Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 14 - juillet-décembre  2007


 

Un héros « romain » ? : Marcius Coriolan

 

Un exemple d'intégration à la « ciuitas Romana » d'un citoyen latin en 493 a.C. ?

par
Bernadette Liou-Gille
Paris-Sorbonne
<liou_gil@club-internet.fr>


 

Coriolan a inspiré beaucoup d'œuvres artistiques. Shakespeare lui a consacré une de ses pièces (récemment jouée en France, à Saint Denis). Il a inspiré à Beethoven une Ouverture... Un grand nombre d’artistes ont peint la scène célèbre où Coriolan, menant une armée contre Rome, se laisse fléchir par sa mère et sa femme et renonce à ce projet.

Des auteurs anciens dignes de foi nous ont transmis sur ce personnage des notices plus ou moins complètes. Tite-Live (au livre II) lui consacre plusieurs pages denses. Denys d’Halicarnasse le met en scène dans ses Antiquités de Rome et place même dans sa bouche des discours (7, 22-24 ; 7, 25, 4 ; 8, 5-8 ; 8, 29-35) qui, pour être fictifs, restent dans les limites du vraisemblable. Il a inspiré une de ses Vies parallèles à Plutarque qui fait de lui un personnage de premier plan. Dion Cassius, dont la documentation est particulièrement sérieuse, lui réserve les ch. 35 à 40 de son livre V. On peut compléter ce que nous disent ces auteurs de grande autorité par des bribes d’informations cueillies dans Valère-Maxime (1, 7, 4 ; 5, 4, 1), le De uiris illustribus [1], Eutrope (1, 14, 15)...

Les obscurités, les invraisemblances ne manquent pas dans ces documents qui sont pourtant de grande valeur [2] ; et l’historien qui s’intéresse à Coriolan aura à enquêter sur un certain nombre de faits peu sûrs. Dans l'embarras que créent ces faits incertains, on est allé jusqu'à nier que Coriolan ait jamais existé (infra, n. 6). C'est trancher le nœud gordien, faute de pouvoir insérer convenablement le personnage dans son contexte. Avant de prendre ces mesures extrêmes, tentons d'abord une réhabilitation du récit.

La présente enquête portera sur le statut social de Coriolan aux débuts de sa carrière, sur l’origine de son cognomen, sur ses relations avec le haut commandement de Rome...

 

Marcius Coriolan était-il plébéien ou patricien ? La question se pose en effet et la réponse n'est pas évidente car on ne connaît pas de Marcii patriciens à l'époque historique, avant la fin de la République. Au début du 5ème a.C., Marcius Coriolan serait le seul Marcius patricien [3]. Il est bien question d'un autre Marcius patricien, mais à l'aube de la période royale, tout à fait hypothétique. Le roi Numa Pompilius, quand il créa le pontificat qui, à sa création, était d'essence patricienne [4], aurait choisi parmi les patres Numa Marcius, père d'Ancus Marcius (Liv., 1, 20, 5). Or ce Marcius patricien [5] ami de Numa a toutes chances d'être légendaire.

L'existence de Marcii plébéiens [6], elle, est en revanche avérée. Leur nom n'apparaît dans les Fastes qu'au moment où les plébéiens accèdent au consulat ; et le premier Marcius connu comme investi d'une fonction officielle, en 389 a.C. [7], est un tribun de la plèbe. Le premier dictateur plébéien, en 356 a.C., qui devint aussi le premier censeur plébéien en 351, est également un Marcius. Une violation aussi surprenante du statut du dictateur, substitut des rois, d'origine obligatoirement patricienne et même, si possible, consulaire [8], n'aurait eu aucune chance d'être admise si elle n'était pas historique : la violence faite à la tradition, au statut du dictateur, est assez remarquable et a suscité assez de réprobation (Liv., 7, 17, 6) pour exclure toute possibilité de fraude sur ce point.

 

Témoignage des historiens anciens : pourtant les écrivains anciens ne semblent pas douter que Coriolan appartienne au patriciat. Denys d’Halicarnasse lui en accorde formellement le statut dès la première ligne qu'il lui consacre. Il en va de même pour Plutarque (Cor., 1, 1, qui tire sa documentation de Denys et qui fait lui aussi de Coriolan, sans hésiter, un patricien) ainsi que pour Valère-Maxime (4, 3, 4). Dion Cassius n'aborde pas la question.

 

Le point de vue de Tite-Live 2, 33, 5 : « inter primores iuuenum »: Tite-Live est plus discret que les auteurs grecs : on ne trouve pas chez lui d'affirmation aussi catégorique. Cependant l'examen attentif des propos qu'il prête à Coriolan suggère qu'il l'assimile à un patricien. Par exemple Coriolan conteste le droit des tribuns de la plèbe à le faire comparaître : « Ils ont », dit-il (Liv., 2, 35, 3), « le droit d'assistance, mais pas celui de sanction ; ils sont tribuns de la plèbe, et non tribuns des patres. » Pour Tite-Live Coriolan est un aristocrate révolté, qui refuse de se soumettre à la puissance tribunicienne, création toute récente, dont la nature et la potestas ne sont pas encore nettement définies. Coriolan copie d'ailleurs le comportement des patriciens les plus intransigeants. Il appartient à cette génération de jeunes hommes frondeurs et arrogants, tels les fils de Brutus ou Kaeso Quinctius, fils de Cincinnatus... Ulcérés que la plèbe ait obtenu la création du tribunat, ils en veulent à tout prix la suppression et Coriolan milite farouchement dans leurs rangs. Alors que deux convois chargés de blé viennent d'arriver, il va jusqu'à refuser d'en faire bénéficier la plèbe affamée si le tribunat de la plèbe n'est pas aboli (Liv., 2, 34, 8-12).

