Itinera Electronica
Du texte à l'hypertexte

Virgile Aeneis, Livre XII

I. Accord conclu : un duel et un traité [1-215]

 2. Préparatifs du combat (81-133)

12, 081 Sur ces paroles, il se retire en hâte en sa demeure,
réclame ses chevaux, qu'il aime à voir frémissants sous ses yeux;
Orithye en personne les avait offerts en hommage à Pilumnus,
ces chevaux surpassant neige en blancheur, et vents à la course.

12, 085 Les cochers empressés les entourent; du creux de la main,
ils tapent et frappent leurs poitrails, peignent leurs crinières.
Lui alors place autour de ses épaules une cuirasse ornée
d'or et d'orichalque blanc, en même temps qu'il assure son épée,
son bouclier et les cornes de son casque au rouge panache;

12, 090 le divin maître du feu lui-même avait forgé cette épée pour Daunus,
son père, et l'avait plongée toute brûlante dans l'onde du Styx.
Puis, comme se dressait une puissante pique, appuyée à une immense colonne
au centre du palais, il saisit avec colère cette dépouille
d'Actor l'Auronce; il la brandit et l'agite, tout en criant :

12, 95 "Maintenant, ô lance qui jamais ne déçus mes appels,
maintenant, le moment est venu : jadis aux mains du puissant Actor,
tu es maintenant dans la droite de Turnus; accorde-lui de terrasser
le corps de cet eunuque de Phrygien, d'arracher d'une main ferme
et de déchirer sa cuirasse, de souiller dans la poussière

12, 100 ses cheveux ondulés au fer et imprégnés de myrrhe".
Ainsi les furies l'agitent; toute sa face brûlante
lance des étincelles; le feu brille dans ses yeux féroces;
il est comme un taureau qui, avant le combat,
pousse des mugissements terrifiants ou éprouve sa colère

12, 105 en pressant ses cornes contre un tronc d'arbre, qui frappe les airs
à coups de pattes ou prélude au combat en dispersant le sable de l'arène.
Et pendant ce temps, muni des armes de sa mère, Énée
n'est pas moins redoutable; il aiguise Mars en lui, fait monter sa colère,
tout heureux de l'accord proposé pour mettre fin à la guerre.

12, 110 Puis il rassure ses compagnons, console Iule triste et effrayé,
renseigne sur les destins, et envoie au roi Latinus des hommes
porter des réponses fermes et énoncer les conditions de la paix.
Le lendemain, le jour naissant répandait à peine sa lumière
sur les cimes des montagnes, lorsque surgissent du gouffre profond

12, 115 les chevaux du Soleil, soufflant la lumière de leurs naseaux dilatés :
au pied des remparts de la vaste cité, des guerriers Rutules et Troyens
prenaient des mesures, préparaient le terrain pour le combat,
et dressaient au centre, en l'honneur des dieux communs,
foyers et autels de gazon. D'autres, sous un voile de lin,

12, 120 le front ceint de rameaux, apportaient l'eau et le feu.
La légion des Ausoniens s'avance, et des troupes armées de javelots
s'écoulent à pleines portes; voici que se rue toute l'armée
des Troyens et des Étrusques, avec leurs armes diverses,
bardés de fer comme si Mars les appelait à d'âpres combats.

12, 125 Et, parmi ces milliers d'hommes, les chefs en personne
courent partout, superbes sous l'or et la pourpre,
Mnesthée, de la race d'Assaracus, et le vaillant Asilas,
et le dompteur de chevaux, Messapus, rejeton de Neptune.
Et, dès que, au signal donné, chacun a gagné sa place,

12, 130 on fiche les piques dans le sol, on y appuie les boucliers.
Alors affluent des mères curieuses, une foule sans armes,
des vieillards invalides, occupant les tours et les toits des maisons,
d'autres se tiennent debout en haut des portes.

Haec ubi dicta dedit rapidusque in tecta recessit.
poscit equos gaudetque tuens ante ora frementis,
Pilumno quos ipsa decus dedit Orithyia,
qui candore niues anteirent, cursibus auras.

85 Circumstant properi aurigae manibusque lacessunt
pectora plausa cauis et colla comantia pectunt.
Ipse dehinc auro squalentem alboque orichalco
circumdat loricam umeris; simul aptat habendo
ensemque clipeumque et rubrae cornua cristae.

