FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 25 - janvier-juin 2013
Jean d'Outremeuse, traducteur des Mirabilia et des Indulgentiae
E. Une traduction française des Indulgentiae (Myreur, p. 73-85)
par
Jacques
Poucet
Professeur émérite de l'Université de Louvain
Membre de
l'Académie royale de Belgique
<jacques.poucet@skynet.be>
Jean d’Outremeuse, une fois terminé son long développement sur les Mirabilia anciens, a annoncé clairement la suite : Chi apres s’ensiwent les indulgenches des englieses de Romme (Myreur, p. 73). Il entend donc parler d’indulgences. Mais est-on bien en présence d’une indiscutable version française du texte traditionnel ?
Le genre des Indulgentiae
Fondamentalement, le genre des Indulgentiae (le titre complet le plus courant est Indulgentiae ecclesiarum urbis Romae) comporte une liste d’églises de Rome, complétée par un certain nombre d’informations. Comme l’indique leur titre, ces ouvrages ont pour fonction principale de signaler aux fidèles les indulgences qu’ils peuvent obtenir en visitant ces églises, mais généralement ils mentionnent aussi les autels, les reliques, les légendes qui leur sont attachées, voire les constructions profanes qui y sont liées, d’une manière ou d’une autre (ne serait-ce que par la proximité topographique). On comprend que ces traités puissent être considérés comme des Mirabilia au sens large.
Les manuscrits qui présentent ce matériel sont très nombreux, on l’a vu plus haut. Mais ils ne sont pas tous bâtis sur le même plan. Les différences peuvent porter non seulement sur le nombre d’églises retenues, mais aussi sur l’ordre de présentation de ces églises, ainsi que sur le nombre et la précision des détails présents dans la notice qui leur est consacrée. Certaines Indulgentiae sont même intégrées dans un calendrier. Bref, il y a diverses sortes de traités portant ce nom.
Un essai de typologie sur base des
traductions allemandes et néerlandaises
Mme Miedema, après avoir exposé en quelques pages l’histoire du texte des Indulgentiae, s’est efforcée de mettre au point une typologie des témoins, en fonction de quelques critères relativement clairs et précis (Rompilgerführer, 2003, p. 18-37), comme par exemple l’importance (majeure ou mineure) des églises, leur nombre, l’ordre selon lequel elles sont présentées.
Les églises considérées comme les plus importantes de Rome sont tantôt cinq, plus généralement sept. Mais même dans le cas des listes limitées à cinq églises majeures, l’ordre de présentation varie : on trouve la séquence Saint-Jean-de-Latran, Sainte-Marie-Majeure, Saint-Pierre, Saint-Paul, Saint-Laurent-hors-les-Murs, mais aussi une autre, fort différente, Saint-Pierre, Saint-Paul, Saint-Jean-de-Latran, Saint-Laurent-hors-les-Murs et Sainte-Marie-Majeure. En outre, après les églises majeures, la plupart des listes signalent des églises dites mineures, en nombre très variable et classées, elles aussi, de manière différente.
Les incipit aussi varient : ainsi la formule initiale Sunt Romae mille quingente quinque capellae fut à une certaine époque attribuée au Pape Silvestre : Sanctus Silvester scribit quod Romae fuerunt mille quingentae quinque ecclesiae. Mille cinq cent cinq églises ! Inutile de préciser qu’aucun manuscrit d’Indulgentiae ne fournit d’informations sur 1505 églises. Généralement, après avoir avancé ce chiffre, les rédacteurs précisent que nombre d’entre elles sont en ruines !
Mme Miedema, travaillant sur les traductions allemandes et néerlandaises, recherchait les modèles (Leittexte) à l’origine des multiples versions manuscrites et imprimées. Pour les traductions allemandes des Mirabilia, elle avait dégagé quatre modèles principaux. Pour celles des Indulgentiae au sens propre (c’est-à-dire celles qui ne sont pas intégrées dans un calendrier), elle en avait identifié trois, éditant ainsi les trois manuscrits allemands, dont chacun pouvait être considéré, à ses yeux, comme le Leittext d’une tradition (Rompilgerführer, 2002, p. 91-166).
