FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 8 - juillet-décembre 2004


Tournai, une ville fondée par un soldat de Tullus Hostilius ?

À propos des origines légendaires de la cité des Cinq clochers

 

par

Isabelle Glorieux

Licenciée en langues et littératures classiques
 Docteur en Philosophie et Lettres (Histoire de la civilisation médiévale)

<isabelle.glorieux@skynet.be>

À Marie-Paule et Michel Trinteler


L'article ci-dessous a fait l'objet de la thèse annexe défendue par Isabelle Glorieux lors du doctorat sur Les paradis bibliques dans la poésie latine de l'antiquité tardive au haut moyen âge, qu'elle a présenté le 7 mai 2004 à l'Université de Louvain et qui avait été rédigé sous la direction du Prof. Paul-Augustin Deproost.

[Note de l'éditeur - 23 novembre 2004]


Plan


 

Dans les numéros précédents, divers articles furent dédiés à l’étude du mythe de l’origine troyenne au moyen âge et à la renaissance. Ainsi, Danielle De Clercq a analysé et présenté dans les FEC 3 (2002) une miniature qui retrace la fondation de Venise, tirée d’un manuscrit du XVe siècle de la Fleur des Histoires de Jean Mansel, tandis que Jacques Poucet, dans les FEC 5 (2003) et les FEC 6 (2003), s’est penché sur les aspects historico-légendaires de cette édification par Anténor. Le présent article sera consacré aux origines légendaires de la ville de Tournai qui, au XIIe siècle, s’inventa une naissance particulière, différente du traditionnel mythe troyen, afin de répondre à un besoin politique précis. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous souhaitons montrer l’évolution de ce récit au fil du temps, au moyen de quelques jalons littéraires provenant surtout de la littérature latine. Nous essayerons également de déterminer les raisons qui ont poussé les auteurs à réutiliser et exploiter cette histoire fabuleuse ainsi que les avantages qu’ils pouvaient en tirer.

I. La notice de L. Guichardin

Tournai, une ville fondée par un soldat de Tullus Hostilius ?

Cette phrase - que nous avons mise sur un mode interrogatif - provient de la Description des Pays-Bas de Ludovico Guicciardini, le neveu du fameux Francesco Guicciardini, plus communément appelé François Guichardin[1]. Au milieu du XVIe siècle, cet homme d’affaires florentin, devenu Anversois par adoption, consacra un ouvrage entier[2] à sa « nouvelle patrie ». Il ne se contente pas d’y réaliser une simple description géographique de nos régions, mais s’intéresse et décrit avec soin les constitutions, le fonctionnement des diverses institutions politiques et juridiques entre autres, traite de questions linguistiques, de peinture ou encore d’art en général. Pour ce faire, il se base sur son expérience et son observation personnelles qu’il complète de nombreuses lectures d’auteurs tant anciens que plus récents. Il a ainsi consulté les écrits de César, Pline, Strabon, des chroniqueurs médiévaux tels Sigebert de Gembloux, Jacques de Guise ou encore Jean Lemaire de Belges[3]. Son oeuvre fut très bien accueillie par ses contemporains ; les modernes soulignent également l’exactitude de ses informations d’ordre économique[4]. Ce livre, publié pour la première fois en 1567, devint un véritable best-seller au point de connaître, en à peu près un siècle, pas moins de 33 éditions agrémentées de cartes, en italien, en français, en néerlandais, en latin, en allemand et partiellement en anglais[5].

Guichardin se consacre ainsi à la présentation de bon nombre de villes des Pays-Bas. Sont par exemple décrites et détaillées les cités d’Anvers, Louvain, Bruxelles, Namur, Luxembourg, Malines, Gand, Lille ou encore Valenciennes. Si les trois premières bénéficient d’une notice assez fouillée (surtout Anvers, sa ville d’adoption), la plupart ne comportent que quelques pages. Sans nous attarder sur celles-ci, concentrons-nous sur la description de Tournai qui nous intéresse plus directement dans le cadre de cet article. Notons cependant que nous n’étudierons pas tous les éléments fournis par le Florentin : laissant de côté l’histoire plus récente, la situation économique et géographique de la cité, nous nous pencherons de préférence sur la naissance et les premiers temps de cette ville[6] :

 

Tornacum, & universa ejus ditio cohaeret cum latere Flandriae Gallicanae, & Hannoniae terrae confiniis : opidum tantae vetustatis, ut conditum scribant sexcentis & quadraginta annis ante natum humani generis Salvatorem. De nomine, satis habeo dicere, quod in obscuro sit ejus ratio : quodque variae super eo & portentosae scriptorum opiniones. Sunt enim qui conditum velint a milite Tulli Hostilii, tertii Romanorum Regis, deque nomine ejus Hostiliam dictum : sed destructum postea, iterumque mox instauratum, in memoriam Deae Minerviae, corrupto nonnihil & mutilato vocabulo, Nerviam appellari coepisse. Primis autem Neronum [sic] temporibus renovatum rursus a quodam ejus Tribuno, cui Torno cognomen, ac de nomine sui illius instauratoris Tornacum denique nominatum. Alii rursus pro indubitato tradunt, circa tempora Julii Caesaris Nerviam audivisse, fuisseque metropolim Nerviorum, populorum qui maxime feri inter Gallos tunc haberentur, quique ad flumen Sabin cum ipsomet Caesare congressi, magno & Romanorum periculo, & suorum strage, ita strenue et constanter pugnarunt, ut cum Caesari dederentur, e sexcentis ad tres Senatores, ex hominum millibus sexaginta, uix ad quingentos, qui arma ferre possent, sese redactos esse dicerent.

Tournai et tout le territoire qui en dépend, est situé le long de la Flandre française, aux confins du Hainaut. La ville est tellement vieille qu’on écrit qu’elle a été fondée 640 ans avant la naissance du Sauveur du genre humain. J’ai assez bien de choses à dire à propos de son nom, car son explication est obscure et les opinions des écrivains à son sujet sont variées et merveilleuses. Il y en a qui veulent qu’elle ait été fondée par un soldat de Tullus Hostilius, le troisième roi des Romains et fût nommée Hostilia à partir du nom de celui-ci. Mais, détruite après et ensuite de nouveau reconstruite, on a commencé à l’appeler Nervia en souvenir de la déesse Minerve, suite à une altération et une diminution de ce mot. Au début du règne de Néron, elle fut de nouveau remise en état par un de ses tribuns, dénommé Turnus et enfin appelée Tournai du nom de celui qui l’avait reconstruite. D’autres enseignent comme tout à fait certain, qu’à l’époque de Jules César, elle s’appelait Nervia et était la capitale des Nerviens, qui étaient alors considérés comme le peuple gaulois le plus farouche, peuple qui a combattu César lui-même près du fleuve Sabis. Suite à la menace romaine grandissante ainsi qu’à la destruction de leurs biens, ils ont livré une bataille tellement énergique et continue que, lorsqu’ils se sont soumis à César, ils ont dit que, de 600 sénateurs, ils avaient été réduits à peine à 3 et de 60.000 hommes qui pouvaient porter les armes, à peine à 500.

 

Après avoir plus que laconiquement situé la ville de Tournai, l’auteur s’attelle à relater sa fondation. D’emblée, il s’empresse de souligner le mystère qui englobe sa naissance ainsi que la multiplicité et le caractère légendaire des traditions qui y font allusion. Malgré cette variété annoncée, il ne rapporte que deux récits différents. Si le second semble confondre, somme toute erronément, la ville de Tournai - qui, rappelons-le, s’était développée sur le territoire ménapien - avec la capitale des Nerviens, le premier est plus détaillé. Plus que des circonstances particulières, Guichardin préfère la brièveté d’un cadre chronologique, agrémenté de quelques détails d’ordre onomastique. Ainsi explique-t-il que, d’après un premier groupe d’écrivains, Tournai aurait été fondée en 640 avant notre ère. Son histoire mouvementée lui aurait fait subir deux destructions et deux restaurations successives, à une époque indéterminée tout d’abord puis, une autre au début du règne de Néron. Quant au deuxième groupe mentionné par Guichardin, il se cantonne à l’époque de Jules César et de la guerre des Gaules.

