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TACITE

Origine et territoire des Germains, dit La Germanie

(XLIII-XLVI)

 

 

Traduction nouvelle avec notes de Danielle De Clercq, Bruxelles, 2003

 


 

 [I] [II] [III] [IV] [V] [VI] [VII] [VIII] [IX] [X] [XI] [XII] [XIII] [XIV] [XV] [XVI] [XVII] [XVIII]

[XIX] [XX] [XXI] [XXII] [XXIII] [XXIV] [XXV] [XXVI] [XXVII] [XXVIII] [XXIX] [XXX]

[XXXI] [XXXII] [XXXIII] [XXXIV] [XXXV] [XXXVI] [XXXVII]

[XXXVIII] [XXXIX] [XL] [XLI] [XLII] [XLIII] [XLIV] [XLV] [XLVI]

 

 

Plan

 

Introduction

Traduction et notes

Première partie:

Comment peut-on être Germain? (I-IV)

Vivre en Germanie (V-VIII) (IX-XV) (XVI-XIX) (XX-XXIV) (XXV-XXVII)

Deuxième partie:

Particularismes de peuples germaniques (XXVIII-XXXIII) (XXXIV-XXXVII) (XXXVIII-XLII) (XLIII-XLVI)

Cartes

Benario (1999)

Goelzer (1917)

Grane (2003)

Perret (1949)

Rives (1999)

 


 

Peuples des confins de la Suévie

Bures et Marsignes, Cotins et Oses

(XLIII 1). À l'arrière, les Marsignes, les Cotins, les Oses, les Bures contiennent les Marcomans et les Quades. La langue des Marsignes et des Bures et leur mode de vie les apparentent aux Suèves. Les Cotins parlent gaulois, les Oses pannonien. Voilà qui prouve bien qu'ils ne sont pas des Germains, tout comme le fait qu'ils se laissent, en tant qu'étrangers, imposer des tributs, par les Sarmates d'une part, par les Quades de l'autre. Les Cotins pour se déshonorer plus encore extraient le fer. (XLIII 2). Tous ces peuples n'occupent que peu de régions de plaines, mais ils se sont plutôt installés dans des forêts et sur des sommets et des crêtes. En effet une chaîne montagneuse continue divise de part en part la Suévie.

Tribus lygiennes: Naharvales et Haries

Au-delà, vivent de très nombreux peuples, dont les Lygiens, qui se dispersent en diverses tribus sur de très vastes étendues. Je me contenterai d'en citer les plus puissantes: les Haries, les Helvécons, les Manimes, les Élisiens et les Nahanarvales.

(XLIII 3). On montre chez les Naharvales un bois sacré, siège d'un antique rituel auquel est préposé un prêtre aux atours féminins. Toutefois, selon l'interprétation romaine, il s'agit de dieux identifiables à Castor et Pollux. Cette entité divine présente leurs caractéristiques et s'appelle les Alci. Il n'en existe aucune représentation et rien n'atteste que leur culte soit d'origine étrangère. Pourtant ils sont vénérés comme des frères, comme des jeunes gens.

(XLIII 4). Quant aux Haries, s'ils dépassent en force physique les tribus que je viens d'énumérer, ils sont avant tout des êtres sauvages qui se complaisent dans leur cruauté innée en recourant à des artifices et en choisissant leur moment. Ils se couvrent de boucliers noirs, se teignent la peau pour attaquer au cours de nuits enténébrées. L'effroi même que suscite cette funèbre armée d'ombres répand la terreurAucun ennemi ne résiste à leur aspect insolite et en quelque sorte infernal. Car dans tous les combats, les yeux sont les premiers à se laisser vaincre.

Gotons, Ruges et Lémoviens

(XLIV 1). Au-delà des Lygiens, les Gotons sont régis par un pouvoir royal un peu plus contraignant que pour toutes les autres nations, mais pas encore au point de mettre en jeu leur liberté. Ensuite, en continuant du côté de l'Océan, on trouve les Ruges et les Lémoviens. Tous ces peuples se caractérisent par leurs boucliers ronds, leurs glaives courts et leur soumission à des rois.

Suiones

(XLIV 2). À partir de là, en plein Océan, les tribus des Suiones s'imposent par leurs guerriers et leurs armes, mais surtout par leurs flottes. Ils donnent une forme particulière à leurs embarcations qui, avec une proue des deux côtés, présentent toujours un front prêt à l'abordage. Ils n'utilisent pas de voiles ni ne placent de rangs de rames sur les côtés, mais recourent, comme dans certains cas de navigation fluviale, à un équipage mobile de rameurs, qui se déplacent d'un côté à l'autre, en fonction de la situation.

(XLIV 3). Chez eux, la richesse aussi est prise en considération. Pour cette raison, le pouvoir n'appartient  qu'à un seul homme sans plus connaître aucune limite et ce droit de se faire obéir n'est pas précaire. Les armes ne sont pas, comme chez les autres Germains, à la disposition de la collectivité, mais sont enfermées sous la surveillance d'un gardien, en l'occurrence un esclave. Certes l'Océan les protège d'attaques et d'incursions soudaines, mais ils savent surtout que des troupes désoeuvrées d'hommes armés se laissent facilement porter à des excès. Le pouvoir royal a donc tout intérêt à ne confier  ni à un noble ni à un homme libre ni même à un affranchi la gestion des armes.