D'autre part Cn. Marcius, inter primores iuuenum (le terme de iuuenis désignant habituellement le mobilisable ou le mobilisé, qu'il soit « jeune homme » ou « homme jeune ») appartient sans conteste à l’élite. Il n'est pas sûr que Coriolan ait fait partie de l'armée romaine au début de sa carrière, ni même qu'il ait été un citoyen romain quand il intervient au siège de Corioles, et ces deux points seront étudiés infra. Mais de toutes façons à cette époque (en 493 a.C.) l'armée a probablement la structure imposée par la réforme de Servius Tullius : à coup sûr elle est censitaire. On en déduira que Marcius Coriolan, s’il fait partie de « l’élite » des primores, compte parmi les gens les plus fortunés, ce qui, à Rome, apporte toujours beaucoup de considération. Ce terme de primores s'applique à une hiérarchie sociale, dont notre héros occupe certainement les échelons les plus élevés, plutôt qu'à une élite morale, même si Coriolan est un parangon de toutes les vertus militaires.

La cause est entendue : pour Denys et Plutarque (Tite-Live est un peu ambigu), auxquels s'adjoint Valère-Maxime (4, 3, 4), Coriolan est un patricien ; sa famille est tout à fait indépendante de la famille plébéienne des Marcii. C'est un patricien et (c'est un truisme) c'est un patricien fortuné.

 

Mais alors est-ce bien au patriciat romain qu'il appartient ? Le « cognomen Coriolanus » est un sujet de perplexité. On le justifie par la prise de Corioles, cité précédemment tombée aux mains des Volsques, où notre héros s'est montré particulièrement valeureux. Plutarque (Cor., 10, 1) nous décrit en termes emphatiques la collation officielle de ce surnom au vainqueur de Corioles, à l'initiative du consul Cominius ; et il complète sa « reconstitution historique » par une digression très superficielle, et d'ailleurs, dit-il, provisoire, sur l'origine des surnoms. Tout mérite vérification dans ce passage [9]. Cette collation du cognomen tirant son origine de la victoire sur Corioles a beau être reprise par l'ensemble des historiens anciens [10], elle est plus que douteuse. D'abord, l'usage de donner un cognomen inspiré d'une victoire ne semble pas si ancien [11]. Il est parfaitement attesté vers le milieu de la République, mais pas en ses débuts, encore que l'analyse des surnoms et leur datation soient loin d'être aisées (on connaît le cognomen de Regillus, attaché à une branche des Aemilii, et Regillensis, cognomen d'Aulus Postumius, vainqueur de la bataille du lac Régille en 399 ou 396 a.C., mais à quelle date ce cognomen fut-il utilisé ?)... D'après Th. Mommsen, Coriolanus [n. 2], p. 21, le plus ancien cognomen tiré d'une victoire date de 262 a.C. : il fut donné à Marcus Valerius Messala après sa victoire sur Messine. Cette évolution a pu échapper facilement au Grec Plutarque (Cor., 11, 2) qui recense en ce passage une série rudimentaire de surnoms, formulant l'intention d'en mener plus tard une étude plus complète [12].

 

Le « cognomen » toponymique ; « l'homme de Corioles » ? : ce que Plutarque omet curieusement dans cette digression sommaire, c'est le surnom qui se réfère au lieu d'origine de celui qui le porte : c'est pourtant une pratique très répandue et très anciennement attestée [13].

 

Un candidat à la « ciuitas Romana » ? Mais le cognomen ne sert pas seulement à préciser la cité d'origine de celui qui le porte ou à distinguer les différentes branches d'une même famille, ce qui en soi est déjà très utile. Le cognomen toponymique peut faire référence aux origines, au statut d'un étranger de naissance « libre » récemment intégré à la société romaine (ou requérant de l'être), car les étrangers à Rome, plus facilement que dans la plupart des cités antiques, peuvent accéder à la ciuitas Romana et même au patriciat. C'est le cas d'Atta Clausus, un immigré sabin, si puissant et si riche qu'on l'accueille sans hésiter en 504-503 a.C dans la ciuitas Romana, avec sa clientèle - une armée virtuelle de 5.000 iuuenes (Dion. Hal., 5, 40, 3), hommes jeunes et vigoureux, capables de se transformer rapidement en soldats (à cette date ancienne, il n'existe pas d'armée permanente en Italie). On l'admet même sans délai au Sénat romain (Liv., 2, 16, 4) et l'on donne aux membres de sa maison des terres sur les marches du territoire romain. Neuf ans plus tard, en 495, Appius Claudius est élu consul (Liv., 2, 21, 5), carrière extrêmement rapide, révélant une intégration particulièrement réussie.

 

« L'homme de Corioles » : le cognomen ici soulignerait tout simplement les origines de Coriolan, ou encore évoquerait son statut latin, et non romain. Cet « homme de Corioles » ou bien serait intégré depuis peu à la ciuitas Romana, ou plus probablement n'y aurait pas encore accédé, ce qui expliquerait de surcroît ses échecs au consulat par exemple, sa candidature ayant pu paraître prématurée aux Romains de vieille souche (Plut., Cor., 14-15). La tradition ancienne aurait fait de Coriolan un Romain parce que Rome a tendance à s'approprier, souvent avec un peu trop de « spontanéité », les mérites, les acquêts des civilisations ou des héros qu'elle a assujettis et à qui elle a accordé, à un moment donné, la citoyenneté. L'intégration à la ciuitas Romana n’est pas un dû, d'ailleurs, même pour un Latin ; seulement elle est peut-être plus facilement accordée à un Latin qu'à un Sabin ou à un Volsque.