Penchons-nous davantage sur le contenu de la notice de l’auteur du XVIe siècle ; laissons cependant de côté pour l’instant les éléments du second groupe pour nous consacrer à ceux mentionnés dans le premier. Selon les dires du Florentin, la cité aurait été fondée par un soldat de Tullus Hostilius et aurait été appelée Hostilia en l’honneur du troisième roi de Rome. Après une dévastation et une reconstruction, elle aurait été surnommée, cette fois en souvenir de la déesse Minerve, Nervia et enfin restaurée une seconde fois sous le règne de Néron par un tribun du nom de Turnus qui lui aurait donné son nom définitif. Comme on le constate, le texte s’éloigne fortement des traditionnelles origines troyennes plusieurs fois étudiées dans cette revue. Non seulement, Guichardin préfère la fondation romaine, cette autre tradition qui séduisit bon nombre de villes[7], mais surtout il adopte un schéma tout à fait particulier en donnant des noms différents à la cité selon les vicissitudes de son histoire[8].

L’enchaînement des éléments « historiques » ainsi que la toponymie singulière de la ville peuvent étonner ; ces derniers ne sont toutefois pas une création de Guichardin, mais ont, comme il l’affirmait lui-même, une origine assez ancienne. Voyons laquelle.

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II. La tradition tournaisienne, ses raisons et ses buts

C’est au XIIe siècle, à Tournai, qu’apparaissent les premières occurrences de ces origines légendaires. Comme nous aurons l’occasion de le voir, celles-ci ne naissent pas par hasard, mais furent créées selon un but bien précis. Nous y reviendrons après avoir résumé le contenu de cette tradition.

a) Résumé de cette tradition

Divers écrits retracent les balbutiements de la ville : il s’agit du Liber de antiquitate urbis Tornacensis ex reuelatione Heinrici publié dans les MGHS XIV[9], pp. 352-357, des Historiae Tornacenses partim ex Herimanni libris excerptae [MGHS XIV[[10]], pp. 327 sqq.] - qui sont en fait un résumé du premier texte mentionné - ainsi que d’un autre récit de moindre importance en vers et en prose dénommé de dignitate et antiquitate urbis Tornacensis [MGHS XIV, pp. 357-358]. Selon ceux-ci, à quelques nuances près, Tournai aurait été fondée par Tarquin l’ancien, la dixième année de son règne, 143 ans après Rome. La nouvelle construction aurait été si belle qu’elle fut appelée la « Petite Rome » (minor Roma) ou « l’Autre Rome » (altera Roma) et il s’en fallut de peu que les Romains ne transfèrent leur capitale dans ce petit paradis situé le long des rives de l’Escaut. Lors de l’avènement de Servius, elle est choisie parmi les 125 cités et bourgs environnants pour rassembler et expédier dans la « grande Rome » les tributs dus aux Romains. Le système fonctionne une vingtaine d’années, jusqu’au jour où les Tournaisiens ne veulent plus envoyer l’impôt. Colère de Servius qui décide d’attaquer la cité rebelle. Suite à une résistance opiniâtre et plusieurs rebondissements, la paix est finalement conclue. Les Romains décident cependant de changer le nom de l’insoumise et la nomment « Hostile » (Hostilis) en souvenir de sa rébellion. Sous le règne d’Artaxerxés, vers 340 avant J.-C.[11], Tournai est détruite par on ne sait qui. Elle sera reconstruite une quarantaine d’année plus tard et baptisée « Nerve » (Nervius) selon le nom de Servius[12]. Le récit fait de nouveau un grand bond en avant et s’arrête à l’époque de Jules César et de sa guerre des Gaules. Celui-ci, ayant eu vent du courage, de la vaillance et de la puissance de cette ville, essaye de s’en emparer. Les Nerviens préparent la résistance et se choisissent un roi qu’ils nomment Turnus en souvenir du roi de ce nom qui combattit l’ancêtre de César, Énée[13]. Après moult péripéties, Tournai est finalement prise et détruite par les Romains. Elle ne sera reconstruite qu’un siècle plus tard, lors de la deuxième année du règne de Néron. C’est à ce moment qu’elle aurait été appelée Tournai (Tornacum) en souvenir de son roi.

Si l’on résume cette histoire selon le point de vue onomastique que Guichardin a adopté dans sa description, la cité des Cinq clochers aurait eu trois appellations différentes avant d’obtenir la définitive. D’abord appelée la Petite ou l’Autre Rome à cause de sa beauté, elle reçut le nom d’Hostile suite à sa rébellion. Reconstruite après avoir été dévastée par de mystérieux envahisseurs, elle est surnommée Nerve en souvenir de Servius Tullius, nom qu’elle possédait toujours lorsque César la combattit et la détruisit de nouveau. Elle fut finalement reconstruite un siècle plus tard par les Romains et fut appelée Tournai en l’honneur de Turnus, son roi. Comme on le constate, le Florentin a conservé la structure et la plupart des surnoms successifs de la ville, mais il ne fournit pas du tout les mêmes explications. Contrairement au texte du XIIe siècle, il semble également attribuer le récit inspiré de la Guerre des Gaules à une autre tradition. Nous reviendrons en détail sur ces transformations plus loin.

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b) Ses raisons

Ce récit du XIIe siècle est bien évidemment une fiction ; toutefois, divers éléments de l’histoire réelle de Tournai apparaissent en filigrane et forment, pourrait-on dire, la trame de ces origines légendaires. Les destructions successives rapportées dans le récit médiéval ne sont sans doute pas étrangères aux diverses déprédations et autres dévastations qu’a subies la ville dans les années 180, 406 [cf. saint Jérôme, Lettre CXXIII, 15] et enfin en 881 lors des invasions normandes[14]. À cela faut-il ajouter la rébellion de la petite Rome, grisée par le pouvoir que les Romains lui avaient accordé, qui n’est peut-être pas sans rappeler les libertés que souhaitait acquérir la jeune commune de Tournai au XIIe siècle[15].

Mais, plus que le cadre général fourni par les réalités historiques, ce texte est remarquable par les éléments qu’il rapporte. Tout est fait pour glorifier la ville : fondation romaine ancienne, salubrité, beauté et richesse du lieu qui ont presque poussé les Romains à délaisser leur capitale pour l’autre Rome, vaillance et puissance des habitants, etc. La tradition et l’histoire romaines sont même appelées en renfort afin de parvenir d’autant plus facilement à ce but de glorification de Tournai. Pour ne citer que les éléments les plus flagrants[16], l’auteur médiéval appelle le roi qui combattit César et qui finalement donna son nom à la cité, Turnus, souvenir évident de l’Énéide. Soulignons également l’appellation Nervius, qui est une façon assez habile de confondre la cité des Cinq clochers avec la capitale des Nerviens[17], ce peuple qui livra courageusement bataille à César.

