustre pour comprendre le sens des ciselures gravées sur ces armes forgées par Héphaïstos/Vulcain à la demande de Thétis, et donc il ne mérite pas de les posséder. (13, 280-295)
Accusé de s'être dérobé et d'être arrivé en retard à la guerre, Ulysse prétend que Achille et lui ont tous deux simulé et sont arrivés plus tard à Troie, par affection pour Thétis et pour Pénélope. En accusant Ulysse de lâcheté, Ajax outrage aussi Achille, auquel d'ailleurs Ulysse s'honore d'être comparé. (13, 296-305)
Quant à Palamède, Ulysse ne fut pas seul à le condamner, car son crime était évident. Et l'abandon de Philoctète à Lemnos, encouragé par Ulysse mais décidé par tous, a maintenu vivant le malheureux, dont la participation, selon un oracle, se révèle désormais nécessaire à la chute de Troie. Après avoir suggéré avec ironie de charger l'incapable Ajax d'aller persuader Philoctète de revenir à Troie, Ulysse proteste de son dévouement à la cause des Achéens et s'engage à user de son habileté éprouvée pour se procurer au risque de sa vie les armes d'Héraclès détenues par Philoctète. (13, 296-338)
Quid
tamen hoc refert, si se pro classe Pelasga arma tulisse refert contra Troasque Iouemque ? |
Mais quelle importance
accorder à sa prétention d'avoir pris les
armes |
|
13, 270 |
Confiteorque, tulit, neque enim benefacta
maligne |
Il les a
prises, je l'admets, et je n'ai pas la
malveillante habitude |
13, 275 |
Ausum
etiam Hectoreis solum concurrere telis |
Ajax pense aussi être le
seul à avoir osé affronter les traits d'Hector, |
13, 280 |
Me
miserum ! Quanto cogor meminisse dolore |
Que je suis malheureux
! Quelle douleur d'être forcé à évoquer |
13, 285 |
et simul
arma tuli, quae nunc quoque ferre laboro. |
en même
temps que ses armes, que maintenant aussi je
tente d'emporter. |
13, 290 |
artis
opus tantae, rudis et sine pectore miles |
ces
armes, présents célestes, ouvrages d'un art si
parfait ? |
postulat,
ut capiat, quae non intellegit, arma ! |
il
réclame, il veut s'emparer d'armes, dont il ne
comprend pas le sens ! |
|
13, 300 |
si mora
pro culpa est, ego sum maturior illo. |
si c'est
une faute d'avoir tardé, je suis arrivé plus
tôt que lui. |
ingenio
tamen ille, at non Aiacis Vlixes. |
qui l'a
démasqué pourtant, et non l'intelligenced'Ajax qui a
démasqué Ulysse. |
|
13, 310 |
Sed neque
Naupliades facinus defendere tantum |
Mais,
d'abord, le fils de Nauplius n'a pu se
laver d'un forfait si grand et si évident ; et son crime, vous ne le connaissez pas par ouï-dire, vous l'avez vu, prouvé à l'évidence par le prix qu'il en reçut. Et, du séjour du fils de Poéas à Lemnos, l'île de Vulcain, je n'ai pas mérité d'être accusé. Défendez votre action, |
13, 315 |
consensistis enim ; nec me suasisse negabo, |
car tous vous
étiez d'accord. Je ne nierai pas l'avoir
persuadé |
13, 320 |
Quem
quoniam uates delenda ad Pergama poscunt, |
Puisque les devins exigent sa présence pour
détruire Pergame, ne m'envoyez pas le chercher. Le fils de Télamon ira, c'est mieux : avec éloquence il amadouera le héros exacerbé de maux et de colère, ou, avec astuce, il l'entraînera avec lui par un artifice quelconque. Le Simoïs refluera, l'Ida se dressera dépourvu de ses frondaisons |
13, 325 |
stabit et
auxilium promittet Achaia Troiae, |
et l'Achaïe
promettra de porter secours à la cité de Troie, |
13, 330 |
deuoueas
sine fine caput cupiasque dolenti |
de vouer à jamais
ma tête à l'exécration, de souhaiter voir le
hasard |
