Itinera Electronica
Du texte à l'hypertexte

Virgile Aeneis, Livre XII

V. Duel décisif [697-790]

 2. Second affrontement (746-790)

12, 746 Néanmoins Énée, malgré la blessure engourdissant ses genoux
qui entravent quelque peu sa marche et refusent de courir,
poursuit et, dans son ardeur, serre pied à pied son adversaire traqué :
c'est comme lorsque un cerf enfermé par la boucle d'une rivière,

12, 750 ou prisonnier d'un effrayant épouvantail de plumes rouges,
est pressé par un chien de chasse qui le poursuit de ses aboiements :
ce cerf donc, terrorisé par le piège et la rive abrupte, s'enfuit
puis revient par mille chemins, mais le vif Ombrien, gueule béante,
s'attache à lui, déjà l'atteint, et comme s'il le tenait,

12, 755 fait claquer ses mâchoires, frustré après cette morsure vaine;
alors s'élève une clameur, que les berges et les lacs répercutent
dans les alentours, et ce tumulte retentit dans le vaste ciel.
Turnus, dans sa fuite, apostrophe tous les Rutules,
et, les interpellant chacun par leur nom, il réclame son illustre épée.

12, 760 En face, Énée promet la mort et une fin immédiate
à quiconque se présenterait, les fait tous trembler de terreur,
menace d'anéantir la ville, et les presse, malgré sa blessure.
En courant, tous deux dessinent cinq cercles, et cinq fois,
les refont dans l'autre sens; car l'enjeu de leur combat n'est pas

12, 765 le simple prix d'un jeu, mais la vie et le sang de Turnus.
Précisément à cet endroit s'était dressé en l'honneur de Faunus
un olivier aux feuilles amères, arbre vénéré depuis longtemps par les marins,
qui, une fois sauvés des eaux, avaient l'habitude d'y fixer des offrandes
au dieu laurente, et d'y suspendre leurs vêtements, pour s'acquitter de leur voeu.

12, 770 Les Troyens, sans aucun discernement, avaient enlevé
sa souche sacrée, pour pouvoir se battre en un terrain dégagé.
La lance d'Énée restait plantée là où son élan l'avait portée
et elle était retenue par une souple racine.
Le Dardanide se pencha et de la main voulut arracher cette arme

12, 775 pour la lancer contre celui qu'il ne pouvait atteindre à la course.
C'est alors que Turnus, affolé d'épouvante, dit :
"Faunus, je t'en prie, aie pitié, et toi, Terre très bonne,
retenez cette arme, si je vous ai toujours rendu les honneurs
que les Énéades, eux, ont profanés par la guerre".

12, 780 Il parla, et ses voeux invoquant l'aide divine ne furent pas vains.
Car Énée essaya longtemps, s'acharnant sur la souche souple,
mais aucune force ne réussit à desserrer la morsure du bois.
Pendant qu'Énée fait d'âpres efforts et insiste,
prenant une nouvelle fois les traits de l'aurige Métiscus,

12, 785 la divine Daunienne accourt rendre à son frère son épée.
Vénus, indignée de ce privilège accordé à l'audacieuse nymphe,
survient et arrache le trait profondément enraciné.
Les deux guerriers, ayant recouvré armes et courage, relèvent la tête;
l'un, sûr de son glaive, l'autre, âpre et ardent grâce à sa lance,

12, 790 sont prêts à affronter tout haletants les combats de Mars.

Nec minus Aeneas, quamquam tardata sagitta
interdum genua impediunt cursumque recusant,
insequitur trepidique pedem pede feruidus urget:
inclusum ueluti siquando flumine nanctus

750 ceruum aut puniceae saeptum formidine pinnae
uenator cursu canis et latratibus instat;
ille autem, insidiis et ripa territus alta,
mille fugit refugitque uias; at uiuidus Umber
haeret hians, iam iamque tenet similisque tenenti

755 increpuit malis morsuque elusus inani est.
Tum uero exoritur clamor, ripaeque lacusque
responsant circa et caelum tonat omne tumultu.
Ille simul fugiens Rutulos simul increpat omnis,
nomine quemque uocans, notumque efflagitat ensem.