 

Le pacte fédéral : il existe en effet entre les différents membres de la Ligue Latine (formée des citoyens nés dans les colonies fondées par la cité latine d'Albe) ce que Denys d’Halicarnasse [14] appelle d'un terme peut-être excessif, une ἰσοπολιτεία  (offrant au citoyen latin les mêmes droits dans toutes les cités latines). Il s'ensuit non pas que les citoyens latins deviennent citoyens romains ipso facto, mais qu’ils peuvent facilement le devenir s’ils acceptent de partager les charges des Romains (munera, i.e. service militaire, impôts etc.). L’intégration à la ciuitas Romana de citoyens latins - qu'ils la sollicitent ou qu'on la leur impose (la ciuitas Romana n'étant pas toujours un cadeau apprécié) - et l'intégration au Sénat des primores sont mentionnées plusieurs fois dans les Annales. Après la guerre entre Albe et Rome sous le règne de Tullus Hostilius, toutes les gentes albaines disparaissent, à l’exception de six d’entre elles, dont les patres sont admis parmi les Pères romains, dans le Sénat de Rome : ce sont les Iulii, les Seruilii, les Quinctii, les Geganii, les Curiatii, les Cloelii (Liv., 1, 30 ; Dion. Hal., 3, 29, 7). Sont aussi « naturalisés » citoyens romains les habitants de Politorium, de Tellènes, de Ficana... (Dion. Hal., 4, 57, 3 ; 4, 58, 3-4). Des liens particuliers se tissaient de ville latine à ville latine, que ce fût entre Albe et Rome, Lavinium et Rome, Rome et Gabies (où l’on disait que les jumeaux Romulus et Rémus avaient fait leurs classes et où les prêtres romains jouissaient d'un statut particulier quand ils y prenaient les auspices [15]... Il existe bien d’autres exemples d'intégration : ils font de Rome une « città latina e città aperta » [16], originale dans la mesure où, ailleurs, on n’accorde la citoyenneté aux immigrants qu’avec une extrême parcimonie. Le ius Latinum assurait aux membres de la Ligue Latine divers avantages : ius conubii ou droit de mariage (Liv., 4, 3, 4) avec un(e) Romain(e), ius mutandi sedem, grâce auquel un Latin pouvait s'installer dans n'importe quelle ville latine, et ius commercii qui réglait les échanges commerciaux entre les membres de deux cités latines, dans le respect de leur autonomie et des codes propres à chacune.

 

Un Latin de Corioles ? Or Corioles est cité latine. Dans un texte connu, mainte fois commenté et de manière contradictoire [17], Pline l’Ancien (N.H., 3, 69), donne la liste des cités qui, membres de la Ligue Latine, sont astreintes à la célébration du Latiar, sacrifice fédéral annuel en l'honneur de Jupiter Latiaris sur le mont Albain. Corioles y figure. Et Pline n'est pas le seul témoin de cette « latinité » de Corioles. Denys d’Halicarnasse (5, 61, 3) en fait aussi l’une des 29 cités membres de la Ligue Latine, la 30ème étant Rome, qui s'est retournée contre les Latins coalisés avec Tarquin le Superbe. Les Romains se référaient couramment, sans les citer textuellement, aux témoins épigraphiques des accords qu'ils signaient avec les peuples voisins. Parmi les documents de ce genre accessibles aux Romains, il y avait la stèle conservée dans le temple de Diane Aventine qui portait les noms des peuples ayant participé à l'érection du sanctuaire, sous l'impulsion de Servius Tullius (Dion. Hal., 4, 26, 4-5). Elle est perdue pour nous mais on pouvait encore la lire au temps d'Auguste [18]. C'était une table de bronze, avec une inscription en alphabet « grec » (en réalité un alphabet archaïque romain). Un grammairien nous montre Caton l'Ancien (Caton, frg. 58, 1, 12) relevant lui-même une inscription dans le lucus de la Diane Aricine. Un très ancien traité de Rome avec Gabies était transcrit sur une peau de bête conservée dans le temple de Sancus (Dion. Hal., 4, 58, 4). Une colonne en bronze portait le traité conclu avec les Latins, après la bataille du lac Régille, par Spurius Cassius (Liv., 2, 33, 9 ; etc.). Il est vraisemblable que, sur le site d'Albe, cœur de la Ligue Latine, des stèles, des plaques commémoratives aient aussi été érigées, donnant la liste des états-membres latins, documents très anciens, auxquels on se référait probablement quand il fallait distribuer aux Latins réunis lors du culte fédéral célébré tous les ans, selon un protocole vénérable et rigoureux, les parts de viande sacrificielle [19] ou arbitrer un point de droit entre confédérés. Les historiens, eux, ne donnaient pas le texte même de ces documents pour ne pas introduire de disparates dans la rédaction d'une œuvre avant tout littéraire.

La liste de Pline mérite un certain crédit, même si l'on est tenté d'apporter quelques corrections à ce que l'on regardera comme des transcriptions aléatoires de textes difficiles à déchiffrer, utilisant un alphabet archaïque, plutôt que comme des erreurs historiques, voire des tentatives de fraude. Ces cités latines ont entre elles un lien authentique dont on ne doit pas sous-estimer l'importance : même origine ethnique, même culte fédéral, commémorés tous les ans lors du Latiar (ou Feriae Latinae) ; et elles sont liées par un pacte de non-belligérance. Ira-t-on jusqu'à se demander si la latinité de Rome, qui accueille si volontiers les riches étrangers et même une population hétérogène (création de l'asile sous Romulus), n'était pas plus tardive et plus discutable, tout compte fait, que celle de Corioles ?

La liste de Pline énumère 30 peuples, comme le veut la tradition, ce nombre étant vraisemblablement mythique ou symbolique; et, à vrai dire, on est étonné d'en trouver chez Pline et chez Denys si exactement le compte, qui, de ce fait, est suspect. On se rappellera cependant que Rome tenait à ce que fussent représentées les cités latines disparues. Ainsi l'on donnait à d'honorables chevaliers romains la nationalité de Laurentes Lavinates pour [20] assurer de manière virtuelle la survie de Lavinium au moins dans le culte. On hésitera à accepter sans examen comme historique le nombre officiel des cités latines ; mais douter de leur latinité n'a guère de sens.