On pourrait croire que cette grandiloquence ne servit qu’à satisfaire une vaine gloriole. Il n’en est rien. L’histoire que nous venons de résumer[18] fut créée par Hériman, un abbé de Saint Martin de Tournai, dans le but de servir les visées « politiques » du milieu monastique dont il est issu. La date de la création de ces origines légendaires correspond à un moment bien précis de l’histoire de ce milieu. C’est en effet à cette époque que les autorités ecclésiastiques tournaisiennes tentent par tous les moyens de récupérer leur propre évêché afin de ne plus dépendre du diocèse de Noyon, auquel ils avaient été rattachés quelques six cents soixante-quinze ans plus tôt. L’entreprise n’était pas facile, d’autant que des données politiques et économiques venaient compliquer l’affaire[19]. Malgré les tentatives infructueuses entamées depuis quelques décennies[20], Hériman, véritable « champion de la cause tournaisienne »[21], multiplie les démarches afin d’obtenir la scission de l’évêché de Noyon-Tournai. Finalement, il utilise un pieux stratagème pour activer les choses : se servir des « voies divines », en l’occurrence un récit révélé par un saint lors de visions, afin de prédire la récupération d’un diocèse indépendant. Pour ce faire, il choisit saint Éleuthère, le premier évêque de Tournai ; ce choix n’est bien sûr pas innocent. C’est ainsi qu’il raconte, en utilisant une véritable mise en scène, l’histoire d’Henri, un jeune chanoine, ravi en extase, alors qu’il traversait, seul, durant la nuit, la cathédrale en chantier. Sans doute, afin de rendre son histoire plus crédible, il prend soin, dans la suite de son récit, d’entourer le chanoine en pleine contemplation de divers témoins[22]. Ces derniers participent également en posant des questions tout autant destinées à satisfaire leur curiosité qu’à mettre le jeune homme à l’épreuve, à vérifier qu’il n’affabule pas, mais est vraiment gratifié de visions. C’est lors d’une de celles-ci que saint Éleuthère lui aurait raconté l’histoire de la fondation de Tournai et aurait annoncé que la ville allait bientôt retrouver sa dignité épiscopale. La prédiction miraculeuse ainsi que ce récit d’origine « céleste », embellissant à ce point la naissance de la ville, permet à Hériman d’enfin convaincre ses interlocuteurs. Et effectivement, après cet épisode, la prophétie du saint se réalisera et Tournai jouira très rapidement de son propre évêché. On comprend mieux dans ces circonstances pourquoi l’auteur a inventé de telles origines à sa ville : une cité qui pouvait se targuer d’un si glorieux passé, qui possédait une naissance si prestigieuse, était si puissante et courageuse, méritait bien de récupérer son évêque !

Les origines légendaires de Tournai furent donc inventées afin de répondre à un besoin particulier. Loin d’être créée par fierté ou encore par simple fantaisie littéraire, cette histoire produite par des hommes d’Église a pour objectif d’appuyer leurs prétentions et de les aider à recouvrer leur dignité épiscopale perdue depuis à peu près sept siècles... Le succès de ce récit ne s’arrête pas là. Créé dans un but précis par des religieux tournaisiens, il quittera bien vite le cadre monastique pour le milieu séculier. En effet, il fut de nombreuses fois repris par des auteurs profanes, mais dans un dessein différent cette fois. Voyons lequel.

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III. L’évolution des origines légendaires au fil des siècles et des auteurs

Ainsi exposées, les origines légendaires de Tournai passent très rapidement à la postérité et sont de nombreuses fois rappelées dans diverses oeuvres tant latines que romanes, créées à Tournai ou dans d’autres villes. Elles font aussi bien l’objet de compilations, que de simples traductions en langue vernaculaire, de résumés, d’allusions ou encore de longs développements. Citons par exemple la Vita Eleutherii de Guibert de Tournai, texte latin de la deuxième moitié du XIIIe siècle qui compile les diverses sources tournaisiennes du siècle précédent (AASS, feb. III, pp. 197 sqq.), les Vraies Cronikes, datant de la fin du XIIIe siècle[23], une quarantaine de vers de la Chronique rimée[24] de Philippe Mouskès (v. 1018-1051) qui retrace l’histoire de la cité dans les grandes lignes, de même que le Grant mesquief à Tournay, par yauwe, par feu et par vent, l’an 1353 (édité dans le Bulletin de la Commission Royale d’Histoire 10, 1846, pp. 247-248). On peut encore mentionner les monumentales Annales Hannoniae de Jacques de Guise, rédigées à la fin du XIVe siècle, ainsi que le Roman de Buscalus qui développe abondamment, au siècle suivant, l’origine de Tournai en une véritable épopée. Signalons enfin que quelques allusions à l’histoire de la cité se retrouvent parfois dans des chartes communales[25]. Nous n’analyserons pas tous ces récits, mais nous prendrons uniquement en considération ceux qui ont abondamment développé l’histoire d’Hériman.

a) La Chronique de Tournai

Toutes ces allusions et autres reprises de la naissance mythique de Tournai témoignent de son succès durant les derniers siècles du moyen âge. Mais celles-ci ne sont pas qu’un thème littéraire, qu’un simple artifice utilisé afin d’embellir un texte par exemple. Loin d’être une espèce de parenthèse insérée dans un récit, ces histoires, créées par des hommes d’Église et pour des hommes d’Église, sont réutilisées notamment par les laïcs tournaisiens, à une époque où les ecclésiastiques perdent du terrain au profit de la commune, gratifiée de plus en plus de pouvoirs dans les domaines économiques et juridiques. Et c’est sous un jour plus « profane » que ces récits sont alors présentés. Graeme Small a bien montré[26] comment le milieu bourgeois du XIIIe siècle s’est accaparé de l’histoire des origines légendaires de la cité des Cinq clochers. Ainsi, l’auteur des Vraies  Cronikes,  par exemple, qui traduit assez fidèlement en langue vernaculaire les textes latins inventés par l’abbé de Saint-Martin, les transforme quelque peu au moyen d’une autre source qui jouit d’un immense succès à cette époque[27] afin de mieux correspondre aux vues de son public. Aussi, voit-on les « dirigeants » de la cité présentés sous un jour nouveau : non seulement leurs rôles sont accrus, mais encore ils sont décrits comme des personnages plus vaillants, plus courageux. Soulignons également qu’une place plus importante est accordée aux récits de combats que les Tournaisiens ont menés contre leurs ennemis ainsi qu’aux nombreux sièges qu’ils ont endurés. Cette réactualisation n’est pas due au hasard, mais répond au contraire à des soucis culturel, social et politique. C’est en effet à cette époque que la ville subit une urbanisation galopante ainsi qu’une très forte augmentation du nombre de ses habitants. La sécularisation de la naissance légendaire de Tournai pouvait de ce fait offrir à une population composite en pleine expansion, une origine et une identité communes. Quant à la multiplication des récits de combats et de sièges, ils étaient sans doute destinés à renforcer le courage des Tournaisiens, victimes de nombreuses guerres en ce XIIIe siècle, à leur fournir, pourrait-on dire, des idéaux de résistance tout autant qu’un modèle de conduite[28]. Des extraits de l’histoire légendaire des rois de France, présents dans ce texte, sont également suscités par les étroites relations qui liaient la jeune commune au souverain français qui lui avait accordé de nombreux privilèges en échange d’un soutien militaire. Comme le conclut Graeme Small, une communauté d’intérêts contemporaine semble avoir inspiré la mise en valeur d’un passé commun ; (…) elle [l'origine légendaire de Tournai] véhicule ainsi les aspirations et les soucis d’un public laïc et tournaisien, tout comme elle l’avait fait 150 ans plus tôt pour les cadres ecclésiastiques de la ville. Les versions latines étaient plus ou moins contemporaines de la construction de la nef et du transept de la cathédrale - symbole comme elles, de l’importance de l’évêque et du chapitre. Quant à elles, les Vraies Cronikes furent rédigées peu avant l’achèvement du beffroi et de la nouvelle enceinte de la ville, symboles d’un patrimoine tournaisien plus élargi[29].