90 ensem, quem Dauno ignipotens deus ipse parenti
fecerat et Stygia candientem tinxerat unda.
Exin quae mediis ingenti adnixa columnae
aedibus adstabat, ualidam ui corripit hastam,
Actoris Aurunci spolium, quassatque trementem

95 uociferans: 'Nunc, O numquam frustrata uocatus
hasta meos, nunc tempus adest: te maximus Actor
te Turni nunc dextra gerit. Da sternere corpus
loricamque manu ualida lacerare reuulsam
semiuiri Phrygis et foedare in puluere crinis

100 uibratos calido ferro murraque madentis.'
His agitur furiis; totoque ardentis ab ore
scintillae absistunt, oculis micat acribus ignis:
mugitus ueluti cum prima in proelia taurus
terrificos ciet atque irasci in cornua temptat,

105 arboris obnixus trunco, uentosque lacessit
ictibus aut sparsa ad pugnam proludit harena.
Nec minus interea maternis saeuos in armis
Aeneas acuit Martem et se suscitat ira,
oblato gaudens componi foedere bellum,

110 tum socios maestique metum solatur Iuli,
fata docens, regique iubet responsa Latino
certa referre uiros et pacis dicere leges.
Postera uix summos spargebat lumine montis
orta dies, cum primum alto se gurgite tollunt

115 solis equi lucemque elatis naribus efflant:
campum ad certamen magnae sub moenibus urbis
dimensi Rutulique uiri Teucrique parabant
in medioque focos et dis communibus aras
gramineas. Alii fontemque ignemque ferebant,

120 uelati limo et uerbena tempora uincti.
Procedit legio Ausonidum, pilataque plenis
agmina se fundunt portis. Hinc Troius omnis
Tyrrhenusque ruit uariis exercitus armis,
haud secus instructi ferro, quam si aspera Martis

125 pugna uocet; nec non mediis in milibus ipsi
ductores auro uolitant ostroque decori,
et genus Assaraci Mnestheus et fortis Asilas
et Messapus equum domitor, Neptunia proles.
Utque dato signo spatia in sua quisque recessit,

130 defigunt tellure hastas et scuta reclinant.
Tum studio effusae matres et uolgus inermum
inualidique senes turris ac tecta domorum
obsedere, alii portis sublimibus adstant.


Commentaire

ses chevaux etc. (12, 82-83). Les chevaux de Turnus auraient donc été offerts à son aïeul Pilumnus (9, 4), père de Daunus, par Orithye, fille du roi d'Athènes Érechthée, que Borée avait enlevée pour faire d'elle une reine de Thrace. Les chevaux de Thrace étaient célèbres (5, 565 et 9, 49). Homère par exemple les disait "fils des vents" ou de Borée (Iliade, 16, 149-151 et 20, 223-225). Mais Virgile ne dit pas comment Orithye, qui n'est citée qu'ici dans l'Énéide, a pu donner des chevaux à l'Italien Pilumne. Dans son commentaire ad locum, J. Perret hésite à croire que Virgile a inventé cet épisode de toutes pièces. Selon le savant français, l'histoire pourrait refléter une des nombreuses tentatives faites pour implanter en Italie centrale des légendes qui, de plus ou moins loin, servaient les intérêts d'Athènes.

orichalque (12, 87-88). L'orichalque est un métal fabuleux, que Platon, dans son Atlantide, place immédiatement après l'or. On donnait ce nom à un alliage de cuivre et d'airain.

cornes (12, 89). Ce sont les proéminences du cimier supportant l'aigrette.

divin maître du feu (12, 90). L'épée de Turnus était donc d'origine divine; elle avait été forgée par Vulcain lui-même, qui l'avait trempée dans le Styx. En 8, 450, les Cyclopes, qui fabriquaient les armes d'Énée sous la direction de Vulcain, avaient "simplement" plongé le bronze dans un bassin d'eau". L'épée divine de Turnus jouera un rôle plus loin, en 12, 731-741 et 783-785.

Actor l'Auronce (12, 94). Il a déjà été question des Auronces plus haut, à plusieurs reprises (cfr 7, 206 avec les autres références). Peut-être Turnus aurait-il dépouillé Actor de sa lance lors d'un combat contre les Auronces; peut-être aussi Actor l'aurait-il offerte à Turnus dans des circonstances moins violentes. On ne le sait pas. En tout cas, on ne confondra pas cet Auronce Actor avec le guerrier troyen du même nom (9, 500).

cet eunuque de Phrygien etc. (12, 98). Le texte latin parle de semiuir, terme utilisé pour désigner "un eunuque, un efféminé, un débauché, un personnage amolli par les plaisirs". Les Phrygiens étaient méprisés pour la mollesse de leurs mœurs (cfr la caractérisation de Pâris, en 4, 215).

ondulés au fer (12, 100). La mode des cheveux frisés au fer ou calamistrés commença à apparaître à Rome au temps de César, mais ne fut pas suivie par Auguste, lequel portait les cheveux coupés court avec une frange sur le front.

myrrhe (12, 100). La myrrhe, dont certains Anciens se mouillaient les cheveux (cfr Ovide, Métamorphoses, 5, 53), était un parfum produit par un arbre qui poussait surtout en Arabie.