760 Aeneas mortem contra praesensque minatur
exitium, si quisquam adeat, terretque trementis
excisurum urbem minitans et saucius instat.
Quinque orbis explent cursu totidemque retexunt
huc illuc; neque enim leuia aut ludicra petuntur

765 praemia, sed Turni de uita et sanguine certant.
Forte sacer Fauno foliis oleaster amaris
hic steterat, nautis olim uenerabile lignum,
seruati ex undis ubi figere dona solebant
Laurenti diuo et uotas suspendere uestes,

770 sed stirpem Teucri nullo discrimine sacrum
sustulerant, puro ut possent concurrere campo.
Hic hasta Aeneae stabat, huc impetus illam
detulerat fixam et lenta in radice tenebat.
Incubuit uoluitque manu conuellere ferrum

775 Dardanides teloque sequi, quem prendere cursu
non poterat. Tum uero amens formidine Turnus
'Faune, precor, miserere,' inquit, 'tuque optima ferrum
terra tene, colui uestros si semper honores,
quos contra Aeneadae bello fecere profanos.'

780 Dixit opemque dei non cassa in uota uocauit.
Namque diu luctans lentoque in stirpe moratus
uiribus haud ullis ualuit discludere morsus
roboris Aeneas. Dum nititur acer et instat,
rursus in aurigae faciem mutata Metisci

785 procurrit fratrique ensem dea Daunia reddit.
Quod Venus audaci nymphae indignata licere
adcessit telumque alta ab radice reuellit.
Olli sublimes armis animisque refecti,
hic gladio fidens, hic acer et arduus hasta,

790 adsistunt contra certamina Martis anheli.


Commentaire

blessure (12, 746). La flèche reçue (12, 319ss) et extraite miraculeusement de la plaie par Iapyx, grâce à l'intervention miraculeuse de Vénus et du dictame (12, 383ss).

c'est comme lorsque (12, 749-750). Comparaison peut-être partiellement inspirée d'Homère (Iliade, 10, 360-362, où Dolon est poursuivi par Diomède, et Iliade, 22, 188-192, où Achille poursuit Hector), mais elle intègre des habitudes romaines, les chasseurs utilisant des cordes garnies de plumes de couleur tendues devant les animaux pour les effrayer et les rabattre aux filets.

le vif Ombrien (12, 753). L'Ombrie était renommée pour sa race de chiens de chasse.

En courant (12, 763-765). Le récit virgilien est inspiré de la poursuite d'Hector par Achille (Iliade, 22, 158-161) .

Faunus (11, 766-769). Sur le dieu Faunus, dont l'Énéide fait un ancien roi du Latium, cfr notamment 7, 47. L'oracle qu'il rendit à Latinus (cfr 7, 81-106) joue un grand rôle dans le récit.

une fois sauvés des eaux (12, 768). Les matelots sauvés d"un naufrage avaient coutume de suspendre aux branches d'un arbre consacré ou aux murailles d'un temple les vêtements qu'ils portaient pendant la tempête et qu'ils avaient fait voeu d'offrir au dieu protecteur (M. Rat). Comme l'observe J. Perret (Virgile. Énéide, III, 1980, p. 256-257), "Faunus est aussi peu marin qu'il est possible; Servius [...] s'étonne des dédicaces que lui offrent les marins rescapés d'un naufrage. Mais précisément cette dédicace au dieu des bergers et des bûcherons a pour but de les libérer complètement de leurs attaches (vêtements) et de leurs dettes envers la mer. Faunus les réintègre alors dans sa communauté terrienne".

lance d'Énée (12, 772). Les deux guerriers avaient utilisé leurs lances dès le début du combat (12, 711).

si je vous ai toujours rendu les honneurs (12, 778). Les Anciens vénéraient les arbres, en particulier les oliviers (comme ici), les chênes, les figuiers et les myrtes. On y accrochait en offrandes des bandelettes, des couronnes, des vêtements, des objets votifs. On leur offrait aussi des sacrifices, et des inscriptions les recommandaient à la piété des passants.

divine Daunienne (12, 785). C'est Juturne, soeur de Turnus et donc fille de Daunus.

 



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Dernière mise à jour : 12/03/2002