Le premier (D 76 ; XVe siècle) annonce 1500 églises dont 7 principales, et c’est Saint-Jean-de-Latran qui ouvre la série ; le deuxième (D 67/2 ; vers 1500) annonce 1505 églises dont sept principales, et c’est également Saint-Jean-de-Latran qui est en tête ; le troisième (D 44 ; XVe siècle) annonce 472 églises, dont sept principales, et cette fois, c’est par Saint-Pierre que débute la présentation. Ces trois Leittexte, redisons-le, sont des traductions allemandes, à l’origine de trois traditions. Mme Miedema n’a pas cherché, semble-t-il, à identifier les possibles originaux latins de ces modèles.
L’introduction de Jean d’Outremeuse
Mais sa typologie, que nous venons de résumer, prend déjà un sens à la lecture de l’introduction de Jean d’Outremeuse :
Chi apres s’ensiwent les indulgenches des englieses de Romme. Et
deveis savoir promierement que en la citeit de Romme sont IIIIc et LXXII
englieses, entres lesqueiles ilh en y at VII previlegiée devant les altres de
grasce et de sainctiteit, que ons dist estre royals, car des papes et des
empereres sont construit et maiement cumulée par divine grasce. Entres
lesqueiles la promier et la principal engliese est Sains-Pire, etc. (Myreur,
p. 73-74).
À lui seul, ce petit texte montre que la traduction française du chroniqueur liégeois s’insère dans un modèle qui annonce 472 églises, dont 7 principales, et qui place Saint-Pierre en tête de la liste. Ce modèle est bien identifié comme tête de file d’une des trois traditions dans l’ensemble des traductions allemandes
L’exemple de Saint-Pierre
Pour ne pas nous limiter à ces quelques lignes de texte, nous avons voulu examiner de près la totalité d’une notice, celle précisément qui concerne la première des églises majeures, soit Saint-Pierre. Notre analyse permettra ainsi au lecteur de se familiariser quelque peu avec le genre même des Indulgentiae, fort différent de celui des Mirabilia anciens.
Nous procéderons en comparant, bloc par bloc, le texte français du Myreur avec la version allemande du D 44, le manuscrit du XIVe siècle que Mme Miedema considérait comme le chef de file du troisième groupe des traductions allemandes. Nous avons numéroté les blocs du français et utilisé les italiques pour signaler les passages absents dans une des versions.
Une précision encore avant de commencer. Notre intention n’est pas de montrer qu’un des textes a été copié sur l’autre, mais simplement de déterminer si les deux traductions sont assez proches l’une de l’autre pour pouvoir être placée dans la même branche de la tradition.
a.
La localisation de l’église
Myreur, p. 74-75 |
Manuscrit D 44 (Miedema, Rompilgerführer, 2003, p. 157-158) |
1. Entres lesqueiles la
promier et la principal engliese est Sains-Pire, le prinche des apostles,
qui syet en propre lieu où Sains Pire fut crucifyet ; |
Item
die erst haubtkich ist czu Sand Peter, des heiligen czwelfpoten, |
2. et est située en pied de
mont que ons nom proprement le mont Vaticanus, si que ilh y at une grant
montée al engliese de XXIX greis. |
vnd
ligt an dem perg genant Vaticanus, also das man darczw aufget XXVIIJ staffel.
|
Traduction de
Jean d’Outremeuse en français moderne
Parmi lesquelles [il s’agit des sept églises majeures] la première et la principale église est celle de saint Pierre, prince des apôtres, qui est à l’endroit même où saint Pierre fut crucifié. Elle est située au pied du mont qu’on appelle spécifiquement le Mont Vatican ; on accède à l’église par un escalier de 29 marches.
Commentaire
Mis à part le nombre de marches qui varie légèrement (29 d’un côté, 28 de l’autre), un seul passage, très bref, indiqué en italiques, sépare la version française et la version allemande. Il n’ajoute rien de particulier et relève plutôt du « remplissage ».
b.
Les indulgences liées à la montée et à la descente de l’escalier
3. Et toutes les fois que uns
cristiens mont ches greis ou deskent, par cause de devotion ou oration, ou de
peregrination, ilh at VII ans de indulgenches de part le pape Alixandre, le
tiers de chi nom ; et sont teiles indulgenches que merchialement li sont
relaxée, de chu qui li serat injonte por penitanche. |
Vnd
wer die selben staffel auf oder ab get mit andacht vnd mit gebet in pilgrams
weis, der hat seiner aufgesatzten puss VIJ jar ablas von yeder staffel, von
dem heiligen pabst Alexandro. |
Traduction
française
Et chaque fois qu’un chrétien monte ou
descend ces marches, pour des raisons de dévotion, de prière ou de pèlerinage,
il reçoit sept années d’indulgence données par le Pape Alexandre III,
indulgences qui lui sont retirées miséricordieusement de la pénitence qui lui a
été enjointe.
