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MOTEUR DE RECHERCHE DANS LA BCS


 

QUINTILIEN
L'INSTITUTION ORATOIRE
LIVRE PREMIER

 Chapitre VII

De l'orthographe.


(1) Nous avons exposé les règles qu'il faut observer en parlant: passons à celles qu'il faut observer en écrivant. Ce que les Grecs appellent GRECojrqografiva, nous l'appelons l'art d'écrire correctement: art qui ne consiste pas à connaître de quelles lettres se compose chaque syllabe (ce qui serait même au-dessous de la profession du grammairien), mais qui, selon moi, consiste uniquement à éclaircir l'ambiguïté des mots.

 (2) Sans doute ce serait une ineptie que de marquer d'un accent toutes les syllabes longues, la plupart se reconnaissant facilement pour telles par la nature même du mot qu'on écrit; mais quelquefois cet accent est nécessaire lorsque la même lettre donne lieu à un sens différent, selon qu'elle est brève ou longue,

 (3) comme dans malus, l'accent indique s'il s'agit d'un arbre ou d'un homme méchant, et dans palus, qui a deux significations, suivant que la première ou la seconde syllabe est longue; et comme la même lettre est brève au nominatif et longue à l'ablatif, cette marque est ordinairement nécessaire pour indiquer si c'est l'un ou l'autre qu'il faut entendre.

 (4) C'est par la même raison que des grammairiens voulaient qu'on distinguât les verbes composés de la préposition ex, et qui commencent par une s, d'avec ceux qui commencent par un p, comme specto et pecto, en écrivant exspecto et expecto, l'un avec une s et l'autre sans s.

 (5) Beaucoup ont observé aussi d'écrire ad, quand il est préposition, avec un d, et, quand il est conjonction, avec un t; ou encore d'écrire quum par quom, quand il marque le temps; par un c, suivi de um quand il est préposition,

 (6) et autres minuties plus insipides encore, comme d'écrire quidquid avec un c à la quatrième lettre, quicquid, de peur qu'on ait l'air de faire une double interrogation; et quotidie au lieu de cotidie, comme plus conforme à quot diebus. Mais tout cela est aujourd'hui abandonné de ceux mêmes qui se complaisaient dans ces sortes de puérilités.

 (7) On demande souvent si, en écrivant, il convient de conserver le son que rendent les prépositions quand elles sont jointes à un mot, ou celui qui leur est propre quand elles sont isolées, comme dans le mot obtinuit, la raison demande un b à la seconde lettre, quoique l'oreille entende plutôt le son du p, et dans le mot inmunis,

 (8) où cette n, qui est la lettre véritable, se trouvant surmontée par le son de la syllabe suivante, se change en une double m.

 (9) Il faut aussi prendre garde, quand on est obligé de partager les mots, si la consonne du milieu appartient à la syllabe qui précède, ou à celle qui suit. Ainsi, dans haruspex, la dernière partie de ce mot venant du verbe spectare, la lettre s appartient à la troisième syllabe, et dans abstemius, mot composé de abstinentia temeti, abstinence de vin, la lettre s sera laissée à la première syllabe.

 (10) Quant au k, je crois qu'on ne doit jamais s'en servir, si ce n'est lorsqu'étant seul il signifie tout un mot. Je fais cette remarque parce qu'il y a des gens qui se persuadent que cette lettre est nécessaire toutes les fois qu'elle est suivie d'un a, quoique nous ayons la lettre c, qui communique sa force à toutes les voyelles.

 (11) Au reste, l'orthographe est aussi soumise à l'usage, et c'est pour cela qu'elle a souvent changé. Car je ne parle pas de ces temps reculés où la langue n'avait qu'un petit nombre de lettres, qui même différaient encore de celles d'aujourd'hui pour la forme et pour la valeur, comme la lettre o, qui, chez les Grecs ainsi que chez nous, est tantôt brève, et quelquefois est employée pour la syllabe qu'elle exprime par son nom:

 (12) ne savons-nous pas que les anciens Latins terminaient plusieurs mots par un d, comme on le voit encore sur la colonne rostrale élevée à Duillius dans le forum. Ils en terminaient d'autres par un g, comme nous le voyons aussi sur l'autel du Soleil, près le temple de Quirinus, où on lit uesperug pour uesperugo.

 (13) Il est inutile encore de répéter ici ce que j'ai dit de certaines lettres qu'ils changeaient en d'autres; car probablement ils parlaient comme ils écrivaient.

 (14) Il a été longtemps fort en usage de ne pas doubler les demi-voyelles; et au contraire, jusqu'au temps d'Accius et par-delà, on écrivait les syllabes longues en doublant, comme je l'ai dit, les voyelles.

 (15) On a conservé plus longtemps encore celui de joindre l'e et l'i, et de s'en servir comme les Grecs se servent de GRECei. On a même établi des règles pour marquer les cas et les nombres où cette jonction avait lieu, comme on le voit dans Lucilius:

'iam 'puerei uenere': e postremum facito, atque i,
ut pueri plures fiant' 

et ailleurs: 

'mendaci furique addes e, quum dare furi
iusseris.'

 (16) Mais cela me paraît superflu, parce que l'i est aussi bien long que bref de sa nature; et même cela peut avoir quelquefois de l'inconvénient. En effet, dans les mots qui ont un e pour pénultième et qui se terminent par un i long, si on adoptait cette manière, il faudrait dire aureei, argenteei, etc.,

 (17) ce qui serait fort embarrassant pour ceux qui apprennent à lire. C'est ce qui arrive aux Grecs par l'addition de la lettre i qu'ils mettent non seulement à la fin des datifs, mais quelquefois au milieu même du mot, comme dans GRECLHISTHI parce que cette interposition est nécessaire pour faire ressortir l'étymologie en divisant les syllabes.