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b) Buscalus, Hugues de Toul et Lucius de Tongres dans l’oeuvre de Jacques de Guise

Les origines légendaires de Tournai sont encore reprises par de nombreux auteurs au cours du siècle suivant. On peut par exemple citer l’oeuvre versifiée en langue vernaculaire d’un certain Buscalus, le récit latin d’Hugues de Toul ainsi qu’un autre, en français, de Lucius de Tongres[30]. Comme ces noms l’indiquent, ce ne sont plus des Tournaisiens qui réécrivent le texte inventé par Hériman, mais des citoyens d’autres villes. Les origines légendaires de Tournai sont ainsi insérées dans des développements « historiques » plus vastes avec lesquels elles interagissent. Les événements qui concernent la cité des Cinq clochers perdent alors leur indépendance et se fondent en quelque sorte dans des récits qui envisagent l’histoire d’une région plus étendue que le cadre d’une simple ville. En outre, sous la plume des ces auteurs, la naissance mythique de la cité tournaisienne rencontre les origines légendaires troyennes et fusionne avec elles. Ces textes ne nous sont malheureusement pas parvenus, à l’exception de quelques fragments conservés dans les Annales Hannoniae de Jacques de Guise, un moine franciscain mort en 1399 qui retrace, en un nombre considérables de livres[31], l’histoire du Hainaut, depuis la fondation de sa « capitale », la ville de Belges (Bavai pour Jacques de Guise) par un certain Bavo, un cousin de Priam, jusqu’en 1253.

Voyons plus en détail les écrits de ces différents auteurs. L’annaliste ne nous conserve pas d’extraits du texte de Buscalus, se contentant de le citer afin de le dénigrer. Son jugement critique et peut-être sévère nous apprend néanmoins que cette oeuvre en vers, apparemment écrite par un certain Buscalus ou Bucalio, fait la part belle au merveilleux et rapporte plein de faits incroyables et faux. Il nous indique cependant que ce récit conserve, malgré quelques variantes orthographiques, le traditionnel schéma de la naissance de Tournai[32]. En ce qui concerne Hugues de Toul et Lucius de Tongres, le compilateur est plus explicite. En effet, tout au long de son texte, il citera à plusieurs reprises des passages de ces deux écrivains afin de les comparer avec les sources latines du XIIe siècle. Penchons-nous quelque peu sur leurs versions des faits.

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Hugues de Toul transforme le traditionnel récit tournaisien en l’incluant dans une histoire beaucoup plus vaste qui concerne une multitude de peuples et qui commence par l’arrivée de Troyens dans nos régions. Si, chez lui, le schéma « fondation, destructions et restaurations successives » de Tournai est respecté, son ordre est modifié ainsi que les raisons alléguées pour expliquer les différentes dénominations de la cité. Sous sa plume [Jacques de Guise, Annales Hannoniae II, 27], Tournai n’est plus fondée par Tarquin l’ancien, mais par Tullus Hostilius lors de son déplacement en Gaule afin de prévenir un conflit avec les Trévirois et les Belges. En chemin, les Romains édifient, sur le bord de la Moselle, une ville qu’ils appellent Toul, du nom de leur roi, et une autre sur les rives de l’Escaut, dans un endroit particulièrement agréable, qu’ils nomment Hostile, selon le surnom de leur chef. Lucius de Tongres quant à lui, estime que les Romains font mouvement dans ces régions afin de convaincre le roi des Belges qui voulait les combattre, de plutôt livrer bataille aux Grecs afin de tirer vengeance de la mort ignominieuse de leurs ancêtres communs lors de la guerre de Troie. C’est durant leur déplacement qu’ils jettent les bases des villes d’Hostile et de Toul. Quelques chapitres plus loin [Jacques de Guise, Annales Hannoniae II, 38 et II, 53], ces mêmes auteurs exposent brièvement les deux destructions successives de Tournai. Peu de détails sont fournis : seuls les assaillants et leurs mobiles sont précisés. On apprend ainsi que la cité fut une première fois détruite par Servius en représailles à un assaut mené par trois villes parmi lesquelles se trouvait Tournai. Elle fut détruite une deuxième fois par Blandinus, duc de Belges, lors d’une bataille qu’il avait menée afin de prouver ses qualités de chef et ainsi obtenir la loyauté de ses sujets. Le deuxième livre se clôt avec la reconstruction de la cité des Cinq clochers [Jacques de Guise, Annales Hannoniae II, 65]. Outre un extrait du Liber de antiquitate, l’annaliste y résume la seule pensée de Lucius de Tongres cette fois : selon ce dernier, la ville rebâtie ne s’appelle plus Nervius en souvenir de Servius mais Nervia parce que des Belges de sang royal la réédifièrent près du temple de Minerve. Au quatrième livre de sa Chronique, le moine franciscain développe à satiété la conquête des Gaules en mêlant étroitement des extraits de César, de Suétone, d’Hugues de Toul et des sources latines tournaisiennes du XIIe siècle, entre autres. Bien que la capitale des Nerviens y joue un rôle de premier plan, l’annaliste ne s’éloigne pas trop des quelques éléments qu’Hériman avait insérés dans son récit. Le début de cinquième livre [Jacques de Guise, Annales Hannoniae, V, 1-2] est dédié à l’ultime reconstruction de Tournai. Jacques de Guise y retrace les avis d’Hugues de Toul et d’un livret intitulé : la restauration de Tournai par Galba. Outre divers détails qui ne nous intéressent pas ici, il dit simplement que le général, quelques années après la mort de César, réédifia la ville et lui donna le nom de Tournai suite au consentement de ses habitants. Il n’apporte pas plus de précision, taisant la raison pour laquelle la cité reçut cette appellation.

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Les différentes sources compilées par Jacques de Guise et introduites dans ses monumentales Annales de Hainaut dénotent une nouvelle modification du récit inventé par le milieu monastique tournaisien deux siècles auparavant. Après avoir été créé par des clercs et pour des clercs, après avoir été, ensuite, repris par les laïcs de cette cité afin, également, de servir leurs intérêts, cette histoire paraît maintenant être « tombée dans le domaine public ». Elle perd ainsi son statut de récit autonome et est mêlée à d’autres mythes. Ce faisant, elle subit quelques métamorphoses, tout en conservant malgré tout son schéma si particulier de destructions et de restaurations successives ainsi que la plupart de ses appellations. Les raisons de ces dénominations sont cependant différentes. Ainsi, Hugues de Toul et Lucius de Tongres ignorent le premier surnom de la ville, à savoir l’autre Rome ou la petite Rome, et préfèrent directement la baptiser Hostile. La rébellion de la cité contre Servius inventée par Hériman est alors oubliée suite à une autre étymologie : la ville est appelée de la sorte, car elle fut fondée par Tullus Hostilius ! Quelle est la raison de cette modification ? Une mauvaise lecture du modèle ? Une confusion entre la fondation de Tournai et celle d’Ostie qui est également mentionnée dans le Liber de antiquitate[33] ? L’état actuel de nos connaissances ainsi que les textes que nous avons conservés ne nous permettent pas de fournir d’explication à ces variations. Soulignons encore la transformation du nom Nervius en Nervia en l’honneur de la déesse Minerve, et non plus en souvenir du roi de Rome, ainsi que l’ultime reconstruction de la ville par Galba, un général romain, quelques années après le meurtre de César et non plus un siècle plus tard, sous le règne de Néron. Nous ne pouvons expliquer ces changements non plus.

Mais, là n’est pas le plus important ; remarquons surtout que Tournai est désormais fondée un peu par hasard, au gré des déplacements de l’armée romaine. Tous les éléments inventés par Hériman afin de glorifier la cité des Cinq clochers ont presque complètement disparu également. Son cadre enchanteur - qui faillit lui donner le statut de capitale romaine - est à peine évoqué, l'antiquité de sa fondation est battue en brèche par l’existence de villes beaucoup plus anciennes, sa résistance opiniâtre contre les Romains qui lui valut son appellation d’Hostile n’existe plus, etc. Il n’y a que lorsqu’on en vient aux conquêtes de César que la capitale des Nerviens passe sur le devant de la scène. Mis à part cette exception, l’histoire de Tournai est réduite à une simple composante d’un développement plus important. Peut-être même, peut-on conjecturer que le récit des origines légendaires tournaisiennes ne doit son succès qu’à son assimilation avec la cité des Nerviens et au rôle important qu’elle joua dans l’oeuvre de César, qui rappelons-le, jouit d’une immense fortune grâce à une compilation en ancien français - Li fait des Romains - regroupant tous les écrits des latins qui traitent des conquêtes de César. Mais peut-être nous avançons-nous trop.