Commentaire
Sur certains points de détail, Jean d’Outremeuse est moins concis. Ainsi une phrase assez longue, à la fin de la notice, correspond chez lui à trois simples mots allemands (seiner aufgesatzten puss « à sa pénitence imposée ») ; il précise par ailleurs qu’il s’agit d’Alexandre III. Ce sont des questions secondaires.
Certaines différences, par contre, le sont moins. Ainsi, le texte allemand précise que les années d’indulgences valent pour chaque marche (von yeder staffel) montée ou descendue, tandis que le texte français reste sur ce point ambigu : reçoit-on sept ans par marche montée ou descendue, ou pour l’ensemble de l’escalier ? Une autre différence concerne les conditions nécessaires pour bénéficier des indulgences : le français met sur le même pied (avec des ou) trois conditions : le contexte doit être ou bien la devotion, ou bien l’oration, ou bien la peregrination. L’allemand est plus précis : pour obtenir cette indulgence, il faut monter ou descendre les marches bien sûr, mais avec recueillement et en priant (mit andacht vnd mit gebet), et cela dans le cadre d’un pèlerinage (in pilgrams weis).
c.
Quatre-vingt autels dont sept privilégiés
4. En cel meismes at IIIIxx
alteis, et à cascon des alteis sont XXVIII ans et ortant de quadragemes de
indulgenches ; |
Jn der selben kirchen sind LXXXX
altar, vnd auf yegklichem sind al tag XXVIIJ iar ablas vnd als vil karren.
|
|
Jtem
an den kirchtagen der altar vnd an allen höchczeitlichen tagen unsers Herren,
vnser Frawen vnd der anderen heiligen so ist der vo[r]der ablas, vnd XLVIIJ
jar ablas vnd als vil karren. |
5. entre lesqueils ilh n’y at
VII qui sont de special grasce doyés : |
Von
den sind VIJ altar ausbesundert mit besunderen gnaden. |
Traduction française
Cette église compte 80 autels, à chacun desquels sont attachées 28 années d’indulgence et autant de quarantaines d’indulgences ; sept parmi eux sont dotés d’une grâce spéciale.
Commentaire
La seule différence entre les deux versions réside dans la présence en allemand d’un paragraphe qui ne correspond à rien en français : il précise en substance que les années d’indulgences sont en fait doublées à la date du jour anniversaire de l’autel et à toutes les grandes fêtes de Notre-Seigneur, de Notre-Dame et des autres saints honorés dans l’église.
d.
L’énumération des autels privilégiés
6. li promirs est li alteis
Sains Symon et Saint-Jude aposteles, li secons est li alteit Saint-Grigoire,
li thirs est li alteit Saint-Andrier l'apostle, li quars est li alteit
Saint-Leon, li Ve est li alteit la benoite virge Marie, li VIe est li alteit
Sainte-Crois, ly VIIe est li alteit desous le suaire Nostre-Sire
Jhesu-Crist ; lesqueils VII alteis cascon at VII ans de indulgenches
specialment donnée. |
Der
erst altar ist czw sand Symon vnd Judas, der czwelfpoten, die da oben in
der maur begraben sind. Vnd dapei hächt der strick, daran sich Iudas Scarioth
erhangen hat. Der ander altar ist sand Gregorj, des heiligen pabst,
darjn er auch ligt. Der dritt ist sand Andres, darjn behalten wirt das
haubt sand Lucas. Der
vierd ist des pabst sand Leonis altar, darjn er auch ligt.
Der
fünft ist vnser Frawen altar, darauf man täglich meß singt. Der sechst
ist des heiligen creutz altar, in der capellen, darein kain fraw dar gen.