 

Le traité de la Ligue Latine : or Corioles est en guerre contre Rome. Après la bataille du lac Régille, gagnée par Rome de justesse contre Tarquin et ses alliés latins, le traité de Rome avec la Ligue latine a été reconduit sous la forme du foedus Cassianum, signé non par le roi expulsé, mais par un des consuls, Spurius Cassius, qui lui ont succédé, et authentifié par une inscription sur une colonne de bronze encore visible au temps de Tite-Live, qui y fait allusion (Liv., 2, 33, 9). Denys d'Halicarnasse (6, 95, 1-2) laisse entendre qu'il donne (en grec) le texte même du traité. Reste à savoir si c'est une transcription fidèle, comme il semble le prétendre (« Voici le texte du traité » : τὰ γραφέντα ἐν ταῖς συνθήκαις τοιάδε, 6, 95, 2)... Il s'adressait à tous les peuples latins, sous une forme très solennelle (encore que banale) et définissait brièvement les relations militaires, commerciales, juridiques entre Romains et Latins :

 

« Que la paix entre les Romains et toutes les cités latines soit mutuelle tout le temps que le ciel et la terre resteront en leur place. Qu'ils s'engagent mutuellement à ne pas se faire la guerre entre eux, à ne pas faire venir d'ennemis étrangers. Qu'ils n'offrent pas la sécurité du passage sur leurs terres à ceux qui voudraient guerroyer contre leurs alliés. Qu'ils se prêtent une assistance mutuelle en cas de guerre, en engageant toutes leurs forces, et qu'ils aient part égale aux dépouilles des ennemis et au butin lorsqu'ils font une expédition commune. Que les contentieux à propos de contrats privés soient réglés dans un délai de 10 jours et dans l'État où a été signé le contrat. Et que l'on n'ajoute aucune clause, qu'on n'en retranche aucune, sans le consentement des Romains et de tous les Latins. » (Dion. Hal., 6, 95, 2)

 

La colonne portait-elle les noms des cités ou peuples signataires ainsi que le texte du traité ? Vraisemblablement... Mais pourquoi cette cité latine de Corioles est-elle en guerre contre Rome au moment où le traité qui leur interdit précisément de se faire la guerre vient justement d'être reconduit ?

 

Une cité occupée : Corioles est située dans une zone frontière particulièrement instable à cette époque, entre le sud du Latium et le nord du pays conquis par les Volsques [21]. Les Volsques se sont emparés de la ville ; ils l'occupent [22]. Corioles est désormais une importante tête de pont, une « métropole » du pays volsque, selon le terme de Denys (6, 92, 1). Cette cité n'est pas très éloignée d'Antium [23], qui était la puissante alliée volsque de Tarquin le Superbe du temps où il régnait encore à Rome : telles sont les fluctuations de la géographie politique en cette partie mouvante du territoire italien (M.L. Scevola, Anzio pre-volsca [n. 23], p. 90-91).

Rome, qui ne se fait pas d'illusion sur leur bon vouloir, doit vaincre les Volsques occupant Corioles alors que les Latins de Corioles, en tant que membres de la Ligue Latine, sont liés aux Romains par un accord de non-belligérance, reconduit par le consul Spurius Cassius. Rien n'interdit de penser que se trouve dans la ville occupée un noyau de patriotes coriolans irréductibles, de souche latine, n'acceptant pas la domination volsque et ravis d'apporter leur concours à l'armée romaine qui pour eux est une armée de libération. Au nombre de ces patriotes on compterait Marcius, un Latin de Corioles, fervent « nationaliste », heureux d'aider l'armée romaine de l'intérieur, décidé à prendre les conquérants volsques en tenaille pendant que les Romains s'efforcent de pénétrer dans la ville. On voit mal un Romain sans grade, menant des troupes qui ne sont pas sous ses ordres, forçant les portes d'une ville fortifiée, même au prix d'une percée héroïque.

 

L'offrande du « cheval public »: or, à ce patricien de Corioles qui a tant mérité de Rome, on offre (Dion. Hal., 6, 94, 1 ; Plut., Cor., 10, 3 ; Dion Cassius: 5, 35) - outre la couronne de chêne pour récompenser sa vaillance au combat et un don de 100 jugères (Val. Max., 4, 3, 4) - un cheval de guerre, tout harnaché « comme si c'était le cheval d'un consul ». C'est une façon, un peu théâtrale, mais combien honorifique, de récompenser la valeur militaire de cet allié. Mais c'est aussi peut-être concéder la citoyenneté romaine (s'il ne l'a pas encore) à un personnage qui appartient à l'élite de Corioles, à un patricien coriolan, et (s'il l'a déjà, ce dont je doute) l'intégrer au corps très aristocratique des equites romains qui occupe les plus hauts degrés de l'échelle sociale.

En effet ne pouvaient servir dans la cavalerie que des citoyens très fortunés, capables d'entretenir un cheval. L'état fournissait l'autre cheval que doit posséder le chevalier, l'equus publicus, ainsi qu'une allocation à l'entrée dans la cavalerie, l'aes equestre, et une allocation annuelle pour l'entretien du cheval, l'aes hordiarium (Paul.-Festus, s.v. hordiarium, p. 91 L.) ; cette dernière était couverte par un impôt prélevé sur les veuves (Liv., 1, 43, 9). Les cavaliers jouissaient d'un poids considérable dans la vie politique : au début de la République les sex suffragia (les six premières centuries d'equites), qui formaient la « cavalerie / chevalerie » romaine, votaient encore les premiers dans les assemblées, entraînant toutes les centuries votantes qui s'alignaient sur eux comme si les sex suffragia indiquaient la volonté des dieux.

Il n'est dit nulle part qu'on verse à Marcius Coriolan l'aes equestre ou l'aes hordiarium, mais il est autorisé à prendre dans le butin tout l'argent qu'il veut, ce qui couvre sans doute les deux subventions. Marcius refuse tout [24], sauf la couronne militaire, récompense honorifique de sa vaillance, et le cheval de guerre. La cérémonie ne sert pas, comme le croit Plutarque, à conférer à Marcius un cognomen qui n'est que la reconnaissance de son état civil. Cet hommage officiel rendait publique et solennelle l'intégration du citoyen de Corioles dans la haute société romaine, le corps des equites, à laquelle il n'appartenait sans doute pas encore.

 

Un « Seigneur de la guerre » ? Ce qui frappe en effet lorsqu'on étudie le comportement de Coriolan tel qu'il nous est décrit, c'est sa totale autonomie, qui ne s'accorde guère avec les habitudes civiques et militaires des Romains tout au long de leur histoire, mais se comprend mieux si on lui confère le statut d'allié latin.