 (18) Quant à leur diphtongue GRECai, dont nous avons changé la seconde lettre en e, les anciens en variaient la prononciation par a et i, les uns toujours à la manière des Grecs, les autres seulement au singulier, pour le génitif et le datif. De là vient qu'on trouve dans Virgile, qui était passionné pour l'antiquité, pictaï uestis et aquaï;

 (19) mais au pluriel des mêmes noms ils mettaient un e au milieu de l'i, et disaient hi Galbae, Syllae. Nous avons là-dessus un précepte de Lucilius, que je ne rapporte pas parce qu'il est trop longuement développé, mais qu'on peut lire dans son neuvième livre.

 (20) Mais sans remonter si haut, du temps de Cicéron, et même un peu après, n'était-on pas dans l'usage de doubler la lettre s, soit qu'elle fût entre deux voyelles longues, soit qu'elle en fût précédée, comme caussae, cassus, diuissiones? C'est ainsi que cet orateur et même Virgile écrivaient: leurs manuscrits autographes en font foi.

 (21) Or, un peu avant eux, le mot iussi, que nous écrivons avec deux s, ne s'écrivait qu'avec une. On tient que c'est dans une inscription de C. César qu'on a commencé à écrire optimus, maximus, au lieu d'optumus, maxumus.

(22) Nous disons maintenant here, et je lis dans nos anciens comiques heri ad me uenit; et même dans des lettres qu'Auguste a écrites ou corrigées de sa main, on trouve aussi heri.

 (23) Caton le Censeur n'écrivait jamais dicam, faciam, mais dice facie, et il modifiait ainsi, dans les autres verbes, les temps qui ont cette terminaison. On peut le voir dans les anciens livres qui nous restent de lui; et Messala en a fait l'objet d'une remarque dans son traité sur la lettre s.

 (24) On trouve dans beaucoup de livres sibe et quase; mais peut-être était-ce l'intention des auteurs. Pédianus m'apprend que Tite-Live écrivait ainsi, et lui-même a suivi Tite-Live. Nous terminons maintenant ces mots par un i.

 (25) Que dirai-je de uortices, uorsus, et autres mots semblables, dans lesquels Scipion l'Africain passe pour avoir le premier changé l'e en o?

 (26) Nos maîtres, dans mon enfance, écrivaient ceruos et seruos par un u et un o, parce que deux mêmes voyelles, à la suite l'une de l'autre, ne pouvaient se réunir et se confondre en un même son. Maintenant ces mots s'écrivent avec un double u, comme on vient de le voir; mais ni l'une ni l'autre de ces deux manières ne rend le son que nous voudrions exprimer; et ce n'était pas à tort que Claudius employait, pour ce cas, le digamma éolien.

 (27) Une réforme que nous avons eu raison de faire, c'est d'écrire cui au datif avec les trois lettres dont je me sers ici, au lieu de quoi, si épais à prononcer, et qu'on écrivait ainsi dans mon enfance, pour le distinguer du nominatif qui.

 (28) Que dire enfin de ces mots qui s'écrivent autrement qu'ils ne se prononcent? Par exemple, la lettre majuscule C signifie Gaius, et cette même lettre renversée désigne une femme; car on voit par nos cérémonies nuptiales que ce nom se donnait aux femmes comme aux hommes.

 (29) Gnaeus ne répond nullement, pour la prononciation, à la lettre dont on se sert pour indiquer ce prénom. Nous lisons columa pour columna, et coss. avec deux s pour consules; enfin quand on veut écrire Subura en abrégé, la troisième lettre est un C. Je pourrais rapporter beaucoup d'autres exemples de ce genre, mais je craindrais d'excéder les bornes dans une question aussi peu importante.

 (30) C'est au grammairien à interposer son jugement, qui, en tout ceci, est la meilleure autorité. Pour moi, j'estime qu'à moins que l'usage n'en ait autrement ordonné, tous les mots doivent s'écrire comme ils se prononcent.

 (31) Car les lettres servent à conserver les paroles, et à les rendre comme un dépôt au lecteur. Elles doivent donc exprimer ce que nous dirions.

 (32) Voilà à peu près tout ce qui constitue l'art de parler et d'écrire correctement. Quant aux deux autres parties, qui consistent dans la clarté et l'ornement, je ne les ôte pas au grammairien; mais comme il me reste à parler des fonctions du rhéteur, je les réserve pour une place plus importante.

 (33) Il me revient encore à l'esprit que quelques personnes pourront regarder ce que je viens de dire comme peu digne d'attention, et de nature même à nuire à des études d'un ordre plus relevé. Je leur réponds que moi-même je ne crois pas qu'on doive porter le scrupule à l'excès, et descendre à de misérables minuties, qui ne sont bonnes qu'à appauvrir et rapetisser l'esprit;

 (34) mais je crois en même temps que, dans la grammaire, il n'y a de nuisible que ce qui est superflu. Cicéron a-t-il été moins grand orateur pour avoir approfondi cette science, et pour avoir été envers son fils un censeur rigoureux du langage, ainsi qu'on le voit dans ses lettres? Les livres publiés par César sur l'analogie ont-ils ôté quelque chose à la vigueur de son génie?

 (35) Messala est-il un écrivain moins brillant pour avoir composé des traités entiers, non seulement sur les mots en particulier, mais même sur les lettres? ces connaissances ne nuisent pas à ceux qui les traversent pour aller plus loin, mais à ceux qui s'y arrêtent.

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