Der siebend ist sand Veronica altar, darob dann behalten wirt das antlützt in
dem schwaistuch Christi. Der yetweder hat VIJ jar mer antlas dan der anderen
ainer. |
Traduction française
Le
premier est l’autel de saint Simon et de saint Jude apôtres ; le deuxième est
l’autel de saint Grégoire ; le troisième est l’autel de saint André apôtre ; le
quatrième est l’autel de saint Léon ; le cinquième est l’autel de la
bienheureuse vierge Marie ; le sixième est l’autel de la Sainte-Croix ; le
septième est l’autel placé sous le suaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ ;
chacun de ces sept autels bénéficie d’une indulgence spéciale de 7 années.
Commentaire
Les deux textes énumèrent dans le même ordre les sept autels privilégiés. Le dernier toutefois bénéficie d’une présentation un rien différente : les deux versions font bien état du suaire (en allemand schwaistuch) qui se trouve au-dessus de l’autel, mais l’allemand est seul à préciser qu’il s’agit de l’autel de sainte Véronique et à mentionner que le voile porte le visage (das antlützt) du Christ. Il faut dire que pour des lecteurs chrétiens du moyen âge, cela devait aller de soi.
Ce qui est plus caractéristique, c’est que le texte allemand donne sur chacun des six premiers autels des détails qui n’ont pas leur équivalent en français : à propos de l’autel de Simon et Jude, les deux apôtres sont enterrés dans le mur, non loin de la corde avec laquelle Judas Iscariote s’est pendu ; saint Grégoire, pape, est également dans son autel ; l’autel de saint André contient la tête de saint Luc ; saint Léon, pape, est lui aussi enterré dans son autel ; sur l’autel de Notre-Dame on dit la messe tous les jours ; l’autel de la Sainte-Croix se trouve dans une chapelle dans laquelle aucune femme ne peut entrer.
La liste des autels étant la même des deux côtés, y compris la séquence d’ordre, les deux textes appartiennent vraisemblablement à la même tradition, mais dans l’ignorance où nous sommes de leurs sources respectives, il est évidemment impossible de déterminer ce qui s’est passé.
e. Deux autels richement dotés en indulgences
|
So
sind noch czwen altar, der yeder mer besunder gnad hat : da man aynen kaiser
krönen solt ; der ander ist vnser Frawen altar, hintter vnsers Herren antlütz
altar, darauf singt man die cristmess. |
Traduction
française
De
même, en la dite église se trouvent deux autels auxquels sont attachées de
grandes indulgences, l’un est l’autel de Notre-Dame, qui est derrière l’autel
du Suaire de Notre-Seigneur ; l’autre est l’autel de saint Marc (?), où on
avait l’habitude de couronner l’empereur.
Commentaire
Les deux textes, qui commencent presque de la même manière, diffèrent sensiblement dans la suite de leur présentation, où tout n’est pas très clair. Prenons le cas de l’autel de Notre-Dame dont il venait d’être question précédemment. On le voit revenir dans les deux versions et les deux rédacteurs veillent à le localiser par rapport à l’autel de sainte Véronique. Mais aucune explication n’est donnée sur sa réapparition, et aucune non plus sur la raison de son statut privilégié. Le texte allemand signale bien qu’on y dit la messe de Noël, mais le rédacteur allemand avait précisé dans le bloc précédent qu’on y disait la messe tous les jours. En outre cet autel occupe la première place dans le texte français : li unc, et la deuxième dans le texte allemand (der ander).
Et quel est l’autre autel ? Car on en annonçait deux (II alteis en français, czwen altar en allemand). On ne voit pas bien ce que le Sains-Marche de Jean d’Outremeuse pourrait désigner d’autre que saint Marc. Mais du côté allemand rien ne correspond à ce nom.
Bien sûr, il y a l’allusion au couronnement des empereurs, qui figure des deux côtés, mais dans un contexte différent. On serait tenté de croire que le texte allemand considérait comme le premier autel (sans toutefois donner son nom) celui où on couronnait les empereurs, et comme le second autel, celui de Notre-Dame. Mais force est d’avouer que grammaticalement cela n’est pas très clair. Peut-être les deux versions ont-elles mal compris et mal rendu leur source.
f.