S'expliquent alors les bizarreries de son histoire : Coriolan n'a pas de poste précis au siège de Corioles, il est « de garde », ou, si l'on veut, « en sentinelle » (in statione ; Liv., 2, 33, 6), fonction très floue. Le consul chargé de cette guerre est parti pour Antium et c'est un certain Titus Larcius qui le remplace. Les historiens disent que Coriolan s'est trouvé, au siège de Corioles, porté à l'intérieur des murs par l'assaut furieux des Romains. Le déroulement des faits est beaucoup plus vraisemblable si on suppose que Marcius ne se trouvait pas avec l'armée romaine, où il n'a pas sa place, mais dans la ville même, sa patrie, avec ses concitoyens latins : lui, Coriolanus, « l'homme de Corioles », il extermine les Volsques en un combat de rues qui le rend célèbre désormais, mais il n'est pas entré à Corioles par hasard, sous la poussée des Romains : il y était déjà, comme citoyen coriolan. Conjuguant ses efforts à ceux des Romains qui cernent la ville, il a saisi l'occasion de délivrer sa patrie latine de l'occupation volsque.

En effet Marcius « de Corioles » n'est pas soumis à la discipline militaire romaine. Ce n'est pas lui qui commande l'armée assiégeant Corioles. Il ne reçoit jamais d'ordre des chefs romains, ni du consul Cominius, ni de l'aide de camp Titus Larcius. D'ailleurs les soldats romains eux non plus ne le reconnaissent pas comme chef. Il n'a pas d'autorité sur eux : une fois Corioles libérée, alors qu'il cherche à préserver les biens de ses compatriotes, parents, amis, clients de Corioles..., il est impuissant à en empêcher le pillage par les Romains [25]. Il s'en va, toujours de sa propre initiative (Plut., Cor., 9, 2), rejoindre les troupes du consul Cominius, qui sont parties vers Antium. Et il se donne un corps expéditionnaire, en armant des volontaires qui sont probablement ses clients, ses parents, ses amis (c'est ce que menaçait de faire Appius Claudius avec ses 5.000 iuuenes, c'est ce que fait Fabius, Liv., 2, 48, 8 ; 2, 50 qui assume seul la guerre contre Véies, à titre privé, avec sa nombreuse clientèle). Il agit seul à la tête de cette troupe qu'il a recrutée lui-même parmi ses gens (Liv., 2, 33, 7) et rejoint Cominius. C'est encore lui qui décide de l'endroit où il faudra poster ses recrues (Plut., Cor., 9, 6) et du moment où l'on engagera la bataille.

Cette autonomie du héros trouve son expression la plus désastreuse dans la répartition du butin, sujet toujours très sensible : il prend sur lui de distribuer, directement, le butin fait sur les Volsques d'Antium à ceux de ses compagnons d'armes qui ont bien voulu le suivre dans cette aventure (Plut., Cor., 13, 6). Si l'on en croit Plutarque, les tribuns de la plèbe auraient eu l'intention de le citer en justice pour comportement tyrannique, y auraient renoncé et lui auraient reproché d'avoir, au lieu de le verser dans le trésor public [26], attribué le butin aux seuls membres de son armée, ce qui est encore un acte autocratique.

 

Qui est-il donc pour imposer ainsi ses volontés ? Que le butin aille aux soldats qui l'ont conquis de leurs mains n'est pas inhabituel dans l'ordre ancien (Liv., 4, 20). Mais, dans le contexte de cette guerre au double front, cela crée entre les combattants, ceux qui n'ont participé qu'au siège de Corioles et ceux qui ont rejoint Cominius après la chute de la cité, des différences mal supportées. L'initiative de Marcius le Coriolan suscite la jalousie de ceux qui n'ont pas été choisis (Plut., Cor., 13, 6), n'ont pas participé à cette action et ne s'y sont donc pas enrichis. Là encore il a agi, le plus naturellement du monde, en maître absolu qui ne rend de comptes à personne.

 

Sodalités : les Anciens ont gardé le souvenir d'armées privées, commandées par des chefs indépendants, professionnels de la guerre, assimilables aux condottieri italiens. Ces chefs se mettent au service de rois qui leur offrent des terres en paiement de leurs bons services. Ainsi Caele Vibenna, un Étrusque, reçoit les terres du Mont Caelius en récompense de l'aide donnée à Romulus contre les Sabins (Paul.-Fest. s.v. Caelius mons, p. 38 L). L'armée romaine semble avoir été la juxtaposition des corps de troupes fournis par les gentes rassemblés sous l'autorité d'un seul chef : cette organisation a laissé sa trace dans les Annales, mais aussi dans certains sites archéologiques de l'Italie centrale. Dans un dépôt près de Vetulonia, en Étrurie du sud, on a trouvé environ 125 casques ; une cinquantaine portaient une inscription, haspnas, qui indiquait probablement la gens à laquelle ils appartenaient [27]. Les sodalités tirent leur origine d'un passé très ancien où des compagnons d'armes se regroupaient autour d'un chef indépendant, en dehors de toute structure étatique : on les appelait sodales, ou mieux, selon la graphie ancienne, suodales.