L'ambre de la Baltique

(XLV 1). Au-delà des Suiones, s'étend une autre mer, dormante et pratiquement inerte. On est porté à croire qu'à partir de là, elle entoure et limite la terre, du fait que le dernier éclat du soleil couchant se prolonge jusqu'à son lever et que sa clarté noie celle des étoiles. S'ajoute à cela l'idée reçue selon laquelle on entend le bruit que fait le soleil en émergeant et qu'on discerne les silhouettes de ses chevaux et les rayons jaillissant de sa tête.

Ce n'est que jusque là - et ce que l'on en dit est vrai - que s'étend le monde vivant.

(XLV 2). Ainsi les peuplades des Estes sont baignées par la mer de Suévie sur son rivage droit. Leurs rites religieux et leur mode de vie les rapprochent des Suèbes, mais leur langue est apparentée au breton. Ils honorent la Mère des Dieux. Ils brandissent comme signes de leur croyance des totems de sangliers : ces amulettes protègent, bien mieux que les armes et toute forme de défense, le dévot de la déesse, même des ennemis. (XLV 3). L'usage d'armes de fer est rare chez eux, plus fréquent celui de gourdins. Ils se donnent bien du mal pour faire pousser du blé et d'autres productions, au regard de la paresse généralisée des Germains.

(XLV 4). Mais ils fouillent la mer et, seuls parmi tous, ils recueillent sur les gués et le rivage même, l'ambre qu'ils appellent glesum. En bons Barbares, ils ne se sont pas posé de questions et ne savent rien de sa nature ni pour quelle raison il se forme.

Mieux encore, cet ambre restait parmi les rejets de la mer jusqu'au jour où notre goût du luxe lui a donné un nom. Eux-même n'en tirent aucun usage: ils le recueillent brut, le livrent tel quel et s'étonnent du prix qu'ils en reçoivent. 

(XLV 5). On pourrait d'ailleurs concevoir que c'est une résine des arbres, parce qu'on y voit la plupart du temps briller au dedans certains insectes rampants et aussi ailés. Enrobés de matière liquide, ils y restent enfermés quand elle durcit.

Or on sait qu'en Orient des régions retirées portent des forêts et des bois assez fertiles où les arbres exsudent de l'encens et des baumes. De même, je croirais bien que les îles et les terres du Couchant produisent des substances qui apparaissent et se liquéfient sous l'action des rayons du soleil avoisinant. Elles s'abîment dans la mer toute proche pour échouer par la force des tempêtes sur les rivages opposés. Si on teste sa nature en l'approchant d'une flamme, l'ambre prend feu comme une torche et nourrit une flamme grasse et odorante. Ensuite il devient visqueux comme la poix ou la résine.

Sithons

(XLV 6). Après les Suiones viennent les tribus des Sithons, qui leur ressemblent à ceci près qu'ils sont à la merci d'une femme. Ils sont tout à fait indignes de la condition d'hommes libres mais aussi d'esclaves.

(XLVI 1). C'est là qu'on touche aux limites de la Suévie.

 

Peuples établis au-delà de la Suévie

Peucins et Vénèthes

Je ne sais pas si je dois rattacher les tribus des Peucins, Vénèthes et Fennes aux Germains ou aux Sarmates. Toutefois les Peucins, que certains appellent Bastarnes, parlent, vivent et sont sédentaires comme des Germains. Tous vivent dans la saleté et leurs chefs sont apathiques. Du fait de mariages mixtes, ils se sont quelque peu avilis en adoptant le mode de vie des Sarmates.

(XLVI 2). Les Vénèthes ont adopté en grande partie le comportement de ces derniers: en effet ils parcourent toutes les forêts et les hauteurs qui les séparent des Peucins et des Fennes en se livrant au brigandage. Cependant ils sont à classer plutôt parmi les Germains, parce qu'ils construisent des maisons, portent des boucliers et aiment se déplacer très vite à pied. Tout cela les différencie des Sarmates qui vivent dans des chariots et à cheval.

Fennes

(XLVI 3). La sauvagerie des Fennes est étonnante, leur pauvreté repoussante: pas d'armes, pas de chevaux, pas d'habitat. Leur nourriture? De l'herbe! Leurs vêtements? Des peaux! Et pour dormir, le sol! Ils mettent tout leur espoir dans des flèches, que, démunis de fer, ils taillent en affûtant des os. Ils chassent pour se nourrir et les battues réunissent indistinctement les hommes et les femmes, qui participent aux expéditions et revendiquent leur part. Pour les petits enfants il n'y a pas d'autre moyen de se protéger des prédateurs et des averses que de se tapir sous un enchevêtrement de branches.

C'est le havre des jeunes, le refuge des vieillards. Mais ils trouvent leur sort plus enviable que de gémir sur des champs, de se tuer à construire des maisons, de voir dans leurs biens et ceux d'autrui des raisons d'être tiraillés entre l'espoir et la crainte.

Se sentant en sécurité vis-à-vis des autres hommes, en sécurité vis-à-vis des dieux, ils sont arrivés à quelque chose de très difficile: n'éprouver aucun désir.

Monstres

(XLVI 4). Tout le reste n'est que racontars. Les Hellusiens et les Oxiones auraient des visages et des faces d'humains, des corps et des membres d'animaux. De cela, je n'en parle pas, étant donné que je n'en suis pas plus informé.


                

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