Deux autres autels
|
Auch
hat sand Anthoni altar ain jar ablas. Item auf dem hohen altar, darauf
nyemant mess singt dann der pabst, sind al tag XLVIIJ jar ablas vnd als vil
karren vnd das drittail ablas. |
Commentaire
La notice n’est présente que dans la version allemande. Elle concerne d’abord un autel de saint Antoine, auquel est liée une indulgence d’un an. Puis, sans tradition, elle passe au « grand autel » sur lequel personne d’autre que le Pape ne dit la messe, et qui bénéficie, lui, de 48 années d’indulgences, d’autant de quarantaines et d’une indulgence du tiers.
g. Les indulgences
accordées par saint Silvestre, pape, à ceux qui viennent dans l’église
|
Der
heilig vater sand Siluester hat gegeben allen den, dy in Sand Peters kirchen
kömen, LXXXXVIIJ jar ablas vnd als vil karren, vnd das drittail vergebung
aller sündt. |
Commentaire
Ici aussi la notice n’est présente que dans la version allemande. Elle mentionne les indulgences accordées par le Pape Silvestre (IVe siècle) à ceux qui viennent dans l’église Saint-Pierre : à savoir 98 ans, autant de quarantaines et la rémission du tiers des péchés.
h. Les indulgences
accordées par le pape Grégoire à ceux qui viennent prier au grand autel
8. Item, li pape Grigoire
concedat à tous venans oreir le grant alteit Sains-Pire l'apostle, le
remission des pechiés obliés, de vowe brisiés, le corochier peire et mere
sens mettre main, cent et XXVIII ans, et ortant de quadragemes, et le
tirche partie del remission de tous ses pechiés. |
So hat der heilig pabst Gregorius
geben allen den, die czw sand Peters altar kömen jn andacht, vergebung der
vergessen sündt vnd des czerprochens gelübs vnd den czoren, den man an vater
vnd muter peget, ausgenomen, ob si die hendt fräuel an sy hietten gelegt, vnd
gibt darczw XXVIII jar ablas vnd als vil karren vnd vergebung der sündt. |
Traduction française
De
même, à tous ceux qui venaient prier au grand autel de saint Pierre Apôtre, le
pape Grégoire accorda la rémission de leurs péchés oubliés, de leurs vœux
brisés, de la peine encourue pour s’être disputé avec leur père ou leur mère
sans avoir porté la main sur eux, en plus 128 années d’indulgences et autant de
quarantaines, ainsi que la rémission du tiers de tous leurs péchés.
Commentaire
Cette fois, on retrouve le même texte de part et d’autre, mis à part deux différences relativement minimes : aux 128 ans de la version française et à la rémission du tiers des péchés correspondent dans la version allemande 28 ans seulement et la rémission de tous les péchés.
i. Les indulgences
accordées par le pape Grégoire à ceux qui viennent prier au grand autel (suite)
9. Item, del Ascension jusques
aux kalendes d'auguste, sont tous les jours XIIIIm ans de indulgenches, et
à toutes les fiestes sains Pire at M ans ; et ens octaves del
Sains-Martin, quant ladit engliese fut benit et consecrée, sont VIIm ans et
ortant de quadragemes, et le remission awec de tous pechiés. |
Item von dem auffertag vntz auf die
augsten XIIIJ jar ablas vnd als vil karren vnd das drittail der sündt.
Vnd
an dem achten tag sand Martein, als die kirch geweicht ist, da sind VIJ
tausent jar ablas, als vil karren vnd das drittail vergebung der
sündt. |
Traduction
française
De même, de l’Ascension jusqu’aux
calendes du mois d’août, 14.000 ans d’indulgences tous les jours ; à
toutes les fêtes de saint Pierre, 1000 ans ; dans l’octave de saint Martin,
quand fut bénite et consacrée l’église, 7.000 ans et autant de quarantaines, et
la rémission de tous les péchés.
Commentaire
On peut supposer qu’on est toujours dans les indulgences accordées par le pape Grégoire aux fidèles venus prier au grand autel. Dans cette interprétation, le paragraphe précédent aurait mentionné les indulgences accordées en temps normal, le présent paragraphe aurait signalé les dates particulièrement riches en indulgence, à savoir la période de l’Ascension jusqu’au premier août, les fêtes de saint Pierre, et l’octave de saint Martin.
On notera ici encore certaines différences : la mention des fêtes de saint Pierre n’est présente que dans la version française, et l’octroi des quarantaines et de la portion de péchés remis n’est pas la même des deux côtés.
j.