Il existe plusieurs sortes de sodalités : il en est qui sont professionnelles ; d'autres, militaires ; d'autres, religieuses (Sodales Luperci, sodales Titii, Salii, fratres Arvales...; R. Fiori, Sodales [n. 29], p. 140-141). Celle que Marcius de Corioles dirige, soudée probablement par un serment de fidélité au chef, est un groupe de guerriers dont la composition est changeante, mais sur lequel personne n'exerce de contrôle, si ce n'est le chef. L'existence et l'ancienneté de ces confréries (elles n'obéissent qu'à leurs propres codes) sont attestées au plus tard à la fin du 6ème siècle par l'inscription retrouvée à Satricum : dédicace à Mars, dans le sanctuaire de Mater Matuta, d'un objet de culte, disparu, par les suodales Valesiosio Popliosio, ce Valesius étant peut-être le très célèbre Valerius Publicola, collègue du consul Brutus en l'an 1 de la République romaine [28]. Ces suodales entourent de grands personnages : luperques de Romulus, sodales de Titus Tatius, Volusus Valerius, Mettius Curtius, les frères Vibennae, Mastarna (futur Servius Tullius), dont le nom fait penser à magister populi, commandant en chef ; Dion. Hal., 2, 46, 3 ; 2, 51, 1 ; 2, 52, 4... Les fils du consul Brutus, aequales, sodalesqueque adulescentium Tarquiniorum, adsueti more regio uiuere (Liv., 2, 3, 2) font partie d'un tel groupe dont les chefs appartiennent à la famille des Tarquins. Du reste Coriolan, quand il est banni de Rome, se met sans tarder au service du prince des Volsques, Attius Tull(i)us d'Antium (Liv., 2, 35, 6-8 ; Dion. Hal., 8, 1 ; Plut., Cor., 22) avec trois ou quatre de ses clients (accompagnés de leurs hommes vraisemblablement). L'armée virtuelle d'Appius Claudius, et celle, bien réelle cette fois, que le consul Fabius recrute pour mener, avec sa seule maisonnée, une guerre contre Véies, sont également des armées privées (Liv., 2, 48, 8 ; supra), qui n'en sont pas moins des armées de métier.

La protection du chef couvre à l’occasion des actions illégales, comme les exactions des compagnons de Titus Tatius (Dion. Hal., 2, 51-52). Dangereuses pour l'ordre public, elles sont cependant autorisées par la Loi des XII Tables (qui sera promulguée quelques décennies plus tard), à la condition qu'elles n'entrent pas en conflit avec l'intérêt de l'État [29]. Certes, à la fin de la République, ces sodalités ne sont plus ces groupes farouches et sauvages, ces hordes des premiers âges ignorant l'ordre social que suggère le nom des Luperques et dont l'existence est connue dans d'autres civilisations que la romaine : « Gefolgschaften », « Männerbunde » (sur leur rôle dans les luttes politiques, R. Fiori, Sodales [n. 29], p. 129, 156-157). Il en reste cependant des traces à la fin de la République : Pompée, à 18 ans, en 84 a.C., lève « sans autre mandat que celui qu'il s'est conféré à lui-même » [30] deux, puis trois légions recrutées parmi les clients de son père en Italie du Sud, dans le Picenum, qui est presque un fief de sa famille. Il les équipe à ses frais et va même jusqu'à prêter une de ces légions à Sulla. Ces groupes asociaux, plus ou moins structurés, ont renoncé avec le temps aux rapines et aux raids pour trouver leur finalité dans les luttes politiques où s'affrontent plébéiens et patriciens, où rivalisent des généraux rebelles (Dion. Hal., 6, 58, 3; R. Fiori, Sodales [n. 29], p. 129).

À l'histoire de Coriolan manque, certes, une garantie d'authenticité. Elle n'a pas cette sécheresse, gage de sérieux, qui caractérise les notices des Annales. Si une togata a jamais représenté au théâtre les exploits de Coriolan, elle ne pouvait que céder à la tentation de l'amplification dramatique, rhétorique ou épique sur ce scénario facile, propre aux effets théâtraux [31]. Et tout cela plaide contre la véracité formelle du récit. Si pourtant l'on accorde quelque crédit à la tradition orale, la geste de Coriolan pouvait se transmettre par la scène mais aussi par les troupes de chanteurs, professionnels ou non, qui ornaient les banquets de leur talent [32] à la demande de leurs hôtes. Et par cette double voie pouvait se sauvegarder maint détail, dans des registres différents [33]. Filtrent ainsi des indications dont la cohérence discrète incite le lecteur contemporain à traquer le trait significatif, à se montrer attentif à ces témoins effacés de temps révolus. On ne s'étonnera pas que, dans cette « quintessentialy Roman story » [34], Plutarque et Denys, nos sources principales, aient été plus sensibles aux aspects spectaculaires de la geste qu'aux menues informations sur des usages et des modes de vie presque effacés.


[1] Fabius, apud Liv., 2, 40, 10-11, est notre source la plus ancienne.

 

[2] La traduction de la vie de Coriolan la plus récente est sur internet : c'est celle de M.-P. Loicq-Berger, <http://bcs.fltr.ucl.ac.be/ALCIB/Cori/corintrod.htm> ; Th. Mommsen, Die Erzählung von Cn. Marcius Coriolanus, dans Hermes, 4 (1), 1879, p. 1-26 ; R.M. Ogilvie, A Commentary on Livy, Books I-V, Oxford, 1970 (1ère éd. 1965), p. 315-316 ; bibliographie ancienne, mais riche ; E.T. Salmon, Historical elements in the story of Coriolanus, dans Classical Quarterly 24, 1930, p. 96-97. J. Poucet commente le texte de Plutarque à l'adresse suivante <http://bcs.fltr.ucl.ac.be/ALCIB/Cori/corintrod.htm> : selon J. Poucet, il est impossible d'affirmer que le personnage de Coriolan est historique ; mais le contexte politique, social, institutionnel, religieux dans lequel il s'inscrit a toutes chances de l'être.

 

[3] Münzer, RE, s.v. Marcius, col. 1535. Le premier Marcius patricien serait le fondateur de l'Aqua Marcia (vers 140 a.C.).

 

[4] Les patriciens en gardèrent l'exclusivité jusqu'à la loi Ogulnia, vers 300 a.C.

 

[5] Kubitschek, par ex., cité par Münzer, RE, s.v. Marcius, col. 1535 ; A. Momigliano, The Origins of Rome, dans Cambridge Ancient History, VII, 2, The Rise of Rome, 2ème éd. Cambridge, 1989 ; Th. Camous, Le roi et le fleuve ; Ancus Marcius Rex aux origines de la puissance romaine, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 49, 51.

 

[6] Münzer recompose l'arbre des Marcii dans RE, s.v. Marcius, col. 1539 ; Schur, R.E., s.v. Marcius, col. 653.