quam sum
Dardanio, quem cepi, uate potitus, quam responsa deum Troianaque fata retexi, quam rapui Phrygiae signum penetrale Mineruae hostibus e mediis. Et se mihi conferat Aiax ? |
comme j'ai capturé
et maîtrisé le devin
dardanien, |
Fin du discours d'Ulysse (13, 339-398)
En épilogue à son discours, Ulysse insiste sur l'audace qu'il a dû montrer pour procurer aux siens le Palladium, statue indispensable. Et en admettant qu'une part du mérite revient à Diomède, son seul compagnon, Ulysse argumente qu'Ajax était assisté d'un grand nombre d'hommes lors de l'incendie des vaisseaux. (13, 339-353)
La sagesse et la raison prévalant sur la force et le combat, beaucoup de héros, qui eux ont toujours tenu compte des avis d' Ulysse, seraient plus dignes qu'Ajax des armes d'Achille. Ajax n'est qu'un combattant, qui a besoin d'être guidé par le toujours clairvoyant Ulysse. (13, 354-369)
Enfin, Ulysse sollicite l'honneur d'hériter des armes d'Achille, car il l'a amplement mérité en rendant possible la prise de Troie, imminente désormais. (13, 370-381)
13, 339 |
Nempe
capi Troiam prohibebant fata sine illo. |
Les destins en
effet interdisaient la prise de Troie sans cet
objet sacré. |
13, 340 |
Fortis
ubi est Aiax ? Vbi sunt ingentia magni |
Où est le
vaillant Ajax ? Où sont les discours
grandiloquents |
13, 345 |
eripere
aede deam raptamque afferre per hostes ? |
et
ramener la statue enlevée à travers les rangs
ennemis ? Si je ne l'avais pasfait, le fils de Télamon aurait porté en vain à son bras gauche son bouclier fait de sept peaux de boeufs. Cette nuit-là, grâce à moi, notre victoire sur Troie est née ; j'ai vaincu Pergame à ce moment-là, en rendant possible sa défaite. |
Desine
Tydiden uultuque et murmure nobis |
Cesse de désigner
ouvertement par tes regards et tes murmures |
|
13, 355 |
esse nec
indomitae deberi praemia dextrae, |
et
qu'un bras non guidé par la raison ne mérite pas
de récompense, pourrait réclamer lui-même ces armes. L'autre Ajax, plus modeste, pourrait les exiger, et le farouche Eurypyle et le fils de l'illustre Andraimon, et tout autant qu'eux, Idoménée, et Mérion, venu de la même patrie. Le frère de l'aîné des Atrides pourrait les réclamer, lui aussi. |
13, 360 |
quippe
manu fortes nec sunt tibi
Marte secundi, |
Certes,
ce sont des braves et ils ne te sont pas
inférieurs au combat : |
13, 365 |
eligit
Atrides ; tu tantum corpore prodes, nos animo ; quantoque ratem qui temperat anteit remigis officium, quanto dux milite maior, tantum ego te supero ; nec non in corpore nostro pectora sunt potiora manu ; uigor omnis in illis. |
que l'Atride le choisit ; toi, tu ne rends service qu'avec ton
corps, |
13, 370 |
At uos, o
proceres, uigili date praemia uestro |
Mais vous, nobles
chefs, accordez ces armes à votre gardien
vigilant, |
13, 375 |
Per spes
nunc socias casuraque moenia Troum |
Par nos
espoirs maintenant liés, par ces murs
de Troie près de tomber, |
13, 380 |
este mei
memores ; aut si mihi non datis arma, |
souvenez-vous de moi ; ou, si vous ne me donnez
pas ces armes, accordez-les lui ! », et il montra la statue de Minerve, instrument du destin. |
Fureur et suicide d'Ajax, dont le sang est métamorphosé en fleur (13, 382-398)
Ulysse emporte le débat, et Ajax, saisi d'une colère irrépressible, se suicide, avec sa propre épée. Du sang de sa blessure répandu sur le gazon naît une fleur pourpre, portant des lettres rappelant le nom d'Ajax, autant que la plainte d'Hyacinthe.