Toutefois, l’évolution du récit des origines légendaires de Tournai ne s’arrête pas à cette sorte d’assimilation et de réadaptation en fonction d’autres histoires. À peine cinquante ans après la publication des Annales Hannoniae, un événement d’ordre politique donnera un souffle nouveau au mythe tournaisien. En effet, au milieu du XVe siècle, l’oeuvre de Jacques de Guise fut traduite en langue vernaculaire sur demande du duc de Bourgogne Philippe le Bon afin de servir ses ambitions politiques. Nous ne reviendrons pas ce sur phénomène déjà mis en lumière dans cette revue [par Jacques Poucet dans les FEC 5 (2003) notamment]. Signalons simplement que, par cette traduction ainsi que la récupération d’autres récits mythiques, le duc de Bourgogne souhaitait, en fin tacticien, justifier son prestige et sa légitimité sur les territoires qu’il possédait tout autant que d’asseoir son autorité sur les régions qui étaient dans la sphère d’influence bourguignonne. Il voulait également donner, par le biais de ces vieilles légendes, une unité, sinon de fait, du moins culturelle, au patchwork de populations sur lequel il régnait. C’est dans ce contexte qu’apparaît le Roman de Buscalus.

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c) Le roman de Buscalus

Durant le XVe siècle apparaît un récit en prose, en ancien français, ayant pour cadre général les origines légendaires de la ville de Tournai : le roman de Buscalus. Cette immense oeuvre[34] atteste encore d’une autre transformation qu’a subie l’histoire imaginée par le religieux tournaisien. Certes, le schéma traditionnel des fondations et destructions est respecté, mais le récit cède de plus en plus le pas au merveilleux et à l’amplification. Ce Roman de Buscalus est une véritable épopée qui multiplie à l’envi les événements, les personnages, les lieux d’action, etc. Remarquons également que le texte se focalise de nouveau sur Tournai qui, tout en étant mis en relation avec d’autres villes, redevient le pivot, le point central de l’histoire. Ce texte est, en outre, davantage une histoire de héros que d’une population.

Des analyses codicologiques[35] montrent que ce récit est né dans le milieu de cour bourguignon dont il reflète les préoccupations et la politique. Comme on vient de rapidement le rappeler dans le point précédent, les ducs de Bourgogne, bien que très puissants, ont voulu obtenir le prestige et l’autorité que possédaient les différentes familles régnantes en s’attribuant d’illustres ancêtres de sang royal - les Troyens - afin notamment de légitimer leur domination et de se positionner par rapport aux souverains qui voisinent leurs possessions. Cette politique de propagande était menée aussi bien dans les territoires qu’ils détenaient, que dans ceux qu’ils désiraient acquérir ou encore ceux qui se trouvaient dans leur sphère d’influence. Tel est le cas de Tournai, qui était alors une enclave royale dans le Hainaut bourguignon et commerçait avec la Flandre, bourguignonne elle aussi. La littérature fut un des moyens choisis par Philippe le Bon. C’est en effet à cette époque qu’il porte un intérêt particulier aux vieilles légendes régionales. Les anciens mythes, les chansons de gestes ou autres récits épiques des régions convoitées ou possédées d’une façon ou d’une autre par le duc sont traduits, mis en prose, réactualisés et en quelque sorte réappropriés par la cour de Bourgogne afin de correspondre aux données politiques contemporaines. Les nombreux ajouts du Roman de Buscalus obéissent à ce principe. Pour ne citer qu’un seul exemple, telle est la raison pour laquelle celui-ci relate dans ses dernières pages, une bataille mettant aux prises les Tournaisiens avec le roi de France légendaire Pharamond[36], façon indirecte de faire allusion aux « tensions » qui existaient entre le duc de Bourgogne et le souverain français.

La reprise et l’évolution des origines légendaires de Tournai ne s’arrête pas à la propagande bourguignonne. Même si, après la disparition des ducs, elle tombe quelque peu dans l’oubli durant plusieurs décennies, elle brillera encore une fois - la dernière sans doute - dans une oeuvre abondamment diffusée : la Description des Pays-Bas de Guichardin.

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IV. Les choix de L. Guichardin

L’homme d’affaires florentin, tombé sous le charme de sa patrie d’adoption fera encore évoluer, une ultime fois, les origines légendaires de Tournai lors de sa description des Pays-Bas. À la suite des nombreux annalistes et chroniqueurs médiévaux, Guichardin consulte, lit et compile une foule d’écrivains et d’oeuvres qu’il prend, en outre, la peine d’agrémenter de son observation personnelle afin de brosser le tableau le plus détaillé et plus complet possible de son pays d’accueil. Mais, au contraire des compilateurs du moyen âge, il retient surtout les données insolites et les particularités locales. Aussi ne conserve-t-il que quelques éléments anecdotiques propres à illustrer la curiosité de la création de la cité des Cinq clochers. Les choix qu’il a réalisés sont singuliers ; toutefois, ceux-ci ne semblent pas avoir été fortuits. Bien qu’il soit impossible de désigner avec certitude les oeuvres qu’il avait à sa disposition et a effectivement lues - puisqu’il ne les mentionne pas explicitement dans le passage que nous analysons - il est quand même possible de cerner une de ses sources. En effet, on peut raisonnablement penser que, loin d’avoir choisi les données de sa notice par hasard, il a souvent suivi les recommandations d’un de ses modèles favoris : les Annales de Hainaut de Jacques de Guise[37].

Avant d’analyser cela en détail, rappelons tout d’abord les éléments que le Florentin a retenus. Après avoir insisté sur la foule d’écrivains qui ont traité peu ou prou des origines mythiques de Tournai, il distingue deux groupes. Dans le premier, il explique que la ville fut fondée par un soldat de Tullus Hostilius qui la baptisa du nom de son roi. Après avoir été détruite, elle fut restaurée et dénommée Nervia en souvenir de la déesse Minerve. Enfin, suite à une dernière destruction, elle fut réédifiée par un tribun du nom de Turnus sous le règne de Néron. Quant au second groupe, l’auteur fait simplement allusion à l’assimilation de Tournai avec la capitale des Nerviens et sa destruction par Jules César lors de ses conquêtes. Face à ce récit, deux constatations s’imposent : d’une part, il distingue deux traditions là où, globalement, il n’y en a qu’une seule, et d’autre part, il semble ne pas faire allusion au récit créé par le milieu monastique au XIIe siècle.

Le premier élément que Guichardin cite est la naissance de la ville à l’époque du troisième roi de Rome. Apparemment, rien ne le forçait à préférer la leçon d’Hugues de Toul. Ce choix semble suscité par les critiques de Jacques de Guise lui-même. En effet, ce dernier, face aux données contradictoires de ses sources, choisit, non seulement de les exposer toutes [Annales Hannoniae, II, 27-29], mais encore mentionne assez souvent, justifications à l’appui, quelle est l’opinion qui a sa préférence. Il expose ainsi les uns à la suite des autres les avis d’Hugues de Toul, de Lucius de Tongres, et d’Hériman. Après avoir analysé et repoussé l’histoire de l’abbé de Saint Martin, il dit clairement préférer l’avis de l’écrivain de Toul[38], choix que Guichardin paraît reproduire. Remarquons également que la tradition tournaisienne ne trouve pas grâce aux yeux de l’annaliste, mais est constamment jugée improbable et rejetée[39]. Peut-être est-ce la raison pour laquelle le Florentin préfère une autre tradition lorsque son modèle lui en propose d’autres.