Le Saint-Suaire
10. Item,
quiconques tenrat le suaire Nostre-Saingneur Jhesu-Crist, jamais ne serat
messeais ne si chairat de la caduc, ne de feu de infer ne serat
tochiet ; et quiconques vierat le propre faiche de li en terre, ilh le
vierat en chiel, se ilh est fidele. |
11. Wann man das lieplich
antlütz oder Veronicam vnsers Herren Ihesu Christi weiset, als oft man das
czaigt, so habent dy römer VJ tausent jar ablas vnd dy anderen walhen vmb Rom
habent IX tausent, aber dy da kömen vber das gepirg oder vber mer, dy habent
XIJ tausent jar ablas vnd vergebung aller sündt. |
11. Item, de tenir le suaire
at-ons IIIm ans, et des altres parties de cascon IXm ans; mains de dechà les
moins et oultre mere en at-ons XIIm, et le remission de tous leurs pechiés. |
10. Vnd
wer das mynniclich antlütz vnsers Herren ansicht mit andacht, der wirt nymmer
mer ausseczit ; jm pesteet auch nymmer das vallent wee czw. Wer es ansicht in
rechtem cristenlichem glauben hie auf ertrich, der sicht es dort ewigkleichen
in den frewden des himelreichs. |
Traduction
française
Item, tout qui touchera le suaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ ne sera jamais
lépreux, ni frappé par la peste, ni atteint par les flammes de l’enfer ; et tout
qui verra sur terre la propre face du Christ, il la verra au ciel s’il est
fidèle. De
même, en touchant le suaire on reçoit 4.000 ans ; et des autres parties de
chacun (?) 9.000 ; mais d’au-delà des montagnes et d’outre-mer, on
reçoit 12.000 et la rémission de tous ses péchés.
Commentaire
Les rédacteurs reviennent au Saint-Suaire pour énumérer les avantages qui y sont attachés.
Les deux paragraphes (§ 10 et 11) n’apparaissent pas dans le même ordre des deux côtés, mais leur contenu est fondamentalement le même. Un bémol toutefois : le second paragraphe de la version française n’est pas facile à comprendre, et son sens ne peut être établi qu’à l’aide du texte allemand. Mais tout devient alors clair : les Romains bénéficient de 3000 (ou 4000) ans d’indulgence ; ceux qui habitent les alentours de Rome ont droit à 9.000 ans, et ceux qui viennent d’au-delà des montagnes ou d’au-delà des mers en reçoivent 12.000. Bref, plus on vient de loin, plus l’indulgence octroyée croît en importance. On peut supposer que la rémission des péchés est également accordée à tous les pèlerins, quel que soit leur lieu d’origine.
k.
Le redoublement des indulgences en période de carême
12.
Item, en quaremme, toutes
les indulgenches de Romme redoblent. |
|
Traduction
française
Item, en période de carême, toutes
les indulgences à Rome sont doublées.
Commentaire : Cette mention n’apparaît que dans la version française.
l.
Un pêle-même final
|
Jtem
vntter dem hohen altar ligen die heiligen leichnam sand Peter vnd Pauls halb,
vnd halb czw Sand Pauls. Jtem auch ligen in diser kirchen sand Bonifacius ;
sand Johanns mit dem guldem mundt ; jtem die czwen martrer sand Procesß vnd
Martinian, die sand Peter tauft hat in dem kärcher ; jtem sand Petronell vnd
Soffey vnd vil ander heiligen. Jn diser kirchen ist sand Peter stüll. |
Commentaire
Alors que Jean d’Outremeuse, après l’allusion au redoublement des indulgences en carême, passe immédiatement à la présentation de Saint-Paul, la deuxième des églises majeures de la liste, la version allemande continue, avec un ensemble assez disparate d’éléments, dont voici la traduction : « Sous le grand autel se trouvent la moitié du corps de saint Pierre et la moitié du corps de saint Paul ; il y a aussi dans l’église saint Boniface, saint Jean à la bouche d’or, saint Processus et saint Martinien, les deux martyrs baptisés par saint Pierre en prison, sainte Pétronille, sainte Sophie et beaucoup d’autres saints. Il y a aussi dans l’église la chaire de saint Pierre. »
Cette analyse relativement détaillée confirme ce que laissait déjà penser le tout début du texte de Jean d’Outremeuse. La version française s’insère dans le troisième des groupes identifiés par Mme Miedema dans ses recherches sur la tradition des traductions allemandes. D’incontestables éléments les rapprochent.