 

[7] J.-M. David, Les étapes historiques de la construction de la figure de Coriolan, dans L'invention des grands hommes de la Rome antique, Actes du Colloque du Collegium Beatus Rhenanus, 16 08 / 18 09 1999 (M. Coudry et Th. Späth éd.), Paris, 2001, p. 21.

 

[8] A. Magdelain, Auspicia ad patres redeunt, dans Ius imperium auctoritas ; études de droit romain, EFR, Rome, 1990 (1ère publication : Homm. Jean Bayet, Latomus, 70, 1964, p. 427-473), p. 358-359.

 

[9] Dion. Hal., 6, 94, 2 ; Plut., Cor., 11, 1-2 ; Mau, dans RE, ad v. cognomen, col. 227. I. Kajanto, The Latin Cognomina, Helsinki, 1965, rééd. 1982 ; A. Alföldi, Early Rome and the Latins, Ann Arbor, 2ème éd., 1971, p. 83.

 

[10] W. Schulze, Zur Geschichte lateinischen Eigennamen, Berlin, 1904, p. 565. On trouve cette version dans Perioch., 2 ; Val. Max., 4, 3, 4 ; Vir. ill., 19, 1 ; Liv., 2, 33, 5 ; Plut., Cor., 11, 1-2 ; Dion. Hal., 6, 93, 1...

 

[11] A. Alföldi, Early Rome [n. 9], p. 164-175, sur les Fastes consulaires et leur fiabilité ; Th. Mommsen, Coriolanus [n. 2], p. 21 ; I. Kajanto, The Latin Cognomina, Helsinki, 1965, rééd. 1982 ; L'onomastique latine, Paris 13-15 octobre 1975. Colloques internationaux du C.N.R.S., Paris, 1977.

 

[12] Catalogue de Lamprias, fils de Plutarque, n° 100. Plutarque aurait rédigé un traité sur les tria nomina.

 

[13] Surnoms romains formés sur des noms de cités ou de peuples : Camerinus et Carventanus, Medullinus, Vecellinus, Tolerinus, Collatinus (surnom d'un Tarquin de Collatie, début de la République), Regillensis, Mamertinus, Siculus, Auruncus... Surnoms qui se rattachent à des sites romains : Esquilinus, Caelius, Caelimontanus, etc. Th. Mommsen, Römische Forschungen, 1866, pensait que les cognomina avaient été introduits dans les listes des magistrats éponymes (Fasti) après coup, pour fournir une nomenclature des familles consulaires, document officiel et indispensable, puisque les plus hautes charges étaient réservées aux familles nobles, celles qui comptaient un ancien consul parmi leurs ancêtres. Les cognomina qui figurent dans les Fastes consulaires auraient été rajoutés au cours du 2ème siècle a. C., non pas nécessairement dans un esprit de fraude ou de gloriole, comme on le suppose parfois, mais dans le souci de créer un document officiel de référence. Qu'il y ait eu à l'occasion des tentatives de fraude est une autre question ; A. Alföldi, Les cognomina des magistrats de la République romaine, dans Mél. Piganiol, Paris, 1966, II, p. 709-722 ; I. Kajanto, The Latin Cognomina, Helsinki, 1965 (rééd. 1982), p. 137-366, a dressé une liste de 5.783 cognomina. L'encyclopédie Wikipedia propose sur internet une très longue liste de surnoms classés par ordre alphabétique, non commentés : <http://www.en.wikipedia.org/wiki/List_of_Roman_cognomina>.

 

[14] D'après Dion. Hal., 4, 22, 3-4, Servius Tullius aurait admis à la citoyenneté romaine des étrangers et même des « esclaves affranchis » et, en 4, 58, 3, Tarquin, par un traité écrit sur une peau de boeuf (hostia offerte en sacrifice) conservée dans le temple de Sancus, accorde aux citoyens de Gabies une ἰσοπολιτεία avec Rome. Sur cette ἰσοπολιτεία entre Gabies et Rome, entre Rome et les cités latines, M. Humbert, Municipium et ciuitas sine suffragio ; l’organisation de la conquête jusqu’à la guerre sociale, EFR, Rome, 1978, p. 85-143.

 

[15] P. Catalano, Aspetti spaziali del sistema guridico-religioso romano, Mundus templum urbs ager Latium Italia, dans ANRW II, 16, 1, Berlin-New York, 1978, p. 494-495 ; M. Humbert, Municipium [n. 14], p. 88, n. 10.

 

[16] C. Ampolo, Su alcuni mutamenti sociali nel Lazio arcaico tra l’VIII e il V secolo, dans DdA, IV-V, 1970-1971, p. 37-68 ; Demarato. Osservazioni sulla mobilità sociale arcaica, dans DdA, IX-X, 1976-1977, p. 333-345 ; Roma arcaica ed i Latini nel V secolo, dans Crise et transformation des sociétés archaïques de l’Italie antique au Ve siècle av. J.-C., Table ronde EFR et UA de recherches étrusco-italiques, CNRS, Rome 19-21 novembre 1987, EFR, 1990, p. 118, n. 2.

 

[17] Il y a discussion sur le sens de populi Albenses dans le texte de Pline, Albenses étant compris soit comme l'un des 30 peuples latins, soit comme l'ensemble des peuples issus d'Albe ; A. Bernardi, Dai populi albenses ai Prisci Latini nel Lazio arcaico, dans Athenaeum, 1964, p. 251 et n. 114 ; C. Ampolo, L’organizzazione politica dei Latini ed il problema degli Albenses, dans Alba Longa : mito storia archeologia. Atti dell’Incontro di studio ; Roma-Albano Laziale 27-28 gennaio 1994, a cura di A. Pasqualini (ouvrage coll.), Rome, 1996, p. 135-160 ; A. Grandazzi, La liste plinienne des “ populi ” dits “ Albenses ”, dans REL, 77, 2000, p. 33-34 ; B. Liou-Gille, La Ligue Latine ou les Ligues Latines ? : Fédérations au temps des rois romains, dans Homm. à C. Deroux III, Histoire et épigraphie, droit (Latomus éd. P. Defosse), Bruxelles, 2003, p. 283).