13, 382 |
Mota
manus procerum est, et quid facundia posset, |
Le groupe
des chefs fut ému, et le pouvoir de
l'éloquence se manifesta concrètement : l'orateur emporta les armes du vaillant guerrier. Ajax qui tant de fois avait résisté tout seul à Hector, au fer, |
13, 385 |
sustinuit
totiens, unam non sustinet iram ; |
aux
flammes et à Jupiter, ne résista pas à sa
propre colère. La douleur triompha du héros invincible ; il saisit sa lance et dit : « Oui, cette arme est bien à moi ! Ulysse l'exige-t-il aussi pour lui ? Elle doit me servir contre moi ; si souvent imprégnée de sang phrygien elle trempera maintenant dans le sang de son maître qu'elle va abattre, |
ne
quisquam Aiacem possit superare nisi Aiax. » |
afin que
personne, sinon Ajax, ne puisse triompher
d'Ajax. » |
|
13, 395 |
purpureum
uiridi genuit de caespite florem, |
fit éclore du
gazon verdoyant une fleur de couleur pourpre, |
NOTES
fils de Télamon ... fils de Laërte (13, 123-124). Ajax, fils de Télamon, ayant fini de parler, c'est Ulysse, fils de Laërte, qui prend la parole devant l'assemblée pour lui répondre.
Pélasges... Danaens (13, 128-134). Noms désignant les Grecs chez Homère. Voir note à 12, 7-10 ; et à 13, 13. Ces vers 13, 128-134, réfèrent au passage (12, 580-628) traitant de la mort d'Achille.
celui qui amena (13, 134). Ulysse, qui fait allusion au rôle qu'il a joué pour démasquer Achille, caché à Skyros, sous des vêtements de fille, épisode dont n'a pas parlé Ajax, mais qu'Ulysse évoquera plus explicitement en 13, 162-170.
Laërte... Arcisius (13, 144). Laërte, le père d'Ulysse, était fils de Arcisios et petit-fils de Céphale. On ne voit pas très bien comment Ulysse remonte à Jupiter (vers 145).
condamné ... exilé (13, 145). À la différence de Télamon, le père d'Ajax, et de Pélée, son frère, qui avaient été punis pour le meurtre de leur demi-frère Phocus (11, 267).
dieu du Cyllène (13, 146). Autolycus, père d'Anticlée, était le fils d'Hermès/Mercure, né sur le mont Cyllène, en Arcadie (Mét., 1, 713).
Pyrrhus (13, 155). Néoptolème, le fils qu'Achille avait eu de Déiamide, la fille du roi de Skyros, Lycomède, où il se cachait par la volonté de sa mère Thétis (voir note d'introduction sur Ulysse). Le surnom de Néoptolème était Pyrrhus, « le roux », car Achille déguisé à Skyros s'appelait « Pyrrha », à cause de la couleur de ses cheveux. - On le retrouvera plus loin, en 13, 455, comme sacrificateur dans l'épisode de l'immolation de Polyxène aux Mânes d'Achille.
Phthie... Skyros (13, 156). Phthie, en Thessalie, est la patrie de Pélée et d'Achille. - Scyros était une île de la mer Égée, où naquit Pyrrhus, après le départ d'Achille pour Troie.
Teucer (13, 157). Fils de Télamon et d'Hésioné, la fille de Laomédon. Il est donc le demi-frère d'Ajax, mais apparenté aussi à la famille de Priam. Voir Mét., 11, 194-217, et les notes.
La Néréide... (13, 162-171). Ce passage a trait au séjour d'Achille à Scyros, dont Ajax n'a pas parlé. La Néréide est Thétis, la mère d'Achille. Voir 11, 217-265.
Ses exploits... (13, 171-180). Évocation des exploits d'Achille, revendiqués par Ulysse comme les siens propres et qui ont été énumérés en 12, 108-114.
