FEC -  Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 24  - juillet-décembre 2012

 


 

Virgile magicien dans les Mirabilia Romae, les guides du pèlerin et les récits de voyage

 

F. Conclusions

 

par


Jacques
Poucet

 

Professeur émérite de l'Université de Louvain

Membre de l'Académie royale de Belgique
<jacques.poucet@skynet.be>

 


 

            Les chapitres précédents, prenant largement appui sur les impressionnants travaux récents de Mme Miedema, se sont intéressés à une série d’ouvrages relevant à des titres divers du genre de la description des villes (Mirabilia Romae, guides du pèlerin et récits de voyages). Ils nous ont conduit à quelques observations, certaines générales, d’autres plus particulières.

            Sur un plan général, il est apparu que la notion même de Mirabilia Romae, couramment utilisée, est ambigüe. En réalité, elle désigne un genre d’ouvrages qui a connu au fil des siècles une profonde évolution, et les Mirabilia les plus anciens ne ressemblent que de très loin à ceux qui se sont multipliés à la fin du XIVe et au XVe siècle. D’où la nécessité de bien spécifier de quels Mirabilia on parle, et d’utiliser les termes adéquats. C’est que les expressions Mirabilia (urbis) Romae, Indulgentiae (ecclesiarum urbis Romae), Stationes (ecclesiarum urbis Romae), Mirabilia Romae vel potius Historia et descriptio urbis Romae connotent des époques et des contenus très différents ; elles ne sont pas interchangeables.

            Sur un plan plus particulier, nous avons d’abord montré, en étudiant quelques cas précis, la manière dont ont généralement travaillé, pendant des siècles, les rédacteurs des Mirabilia (au sens strict et au sens large). Généralement ils recopiaient, souvent « en vase clos », les notices de leurs prédécesseurs, intervenant par des additions, des suppressions, des résumés, parfois malencontreux d’ailleurs, parce qu’ils ne comprenaient pas très bien les textes qu’ils avaient devant eux. C’est surtout vrai des Mirabilia ancienne manière. L’apparition de véritables guides du pèlerin a certes modifié assez profondément les objectifs, mais ces guides eux-mêmes ont continué à se recopier. Il est exceptionnel que les Mirabilia, quels qu'ils soient, brillent par l’originalité de la pensée ou par la précision ou par le souci de vérifier leurs informations.

            Nous avons ensuite cherché à déterminer quelle place cet ensemble complexe d’œuvres avait réservée à Virgile et à ses réalisations. Il est apparu que Virgile ne joue qu’un rôle assez tardif et minime dans les Mirabilia ancienne manière (une très brève notice sur sa fuite à Naples et une autre, plus brève encore, sur une très problématique demeure romaine). Plus tard, essentiellement au XVe siècle, lorsque les Mirabilia auront changé de style et que s’y seront intégrées ce qu’on appelle les Indulgentiae, on retrouvera bien Virgile à propos de l’histoire de la dame exposée dans une position humiliante pour alimenter en feu tous les foyers de Rome. Cette anecdote sera largement citée, parce que les guides sont nombreux et qu’ils se recopient, mais force est de reconnaître que, dans l’économie d’ensemble des Indulgentiae, elle n’occupe qu’une place très marginale qu’elle partage du reste – et c’est un peu une surprise – avec un épisode, du monde chrétien celui-là, celui de l’accouchement et de la mise à mort de la papesse Jeanne. Une mise en rapport dont il nous est difficile de déterminer la signification et le sens.

            En tout cas, en ce qui concerne spécifiquement l’histoire des amours de Virgile, on ne peut pas dire qu’au moyen âge et au début de la Renaissance, les Mirabilia, anciens comme nouveaux d’ailleurs, ont fait à cette anecdote une place comparable à celle qu’elle a si largement occupée dans beaucoup de littératures européennes.

            Nous nous sommes également demandé quelle place les Mirabilia, anciens et nouveaux, accordaient aux multiples merveilles que Virgile est censé avoir réalisées lors de son séjour romain, merveilles sur lesquelles Jean d’Outremeuse, notre chroniqueur de référence, s’était largement étendu. Ici encore, et en nous en tenant à un survol rapide de la question, il est apparu que les Mirabilia anciens, quand ils évoquaient d’éventuelles merveilles, ne les attribuaient pas à Virgile. Tout porte à conclure que l’intervention du magicien dans nombre de réalisations merveilleuses n’est pas primitive, mais s’est produite à un stade plus avancé de l’évolution. Des examens plus approfondis, encore à faire, permettront de tester la valeur de cette conclusion.

            Les chapitres suivants ne quitteront pas complètement le monde des Mirabilia (au sens strict et au sens large), mais nos réflexions mettront cette fois davantage l’accent sur Jean d’Outremeuse lui-même. Le chroniqueur était resté à l’arrière-plan pour une raison très simple : c’est que les recherches, même celles de Mme Miedema, ne lui attribuaient guère de place dans l’histoire complexe de la tradition des Mirabilia. Nous avons découvert qu’elles avaient bien tort.

[suite]

 Bruxelles, 03 février 2013

 


FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 24 - juillet-décembre 2012

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