comme un taureau (12, 103-106). Le passage est proche de Géorgiques, 3, 232-234.

des armes de sa mère (12, 107). Les armes fabriquées par Vulcain et que Vénus est venue apporter à son fils (8, 608-616).

aiguise Mars en lui (12, 108). L'Énée de Virgile n'est pas naturellement porté à se battre alors que, note J. Perret, les guerriers d'Homère sont souvent animés de sentiments très violents et qu'on ne les voit guère s'appliquer à les exciter en eux.

renseigne sur les destins (12, 111). Apparemment Énée connaît bien ses destins. Virgile ne donne pas de détails précis, mais on se souviendra qu'en 6, 759, Anchise avait dit à Énée, avant de lui présenter les futurs héros de Rome : "Je vais t'instruire de tes destins".

les conditions de la paix (12, 112). Ces clauses ne sont pas détaillées ici, mais seront très clairement précisées ultérieurement, lors du serment des chefs (12, 183-194).

la vaste cité (12,116). La ville de Latinus, capitale des Laurentes.

dieux communs (12, 118). C'est-à-dire ceux qui allaient être invoqués par les deux parties.

voile de lin (12, 119). La traduction proposée ici suit le texte uelati lino, mais la tradition manuscrite hésite entre lino et limo. Le lin (linum) était considéré comme une matière religieusement pure, et le carbasus était une variété raffinée de lin. Les Vestales par exemple portaient des voiles de carbasus (Denys d'Halicarnasse, 2, 68, 5; Properce, 4, 11, 54), et dans la religion isiaque, prêtres et initiés portaient des vêtements de lin (par exemple Apulée, Métamorphoses, 11, 10). Rien d'étonnant dans ces conditions que, dans l'Énéide même (8, 34), le dieu du Tibre soit apparu à Énée drapé dans un tissu de carbasus. En réalité, le rôle du lin reste relativement limité dans le rituel proprement romain de l'époque historique. Mais Virgile était évidemment libre d'imaginer le vêtement des officiants. Certains éditeurs adoptent la leçon limo. Il s'agit alors de tout autre chose : le limus est "une sorte de jupon, tombant depuis la ceinture jusqu'aux pieds, et bordé dans le bas, tout autour, d'une bande de pourpre. C'était le costume propre du victimaire, qui frappait l'animal que l'on offrait aux dieux" (A. Rich, Dictionnaire des antiquités, 1995, p. 366).

rameaux (18,120).Dans la religion romaine, certaines rameaux (verveine, romarin, laurier, myrte, olivier) pouvaient garnir des autels (par exemple Horace, Odes, 4, 11, 6) ou couronner la tête de certains officiants.

Ausoniens (12, 121). C'est-à-dire les Latins. On sait (cfr notamment 7, 39n.) qu'en poésie, Ausonie désigne l'Italie.

javelots (12, 121). Il a souvent été question de javelot (pilum) dans l'Énéide. Le javelot était la principale arme offensive du légionnaire. "Elle servait surtout comme arme de jet, mais était aussi employée comme pique pour charger l'ennemi. Un peu plus courte que la lance, elle était armée d'un fer plus fort et plus large. Il semble qu'elle ait varié un peu de longueur aux différentes époques, la moyenne étant d'environ 1 m 90, de l'extrémité du fer à celle du bois. Le bois était de la même longueur que le fer, le fer, dans les deux tiers de sa longueur, était creux; le manche y entrait, solidement fixé par des clous, et il restait au bout, comme pointe, environ 22 cm de métal massif " (A. Riche, Dictionnaire des antiquités, 1995, p. 487). Son poids variait de 2 kg à 2 kg 1/2; sa portée, de 20 à 40 m.

Mnesthée (12, 127). Mnesthée est un Troyen, maintes fois nommé, qui apparaît comme un homme de confiance d'Énée (4, 288; 5, 116, 117, 184, 189, 194, 210, 218, 493, 494, 507; 9, 171, 306, 779, 781, 812; 10, 143). Quant à Assaracus, c'est un lointain ancêtre d'Énée (cfr 9, 259).

Asilas (12, 127). Dans l'Énéide plusieurs personnages portent ce nom, notamment un chef étrusque (10, 175), un guerrier rutule (9, 571) et un guerrier troyen (11, 620). Il s'agit probablement ici du Troyen.

Messapus (12, 128). Un Italien, maintes fois nommé dans l'Énéide (7, 691; 8, 6; 9, 27, 124, 160, 351, 365, 458, 523; 10, 354, 749; 11, 429, 464, 518, 520, 603; 12, 128, etc.).

 



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Dernière mise à jour : 12/03/2002