Mais on se gardera d’aller trop loin et trop vite en besogne. Déjà l’analyse détaillée du cas de Saint-Pierre avait révélé quelques différences de contenu entre les deux versions. À de rares exceptions près (sans importance réelle), les notices communes se succédaient bien dans le même ordre, mais certains blocs n’apparaissaient que dans une seule des versions. Cette différence, quoique légère, était déjà significative, mais il en existe de plus importantes.
Les églises mineures
Si d’un côté comme de l’autre, les sept églises « majeures » sont présentées dans le même ordre : Saint-Pierre – Saint-Paul-hors-les-murs – Saint-Jean-de-Latran – Sainte-Marie Majeur – Sainte-Croix de Jérusalem – Saint-Etienne et Saint-Laurent – Saint-Sébastien, les choses changent profondément dès qu’on aborde la présentation des églises mineures. Qu’est-ce à dire ?
Dans son énumération, Jean d’Outremeuse signale, à un certain moment (Myreur, p. 80), qu’il va passer à la présentation des églises mineures : Apres, devreis savoir que de menoirs (= mineures) englieses de Romme sont chi nommée les principauls, assavoir, mais cette transition, il ne la place pas là où il aurait dû le faire, c’est-à-dire après Saint-Sébastien, dernière des sept églises majeures, mais plus loin après avoir encore décrit trois autres églises, considérées pourtant par la tradition comme mineures.
C’est une erreur que le rédacteur du D 44, le manuscrit « tête de liste » de la troisième branche des traductions allemandes, n’a pas commise. Il faut dire que son rédacteur avait numéroté avec précision – à l’allemande, oserait-on dire – les églises principales au fur et à mesure qu’il les décrivait, de la première (die erst haubtkirch) à la dernière (die sibendt haubtkirchen). Jean d’Outremeuse, lui, s’était borné à les présenter l’une après l’autre, sans leur donner de numéro d’ordre. Il est probable qu’emporté en quelque sorte par son élan, il ait, dans le groupe des églises majeures, ajouté trois églises aux sept qu’il avait pourtant annoncées dans son introduction.
Bref, Saint-Pierre-aux-Liens, Sainte-Potenciane et Saint-Anastase, églises mineures pourtant, sont placées dans Ly Myreur avant la phrase de transition citée plus haut : Apres, devreis savoir que de menoirs (= mineures) englieses de Romme, etc.
Il y a beaucoup plus caractéristique encore. La liste des églises mineures chez Jean d’Outremeuse ne correspond pas du tout à celle de la version allemande. Et les différences sont très importantes.
Quantitativement déjà, car là où le rédacteur allemand n’envisage que 22 églises mineures, Jean d’Outremeuse en aligne plus de 70. De plus il regroupe certaines églises en fonction de circuits de pèlerinage : Chi apres sont les peregrinage de trans Tyberim (p. 81), Chi sont les peregrinages de Champ-Flori par-devers Sains-Johan de Latrain (p. 82), un classement inconnu du rédacteur allemand du D 44. On a beau scruter les deux autres têtes de listes repérées par Mme Miedema pour l’ensemble des traductions allemandes des Indulgentiae, on ne retrouve nulle part la présentation des églises mineures adoptée par Jean d’Outremeuse. Il fait sur ce plan « cavalier seul ».
Nous nous arrêterons là, en ayant bien conscience que notre enquête sur les Mirabilia de Jean d’Outremeuse s’est révélée plus riche en informations que celle menée sur les Indulgentiae. Mais certains points sont malgré tout acquis.
Ainsi il est indiscutable que les pages 73 à 85 du Myreur contiennent une traduction française du traité des Indulgentiae ecclesiarum urbis Romae, et que cette traduction avait échappé jusqu’ici aux spécialistes de la tradition des Mirabilia au sens large. Si l’on travaille avec la typologie de Mme Miedema, il est clair aussi que la traduction de Jean d’Outremeuse est relativement proche de la tradition du D 44, pour l’organisation générale de la matière ainsi que pour la description des églises majeures. Par contre, en ce qui concerne la présentation des églises mineures, la version française de Jean d’Outremeuse ne correspond à rien de ce que Mme Miedema a repéré dans la tradition des traductions allemandes. Bref, pour la section Indulgentiae aussi, des recherches plus approfondies seraient nécessaires. Nous les laisserons à d’autres, mieux armés que nous pour les faire.
FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 25 - janvier-juin 2013