Télèphe (13, 171-172). Voir n. à 12, 112. Fils d'Héraclès/Hercule et de l'Arcadienne Augé, Télèphe aurait été recueilli par le roi de Mysie Teuthras. Certains récits rapportent que les Grecs, en route vers Troie, s'égarèrent et voulurent s'emparer de la Mysie. Télèphe se battit contre eux et fut blessé, atteint d'une blessure persistante, par la lance d'Achille. Un oracle apprit à Télèphe que sa blessure ne pourrait être guérie que par celui qui la lui aurait infligée. Comme Télèphe avait besoin d'Achille pour être guéri et comme, par ailleurs, les Grecs avaient besoin de Télèphe pour trouver le chemin de Troie, un oracle ayant annoncé que lui seul pourrait permettre aux Grecs de conquérir Troie, on trouva un terrain d'entente. Achille en passant sa lance sur la plaie persistante de Télèphe le guérit, et Télèphe, qui avait épousé une fille de Priam, se borna à guider les Grecs vers Troie avant de regagner la Mysie, sans prendre part à la guerre (cfr par exemple Hygin, Fab., 99-101 et Apollodore, Epitomé, 3, 17-20).
Thébé... Lyrnesse (13, 173-176). Par rapport à la liste des villes ou îles d'Asie Mineure citées par Achille (en 12, 108-114), Ulysse ajoute les noms de Lesbos, Chrysé et Cilla, où était vénéré Apollon.
Hector (13, 177). La mort d'Hector est évidemment l'exploit majeur d'Achille (Iliade, 22, 306-404).
je réclame ces armes... (13, 179). Allusion au stratagème d'Ulysse, qui avait mêlé des armes à des colifichets, pour amener Achille à Troie (cfr la note d'introduction au chant 13).
Dès que l'ensemble des Danaens... (13, 181-204). Passage où sont évoqués les événements à Aulis, rapportés en 12, 6-10 et en 12, 24-29.
un seul (13, 181). Ménélas, un des Atrides, frère d'Agamemnon, dont l'épouse Hélène avait été enlevée par Pâris.
l'Atride... (13, 189-192). C'est Agamemnon, général en chef de tous les Grecs conjurés, un juge d'autant plus difficile à convaincre qu'il était partagé entre son honneur et son amour paternel. C'est une preuve de l'efficacité de l'ingéniosité d'Ulysse.
mère (13, 193). Clytemnestre, mère d'Iphigénie, qu'Ulysse ne chercha pas à convaincre de laisser sacrifier sa fille, mais qu'il trompa en l'amenant à Aulis, sous prétexte de la marier à Achille. Iphigénie n'étant pas connue d'Homère, Ovide s'inspire de sources postérieures (notamment d'Euripide).
L'orateur hardi... (13, 196-204). Cette mission d'Ulysse et de Ménélas à Troie, pour réclamer Hélène, est connue dans l'Iliade (3, 205-224 et 11, 138-141). La demande en restitution d'Hélène était le sujet d'une tragédie, perdue, de Sophocle.
curie (13, 197). Ovide applique à Troie un terme qui désignait à Rome la salle de réunion du Sénat.
Anténor (13, 201). Dans l'Iliade, 3, 205-224, lors de leur mission à Troie, Ulysse et Ménélas avaient été les hôtes d'Anténor, le compagnon habituel de Priam. Il passait pour le « Nestor » des Troyens, et était partisan de la restitution d'Hélène. Voir note à Ovide, Fastes, 4, 75.
Voici que sur ordre de Jupiter... (13, 216-229). Ce passage d'Ovide adapte, en le réduisant considérablement, le début du chant 2 de l'Iliade (2, 1-210), quand Agamemnon, pour tester les Grecs, leur propose, au nom d'un rêve envoyé par Zeus, d'abandonner le siège de Troie. Et c'est effectivement l'intervention d'Ulysse qui empêche la levée du siège et le départ de la flotte.
qui est prise (13, 226). En fait, Troie est presque prise. Ulysse fait une anticipation, pour être plus persuasif.