Cette méthode semble se répéter pour le deuxième élément qu’il mentionne dans sa description de Tournai, à savoir la transformation du nom de la cité en Nervia suite à sa reconstruction près du temple de Minerve. En effet, cette fois, le moine avait repris l’avis de Lucius de Tongres, un passage des Historiae Tornacenses ainsi qu’un autre du Liber de antiquitate[40] ; il avait également pris la peine de laisser le lecteur choisir la solution la meilleure. Peut-être Guichardin a-t-il rapporté l’opinion de Lucius de Tongres suite au dénigrement de la tradition tournaisienne par Jacques de Guise. Peut-être aussi, peut-on considérer qu’il avait choisi la solution de facilité en prenant simplement le premier avis mentionné par Jacques de Guise sans faire plus attention à sa critique.

Le dernier élément de ce dernier groupe - à savoir la reconstruction de la ville par un tribun du nom de Turnus - pose problème. En effet, il ne peut provenir de l’oeuvre du moine franciscain, puisqu’il estimait que la ville avait été réédifiée par un général romain du nom de Galba quelques années après la guerre des Gaules [Jacques de Guise, Annales Hannoniae V, 2]. Cette donnée se rapproche plutôt du récit inventé par l’abbé de Saint-Martin, mis à part la mauvaise attribution du nom de Turnus à un tribun et non plus à l’ancien roi que la cité s’était choisi pour combattre César. Peut-être Guichardin a-t-il confondu ou mélangé les deux récits, peut-être disposait-il d’un texte mentionnant explicitement cette restauration par un certain Turnus ? Il est impossible de trancher.

Quant au second groupe mentionné par le Florentin, il fait partie intégrante de toutes les traditions. En effet, s’il fut inventé par Hériman, il fut repris par tous les auteurs qui parlent peu ou prou des origines mythiques de Tournai et, la plupart du temps, abondamment développé à la lumière du récit de Jules César et de Li fait des Romains. Pour ne citer qu’un seul exemple, les données chiffrées qui rappellent le nombre de soldats et de sénateurs tués proviennent directement de la Guerre des Gaules et sont également présentes chez Jacques de Guise notamment[41]. Nous ne pouvons cependant pas expliquer pourquoi l’Anversois d’adoption sépare expressément cet élément des autres et juge utile d’en faire une autre tradition. Est-ce du à une mauvaise compréhension de ses modèles ? Possédait-il une autre source ne rapportant que l’histoire de la conquête de la capitale des Nerviens par Jules César ? Il est impossible de le dire avec certitude ; il semble toutefois que Guichardin se base de préférence sur les Annales de Hainaut. Peut-être est-ce le côté monumental de cette oeuvre, conjugué à une lecture sans doute trop rapide, qui lui font opérer quelques transformations dans le récit de l’histoire qu’il souhaite résumer pour ses lecteurs ?

Malgré toutes ces interrogations, insistons surtout sur le fait que Guichardin adopte une attitude différente de celle de ces devanciers. En effet, loin des préoccupations des divers groupes ou catégories de personnes qui avaient tour à tour exploité l’histoire des origines légendaires de Tournai, il ne prend que quelques éléments, qui proviennent peut-être en grande majorité des Annales de Hainaut de Jacques de Guise, pour donner une brève idée du caractère étrange de la naissance de cette ville et renouvelle, une fois de plus, en une espèce de variation sur un même thème, ce récit déjà si souvent exploité.

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V. En guise de conclusion

Cette origine mythique, créée dans la seconde moitié du XIIe siècle, n’était sans doute pas destinée à s’extraire de l’étroit cercle qui l’avait fait naître. Pourtant, elle connut un destin particulier, particulièrement riche, aussi. Sans doute était-ce un bon récit, mais ceci n’explique pas tout : c’est surtout sa capacité à refléter et soutenir les ambitions de ceux qui l’ont réutilisé qui a séduit et lui a valu un tel essor. À l’instar des origines troyennes, cette histoire se montre malléable et se plie aux volontés de ceux qui l’utilisent. Cependant, malgré sa souplesse, elle demeure assez stable, ne subissant que quelques modifications lorsque la logique l’exige.

D’abord créée pour aider à la récupération d’un évêché indépendant, cette fondation légendaire est ensuite accaparée par le milieu bourgeois tournaisien afin d’appuyer ses prétentions. Son succès aurait pu s’arrêter là. Toutefois, loin de se cantonner à la ville de Tournai, cette histoire séduit des auteurs étrangers à la cité des Cinq clochers qui l’insèrent dans des récits plus vastes. Sans doute, est-ce son assimilation à la capitale des Nerviens, combinée avec le succès considérable du récit des conquêtes de César durant le bas moyen âge, qui la fit alors apparaître et intégrer dans d’autres textes. Suite à son enchâssement dans les oeuvres des chroniqueurs, les origines légendaires auraient pu alors disparaître et ne devenir qu’une anecdote, qu’un détail presque perdu dans d’immenses compilations. Pourtant la politique de propagande de la cour de Bourgogne lui donne un souffle nouveau et lui permet alors de se développer en une monumentale épopée. Malgré la disparition du duché et de ses ambitions, la tradition tournaisienne persiste et brille encore, en une ultime variation, dans une ambitieuse description de nos régions. Son histoire ne s’arrête pas là. En effet, quelques années après Guichardin, elle suscite la curiosité et la critique d’un historien tournaisien qui la présente en relisant les écrits de Jacques de Guise et les récits créés par les abbés de Saint-Martin[42]. Après cet écrivain, le récit mythique de la naissance de Tournai sera encore de nombreuses fois rappelé par plusieurs Tournaisiens, fiers de leur ville et les fera sans doute un peu trop spéculer, en une espèce de rêve éveillé, à ce qu’aurait pu être son histoire si sa naissance mythique avait été réalité[43].

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Notes

[1] Homme politique et historien florentin (1483-1540), issu d’une grande famille liée aux Médicis, auteur, entre autres, d’une oeuvre qui fondera l’historiographie moderne : l’Histoire d’Italie. Plusieurs extraits sont publiés dans la BCS. Notons que nous avons préféré utiliser, dans cet article, le nom francisé « Guichardin ». [Retour au texte]

[2] Il s’agit de l’oeuvre la plus connue de L. Guichardin. Il a écrit quatre livres en tout : Hore du Ricreatione en 1565 paru sous le titre Detti et Fatti ; les Commentarii di Lodovico Guicciardini delle cose piu memorabili seguinte in Europa specialmente in questi Paesi bassi, dalla pace di Cambrai : del MDXXIX infino à tutto l’anno MDLX. Libri Tre, publié également en 1565 ; la Descrittione du tutti i Paesi Bassi, en 1567 et enfin I Precetti et sententie più notabili in materia di Stato di M. Francesco Guicciardini, en 1585. À propos de ces différentes oeuvres, cf. R.-H. Touwaide, Messire L. Guicciardini, gentilhomme florentin, dans Bibliotheca humanistica et Reformatorica 14, 1975, pp. 74 sqq. [Retour au texte]