 

[18] Dion. Hal., 4, 26, 4-5 : d'après Denys, Servius Tullius rédigea les lois qui définissaient droit fédéral, déroulement du Latiar, protocole de la panégyrie. Il érigea une stèle de bronze (visible encore au temps de Denys) pour y graver les décisions de l’assemblée et les noms des cités appartenant à la Confédération, en alphabet grec archaïque. A. Momigliano, Sul dies natalis del santuario federale di Diana sull'Aventino, dans Atti della Accademia Nazionale dei Lincei, 1962 (ser. 8, vol. 17), p. 387.

 

[19] G. Colonna, I Latini e gli altri popoli del Lazio, in Italia omnium terrarum alumna, Rome, 1988, p. 425, 447. Sur le partage des viandes sacrificielles, Varr., 6, 25 ; Cic., pro Plancio, 23 ; Sch. Bob. ad pro Plancio 23 ; Liv., 32, 1, 9 ; 37, 3, 4 ; B. Liou-Gille, Naissance de la Ligue Latine, dans RBPh 74, 1996, p. 93-94.

 

[20] G. Wissowa, Die röm. Staatspriestertümer altlatinischer Gemeindekulte, dans Hermes, Berlin, 1915, p. 1-33.

 

[21] Sur les guerres où s'affrontèrent Volsques et Romains à la fin de la monarchie et au début de la République romaine, A. Alföldi, Early Rome [n. 9], p. 365-377.

 

[22] D'après Liv., 2, 33, 4-5, en 493 les Volsques sont maîtres d'Antium, de Longula, de Polusca, et de Corioles.

 

[23] M.L. Scevola, Anzio pre-volsca e il Lazio, dans Rendiconti Istituto Lombardo, 1964, 98, p. 90-91 ; Civiltà maritima di Anzio pre-volsca, dans Rendiconti Istituto Lombardo, 1960, 94, p. 243-260, p. 89-90.

 

[24] Selon Dion. Hal., 6, 94, 1, on lui offre un cheval de guerre, caparaçonné comme un cheval consulaire, dix prisonniers, tout l'argent qu'il peut emporter, tout ce qu'il veut ; selon Plutarque, Cor., 10, 3, on offre à Coriolan, sur le butin, des trésors, des armes, des chevaux et des prisonniers, dix lots de chaque sorte et un cheval caparaçonné.

 

[25] Plut., Cor., 9, 1-2 : « La ville étant prise ainsi, la plupart des soldats se mirent à piller les biens de l'ennemi et à les emporter. Marcius s'en indigna... Voyant que peu de soldats l'écoutaient...»; cf Dion. Hal., 6, 92, 6.

 

[26] Plut., Cor., 20, 5. Sur le butin de guerre, B. Liou-Gille,  Le butin dans la Rome ancienne, dans La Rome des premiers siècles, légende et histoire; actes de la table ronde en l'honneur de Massimo Pallottino (Paris 3-4 mai 1990), Florence, 1992, p. 155-172.

 

[27] Sur Vetulonia, M. Torelli, Dalle aristocrazie gentilizie alla nascita della plebe, dans Storia di Roma I, Roma in Italia, Rome, 1988, p. 241-261 ; A. Maggiani, La situazione archeologica dell’Etruria settentrionale del V secolo, dans Crise et transformation des sociétés archaïques [n. 16], p. 24-49 (description des casques : Mostra Gli Etruschi, a cura di M. Torelli, éd. Bompiani), 2000, p. 262 et n° 70, p. 562 : casques du 5ème siècle, conservés au Musée archéologique de Florence).

 

[28] IeiSteteraiPopliosioValesiosioSuodalesMamartei, ce qui voudrait dire : «  les ...†… iei, compagnons d’armes de Publius Valerius, ont fait cette dédicace à Mars ». Le début de l’inscription est mutilé ; elle date de la fin de la royauté ou du début de la République. L'Institut hollandais de Rome, Lapis Satricanus ; archaeological, epigraphical, linguistic and historical aspects of the new inscription from Satricum, 1980, réunit les études de M. Pallottino, M. Stibbe, G. Colonna, C. De Simone, H.S. Versnel sur cette découverte.

 

[29] Gaius, ad leg. XII tab. 8, 27; ap. Dig., 47, 22, 4, assimile sodales et ἑταιρεία : sodales sunt, qui eiusdem collegii sunt quam Graeci ἑταιρείαν uocant. His autem potestatem facit lex pactionem quam uelint sibi ferre, dum ne quid ex publica lege corrumpant ; E. Fiori, Sodales ; Gefolgschaften e diritto di associazione in Roma arcaica (VIII-V. sec. a. C.), dans Societas-Ius, Munuscula di allievi a Feliciano Serrao, Naples, 1999, p. 99-158, spécialement p. 132-133. Selon E. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, I, Paris, 1969, p. 328-332, le radical implique une liaison de caractère social, parental ou sentimental (compagnonnage, alliance, amitié) (p. 331).

 

[30] G. Bloch et J. Carcopino, Hist. Rom., la République romaine de 133 à 44 av. J.-C., Paris, 1952, p. 447.

 

[31] Le procès de Coriolan (l'un des premiers procès comitiaux), l'intervention collective des sénateurs, des prêtres, des femmes ; T.P. Wiseman, Roman Drama and Roman History, 1998 ; Tim Cornell, Coriolanus, Myth, History and Performance, dans Myth, History and Culture in Republican Rome, Studies in honour of T.P. Wiseman (éd C. Braun et Ch. Gill), Exeter, 2003, p. 73 ; Th. Mommsen, Coriolanus [n. 2], p. 20, en notait déjà le caractère romantique.

 

[32] E. Peruzzi, La poesia conviviale di Roma arcaica, dans PP, 1993, 48, p. 332-373.

 

[33] Voir J. Poucet, [n. 2].

 

[34] Tim Cornell, Coriolanus [n. 31], p. 73.

 


Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 14 - juillet-décembre  2007
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