Thersite (13, 233). Selon l'Iliade, Thersite est le plus laid (boiteux, bossu, chauve) des Grecs devant Troie. Il se distingue par sa lâcheté et son insolence, notamment à l'égard d'Agamemnon, qui propose aux Grecs de lever le siège, mais Ulysse le remet à sa place en le frappant de son sceptre (Iliade, 2, 211-277).
Enfin... (13, 238-267) Ulysse évoque dans ce passage les exploits qu'il a accomplis devant Troie, en compagnie de Diomède, en résumant en quelques vers le contenu du chant 10 de l'Iliade, intitulé la « Dolonie » ; Ajax avait minimisé le rôle d'Ulysse dans la mission (13, 98-100 et les notes).
fils de Tydée (13, 239). Diomède. Voir n. à 13, 61-69.
Dolon (13, 244). Voir n. à 13, 98-99.
Rhésus (13, 249). Voir n. à 13, 98-99.
plus généreux (13, 254). Au vers 13, 102, Ajax avait proposé de faire deux parts des armes, l'une pour Diomède, l'autre pour Ulysse.
Pourquoi évoquerais-je... (13, 255-267). Ovide évoque dans ce passage d'abord un combat au cours duquel s'illustra Ulysse dans la Lycie de Sarpédon (combat rapporté par Homère dans Iliade, 5, 627-698), puis certains autres exploits postérieurs d'Ulysse.
Sarpédon de Lycie... (13, 255-258). Chef d'un contingent de Lycie, un des principaux alliés d'Hector. Autour de la dépouille de Tlépolème, un Grec tué par Sarpédon, un combat avait eu lieu en Lycie, au cours duquel Ulysse avait tué, non pas Sarpédon, mais un bon nombre des siens. Nous nous bornons à reprendre comme le fait Ovide l'énumération d'Homère (Iliade, 5, 669-678) : Coeranos, fils d'Iphitos, Alastor, Chromius, Alcander, Halius, Noémon, Prytanis.
et j'ai livré à la mort... (13, 259-267). Ici Ulysse fait allusion à un autre épisode guerrier qu'il a mené, seul, contre les Troyens au pied des remparts de Troie, quand il fut blessé par Socos, avant de le tuer. Voir Iliade, 11, 401-455, en particulier les vers 420-427 qui contiennent plusieurs des noms énumérés par Ovide : Thoon, Chersidamas, Charops, Ennomon.
citoyens (13, 262). Terme relatif aux institutions romaines.
exempt de blessures (13, 267). Certaines versions posthomériques de la légende d'Ajax le présentaient comme invulnérable, par la volonté d'Héraclès, qui avait presque complètement enveloppé Ajax de la peau du lion de Némée. Mais dans son argumentation, Ulysse ne tient pas compte de ce détail, car il reproche à Ajax son manque de cicatrices, ce qui n'est pas une marque de vaillance. Voir aussi vers 392.
Mais quelle importance... (13, 268-274). Réponse au plaidoyer d'Ajax, concernant son rôle lors de l'incendie de la flotte grecque (voir n. à 13, 7-12 et à 13, 91-94).
descendant d'Actor (13, 273). Patrocle, fils de Ménétios, petit-fils d'Actor et Égine, et donc apparenté à Pélée, qui était aussi descendant aussi d'Égine. Patrocle, Locrien d'origine, vécut son enfance à la cour de Pélée, en Thessalie et fut élevé avec Achille, dont il est l'ami proverbial et inséparable ; devant Troie, après la brouille d'Achille et d'Agamemnon, il renonça lui aussi à se battre, comme Achille. Mais, quand la situation devint très critique pour les Grecs, il obtint l'accord d'Achille et revêtu des armes de son ami, alla se battre ; il accomplit nombre d'exploits, réussissant à enrayer l'assaut des Troyens. Mais il fut tué par Hector et sa mort décida Achille à reprendre le combat. Le début du chant 16 de l'Iliade, est consacré à la geste de Patrocle. Les vers 114 à 129 de ce chant 16 parlent du feu mis aux nefs.