[3] Il mentionne souvent ses sources : il a relu César, Tacite, Pline, Strabon, Suétone et les Chroniqueurs : l’Histoire ecclésiastique des Francs de Grégoire de Tours, le Chronicon ab anno 381 ad annum 1111 de Sigebert de Gembloux (1030-1112), Les Annales Hannoniae de Jacques de Guise (1334-1399), les Illustrations de la Gaule et singularités de Troie de Jean Lemaire de Belges (1473-1525) ; les Opera Historica de Tritheim (1462-1516), les Flandricarum rerum tomi X (1531) et le Compendium Chronicorum Flandriae (1538) de Jacques de Meyere (1491-1552), les Commentarii rerum memorabilium tempore Pii Secundi, de Gobertini, sans compter les Voyages de Jean de Mandeville. Renseignements puisés dans P. Ciselet, M. Delcourt, Belgique 1567. La description de tout le Pays-Bas, par Messire Ludovico Guicciardini, (Collection nationale, 3e série, n°32), Bruxelles, 1943, pp. 9-10, note 1. [Retour au texte]

[4] Pour plusieurs exemples de critiques tant anciens que modernes, cf. R.-H. Touwaide, Messire L. Guicciardini, gentilhomme florentin, … pp. 78-79. Guichardin lui-même, dans son avis au lecteur, exprime tout le mal qu’il s’est donné pour réaliser un bon travail : « … Pour le moins ie n’y ay pas espargné temps, ny labeur, ny chose aucun, non seulement pour bien déduire & distinguer les matières de quoy il falloit traicter : mais qui plus est, pour veoir en personne & cercher comme à la trace les choses occurentes ; les communiquant en chacun lieu avec les personnages doctes & qui avoyent l’expérience de chacune province : Ce que i’ay faict afin que ceste Oeuvre fut plus nette, plus certaine & mieux approuvée de chacun entendant telles choses. » [Retour au texte]

[5] Cf. P. Ciselet, M. Delcourt, Belgique 1567,… p. 7. Cf. également R.-H. Touwaide, La description de tous les Pays-Bas par Lodovico Guicciardini, complément à la bibliographie de Boele van Hensbroek, Bruxelles, 1974, un ouvrage qui, bien qu’assez technique, permet de se faire une bonne idée de la variété et du nombre impressionnant d’éditions que connut cette oeuvre. [Retour au texte]

[6] Le texte provient de l’édition suivante : Ludovico Guicciardino, Pars prima siue Belgicae descriptio generalis, Amstelodami, apud Iohannem Iansonium Juniorem, 1652, pp. 412-416. [Retour au texte]

[7] Tel est le cas de Gand, Thourout, Anvers, Louvain, Huy, Liège, Tongres, Mons, etc. À ce propos, cf. entre autres M.-A. Arnould, La bataille du Sabis, dans Revue Belge de Philologie et d’Histoire 20, 1941, p. 80, note 1, et G. Small, Les origines de la ville de Tournai dans les chroniques légendaires du bas moyen-âge, dans Les grands siècles de Tournai, (Tournai, Art et Histoire, 7), Tournai, Louvain-la-Neuve, 1993, p. 82 et note 10 de cette même page. Remarquons cependant que la plupart de ces villes font remonter leurs origines à l’époque de Jules César et de ses conquêtes. [Retour au texte]

[8] Ce schéma sera repris pour raconter les origines légendaires de la ville d’Amiens. À ce propos, cf. L.-F. Flutre, Le roman d’Abdalane, dans Romania 92, 1971, pp. 458-506. [Retour au texte]

[9] Il s’agit de la collection des Monumenta Germaniae Historica, Scriptores, tome 14. [Retour au texte]

[10] Il existe une édition en ligne de ce texte. Pour une traduction française de ce texte, cf., entre autres, P. Rolland, Les origines légendaires de Tournai (étude critique), dans Revue Belge de Philologie et d’Histoire 25, 1946-1947, pp. 561-570. [Retour au texte]

[11] Elle est détruite plus ou moins en 340 avant Jésus-Christ, selon P. Rolland, Les origines légendaires… p. 564, notes 2 et 3. [Retour au texte]

[12] Les sources latines proposent ici deux commentaires plus complémentaires qu’opposés : les Historiae Tornacenses, II, 1 et le Liber de antiquitate, 5 expliquent que la ville fut appelée de la sorte en souvenir du roi Servius (hanc esse civitatem quae Nervius ab antecessore nostro Servio vocata est et Nervius vocata a Servio rege, sub quo primum est devastata) et le De dignitate et antiquitate justifie en outre la transformation du S en N : il s’agissait de ne pas induire une idée de dépendance ! (Hec alio nomine a Servio Romanorum rege Nervius nuncupata est, prima quidem litera mutata, ne forte servitutis elogio notaretur aliquando.) [Retour au texte]

[13] Historiae Tornacenses, 2 (MGHS, XIV, p. 330) et Liber de antiquitate 5 (MGHS, XIV, p. 355) : constituerunt sibi regem nomine Turnum sub specie Turni qui aduersus Aeneam dimicauit ; Caesaremque Aeneam uocauerunt ad similitudinem Aeneae qui Troia deuicta Italiam uenit. [Retour au texte]

[14] À ce sujet, cf. par exemple, P. Rolland, Histoire de Tournai, 3e éd., Tournai, 1964, passim. [Retour au texte]

[15] Pour rappel, la première charte royale, accordant diverses libertés à la ville de Tournai, fut donnée en 1188. Remarquons également avec Paul Rolland (Histoire de Tournai,…p. 64) que les échevins de la ville se sont attribué en 1130 le titre grandiose de sénateurs par référence au modèle de l’antiquité romaine… [Retour au texte]

[16] Pour d’autres exemples, cf. P. Rolland, Les origines légendaires de Tournai …, pp. 574 sqq. [Retour au texte]

[17] Cette assimilation fit d’ailleurs illusion de nombreux siècles, ainsi que le rapporte encore un historien du XIXe siècle. Cf. A.-G. Chotin, Histoire de Tournai et du Tournésis, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, vol. I, Tournai, 1840, p. 18 : Tournai était la capitale de cet état indépendant [celui des Nerviens], c’est un fait aujourd’hui incontestable. [Retour au texte]

[18] Pour faciliter les choses, nous avons synthétisé les contenus de trois livres, à savoir le Liber de antiquitate urbis Tornacensis ex reuelatione Heinrici, son résumé, les Historiae Tornacenses partim ex Herimanni libris excerptae ainsi qu’un autre texte de moindre importance en vers et en prose dénommé de dignitate et antiquitate urbis Tornacensis. Pour une analyse complète de ces différents textes, de leur chronologie, de leurs auteurs et des relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres, cf. P. Rolland, Les monumenta Historiae Tornacensis (saec. XII), dans Annales de l’Académie d’Archéologie Royale de Belgique, LXXIII, 1926, p. 253-313 et Id., Les origines légendaires de Tournai…, passim. Pour simplifier, disons seulement qu’Henri est censé avoir consigné ses visions dans son Liber de Antiquitate, qu’Hériman, présent lors des deux dernières extases du chanoine, rédigea sa version des faits dans son Liber de restauratione Monasterii S. Martini Tornacensis, et qu’un moine anonyme résuma le tout dans ses Historiae Tornacenses. [Retour au texte]

[19] À propos de la longue démarche entamée par le milieu monastique, cf. A. Dimier, Saint Bernard et le rétablissement de l’évêché de Tournai, dans Cîteaux in de Nederlanden, IV, 1953, pp. 206-217. Reprint dans Horae Tornacenses, Tournai, 1971, pp. 48-59. [Retour au texte]

[20] Comme le raconte Hériman dans son Liber de restauratione Monasterii S. Martini Tornacensis, il fallut, depuis les premières démarches, plus d’une centaine d’années avant que la ville de Tournai ne soit finalement séparée de Noyon et ne récupère son évêché. [Retour au texte]

[21] À ce propos, cf. P. Rolland, Les Monumenta Historiae Tornacensis…, p. 305 sqq. [Retour au texte]

[22] Pour un résumé de tout ce passage, cf. entre autres Rolland, P., Les origines légendaires…, pp. 556-559. [Retour au texte]

[23] À ce propos, cf. G. Small, Les origines de la ville de Tournai dans les chroniques légendaires du bas moyen-âge, dans Les grands siècles de Tournai, (Tournai, Art et Histoire, 7), Tournai, Louvain-la-Neuve, 1993, passim. [Retour au texte]

[24] Texte composé de plus de trente mille vers qui raconte l’histoire générale de la France en partant des origines troyennes jusqu’au milieu du XIIIe siècle. [Retour au texte]

[25] Cf. P. Rolland, L’exception communale tournaisienne et ses causes, dans Revue du Nord, 1934, p. 302, note 27. [Retour au texte]

[26] G. Small, Les origines de la ville de Tournai dans les chroniques légendaires du bas moyen-âge, dans Les grands siècles de Tournai, (Tournai, Art et Histoire, 7), Tournai, Louvain-la-Neuve, 1993, pp. 98 sqq. Nous ne faisons ici que résumer son article. [Retour au texte]

[27] Il s’agit de Li fait des Romains, une compilation en langue vernaculaire de différents auteurs latins racontant la guerre des Gaules de César. Pour une étude de cette oeuvre, cf. L.-F. Flutre, Li fait des Romains dans les littératures françaises et italiennes du XIIIe au XIVe siècle, Paris, 1932. [Retour au texte]

[28] G. Small, Les origines de la ville de Tournai…, p. 103. [Retour au texte]

[29] Ibidem. [Retour au texte]

[30] À propos de Lucius de Tongres et d’Hugues de Toul - deux auteurs uniquement connus par le biais des Annales de Hainaut de Jacques de Guise et donc ayant rédigé leurs oeuvres avant la mort de l’annaliste - cf. la Bibliographie nationale publiée par l’Académie royale des Sciences, Lettres et Beaux-arts de Belgique. [Retour au texte]

[31] Pour une édition complète de cette oeuvre monumentale ainsi qu’une traduction française, cf. les 22 volumes du marquis A. de Fortia d’Urban, Histoire de Hainaut par Jacques de Guise, Paris, 1826-1837. On préférera cette édition à celle des MGHS qui, étonnamment, ont amputé le texte de l’annaliste d’une grande majorité des éléments à caractère merveilleux ! [Retour au texte]

[32] L’auteur nous dit en effet que ce récit concerne l’histoire de la seconde Rome, d’Hostile, de Nervia autrement appelée Tournai. Cf. Jacques de Guise, Annales Hannoniae seu Chronica illustrium principum Hannoniae ab initio rerum usque ad annum Christi 1390 II, 65 : Reperi siquidem nuper quemdam novellum fictum historiographum rithmatisatum in vulgari, qui de secunda Roma, Hostilione, Nervia seu Tornaco, mirabilia refert, cuius nomen Bucalio sive Buscalus inesse videtur ; sed quia inopinabilia et falsa multa conscribit, et si qua vera pauca tamen etiam suis temporibus non applicat ; idcirco dicta sua minus reputans, eadem ratione indigna non allego. [Retour au texte]

[33] MGHS XIV, liber de antiquitate I, p. 353 : Post cuius mortem duorumque regum, id est Tullii Hostilii, qui fasces primus invenisse dicitur, obitumque Anci Marci, qui addito monte Romam maioravit et supra mare civitatem nomine Hostiam edificauit, regnante Tarquinio a constitutione Urbis centesimo quadragesimo tertio, decimo quoque regni ipsius anno Tornacus, illis temporibus civitas regia, a Romanis regnante Tarquinio edificata est alteraque Roma uocata. Comparer Hostia et Hostilio. [Retour au texte]

[34] Plus de 400 folios manuscrits d’après Graeme Small. Pour un résumé et une étude de cette oeuvre, cf. G. Small, Les origines de la ville de Tournai…, pp. 104-113. Nous ne faisons ici que synthétiser son article. [Retour au texte]

[35] Cf. G. Small, Les origines de la ville de Tournai…, pp. 110-111. [Retour au texte]

[36] Pour d’autres nombreux exemples, cf. G. Small, Les origines de la ville de Tournai…, passim. [Retour au texte]

[37] Cf. la note 3 de cet article. [Retour au texte]

[38] Cf. A. de Fortia d’Urban, Annales de Hainaut…, t. II, pp. 100-107 : Mais, sans manquer au respect dû à l’historien, je remarquerai que ce récit [celui d’Hériman] ne s’accorde ni avec notre histoire, ni avec les histoires des Romains les plus estimées, puisqu’il est constant que ceux-ci, du tems de leurs rois, n’étendaient pas leur domination au-delà de quinze milles de la ville, ainsi qu’on le voit positivement établi par Tite Live et plusieurs autres historiens de Rome. (…) Ajoutons que si Tarquin l’ancien bâtit Tournai, comme le rapporte l’histoire de cette ville, et si le roi Servius, qui succéda immédiatement à Tarquin, la détruisit, comment serait-il possible que dans un si court espace de tems la cité fût parvenue à ce point de grandeur décrit par la même histoire ? Il me semble donc que nous devons suivre de préférence l’opinion de Hugues (…). Il existe plusieurs opinions sur la fondation de Tournai, mais à laquelle donner la préférence ? C’est au lecteur de décider. [Retour au texte]

[39] Cf. Annales de Hainaut, II, 28-29 ; II, 53 et dans une moindre mesure IV, 54. [Retour au texte]

[40] Cf. Annales de Hainaut, II, 65. [Retour au texte]

[41] Cf. César, Guerre des Gaules II, 28 et Jacques de Guise, Annales Hannoniae, IV, 45. Comparer le passage de Guichardin : ita strenue et constanter pugnarunt, ut cum Caesari dederentur, e sexcentis ad tres Senatores, ex hominum millibus sexaginta, uix ad quingentos, qui arma ferre possent, sese redactos esse dicerent, avec celui de Jacques de Guise : Inquisivit autem Caesar de mortuis eorum. Qui responderunt, quod de sexcentis senatoribus qui armati egressi fuerant, non remanserunt tantummodo nisi tres ; de sexaginta uero millibus armatorum solum de civitate, sine extraneis adjunctis, non revertebantur ad civitatem nisi sexcenti, quorum major pars jacebat vulnerata, et de César : Hoc proelio facto et prope ad internecionem gente ac nomine Neruiorum redacto, maiores natu (…) hac pugna nuntiata, cum uictoribus nihil impeditum, uictis nihil tutm arbitrarentur, omnium qui supererant consensu legatos ad Caesarem miserunt seque ei dediderunt ; et in commemoranda ciuitatis calamitate ex DC ad tres senatores, ex hominum milibus LX uix ad D, qui arma ferre possent, sese redactos dixerunt. [Retour au texte]

[42] Cf. J. Cousin, Histoire de Tournay ou Premier et deuxième livre des chroniques, annales ou démonstrations du Christianisme de l’Evesché de Tournay, nouvelle édition (Société historique et littéraire de Tournai), Tournai, 1868, pp. 51 sqq. L’édition originale date de 1619-1620. [Retour au texte]

[43] À ce propos, cf. A. d’Herbomez, Les origines de la ville de Tournai, dans Revue Tournaisienne 3, 1907, p. 51 : les premiers rois de Rome ont agité sérieusement la question de transporter de Rome à Tournai le siège de leur empire. Méditez cette déclaration (…) et vous serez tout aussi frappés que moi-même de ce que l’exécution d’un tel projet eût changé la face du monde. Songez seulement que ce n’est plus à Rome, mais à Tournai que saint Pierre fût venu subir le martyre, que c’est Tournai et non plus Rome qui serait devenue la ville des papes, que c’est sur les rives de l’Escaut, et non plus sur celles du Tibre, que se serait élevée la Ville Éternelle, etc., etc. [Retour au texte]

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FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 8 - juillet-décembre 2004

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