Ajax pense aussi... (13, 275-279). Voir n. à 13, 82-90.
Que je suis malheureux... (13, 280-295). Après avoir évoqué avec tristesse la mort d'Achille, Ulysse réfute l'argument d'Ajax concernant son incapacité à porter les armes d'Achille (voir 13, 103-119 et les notes). Sur la mort d'Achille, qui n'apparaît pas dans l'Iliade, voir Mét., 12, 584-628. Il n'y est pas question du rôle prêté ici à Ulysse, et dont Ajax ne fait pas mention non plus.
cette démarche (13, 288-289). Allusion à Thétis, sollicitant d'Héphaïstos des armes pour Achille (voir n. à 13, 110).
ciselures du bouclier... deux cités... Orion (13, 292-295). Ovide reproduit, en l'abrégeant le début de la description qu'Homère fait du bouclier forgé par Héphaïstos pour Achille à la demande de Thétis (Il., 18, 483-608). « Héphaïstos y avait ciselé le Ciel, la Terre, les Astres, parmi lesquels la contellation d'Orion, et deux villes opposées l'une à l'autre, présentant l'une l'image de la paix, l'autre celle de la guerre » (J. Chamonard) ; sur Orion, voir n. à 8, 207.
Et quand il me reproche... (13, 296-305). Ces vers répondent au reproche de lâcheté énoncé par Ajax, en 13, 34-42 (voir n. au vers 34) et reviennent sur le développement concernant Achille débusqué par Ulysse (voir 13, 161-170).
Et ne soyons pas étonnés... (13, 306-312). À propos des rapports entre Palamède, fils de Nauplius et Ulysse, voir n. à 13, 38-39 et à 13, 55-60.
Du séjour du fils de Poéas... (13, 313-334). Ce passage concerne Philoctète, fils de Poéas, et répond au reproche d'Ajax (voir n. à 13, 45-56).
Simoïs... Ida (13, 324). Ovide imagine ici des choses impossibles (adunata). Le Simoïs est une rivière de la campagne de Troie, et l'Ida, une montagne de Troade, plusieurs fois citée dans les Métamorphoses.
devin dardanien... (13, 335-338). Il s'agit d'Hélénus, le devin, fils de Priam, dont Ajax a parlé en 13, 98-99 (voir la note, concernant Hélénus et le Palladium).
objet sacré (13, 339). Voir note précédente, et ce qui concerne Hélénus et le Palladium.
sept peaux (13, 346). Le célèbre bouclier d'Ajax (13, 2).
devant la flotte (13, 356). Voir n. à 13, 7-12 et 13, 82-94.
l'autre Ajax... (13, 356-359). Ulysse rappelle ici les noms de quelques figures de héros de l'Iliade combattant dans le camp des Grecs. Ajax, fils d'Oilée, roi des Locriens (cité en 12, 622), Eurypyle, chef thessalien, fils d'Évémon, Thoas, fils d'Andraemon, Idoménée, venu de Crète, et son frère ou cousin Mérion, et enfin Ménélas, le cadet des Atrides.
par ces dieux... (13, 375). En fait, il avait enlevé seulement la statue de Minerve, mais c'était elle qui assurait la protection divine de Troie.
atteint enfin... (13, 392). Cette invulnérabilité presque totale d'Ajax a été évoquée en 13, 267.
la terre rougie... fils d'Oebalus... (13, 394-398). Cette légende de la métamorphose du sang d'Ajax en fleur pourpre est à rapprocher de celle d'Hyacinthe, le fils d'Oebalus. Voir Mét., 10, 162-219 et les notes. Les lettres AI AI apparaissant dans le coeur de cette fleur rappelaient le nom d'Ajax, ou les cris de douleur de Hyacinthe. - On remarquera qu'Ovide attribue le suicide d'Ajax à sa colère, et non pas à sa folie, comme l'ont raconté les Tragiques, notamment Sophocle (dans Ajax).
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